TA Bastia, 12/03/2024, n°2400198


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 février 2024 et le 11 mars 2024, la société Bureau GDA - études, représentée par la Selarl Amplitude avocats, agissant par Me Gaspar, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler, au stade de l'analyse des offres, la procédure de passation du lot n° 2 " Diagnostic amiante environnementale avant travaux " de l'accord-cadre à bons de commande de fournitures courantes et services n° 23007DTIST, lancée par la communauté d'agglomération de Bastia ;

2°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération de Bastia la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société requérante soutient que la communauté d'agglomération de Bastia :

- a manqué à son obligation d'informer les candidats sur la valeur estimée du lot n° 2 de l'accord-cadre ;

- a méconnu les articles L. 2152-6 et R. 2152-3 du code de la commande publique et a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne demandant pas de justifications et explications à la société Rocca è Terra sur son offre suspecte ;

- a méconnu les articles L. 2152-5 et L. 2152-6 du code de la commande publique et a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'écartant pas l'offre de la société Rocca è Terra comme étant anormalement basse.

Par des mémoires, enregistrés les 1er et 12 mars 2024, la Société Rocca è terra doit être regardée comme concluant au rejet de la requête. Elle soutient que son offre n'est pas anormalement basse.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2024, la communauté d'agglomération de Bastia, représentée par Me Lelièvre, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de la société Bureau GDA - études sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La communauté d'agglomération de Bastia soutient que le moyen tiré du défaut d'information n'est pas fondé et est inopérant à défaut de justifier une quelconque lésion.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées que le juge des référés était susceptible d'annuler la procédure dans son intégralité au cas où serait retenu le moyen tiré de ce que la communauté d'agglomération de Bastia a manqué à son obligation d'informer les candidats sur la valeur estimée du lot n° 2 de l'accord-cadre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2014/24/UE du Parlement et du Conseil du 26 février 2014 sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE ;

- le règlement d'exécution (UE) n° 2015/1986 de la Commission du 11 novembre 2015 établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre de la passation de marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

En application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, le président du tribunal a désigné M. Pierre Monnier, vice-président, pour statuer sur les requêtes présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du même code.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique du 12 mars 2024 à 14 heures, tenue en présence de Mme Rachel Alfonsi, greffière :

- le rapport de M. Pierre Monnier, juge des référés ;

- et les observations de Me Gaspar, avocat de la société Bureau GDA - études, ainsi que celles de Me Lelièvre, avocate de la communauté d'agglomération de Bastia et de M. A pour la société Rocca è terra.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 18 novembre 2023 au BOAMP et le 21 novembre 2023 au JOUE, la communauté d'agglomération de Bastia a engagé une procédure d'appel d'offre ouvert, soumise aux dispositions des articles L. 2124-2, R. 2124-2 1° et R. 2161-2 à R. 2161-5 du code des marchés publics, en vue de la passation d'un accord-cadre avec minimum et maximum donnant lieu à bons de commande en application des articles L. 2125-1 1°, R. 2162-1 à R. 2162-6, R. 2162-13 et R. 2162-14 du code de la commande publique. Ce marché était divisé en trois lots. Trois entreprises, dont les sociétés Bureau GDA - études et Rocca è terra, ont soumissionné pour le lot n° 2 intitulé " Diagnostic amiante environnementale avant travaux ". Par une lettre en date du 16 février 2024, la communauté d'agglomération de Bastia a informé la société requérante que le lot était attribué à la société Rocca è terra dont l'offre était économiquement la plus avantageuse. Par la présente requête, la société Bureau GDA - études demande au juge du référé précontractuel, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure au stade de l'analyse des offres.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne l'obligation d'informer les candidats sur la valeur estimée :

4. Aux termes de l'article R. 2131-16 du code de la commande publique : " Pour les marchés passés selon une des procédures formalisées énumérées aux articles R. 2124-2 à R. 2124-6 : / 1° () les collectivités territoriales () publient un avis de marché dans le Bulletin officiel des annonces des marchés publics et au Journal officiel de l'Union européenne ; / () ". Aux termes de son article R. 2131-17 : " L'avis de marché est établi conformément au modèle fixé par le règlement de la Commission européenne établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre de la passation de marchés ".

5. Aux termes, par ailleurs, du point 8 de la partie C, relative aux informations qui doivent figurer dans les avis de marché (visés à l'article 49), de l'annexe V, précisant les informations qui doivent figurer dans les avis, de la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 : " Ordre de grandeur total estimé du/des marché(s): lorsque le marché est divisé en lots, cette information est fournie pour chaque lot ". Aux termes de l'article premier du règlement d'exécution (UE) 2015/1986 de la Commission du 11 novembre 2015 établissant les formulaires standard pour la publication d'avis dans le cadre de la passation de marchés publics et abrogeant le règlement d'exécution (UE) n° 842/2011 : " Les pouvoirs adjudicateurs utilisent, pour la publication au Journal officiel de l'Union européenne des avis visés aux articles 48, 49, 50, 72, 75 et 79 de la directive 2014/24/UE, les formulaires standard figurant aux annexes I, II, III, aux annexes VIII à XI et aux annexes XVII et XVIII du présent règlement ". Le formulaire standard d'avis de marché figurant en son annexe II requiert, en son point II.1.5) que soient précisées, le cas échéant, la valeur totale estimée hors TVA et la monnaie. En outre, la rubrique II.2 6), intitulée " Valeur estimée ", prévoit que le pouvoir adjudicateur doit indiquer la valeur hors TVA du marché ainsi que la monnaie employée à cette fin et précise que " dans le cas d'accords-cadres, il s'agit d'une estimation de la valeur totale maximale pour la durée totale du lot ".

