TA Caen, 08/08/2023, n°2301913

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 17 et 31 juillet 2023, la société Engie Solutions Energie Services, représentée par Me Nahmias, demande au juge des référés :

1°) d'annuler, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à tout le moins au stade des candidatures ou des offres, la procédure lancée par la communauté urbaine Caen la mer pour l'attribution de la concession de service public avec constitution d'une société d'économie mixte à opération unique (SEMOP) pour la modernisation, la rénovation et le développement et l'exploitation du réseau de chaleur de Caen Nord ainsi que, par conséquent, la décision d'attribution à la société Coriance et la décision de rejet de son offre ;

2°) de mettre à la charge de la communauté urbaine Caen la mer et la société Coriance la somme de 10 000 euros chacun au titre des frais de l'instance.

La société Engie Solutions Energie Services soutient que :

- sa requête est recevable dès lors qu'elle n'a pas, dans le cadre d'une procédure en référé précontractuel, à justifier de la qualité pour agir de son représentant légal ; en tout état de cause, elle est représentée par son président et directeur général ;

- à supposer même que son offre initiale ait été entachée d'irrégularité, la communauté urbaine Caen la mer a accepté sa régularisation et son offre était régulière, au plus tard, au moment de la remise de l'offre finale ; en outre, la société Coriance ne démontre pas que son offre finale ne respectait pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ni même qu'elle ne serait pas conforme au règlement de la consultation ;

- les articles L. 3125-1, R. 3125-1 et R. 3125-3 du code de la commande publique ont été méconnus ;

- les besoins n'ont pas été définis dans toute leur ampleur préalablement à la procédure de mise en concurrence de sorte que l'appréciation des capacités des candidats n'a pu qu'être faussée, en violation des principes de transparence et d'égalité de traitement ;

- la candidature de l'attributaire étant irrégulière, elle aurait dû être rejetée ; la société Coriance n'ayant pas indiqué dans son dossier de candidature le projet de mise en vente de la structure, sa candidature est affectée d'un vice ayant nécessairement faussé l'appréciation de l'acheteur ; en outre, les capacités techniques et financières de la société Coriance sont manifestement insuffisantes pour exécuter la concession dont le coût global s'élève à environ 750 000 000 euros H.T. ;

- la société Coriance ne pouvait pas se prévaloir des capacités de sa maison-mère dès lors qu'elle était en vente depuis plusieurs mois ;

- l'offre de la société attributaire est irrégulière à au moins deux titres ; d'une part, elle méconnaît les dispositions de l'article L. 3134-1 du code de la commande publique qui interdit les sous-concessions totales ; d'autre part, l'offre de l'attributaire, qui comporte une sous-concession totale transfère le risque d'exploitation au sous-concédant, viole ainsi les exigences minimales prescrites par le dossier de consultation des entreprises et apporte des modifications non autorisées au contrat ; en outre, en privant le concessionnaire de la charge du risque d'exploitation, l'offre méconnaît l'objet même du contrat de concession ;

- le classement des offres ne peut résulter que d'erreurs matérielles ou de l'application d'une méthode de notation illégale, en ce qu'elle ne respecte pas les critères et sous-critères ou en ce qu'elle est discriminatoire ; la méthode de notation est entachée d'irrégularité, en particulier sur le sous-critère " niveau des tarifs " du critère 1 et le sous-critère " performances énergétiques et environnementales " du critère 2 ; son offre et celle de l'attributaire ont été dénaturées ;

- les notes qu'elle a obtenues sur les critères 1 et 2 révèlent une dénaturation de son offre.

