Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 15 et 27 mars 2024, la société Arecia, représentée par Me Rollin, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :
1°) d'annuler la procédure de passation du marché de prestations de services de sécurité des biens et des personnes des hôpitaux de Creil, de Senlis et de l'Institut de formation aux soins infirmiers de Creil engagée par le groupe hospitalier public du sud de l'Oise (GHPSO) ;
2°) de mettre à la charge du groupe hospitalier public du sud de l'Oise (GHPSO) une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le courrier de rejet de son offre est signé par une autorité incompétente dès lors qu'elle ne justifie pas d'une délégation de signature ;
- le courrier de rejet de son offre est irrégulier, dès lors que la mention relative à la note technique qui lui a été attribuée a fait l'objet d'une modification manuscrite ;
- le montant maximum du marché ne figure ni dans les documents de la consultation ni dans l'avis d'appel public à la concurrence en méconnaissance des dispositions de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique ;
- le pouvoir adjudicateur a manqué à son obligation de communication des caractéristiques et avantages de l'offre retenue en méconnaissance des dispositions de l'article R. 2181-2 du code de la commande publique, alors même qu'une telle demande a été adressée au pouvoir adjudicateur par un courrier du 9 février 2024, de telle sorte qu'elle ne peut utilement contester la décision de rejet de son offre ni s'assurer de la régularité de l'offre de la société attributaire ;
- le critère d'analyse des offres relatif à la qualité technique est irrégulier, dès lors, d'une part, que le règlement de consultation ne précise pas les éléments pris en compte pour la notation du sous-critère relatif à la qualité du mémoire technique, que, d'autre part, le sous-critère relatif à la qualité de l'habillement des agents n'est pas défini par le cahier des clauses techniques particulières et qu'enfin, le sous-critère relatif au centre de formation proposé apparait sans lien avec la nature du marché de telle sorte qu'il s'agit d'un critère de sélection discriminatoire ;
- la méthode de notation du critère financier est irrégulière, dès lors qu'elle n'a été appliquée qu'à la tranche ferme du marché en s'appuyant sur la décomposition du prix global et forfaitaire, sans que ne soient analysées les tranches optionnelles en tenant compte du bordereau des prix unitaires et du détail quantitatif estimatif ;
- le pouvoir adjudicateur ne pouvait apprécier la qualité des mémoires techniques en se fondant notamment sur la politique en matière de responsabilité sociétale des entreprises et la détention d'un label RSE sans toutefois définir celui-ci au terme des documents de la consultation ni l'ériger en critère de notation des offres ;
- le pouvoir adjudicateur a dénaturé le contenu de son offre s'agissant de l'application du critère relatif à la qualité du mémoire technique, dès lors que celui-ci se compose dûment, d'une part, d'une analyse fondée notamment sur son expérience propre des risques de sûreté auxquels le pouvoir adjudicateur peut être confronté, et, d'autre part, d'un descriptif de l'organisation générale des prestations faisant l'objet du marché ;
- le pouvoir adjudicateur a dénaturé le contenu de son offre, dès lors que les documents de la consultation n'exigeaient pas qu'il soit expressément fait mention de son intention de faire renouveler sa certification ISO 9001 à l'expiration de sa date de validité ;
- le pouvoir adjudicateur a dénaturé le contenu de son offre s'agissant de l'application du sous-critère relatif à la qualité d'habillement des agents, dès lors que son mémoire technique prévoit l'inscription du mot " sûreté " sur leur tenue ;
- le pouvoir adjudicateur a dénaturé le contenu de son offre dès lors qu'elle est titulaire du précédent marché relatif aux sites du GHPSO de telle sorte qu'elle fait état d'une référence dans le secteur de la santé ;
- la notation de son mémoire technique ne pouvait être dégradée au motif qu'elle a intégré à ce mémoire un extrait des questions posées à ses agents, dès lors que le contenu de la base de contrôle des connaissances des agents ne constituait pas un sous-critère d'analyse des offres ;
- l'offre de la société Weesure Sécurité aurait dû être écartée par le pouvoir adjudicateur comme irrégulière, dès lors qu'elle méconnait l'article 3.2 du règlement de consultation en l'absence de communication de la décomposition du prix global et forfaitaire avant l'expiration du délai de remise des offres.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 22 et 28 mars 2024, le GHPSO, représenté par Me Burckel, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Arecia une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les griefs soulevés ne sont pas fondés et que, par suite, elle ne démontre pas avoir été lésée dans ses intérêts.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 mars 2024, la société Capital Sécurité, représentée par la SCP Gros - Hicter et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Arecia une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les griefs soulevés ne sont pas fondés ;
- les documents sollicités ne sont pas communicables, dès lors que le marché n'a pas encore été signé.
Par un mémoire distinct, enregistré le 28 mars 2024, la société Arecia annonce la production de pièces couvertes par le secret des affaires au sens de l'article L. 611-1 du code de justice administrative, notamment le mémoire technique remis à l'appui de son offre et certaines de ses annexes.
