TA Bastia, 05/07/2024, n°2400754
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 18 juin 2024 et le 2 juillet 2024, la société Dragflow S.r.l., représentée par la SELAS Ernst et Young, demande au juge des référés, statuant le fondement des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de passation du marché de fourniture d'une drague aspiratrice de sédiment et milieu marin ouvert et de ses équipements annexes engagée par la communauté de communes de la Costa Verde (CCCV), ensemble la décision du 27 mai 2024 rejetant son offre et attribuant le marché à la société Italdraghe S.p.A. ;
2°) d'enjoindre à la communauté de communes de la Costa Verde de reprendre l'intégralité de la procédure de passation de ce marché en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;
3°) de condamner la CCCV à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société requérante soutient que :
- son offre a été dénaturée en ce qui concerne les critères relatifs à la puissance du moteur et aux pylônes articulés ;
- l'offre de la société Italdraghe S.p.A. est irrégulière dès lors, d'abord, que la puissance qu'elle propose s'élève à 368 kW, ce qui excède la puissance maximale de 250 kW indiquée dans le cahier des clauses techniques particulières, ensuite, que la CCCV n'apporte aucun élément permettant de justifier comment l'offre de la société Italdraghe S.p.A. peut respecter la contrainte de brevet du personnel mentionnée à l'article 5.2.1. du cahier des clauses techniques particulières et, enfin, que la CCCV ne prouve pas que la société Italdraghe S.p.A. a présenté un dossier général " variantes " comportant un sous-dossier particulier pour chaque variante proposée conformément aux dispositions de l'article 5.2. du règlement de la consultation ;
- l'offre de la société Italdraghe S.p.A. est inacceptable dès lors que la CCCV n'apporte aucun élément permettant de justifier qu'elle est en mesure de financer l'offre de la société Italdraghe S.p.A. ;
- la CCCV a méconnu les dispositions de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique en modifiant le cahier des clauses techniques particulières avec la suppression de recours à tout navire d'assistance ;
- la CCCV a méconnu le principe de transparence et violé les dispositions de l'article R. 2151-10 du code de la commande publique à raison des contradictions entre l'article 4.2.1 du cahier des clauses techniques particulières et l'article 2.3 du règlement de la consultation ;
- la CCCV a méconnu le principe de concurrence en poursuivant la procédure alors qu'il ne restait plus qu'un seul candidat en lice ;
- ces manquements, y compris celui d'avoir retenu une offre irrégulière alors que la sienne serait inappropriée, ont eu pour effet de la léser.
Par des mémoires, enregistrés les 27 juin 2024 et le 3 juillet 2024, la communauté de communes de la Costa Verde, représentée par Me Muscatelli, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Dragflow S.r.l. une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La CCCV soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés, voire inopérant s'agissant du moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société Italdraghe S.p.A. dès lors que l'offre de la société Dragflow S.r.l. est inappropriée.
Par un mémoire, enregistré le 4 juillet 2024, la société Italdraghe S.p.A., représentée par la SARL Alteia, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Dragflow S.r.l. une somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés et sont au demeurant inopérants dès lors que cette dernière n'a pas été lésée par les moyens qu'elle invoque. Elle soutient, en outre, que l'offre de la société Dragflow S.r.l. ne répond pas à l'exigence selon laquelle le tuyau d'effluent doit être compris entre 200 et 250 mm.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné M. Pierre Monnier, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 4 juillet 2024, à 10h30, à l'issue de laquelle la clôture de l'instruction a été prononcée :
- le rapport de M. Pierre Monnier, vice-président ;
- et les observations de Me Gedeon, avocate de la société Dragflow S.r.l., ainsi que celles de Me Silvestri, substituant Me Muscatelli, avocat de la communauté de communes de la Costa Verde,
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel à la concurrence publié au BOAMP et au JOUE le 15 décembre 2023, la communauté de communes de la Costa Verde (CCCV) a lancé un appel d'offres ouvert en vue de l'attribution du marché d'acquisition d'une drague aspiratrice et ses équipements annexes. La société Draglow S.r.l. et la société Italdraghe S.p.A. ont chacune présenté une offre. Par courrier en date du 27 mai 2024, la communauté de communes de la Costa Verde a informé la société Dragflow S.r.l. du rejet de son offre comme inappropriée et que l'offre de la société Italdraghe S.p.A. était retenue. La société Dragflow S.r.l. demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 et suivants du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du marché litigieux, ensemble la décision du 27 mai 2024 et à ce qu'il soit enjoint au pouvoir adjudicateur de reprendre l'intégralité de la procédure de passation de ce marché.
