Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 27 juin et 15 juillet 2024, la société par actions simplifiée (SAS) SMB, représentée par Me Tissot, demande au juge des référés :
1°) d'ordonner, sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure de passation du lot n°2 " charpente métallique " du marché public de travaux pour la construction de la " Grande Bibliothèque " de Besançon lancée par Grand Besançon Métropole (GBM) et de la décision de rejet de son offre notifiée par courrier en date du 17 juin 2024 ;
2°) d'enjoindre à GBM de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des candidatures et des offres ;
3°) d'enjoindre à GBM de communiquer, dans les meilleurs délais, l'ensemble des informations requises par les dispositions de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique, à savoir les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue comprenant le détail de toutes les notes attribuées accompagnés d'explications claires et motivées sur les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue ;
4°) de mettre à la charge de GBM une somme de 3 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
La SAS SMB soutient que :
- elle n'a pas reçu une information suffisante sur les motifs de rejet de son offre et les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ;
- l'analyse des candidatures par GBM est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que, d'une part, si l'entreprise déclarée attributaire entend s'appuyer sur les capacités d'autres entreprises pour réaliser la construction, elle n'a pas justifié des capacités professionnelles et techniques de ses sous-traitants dans son offre, notamment pour la partie fabrication de la charpente et, d'autre part, elle ne dispose pas du certificat Qualibat 2412 " Constructions et structures métalliques " pourtant exigé par le règlement de la consultation pour le lot n°2 et n'a pas fourni d'équivalence ;
- l'offre de la société déclarée attributaire est irrégulière dès lors qu'elle ne respecte pas le préambule du règlement de la consultation, son article 2.7 et l'article A-1-6 du CCTP ;
- l'offre de la SAS SMB a été dénaturée ;
- l'offre de la société déclarée attributaire a été dénaturée.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 11 et 16 juillet 2024, GBM, représentée par Me Charrel, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code justice administrative.
GBM soutient que :
- l'offre de la société requérante est irrégulière et aurait dû être rejetée dès lors qu'elle n'a pas signé l'annexe 2 de l'acte d'engagement ;
- les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Par un mémoire distinct, enregistré le 11 juillet 2024, présenté au titre des dispositions de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, GBM a versé aux débats des pièces confidentielles, qu'elle a indiqué être couvertes par le secret des affaires, et demandé qu'elles soient soustraites au contradictoire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juillet 2024, la société Bourgogne Charpente Métallique, représentée par son président directeur général, conclut au rejet de la requête.
La société Bourgogne Charpente Métallique soutient que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal administratif a désigné M. B en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 16 juillet 2024 en présence de Mme Chiappinelli, greffière, M. B a lu son rapport et entendu les observations de :
- Me Tissot, représentant la société SMB ;
- Me Harket, représentant Grand Besançon Métropole ;
- et M. A, représentant la société Bourgogne Charpente Métallique.
A l'audience, Me Tissot a indiqué abandonner ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à GBM de communiquer, dans les meilleurs délais, l'ensemble des informations requises par les dispositions de l'article R. 2181-4 du code de la commande publique. Elle a également abandonné le moyen relatif au défaut d'information suffisante sur les motifs de rejet de son offre et les caractéristiques et avantages de l'offre retenue.
Me Harket a soulevé le moyen selon lequel la candidature de la société SMB serait irrégulière et aurait dû être rejetée dès lors que ladite société entendait s'appuyer également sur les compétences d'un sous-traitant pour exécuter le marché sans pour autant avoir justifié de ses compétences professionnelles, techniques et financières.
Au vu des débats, les parties ont été informées, au cours de l'audience, que la clôture de l'instruction était différée au 17 juillet 2024 à 12 heures.
Au vu des mêmes débats, le juge des référés a demandé à GBM de lui transmettre le dossier complet de la candidature de la société Bourgogne Charpente Métallique y compris son offre.
Par une note en délibéré, enregistrée le 17 juillet 2024, GBM a conclu aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et annoncé la communication par courrier du dossier de candidature de la société Bourgogne Charpente Métallique. Ce dossier a été enregistré le 19 juillet.
Par deux notes en délibéré, enregistrées le 17 juillet 2024, la SAS SMB conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens.
