CAA Paris, 23/02/2023, n°21PA03995
Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A C a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler les arrêtés des 9 mars 2020, 10 avril 2020, 23 juin 2020, 16 octobre 2020 et 25 février 2021 par lesquels le recteur de l'académie de Paris a prolongé la décision initiale de suspension de ses fonctions, prise à titre conservatoire à compter du 10 juillet 2018, pour des périodes successives de quatre mois à partir du 10 novembre 2018.
Par un jugement nos 2005545, 2006952, 2006953, 2006954, 2006958, 2009624, 2017937 et 2105382 du 19 mai 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 15 juillet 2021 et le 19 janvier 2022, M. C, représenté par Me Mayet, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 19 mai 2021 ;
2°) d'annuler les arrêtés du recteur de l'académie de Paris en date des 9 mars 2020, 10 avril 2020, 23 juin 2020, 16 octobre 2020 et 25 février 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
S'agissant de l'arrêté du 9 mars 2020 :
- compte tenu de l'annulation rétroactive des arrêtés des 9 octobre 2018, 11 février 2019, 25 juin 2019 et 10 octobre 2019 par un jugement du tribunal administratif de Paris du 8 avril 2020, aucune décision ne pouvait prolonger la mesure initiale de suspension de fonctions après l'expiration du délai de quatre mois pour lequel elle avait été prononcée ;
- la décision attaquée, qui lui faisait grief et devait être motivée, impliquait qu'il soit mis en mesure de faire valoir ses observations.
S'agissant des arrêtés du 10 avril 2020 :
- ces arrêtés prolongeant la mesure de suspension, qui n'avaient ni pour objet ni pour effet d'assurer la continuité de sa carrière ou de procéder à la régularisation de sa situation, ne pouvaient légalement être pris de façon rétroactive ;
- ils ont été édictés sans qu'il puisse faire valoir ses observations ;
- la méconnaissance des dispositions du II de l'article 11-2 du code de procédure pénale, en vertu desquelles il aurait dû être informé de la transmission au recteur d'académie d'une décision prise par le ministère public, a eu une incidence sur la régularité de la procédure suivie et sur les droits de la défense.
S'agissant des arrêtés des 23 juin 2020, 16 octobre 2020 et 25 février 2021 :
- ces arrêtés ne pouvaient légalement maintenir une mesure de suspension provisoire entachée d'illégalité ;
- ils ont été pris en méconnaissance du principe du contradictoire, en l'absence de toute possibilité de faire préalablement valoir ses observations.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2021, le recteur de l'académie de Paris conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la fonction publique ;
- le code pénal ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B,
- les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public,
- et les observations de Me Feignez, représentant M. C.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 28 juin 2018, le recteur de l'académie de Paris a suspendu de ses fonctions à titre conservatoire M. C, professeur agrégé de mathématiques, pour une durée de quatre mois à compter du 10 juillet 2018. Cette décision, qui n'a pas été contestée, a été prolongée par quatre arrêtés successifs de même durée pris respectivement les 9 octobre 2018, 11 février 2019, 25 juin 2019 et 10 octobre 2019 et portant sur la période comprise entre le 10 novembre 2018 et le 9 mars 2020. Ces arrêtés de prolongation ont été annulés par un jugement du tribunal administratif de Paris du 8 avril 2020 au motif qu'ils n'étaient pas suffisamment motivés. Le 9 mars 2020, en cours d'instance, le recteur de l'académie de Paris a pris un nouvel arrêté de prolongation, portant sur la période comprise entre le 10 mars et le 9 juillet 2020. Le 10 avril 2020, à la suite de l'annulation contentieuse, il a pris quatre nouveaux arrêtés portant sur la période comprise entre le 10 novembre 2018 et le 9 mars 2020. Enfin, il a décidé de la prolongation de cette mesure conservatoire par des arrêtés des 23 juin 2020, 16 octobre 2020 et 25 février 2021 au titre de la période comprise entre le 10 juillet 2020 et le 9 juillet 2021. Par la présente requête, M. C relève régulièrement appel du jugement du tribunal administratif de Paris du 19 mai 2021 rejetant ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 9 mars 2020, 10 avril 2020, 23 juin 2020, 16 octobre 2020 et 25 février 2021.