Par un mémoire remis au greffe de la juridiction le même jour, la société Arecia a produit la version confidentielle de ces pièces dans les conditions fixées à l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Thérain, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Thérain, vice-président, qui a averti les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative que les pièces produites en application de l'article R. 412-2-1 du même code étaient susceptibles d'être écartées des débats à raison de leur production tardive ;
- les observations de Me Rollin, représentant la société Arecia, qui, d'une part, conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens, à l'exception du moyen tiré de l'incompétence de l'auteur du courrier d'information du rejet de son offre qu'elle déclare abandonner et, d'autre part, produit au cours de l'audience une version confidentielle du mémoire technique produit à l'appui de son offre ;
- les observations de Me Burckel, représentant le GHPSO, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens ;
- et les observations de Me D'Halluin, représentant la société Capital Sécurité, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Le groupement hospitalier public du sud de l'Oise (GHPSO) a engagé le 8 décembre 2023 une consultation en vue de l'attribution d'un marché de prestations de services de sécurité des biens et des personnes des hôpitaux de Creil, de Senlis et de l'Institut de formation aux soins infirmiers de Creil. Par un courrier du 7 mars 2024, la société Arecia a été informée du rejet de son offre, classée en cinquième position, et de l'attribution du marché à la société Capital Sécurité. La société Arecia demande, dans le denier état de ses écritures, au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation de ce marché.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () ". Il appartient au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte, en avantageant une entreprise concurrente.
3. D'autre part, aux termes de l'article R. 2113-4 du code de la commande publique : " Les acheteurs peuvent passer un marché comportant une tranche ferme et une ou plusieurs tranches optionnelles. Le marché définit la consistance, le prix ou ses modalités de détermination et les modalités d'exécution des prestations de chaque tranche. ". Aux termes de l'article R. 2152-11 du même code : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ".
4. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, le pouvoir adjudicateur a l'obligation d'indiquer dans les documents de consultation les critères d'attribution du marché et leurs conditions de mise en œuvre, mais n'est en revanche pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres. Dans le cas d'un marché à tranches, si aucun texte ne s'oppose par principe à ce que ces critères, y compris celui relatif au prix des prestations, puissent n'être appliqués qu'à sa seule tranche ferme lorsque les caractéristiques des tranches conditionnelles au regard de l'ensemble des prestations du marché le justifie, cette circonstance, qui relève des conditions de mise en œuvre des critères de jugement des offres, doit, lorsque telle est l'intention du pouvoir adjudicateur, être indiquée dans les documents de la consultation.
5. Il résulte de l'instruction qu'aucune mention du règlement de la consultation n'indiquait expressément que le jugement des offres, dont le critère relatif au prix des prestations, ne porterait que sur les prestations de la seule tranche ferme du marché, alors que celui-ci prévoyait également trois tranches conditionnelles, d'un montant d'ailleurs sensiblement équivalent à celui de la tranche ferme, ainsi qu'il a été indiqué par le pouvoir adjudicateur à l'audience. Au surplus, certaines mentions des documents de la consultation étaient, par leur ambiguïté, de nature à induire les candidats en erreur sur ce point, alors que l'article 3.2 du règlement mentionnait que le détail quantitatif estimatif devant être établi en vue du jugement des prestations des seules tranches conditionnelles "pourra servir lors de l'analyse" des offres, tandis que l'en-tête du cadre de ce document, produit à l'audience, indiquait qu'il "servira () pour [cette] analyse". Dans ces conditions, en communiquant de telles informations aux candidats puis en ne tenant compte, ainsi qu'il l'a fait aux termes du rapport d'analyse des offres, que du montant résultant de la décomposition du prix global et forfaitaire du marché qui n'était applicable qu'à sa seule tranche ferme, et partant, en ne procédant au jugement des offres que sur le seul fondement du prix de cette tranche à l'exclusion des autres, le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
6. S'il résulte de l'instruction que la société requérante a quasiment obtenu la note maximale en ce qui concerne l'application du critère relatif au prix des prestations, soit une note de 39, 46 sur 40, il n'est pas établi qu'en cas d'application de ce critère à l'ensemble des prestations du marché et non à la seule tranche ferme, le classement des offres des autres candidats n'aurait pas été dégradé. Au demeurant, une information erronée des candidats sur les conditions de mise en œuvre des critères de jugement des offres est susceptible d'exercer une influence sur la présentation de ces dernières. Ainsi, la société requérante est fondée à soutenir que le manquement relevé ci-dessus est susceptible de l'avoir lésée.
7. Il appartient au juge des référés précontractuels de donner leur exacte portée aux conséquences des manquements qu'il relève. Au cas d'espèce, il y a lieu, pour le motif relevé ci-dessus et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs présentés par la société requérante qui concernent le même stade de la procédure de passation du contrat ou des stades ultérieurs, de prononcer son annulation à compter de la publication de l'avis d'appel public à la concurrence et d'enjoindre au GHPSO, s'il entend poursuivre cette procédure, de la reprendre à compter de cette publication.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du GHPSO une somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par la société Arecia et non compris dans les dépens. Il y a également lieu de rejeter les conclusions présentées par le GHPSO et la société Capital Sécurité sur ce dernier fondement.
O R D O N N E :
Article 1er : La procédure de passation du marché de prestations de services de sécurité des biens et des personnes des hôpitaux de Creil, de Senlis et de l'Institut de formation aux soins infirmiers de Creil engagée par le GHPSO est annulée à compter de la publication de l'avis d'appel public à la concurrence.
Article 2 : Il est enjoint au GHPSO, sauf s'il entend renoncer à passer le marché, de reprendre la procédure de passation du contrat à compter de cette publication.
Article 3 : Le GHPSO versera une somme de 1 500 euros à la société Arecia sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par le GHPSO et la société Capital Sécurité sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Arecia, au groupe hospitalier public du sud de l'Oise (GHPSO) et à la société Capital Sécurité.
Fait à Amiens, le 19 avril 2024.
Le président de la 3ème chambre,
Juge des référés
Signé :
S. ThérainLa greffière,
Signé :
S. Grare
La République mande et ordonne à la préfète de l'Oise en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.