Considérant ce qui suit :
1. Début 2024, GBM a lancé un marché public de travaux ayant pour objet la construction d'une " Grande Bibliothèque ". La procédure choisie est celle de l'appel d'offres ouvert. Le marché comporte 12 lots, le lot n°2 ayant pour objet la charpente métallique. Six offres ont été reçues pour ce lot dont celle de la SAS SMB. Par un courrier du 17 juin 2024, GBM a informé la SAS SMB, que son offre, ayant obtenu la note globale de 90,25/100, n'était pas retenue et que le marché était attribué à la société Bourgogne Charpente Métallique dont l'offre avait obtenu la note globale de 91,54/100. Estimant que le pouvoir adjudicateur avait commis des manquements à ses obligations de publicité et de mise en concurrence, la SAS SMB, classée deuxième au terme de la procédure de mise en concurrence, demande au juge des référés, saisi sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation du marché.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-1 et L. 551-2 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. En premier lieu, la circonstance que la candidature du concurrent évincé, auteur du référé précontractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir de l'irrégularité de la candidature de la société attributaire du contrat en litige. Par suite, à supposer que la candidature de la SAS SMB ait été effectivement irrégulière, GBM n'est pas fondée à soutenir que, pour ce motif, cette société n'est pas susceptible d'être lésée par le manquement qu'elle invoque tiré de la candidature irrégulière de la société déclarée attributaire du marché en litige.
5. En second lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 2142-1 du code de la commande publique : " L'acheteur ne peut imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation autres que celles propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché. / Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution ". Aux termes de l'article R. 2142-1 du même code : " Les conditions de participation à la procédure de passation relatives aux capacités du candidat mentionnées à l'article L. 2142-1, ainsi que les moyens de preuve acceptables, sont indiqués par l'acheteur dans l'avis d'appel à la concurrence ou dans l'invitation à confirmer l'intérêt ou, en l'absence d'un tel avis ou d'une telle invitation, dans les documents de la consultation ". Aux termes de l'article R. 2143-3 du même code : " Le candidat produit à l'appui de sa candidature : () 2° Les renseignements demandés par l'acheteur aux fins de vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles du candidat ". Aux termes de l'article R. 2142-13 du même code : " L'acheteur peut imposer des conditions garantissant que les opérateurs économiques possèdent les ressources humaines et techniques et l'expérience nécessaires pour exécuter le marché en assurant un niveau de qualité approprié. A cette fin, dans les marchés de services ou de travaux et les marchés de fournitures nécessitant des travaux de pose ou d'installation ou comprenant des prestations de service, l'acheteur peut imposer aux candidats qu'ils indiquent les noms et les qualifications professionnelles pertinentes des personnes physiques qui seront chargées de l'exécution du marché en question ".
6. D'autre part, aux termes de l'article 8.1 du règlement de la consultation : " Chaque candidat aura à produire un dossier complet comportant les pièces suivantes : Pièces de la candidature telles que prévues aux articles L. 2142-1, R. 2142-3, R. 2142-4, R. 2143-3 et R. 2143-4 du Code de la commande publique :
• Renseignements concernant la situation juridique de l'entreprise :
LibellésSignatureDéclaration sur l'honneur pour justifier que le candidat n'entre dans aucun des cas d'interdiction de soumissionner
NonRenseignement sur le respect de l'obligation d'emploi mentionnée aux articles L.5212-1 à L.5212-11 du Code du travailNon
LibellésSignatureDéclaration concernant le chiffre d'affaires global et le chiffre d'affaires concernant les prestations objet du contrat, réalisées au cours des trois derniers exercices disponibles
NonDéclaration appropriée de banques ou preuve d'une assurance pour les risques professionnels
NonBilans ou extraits de bilans, concernant les trois dernières années, des opérateurs économiques pour lesquels l'établissement des bilans est obligatoire en vertu de la loi
Non• Renseignements concernant la capacité économique et financière de l'entreprise
• Renseignements concernant les références professionnelles et la capacité technique de l'entreprise :
LibellésSignatureDéclaration indiquant les effectifs moyens annuels du candidat (mandataire et co-traitants le cas échéant) et l'importance du personnel d'encadrement pour chacune des cinq dernières années
NonListe des travaux exécutés au cours des cinq dernières années, appuyée d'attestations de bonne exécution pour les plus importants (montant, époque, lieu d'exécution, s'ils ont été effectués selon les règles de l'art et menés à bonne fin), en précisant obligatoirement le nom de C et de la Maîtrise d'œuvre pour les travaux menés.
NonIndication des titres d'études et professionnels de l'opérateur économique et/ou des cadres de l'entreprise, et notamment des responsables de prestation de services ou de conduite des travaux de même nature que celle du contrat
NonDéclaration indiquant l'outillage, le matériel et l'équipement technique dont le candidat dispose pour la réalisation du contratNon
() Pour présenter leur candidature, les candidats utilisent soit les formulaires DC1 (lettre de candidature) et DC2 (déclaration du candidat) disponibles gratuitement sur le site www.economie.gouv.fr, soit le Document Unique de Marché Européen (DUME). / Pour justifier des capacités professionnelles, techniques et financières d'autres opérateurs économiques sur lesquels il s'appuie pour présenter sa candidature, le candidat produit les mêmes documents concernant cet opérateur économique que ceux qui lui sont exigés par le pouvoir adjudicateur. En outre, pour justifier qu'il dispose des capacités de cet opérateur économique pour l'exécution des prestations, le candidat produit un engagement écrit de l'opérateur économique () ".