6. Aux termes, enfin, de l'article R. 2162-4 du code de la commande publique : " Les accords-cadres peuvent être conclus : / 1° Soit avec un minimum et un maximum en valeur ou en quantité ; / 2° Soit avec seulement un maximum en valeur ou en quantité ".

7. Il résulte de l'instruction que l'avis public d'appel à la concurrence ne renseignent ni le point II.1. 5) ni, pour le lot n° 2, le point II.2 ). Toutefois, il résulte des points II.2.7) et II.2.4) de cet avis que la communauté d'agglomération de Bastia informait les candidats que le montant maximum du marché était de 100 000 euros HT. Ainsi, elle doit être regardée comme ayant respecté ses obligations d'information sans que la société Bureau GDA - études puisse soutenir qu'elle avait estimé son montant annuel à 44 099,25 euros HT. Enfin, la société requérante ne justifie pas qu'elle aurait été lésée par un tel manquement. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance de l'obligation d'informer les candidats sur la valeur estimée doit être écarté.

En ce qui concerne le caractère anormalement bas de l'offre retenue :

8. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Aux termes de son article L. 2152-6 : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsque une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État ". Enfin, aux termes de l'article R. 2152-3 du même code : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; 3° L'originalité de l'offre ; 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le soumissionnaire ".

9. Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Toutefois, pour estimer que l'offre de l'attributaire est anormalement basse, le pouvoir adjudicateur ne peut se fonder sur le seul écart de prix avec l'offre concurrente, sans rechercher si le prix en cause est lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. En outre, l'existence d'un prix paraissant anormalement bas au sein de l'offre d'un candidat, pour l'une ou plusieurs des prestations faisant l'objet du marché, n'implique pas, à elle-seule, le rejet de son offre comme anormalement basse. Enfin, si le moyen tiré de ce que le pouvoir adjudicateur aurait dû rejeter une offre anormalement basse est utilement invocable dans le cadre du référé précontractuel, le juge du référé précontractuel exerce sur un tel refus un contrôle limité à l'erreur manifeste d'appréciation.

10. En premier lieu, contrairement à ce que soutient la société Bureau GDA - études, la seule circonstance que l'offre de la société Rocca è terra était de près de 70 % inférieure à la sienne et de plus de 80 % à celle du troisième candidat ne l'obligeait pas à engager la procédure de suspicion d'offre anormalement basse. La communauté d'agglomération de Bastia a d'autant moins entaché sa décision d'erreur manifeste d'appréciation que l'offre de la société Roca è terra n'était inférieure que de 15 % à son estimation.

11. En second lieu, la triple circonstance que les missions A0, A1 et A2 ne seraient pas effectuées par des géologues mais par des techniciens, en méconnaissance de la norme NF6P94-001, de ce que les prix des analyses COFRAC présentées par la société Rocca è terra concerneraient des sites pollués et non les roches naturelles et sols et que cette société n'a pas inclus dans ses prix l'utilisation d'un microscope électronique de balayage (MEB) ne saurait justifier que l'offre de cette société serait de nature à compromettre la bonne exécution du marché. Ces manques ne concernent du reste que les postes 2.2, 2.3, 2.4, 3.1, 3.6 et 4.1. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que l'intégralité des coûts des investigations seraient dérisoires et irréalistes. Enfin, le fait, au demeurant non établi, que la société Rocca è terra entendrait utiliser le perforateur et non une sondeuse carottée comme exigée par les documents de la consultation, n'est pas de nature à justifier que l'appréciation à l'issue de laquelle la collectivité de Corse n'a pas considéré l'offre de prix de la société attributaire comme anormalement basse serait entachée d'erreur manifeste. Le moyen tiré de ce que la communauté d'agglomération de Bastia a méconnu les articles L. 2152-5 et L. 2152-6 du code de la commande publique et a commis une erreur manifeste d'appréciation en n'écartant pas l'offre de la société Rocca è Terra comme étant anormalement basse doit donc être écarté.

12. Il résulte de ce qui précède que la société Bureau GDA - études n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du lot n° 2.

Sur les frais liés à l'instance :

13. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté d'agglomération de Bastia, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Bureau GDA - études au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Bureau GDA - études, au profit de la communauté d'agglomération de Bastia, le versement de la somme de 1 500 euros qu'elle demande au titre des mêmes dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Bureau GDA - études est rejetée.

Article 2 : La société Bureau GDA - études versera à la communauté d'agglomération de Bastia la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Bureau GDA - études, à la Société Rocca è terra et à la communauté d'agglomération de Bastia.

Fait à Bastia, le 12 mars 2024.

Le juge des référés,

Signé

P. MONNIER

La greffière,

Signé

R. ALFONSI La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Corse en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

Pour expédition conforme

La greffière,

R. ALFONSI