CAA Nancy, 11/10/2022, n°20NC01162
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Innovax International a demandé au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler le titre exécutoire émis le 6 juillet 2016 par le président de la communauté de communes des Portes du Luxembourg portant sur le recouvrement d'une somme de 71 048,03 euros correspondant aux frais exposés dans le cadre du projet de construction d'un bâtiment industriel au sein de la zone d'aménagement concerté de Douzy.
Par un jugement n° 1800199 du 10 mars 2020, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande et mis à sa charge une somme de 1 500 euros à verser à la communauté de communes des Portes du Luxembourg au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 mai 2020 et 16 mars 2022, la société Innovax International, représentée par Me Calot, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler le titre exécutoire émis le 6 juillet 2016 ;
3°) subsidiairement, de saisir le Tribunal des conflits en prévention de conflit négatif ;
4°) de mettre à la charge de la communauté de communes des Portes du Luxembourg une somme de 2 000 euros au titre de la première instance et une somme de 3 000 euros au titre de l'appel, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la cour devrait saisir le Tribunal des conflits en prévention d'un conflit négatif si elle envisageait de juger que le litige relève de la juridiction judiciaire, alors que cette dernière a déjà décliné sa compétence ; le litige relève de la compétence du juge judiciaire, en l'absence de tout contrat ; même si les négociations avaient été menées à leur terme, le contrat conclu aurait nécessairement été de droit privé, il ne contribue pas au service public contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges ;
- c'est à tort que les premiers juges ont retenu l'existence d'un accord de volontés, en l'absence d'intention de chacune des parties de se lier par des obligations réciproques, et alors qu'elle avait notifié l'abandon de son projet ; la lettre d'intention du 4 septembre 2014 ne révèle pas l'existence d'un contrat ; le prix de cession envisagé est indéterminé ; en toute hypothèse, la lettre d'intention comportait une clause résolutoire tendant à la signature, dans un délai de deux mois, d'un compromis de vente, lequel n'a pas été conclu ; elle ne s'est jamais engagée à prendre en charge les frais d'étude d'avant-projet ; aucune cession ne pouvait être décidée par le président pour l'établissement public de coopération intercommunale sans l'accord de son assemblée délibérante, matérialisé par une délibération motivée après consultation de la direction départementale des finances publiques ; la rétractation de l'offre était seulement susceptible d'engager sa responsabilité extracontractuelle, en vertu de l'article 1116 du code civil ; les frais ont été engagés par la communauté de communes antérieurement à la lettre d'intention, ils auraient été engagés de la même manière en l'absence de cette lettre ;
- la rupture des pourparlers qui lui est imputable n'est pas fautive, dès lors qu'elle était fondée sur des considérations économiques, et alors que la communauté de communes connaissait le risque d'un renoncement au projet.
Par un mémoire enregistré le 30 novembre 2021, la communauté de communes des Portes du Luxembourg, représentée par Me Petit, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la société requérante une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la critique sur les mentions du titre exécutoire quant aux voies et délais de recours est inopérante ; le litige ne relève pas de la compétence de la juridiction judiciaire, elle n'a pas entendu exercer une action en responsabilité pour rupture abusive des pourparlers mais a seulement entendu se faire rembourser les frais engagés à l'occasion d'un marché public de maîtrise d'œuvre conclu pour l'exécution d'un contrat tacite la liant à la société requérante ;
- c'est à juste titre que le tribunal a retenu que les parties avaient entendu se lier par des obligations réciproques, la lettre d'intention révélant un engagement certain et clairement défini, le prix de départ étant connu et fixé par les parties, nonobstant son évolution ; les considérations sur la régularisation d'un compromis de vente ne sauraient être regardées comme une clause résolutoire ; le coût des études figurait parmi les éléments intégrés dans le coût du projet.
Par ordonnance du 27 juillet 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 30 août 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A,
- les conclusions de M. Michel, rapporteur public,
- et les observations de Me Callot, pour la communauté de communes des Portes du Luxembourg.
Considérant ce qui suit :
1. La société Innovax International est spécialisée dans la fabrication et la commercialisation d'accessoires et de systèmes de crochets, berceaux et colliers destinés aux professionnels de la toiture et de la couverture. En vue de favoriser son implantation au sein de la zone d'aménagement concerté de Douzy, elle a, par une lettre d'intention du 4 septembre 2014, donné son accord à un projet de construction, à réaliser par la communauté de communes des Portes du Luxembourg d'un bâtiment industriel de 2 000 mètres carrés sur une parcelle de 4 764 mètres carrés, qu'elle s'engageait, après sa construction, à acquérir. Par une lettre du 18 mai 2015, la société a informé la communauté de communes de sa renonciation au projet. Par une délibération du 14 décembre 2015, le conseil communautaire a décidé de mettre à la charge de la société Innovax International " les frais supportés par la collectivité pour la réalisation du projet ", consistant en des études d'avant-projet, des études géotechniques et autres. En conséquence, le président de la communauté de communes a émis, le 6 juillet 2016, un titre exécutoire pour un montant de 71 048,03 euros. La société Innovax International relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ce titre exécutoire.
