CAA Nancy, 24/04/2023, n°23NC00843
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La préfète du Bas-Rhin a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg, sur le fondement de l'article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales et de l'article L. 554-1 du code de justice administrative de suspendre l'exécution du marché public relatif à l'incinération des ordures ménagères résiduelles conclu le 22 décembre 2022 entre la communauté de communes du canton d'Erstein et la société Senerval.
Par une ordonnance n° 2300868 du 23 février 2023, le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté le déféré.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 mars et 11 avril 2023, la préfète du Bas-Rhin demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2300868 du 23 février 2023 ;
2°) d'ordonner la suspension du marché passé le 22 décembre 2022 entre la communauté de communes du canton d'Erstein et la société Senerval pour l'incinération des ordures ménagères résiduelles.
Elle soutient que :
- l'ordonnance est irrégulière car non motivée ;
- elle est également mal fondée, le premier juge ayant commis une erreur de droit et une erreur dans la qualification juridique des faits dès lors que :
. le premier avis de marché ne comportait aucune indication quant à la valeur estimée du marché, que le second avis ne comportait qu'une estimation sous-évaluée et que le cahier des clauses particulières (CCP) du marché donnait qu'une quantité purement approximative des tonnes de déchets à traiter par année, l'économie du contrat ne peut conduire qu'à l'interpréter comme un accord-cadre à bons de commande alors même que ces termes ne sont pas employés dans les documents de la consultation ; les tickets de pesées prévus à l'article 9.3 du CCP correspondent à des bons de commande ; les conditions dans lesquelles le précédent marché a été passé est sans incidence sur la qualification du marché en litige ;
. à défaut de toute indication de la quantité et/ou de la valeur maximale des prestations à fournir dans les documents de la consultation, le contrat en litige méconnaît les dispositions de l'article R. 2121-8 du code de la commande publique et a été conclu à l'issue d'une procédure suivie en méconnaissance des principes de transparence des procédures et d'égalité de traitement des candidats ;
. à supposer que le marché ne puisse être qualifié d'accord-cadre mais constitue bien un marché à prix unitaire, il a été également passé en violation des articles L. 2111-1, R. 2121-7 et/ou R. 2121-8 du code de la commande publique en ce qu'il ne décrit pas précisément le besoin sur lequel il porte, l'estimation quantitative envisagée dans le CCP étant purement indicative, non contraignante et de surcroît établie sur la base de chiffres d'un exercice antérieur sans actualisation ; les informations contenues dans les documents de la consultation sont manifestement insuffisantes pour se faire une idée précise de la quantité ou du montant des prestations objet du marché ; la sous-estimation dans l'avis, au regard de son ampleur, ne peut être qualifiée de simple erreur matérielle ;
. l'incertitude quant à l'estimation de la quotité des prestations objet du marché pourrait avoir des conséquences pour la continuité du service public auquel se rapporte le contrat et/ou sur les finances de la collectivité publique qui l'a passé ;
. dès lors que la communauté de communes a opté pour une procédure formalisée, elle doit s'y conformer ;
. ces irrégularités ont pu dissuader des candidats à présenter leur offre d'autant plus qu'une seule offre a été en l'espèce déposée à un prix supérieur nettement plus élevé que celui du marché précédent dont le lauréat était déjà titulaire et supérieur au prix médian dans le secteur concerné ;
- ces moyens sont de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la procédure de passation et sur le contrat lui-même.