7. En l'espèce, il résulte du cahier des clauses techniques particulières du marché que l'attributaire du lot n°2 du marché en litige doit produire un certain nombre d'études, de calculs et de plans mais doit également assurer la fabrication, le transport, le montage, la soudure et le réglage sur site de tous les ouvrages de charpente métallique objets du lot. Si la société Bourgogne Charpente Métallique a fourni avec son dossier de candidature des courriers de recommandation de différentes sociétés indiquant qu'elle avait mené à bien des chantiers comparables à celui du marché en litige, il ressort également de ce dossier que cette société ne compte que 5 employés et ne dispose pas des moyens matériels lui permettant elle-même de fabriquer, transporter et installer sur site les ouvrages objets du lot. Par conséquent, à l'issue de l'examen de cette candidature, GBM ne pouvait ignorer que cette société aurait nécessairement besoin des capacités d'autres opérateurs économiques pour mener à bien l'ensemble des missions du lot n°2 du marché en litige. En application des dispositions citées au point 6, il appartenait alors à la société Bourgogne Charpente Métallique de justifier des capacités professionnelles, techniques et financières de ces opérateurs en fournissant au stade de sa candidature et pour chacun de ces opérateurs les mêmes documents que ceux exigés pour elle par l'article 8.1 du règlement de la consultation du marché. Si la société Bourgogne Charpente Métallique a produit à hauteur de contentieux un certain nombre de ces documents pour les sociétés INEXOM, ALBYR et Pose Rhône-Alpes, les deux premières sociétés ne sont que des bureaux d'étude et la dernière n'a signé un engagement de mise à disposition de ses moyens que pour les services d'un géomètre. En tout état de cause, le caractère complet ou incomplet d'une candidature s'apprécie à la date de son examen. Or il résulte du dossier de candidature déposé par la société Bourgogne Charpente Métallique, communiqué au tribunal suite à une mesure d'instruction, que celui-ci n'incluait aucune des pièces relatives aux sociétés INEXOM, ALBYR et Pose Rhône-Alpes et que le DC2 de la société Bourgogne Charpente Métallique, comportant une rubrique H intitulée " Capacités des opérateurs économiques sur lesquels le candidat individuel s'appuie pour présenter sa candidature ", était vierge de toute information. Par conséquent, la candidature de la société Bourgogne Charpente Métallique ne respectait pas les dispositions de l'article 8.1 du règlement de la consultation. Or le règlement de la consultation d'un marché étant obligatoire dans toutes ses mentions, le pouvoir adjudicateur ne peut pas attribuer un marché à un candidat qui ne respecte pas l'une de ses prescriptions.
8. Il résulte de tout ce qui précède qu'en acceptant la candidature de la société Bourgogne Charpente Métallique dont l'offre a finalement été retenue pour l'attribution du lot n°2, GBM a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Dès lors, la SAS SMB est fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du lot n°2 " charpente métallique " du marché public de travaux pour la construction de la " Grande Bibliothèque " de Besançon et de la décision de rejet de son offre, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre à GBM, si elle entend poursuivre la passation du lot n°2 du marché en litige, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des candidatures en excluant celle de la société Bourgogne Charpente Métallique.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. La SAS SMB, qui n'est pas la partie perdante, ne peut être condamnée à verser une quelconque somme au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de GBM le versement d'une somme de 2 000 euros à la SAS SMB au titre de ces mêmes dispositions.
O R D O N N E
Article 1er : La décision du 17 juin 2024 par laquelle GBM a rejeté l'offre de la SAS SMB est annulée.
Article 2 : La procédure de passation du lot n°2 " charpente métallique " du marché public de travaux pour la construction de la " Grande Bibliothèque " de Besançon est annulée au stade de l'analyse des candidatures.
Article 3 : Il est enjoint à GBM, si elle entend poursuivre la passation du lot n° 2 du marché en litige, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des candidatures en excluant l'offre de la société Bourgogne Charpente Métallique.
Article 4 : GBM versera à la SAS SMB la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la société par actions simplifiée SMB, à Grand Besançon Métropole et à la société Bourgogne Charpente Métallique.
Fait à Besançon, le 25 juillet 2024.
Le juge des référés,
A. B
La République mande et ordonne au préfet du Doubs, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière
N°2401187