Sur la régularité du jugement :
2. Il résulte de l'instruction que la créance faisant l'objet du titre exécutoire litigieux est fondée sur l'existence d'un contrat, la communauté de communes ayant dans ses écritures expressément exclu un fondement extracontractuel lié à la rupture de pourparlers par la personne privée. Le contrat dont l'existence est alléguée porte sur un accord entre l'établissement public de coopération intercommunale et la société Innovax International tendant à la construction d'un bâtiment en vue de favoriser l'implantation, sur son territoire, de cette société pourvoyeuse d'emplois, et ainsi de favoriser le développement et l'attractivité économiques de son territoire. Par son objet une telle convention participe à l'exécution d'une mission de service public de développement économique et constitue ainsi un contrat administratif. La créance invoquée pour justifier le titre exécutoire résultant de la rupture de ce contrat public, le litige relève de la compétence de la juridiction administrative, ainsi que l'a relevé à juste titre le tribunal. L'exception d'incompétence opposée par la société Innovax International doit par suite être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Le marché de maîtrise d'œuvre conclu par la communauté de communes des Portes du Luxembourg en vue de faire édifier un immeuble correspondant aux besoins de la société Innovax International révèle l'existence d'un engagement de cette collectivité, au profit de l'entreprise, de faire procéder aux études préalables à la réalisation du bâtiment ayant vocation à abriter ses activités. Par la lettre d'intention du 4 septembre 2014, postérieure à la passation de ce marché, la société Innovax International a validé les études d'avant-projet réalisées par l'architecte et pris des engagements à l'égard de la communauté de communes des Portes du Luxembourg, pour l'acquisition du bâtiment après réception, sur la base d'un prix évalué à 1 899 288 euros toutes taxes comprises correspondant au coût prévisionnel, mais qui restait à ajuster, par une société civile immobilière qu'elle s'engageait à constituer. Il résulte ainsi de l'instruction une commune intention des parties de réaliser un bâtiment au profit de la société que cette dernière s'engageait à terme à acquérir, contrat tacite qui se distingue du compromis de vente et du contrat de vente qui devaient être conclus à terme. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte pas des termes de la lettre d'intention que son engagement comportait une condition résolutoire. En renonçant, par le courrier du 18 mai 2015, au projet de construction, la société Innovax International a rompu unilatéralement ce contrat tacite laissant à la charge de la collectivité les frais qu'elle avait d'ores et déjà exposés. Par suite, la société Innovax International n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont jugé que la communauté de communes des Portes du Luxembourg pouvait demander sa condamnation à l'indemniser des dépenses dont il n'est pas contesté qu'elles ont été exposées en vain.
4. Toutefois, il résulte également de l'instruction que la collectivité publique a conclu le contrat de maîtrise d'œuvre avant tout engagement ferme de la société Innovax. Dans ces conditions, l'établissement public a commis une imprudence, qui doit être regardée comme étant à l'origine de son préjudice à hauteur de 50 %. La société Innovax n'est donc fondée à contester le lien de causalité entre son renoncement unilatéral au projet et le préjudice subi par la communauté de commune que dans cette mesure.
5. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la communauté de communes des Portes du Luxembourg ne pouvait mettre à la charge de la société Innovax l'intégralité des frais qu'elle a exposés. La société Innovax est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté l'intégralité de ses conclusions, et à demander l'annulation du titre exécutoire litigieux en tant qu'il excède le montant de 35 524,01 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le titre exécutoire émis le 6 juillet 2016 par le président de la communauté de communes des Portes du Luxembourg à l'encontre de la société Innovax est annulé en tant qu'il excède le montant de 35 524,01 euros.
Article 2 : Le jugement n° 1800199 du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne du 10 mars 2020 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Innovax International et à la communauté de communes des Portes du Luxembourg.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ghisu-Deparis, présidente de chambre,
- Mme Samson-Dye, présidente assesseure,
- M. Denizot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2022.
La rapporteure,
Signé : A. A
La présidente,
Signé : V. Ghisu-Deparis
La greffière,
Signé :N. Basso La République mande et ordonne au préfet des Ardennes, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière :
N. Basso