2. D'une part, aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable aux décisions attaquées et désormais codifié aux articles L. 531-1 et suivants du code général de la fonction publique : "En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. ()".
3. D'autre part, les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. S'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires, l'administration ne peut, en dérogation à cette règle générale, leur conférer une portée rétroactive que dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation.
4. Le fonctionnaire qui fait l'objet d'une mesure de suspension étant maintenu en position d'activité, l'annulation d'une telle mesure ne suppose l'intervention d'aucun acte pour assurer la continuité de la carrière de l'agent ou régulariser sa situation. Par suite, si l'administration est en droit, après l'annulation contentieuse d'une première mesure de suspension, d'en prendre une nouvelle, sous réserve que les conditions prévues à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 demeurent remplies, elle ne peut légalement lui donner un effet rétroactif.
Sur la légalité des arrêtés des 9 mars 2020 et 10 avril 2020 :
5. Par quatre arrêtés du 10 avril 2020, le recteur de l'académie de Paris a prolongé la période de suspension de fonctions de M. C pour des durées successives de quatre mois entre le 10 novembre 2018 et le 9 mars 2020, à la suite de l'annulation contentieuse, par le jugement du tribunal administratif de Paris du 8 avril 2020, de précédents arrêtés entachés d'une insuffisance de motivation. Il résulte de ce qui a été dit au point 4 que le recteur de l'académie de Paris ne pouvait légalement donner une portée rétroactive aux arrêtés pris le 10 avril 2020 par lesquels il décidait la prolongation, jusqu'au 9 mars 2020, de la suspension décidée le 28 juin 2018 pour la période du 10 juillet au 9 novembre 2018. Par voie de conséquence, il ne pouvait davantage décider, le 9 mars 2020, de prolonger à nouveau la mesure de suspension prise à l'encontre de M. C, dès lors que les précédentes prolongations sont réputées ne jamais être intervenues.
Sur la légalité des arrêtés des 23 juin 2020, 16 octobre 2020 et 25 février 2021 :
6. En premier lieu, l'annulation contentieuse des arrêtés des 9 octobre 2018, 11 février 2019, 25 juin 2019 et 10 octobre 2019, prononcée le 8 avril 2020, ne privait pas le recteur de l'académie de Paris de la possibilité de suspendre à nouveau M. C de ses fonctions si les conditions prévues à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 demeuraient réunies. En l'espèce, le recteur de l'académie de Paris a décidé, par les arrêtés des 23 juin 2020, 16 octobre 2020 et 25 février 2021, de suspendre M. C de ses fonctions d'enseignant à titre conservatoire pour la période comprise entre le 10 juillet 2020 et le 9 juillet 2021, en raison, d'une part, de sa mise en examen par le parquet national antiterroriste, pour participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d'un ou plusieurs crimes d'atteintes aux personnes visés au 1° de l'article 421-1 du code pénal et, d'autre part, de la gravité de ces faits susceptibles de troubler la sérénité nécessaire au bon fonctionnement du service public et s'opposant à toute affectation dans un autre emploi, y compris dans un autre corps par la voie du détachement.
7. En second lieu, les arrêtés en litige relatifs à la suspension de fonctions de M. C ont été pris dans le but exclusif de préserver le bon fonctionnement du service public. Si les décisions de ne pas rétablir un agent dans ses fonctions doivent être motivées, les arrêtés litigieux ne revêtent en revanche ni le caractère d'une sanction, ni le caractère d'une mesure prise en considération de la personne soumise au respect d'une procédure contradictoire préalable au sens de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, M. C n'est pas fondé à soutenir que les arrêtés en litige, faute qu'il ait pu faire valoir ses observations, auraient été pris au terme d'une procédure irrégulière.
8. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre ces actes, que M. C est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté ses demandes tendant à l'annulation des arrêtés des 9 mars 2020 et 10 avril 2020.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C d'une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Les arrêtés du recteur de l'académie de Paris des 9 mars 2020 et 10 avril 2020 sont annulés.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris du 19 mai 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. C une somme de 1 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A C et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Paris.
Délibéré après l'audience du 3 février 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Fombeur, présidente de la Cour,
- M. Carrère, président de chambre,
- Mme Lorin, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 février 2023.
La rapporteure,
C. B
La présidente,
P. FOMBEUR
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.