Par un mémoire en défense, enregistré le 31 mars 2023, la communauté de communes du canton d'Erstein, représentée par Me Llorens, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance est suffisamment motivée ;
- aucun moyen soulevé ne paraît sérieux ;
- qu'à supposer que l'un d'entre eux le soit, la suspension du marché en litige porterait atteinte excessive à l'intérêt général.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 11 et 13 avril 2023, la société Senerval, représentée par Me Kappler, conclut :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à titre subsidiaire, à ce que la suspension de l'exécution du marché soit prononcée avec un effet différé ;
3°) à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'ordonnance est suffisamment motivée ;
- aucun moyen soulevé ne paraît sérieux ;
- qu'à supposer que l'un d'entre eux le soit, la suspension du marché en litige porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ;
- à titre subsidiaire, pour préserver la continuité du service public, il y aurait lieu d'assortir la suspension d'un effet différé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la cour a, par une ordonnance du 1er septembre 2022 désigné Mme A B comme juge des référés en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Une convention de groupement a été conclue entre la communauté de communes du Pays de Sainte-Odile (CCPSO), la communauté de communes du canton d'Erstein et le syndicat mixte du pays de la Mossig et de la Sommerau le 25 août 2022 aux seules fins d'organiser la procédure de passation de marchés publics relatifs à l'incinération des déchets ménagers pour la période du 1er janvier 2023 au 31 décembre 2026. La CCPSO a été désignée coordinatrice du groupement, les membres du groupement étant destinés à conclure chacun, à l'issue de la procédure, un marché correspondant à ses propres besoins. Par un avis de marché publié au Journal officiel de l'Union Européenne (JOUE) le 23 août 2022 et au Bulletin Officiel des Annonces des Marchés Publics (BOAMP) le 25 août 2022, la CCPSO lançait une procédure de publicité et de mise en concurrence relative à l'attribution de ce marché. Aucune offre n'a été déposée. Un avis de non attribution a été publié le 12 octobre 2022 au JOUE. Un nouvel avis a été publié le 14 octobre 2022 sur la plateforme acheteur e-marchespublics.com, au JOUE et au BOAMP portant sur l'attribution du marché décomposé cette fois-ci en deux lots : lot n° 1 : incinération des ordures ménagères résiduelles et lot n° 2 : incinération des encombrants, lequel n'étant destiné qu'à répondre aux besoins de la CCPSO. La valeur estimée des lots mentionnée dans les avis se portait respectivement à 350 000 euros et 175 000 euros. Pour le lot n° 1, le dossier de consultation a été téléchargé par onze sociétés mais une seule a présenté une offre. Pour le lot n° 2, deux offres ont été déposées. Pour ce lot, la procédure a été classée sans suite alors qu'un marché pour le lot n° 1 a été conclu le 22 décembre 2022 entre la communauté de commune du pays d'Erstein et la société Senerval. La préfète du Bas-Rhin a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg la suspension de l'exécution de ce marché. Elle fait appel de l'ordonnance du 23 février 2023 portant rejet de sa demande.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : " Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. " ". Le dernier alinéa de cette disposition précise : " L'appel des jugements du tribunal administratif ainsi que des décisions relatives aux demandes de suspension prévues aux alinéas précédents, rendus sur recours du représentant de l'Etat, est présenté par celui-ci ". Aux termes de l'article L. 5211-3 du même code : " Les dispositions du chapitre premier du titre III du livre premier de la deuxième partie relative au contrôle de légalité et à la publicité et à l'entrée en vigueur des actes des communes sont applicables aux établissements publics de coopération intercommunale () ".
3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Le représentant de l'Etat dans le département peut assortir son recours d'une demande de suspension sur le fondement des dispositions citées ci-dessus du quatrième alinéa de l'article L. 3132-1 du code général des collectivités territoriales, auquel renvoie l'article L. 554-1 du code de justice administrative.
4. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini. Les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office.
Sur les moyens invoqués :
5. Les arguments au soutien des moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur de la qualification juridique des faits du premier juge, qui relèvent du seul juge de cassation, doivent être regardés comme tendant directement à remettre en cause la validité du contrat en litige.
6. Alors que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'ordonnance manque en fait, il ne résulte pas de l'instruction et plus particulièrement des documents de la consultation et des termes du contrat en litige que les collectivités membres du groupement, chargé de mettre en œuvre la procédure de passation du marché en litige, aient entendu conclure un accord-cadre, ni que le marché puisse être ainsi qualifié. Par ailleurs, s'il est constant que l'avis d'appel à concurrence comporte une erreur grossière quant à l'estimation de la valeur des marchés dont celui en litige, les candidats, qui disposaient en outre de la possibilité d'interroger la coordinatrice, ont eu connaissance par le cahier des clauses particulières de l'estimation des volumes de déchets à incinérer et donc des besoins de chaque collectivité. A cet égard, l'erreur contenu dans l'avis n'a pas fait obstacle à ce que onze candidats potentiels téléchargent les documents de la consultation. Par suite, en l'état de l'instruction, aucun des moyens soulevés et visés ci-dessus tirés de la méconnaissance des dispositions du code de la commande publique et de la méconnaissance des principes de transparence et d'égal accès à la procédure, ne paraît propre à créer un doute sérieux sur la validité du contrat.
7. Il résulte de ce qui précède que la préfète du Bas-Rhin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le juge des référés du tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Sur les frais de l'instance :
8.Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au bénéfice d'une part de la communauté de communes du canton d'Erstein et d'autre part de la société Senerval sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la préfète du Bas-Rhin est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à la communauté de communes du canton d'Erstein et à la société Senerval, chacune, la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au ministre de l'intérieur et des outre-mer, à la communauté de communes du canton d'Erstein et à la société Senerval.
Copie en sera adressée la préfète du Bas-Rhin.
Fait à Nancy, le 24 avril 2023.
Le juge des référés,
Signé : V. B
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme
La greffière,
N. Basso