Sur le moyen tiré de ce que la CCCV a méconnu le principe de transparence et violé les dispositions de l'article R. 2151-10 du code de la commande publique à raison des contradictions entre l'article 4.2.1 du cahier des clauses techniques particulières et l'article 2.3 du règlement de consultation :
2. Aux termes de l'article R. 2151-10 du code de la commande publique : " Lorsque l'acheteur autorise ou exige la présentation de variantes, il mentionne dans les documents de la consultation les exigences minimales que les variantes doivent respecter ainsi que toute condition particulière de leur présentation ".
3. En vertu de l'article 2.3 du règlement de la consultation, les candidats ne sont pas tenus de répondre à la solution de base mais peuvent présenter, conformément aux articles R. 2151-8 et R. 2151-1 du code de la commande publique, une offre comportant des variantes à condition de respecter les exigences de base du cahier des clauses techniques particulières. L'article 1.3 de ce cahier précise que la puissance installée (moteur diesel marin) est inférieure à 250 kW, l'article 5.2.1 du même cahier, tout en rappelant que l'exploitant souhaite limiter la puissance du moteur à 250 kW pour des raisons de brevet du personnel, précise qu'une puissance plus importante pourrait être proposée. Ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, les documents du marché, qui ne sont pas entachés de contradiction, n'imposent pas une puissance maximale de 250 kW. Par suite, le moyen susvisé doit être écarté.
Sur le moyen tiré de ce que la CCCV a méconnu les dispositions de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique en modifiant le cahier des clauses techniques particulières avec la suppression de recours à tout navire d'assistance :
4. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation () ". Il résulte de ces dispositions que des modifications ne peuvent plus être apportées après le lancement de la procédure de passation du marché sur la nature et l'étendue des besoins de la personne publique, lesquelles peuvent seulement faire l'objet des précisions nécessaires pour répondre aux éléments d'information complémentaires apparus au cours de la procédure à la condition d'être portées en temps utile à la connaissance de tous les candidats ayant fait une offre pour leur permettre de l'adapter.
5. Si les articles 1.4, 2.3 et 4.1 du cahier des clauses techniques particulières imposaient certaines caractéristiques afin que la drague puisse faire l'objet d'un remorquage, il ne résulte pas de l'instruction que ces dispositions du cahier des clauses techniques particulières auraient été modifiées au stade de l'analyse des offres. Par suite, le moyen susvisé doit être écarté comme manquant en fait.
Sur l'application de l'article L. 2151-2 du code de la commande publique :
6. Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ".
En ce qui concerne le caractère inapproprié de l'offre de la société requérante :
7. D'une part, aux termes de l'article L. 2152-4 du code de la commande publique : " Une offre inappropriée est une offre sans rapport avec le marché parce qu'elle n'est manifestement pas en mesure, sans modification substantielle, de répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur qui sont formulés dans les documents de la consultation ".
8. D'autre part, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.
9. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société Dragflow S.r.l. a été écartée comme inappropriée au triple motif de la puissance trop faible du désagrégateur (cutter), de l'insuffisance de la vitesse en auto-propulsion et de l'absence de pieux articulés.
10. En premier lieu, l'article 1.3 du cahier des clauses techniques particulières impose une puissance du désagrégateur de plus ou moins 10 % par rapport à 35 kW. Il résulte de l'instruction que l'offre de la société Dragflow S.r.l. comporte une puissance maximale de 22,3 kW.
11. En deuxième lieu, l'article 1.4 du cahier des clauses techniques particulières prévoit que l'engin devrait être auto-propulsé avec une vitesse de déplacement réduite de 4-5 nœuds. Or, l'offre de la société Dragflow S.r.l. propose une vitesse de 2-3 nœuds.
12. En troisième et dernier lieu, l'article 1.3 du cahier des clauses techniques particulières précise que le nombre de pylônes doit être de quatre, dont deux articulés tandis qu'il résulte de l'instruction que l'offre de la société Dragflow S.r.l. comporte quatre pieds fixes.
13. Il résulte de l'instruction que les trois défauts soulignés aux points 10 à 12, dont la matérialité est au demeurant non contestée, ne permettaient pas à l'offre de la société Dragflow S.r.l., sans modification substantielle, répondre au besoin et aux exigences de l'acheteur formulés dans les documents de la consultation. Il résulte notamment de l'instruction que la vitesse d'auto-propulsion de 2-3 nœuds posait des problèmes de sécurité. C'est donc à tort, sans qu'il soit besoin de statuer sur la conformité de son offre au regard de l'exigence selon laquelle le tuyau d'effluent doit être compris entre 200 et 250 mm contestée par la société Italdraghe S.p.A., que la société Dragflow S.r.l. soutient que son offre n'est pas inappropriée ou aurait été dénaturée.
En ce qui concerne le caractère irrégulier de l'offre de la société Italdraghe S.p.A. :
14. Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ".
15. En premier lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que la circonstance que les exigences formulées dans les documents de la consultation ne faisait pas obstacle à ce que la société Dragflow S.r.l. présente une variante offrant une puissance de moteur supérieure à 250 Kw.
16. En deuxième lieu, l'offre de la société Italdraghe S.p.A. n'avait pas à démontrer que son offre respectait la contrainte du brevet du personnel mentionnée au point 3 dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que les documents du marché exigeaient une telle démonstration.
17. En troisième et dernier lieu, aux termes de l'article 5.2 du règlement de consultation, intitulé " présentation des variantes " : " Les candidats présenteront un dossier général " variantes " comportant un sous-dossier particulier pour chaque variante qu'ils proposent. Ils veilleront à respecter les exigences minimales indiquées au cahier des charges ".
18. Il résulte de l'instruction que la société Italdraghe S.p.A. a présenté un seul dossier pour une variante unique proposant une puissance moteur de 368 kW, supérieure à la puissance maximale de 250 Kw, qui était souhaitée mais pas imposée. Ainsi qu'il a déjà était dit au point 3, une telle puissance respectait les exigences minimales indiquées dans les documents du marché.
19. Il résulte de ce qui précède que la société Dragflow S.r.l. n'est pas fondée à soutenir que l'offre de la société Italdraghe S.p.A. est irrégulière.
En ce qui concerne le caractère inacceptable de l'offre de la société Italdraghe S.p.A. :
20. Aux termes de l'article L. 2152-3 du code de la commande publique : " Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure ".
21. Il résulte de l'instruction que le montant de l'offre de la société Italdraghe S.p.A. est de 1 206 412 euros HT, soit 1 447 694,40 euros TTC. Si le prix de la drague avait été estimé au début à 803 000 euros HT, cette première évaluation correspondait à un engin remorqué avec navire assistance, moins onéreux que la drague auto-propulsée finalement retenue. En tout état de cause, la circonstance que le montant de l'offre de la société Italdraghe S.p.A. serait supérieur à l'estimation de la CCCV ne saurait suffire à rendre l'offre inacceptable dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que le montant susmentionné excède les crédits budgétaires alloués au marché.
Sur le moyen tiré de l'absence de concurrence effective :
22. Si l'insuffisance de concurrence constitue un motif d'intérêt général susceptible de justifier la renonciation à conclure un marché, la circonstance qu'un seul candidat reste en lice ne saurait faire à lui-seul obstacle à ce que le pouvoir adjudicateur attribue le marché à ce candidat. Par suite, le moyen susvisé doit être écarté.
23. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions aux fins d'annulation, d'injonction et au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative de la société Dragflow S.r.l. doivent être rejetées.
24. Enfin, il y a lieu de mettre à la charge de la société requérante, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros chacune, soit un montant total de 3 000 euros, au titre des frais exposés par la communauté de communes de la Costa Verde et la société Italdraghe S.p.A. et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société Dragflow S.r.l. est rejetée.
Article 2 : La société Dragflow S.r.l. versera une somme de 1 500 euros à la communauté de communes de la Costa Verde sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La société Dragflow S.r.l. versera une somme de 1 500 euros à la société Italdraghe S.p.A. sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des défendeurs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Dragflow S.r.l., à la communauté de communes de la Costa Verde et à la société Italdraghe S.p.A..
Fait à Bastia, le 5 juillet 2024.
Le juge des référés,
Signé
P. MONNIER
La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Corse en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
R. ALFONSI