Par des mémoires, enregistrés les 26 juillet et 1er août 2023, la communauté urbaine Caen la mer, représentée par Me Cabanes et Me Michelin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- elle sollicite une substitution de motif qui conduit à ce que l'offre initiale de la société requérante soit déclarée irrégulière en raison de l'absence de transmission de la notice 2.2 à l'appui de son offre initiale, ce qui constitue une violation de l'article VI.4 du règlement de la consultation ; dès lors que son offre est irrégulière, la société Engie n'est pas recevable à invoquer des manquements de l'acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ; tous les moyens de la société requérante qui ne sont pas en lien avec l'irrégularité de l'offre de la société attributaire sont inopérants ;

- le moyen sur la définition du besoin est inopérant ; le manquement, à le supposer établi, n'est pas susceptible d'avoir lésé la société requérante, qui n'a, par ailleurs, posé aucune question sur l'estimation prévisionnelle qu'elle conteste ; en outre, le principe d'égalité de traitement a été garanti tout au long de la procédure de passation ; en tout état de cause, le moyen n'est pas fondé ;

- la communication aux candidats des notes obtenues par l'entreprise concernée et l'attributaire sur chacun des critères de sélection suffit à répondre aux exigences de motivation sans qu'il soit nécessaire de communiquer les motifs ayant conduit à l'attribution de telles notes ;

- le dossier de candidature de la société Coriance était complet ;

- la société Coriance justifie des capacités financières et professionnelles pour être attributaire de la concession ;

- la société requérante ne démontre pas l'existence d'une erreur de droit ou de discrimination illégale dans la méthode de notation ;

- la délibération du 6 juillet 2023 ne prévoit pas de sous-concession totale ; en outre, l'existence d'une sous-concession ne fait pas perdre toute responsabilité au concessionnaire dans l'exécution du contrat ;

- la société requérante ne démontre pas que son offre aurait été dénaturée.

Par un mémoire, enregistré le 28 juillet 2023, la société Coriance, représentée par

Me Béjot et Me Ferré, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante une somme de 7 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête est irrecevable pour défaut de qualité pour agir, en l'absence de précision quant à l'identité des représentants légaux de la société et quant à l'absence de limitation statutaire à leur pouvoir de représentation ;

- l'offre initiale de la société Engie devait être éliminée dès lors qu'elle n'était pas complète et ne pouvait pas être régularisée ; en outre, elle a été régularisée hors délai ; de plus, son offre finale était également irrégulière faute d'avoir figé les conditions de financement ; dans ces conditions, le tribunal ne peut admettre l'existence d'un quelconque risque de lésion des intérêts de la société requérante ;

- la communauté urbaine Caen la mer a, en tout état de cause, communiqué à la société Engie les explications littérales détaillées des notes qu'elle a attribuées ;

- sa candidature est complète et démontre qu'elle a les capacités suffisantes pour exécuter le contrat ; de plus, s'agissant de l'évolution de l'actionnariat de la société, les éléments de candidature ne peuvent pas avoir pour finalité d'apprécier les moyens et procédés affectés à l'exécution des prestations ; en outre, les capacités d'un candidat ne dépendent pas de celles de ses actionnaires ; enfin, elle ne s'est pas appuyée sur les capacités d'un tiers ;

- il ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels de contrôler l'appréciation portée par l'acheteur public sur les mérites respectifs et les caractéristiques intrinsèques des offres ; en outre, la méthode de notation est librement définie et n'a pas à être portée à la connaissance des candidats ; en tout état de cause, la société requérante ne démontre pas en quoi les prétendues irrégularités de la méthode de notation dont elle se prévaut auraient été de nature à la léser ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 3134-1 du code de la commande publique se rapporte à l'exécution du contrat de concession et ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels ; en tout état de cause, elle n'a pas prévu une sous-concession totale des prestations à la charge du concessionnaire ; de plus, son offre ne méconnaît pas les exigences minimales de la consultation dès lors que le concessionnaire est seul et entièrement responsable à l'égard du concédant de toutes les obligations résultant du contrat de concession ;

- le moyen tiré de la dénaturation de l'offre de la société Engie n'est pas assorti de précisions suffisantes.

Par un mémoire distinct présenté sur le fondement de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, enregistré le 28 juillet 2023, la communauté urbaine Caen la mer produit l'entier dossier de candidature de la société Coriance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Macaud, vice-présidente, en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Godey, greffière d'audience, le 1er août 2023 à 9 heures, Mme Macaud a lu son rapport et entendu les observations :

- de Me Hugueny et Mme A, représentant la société Engie Solutions Energie Services, qui concluent aux mêmes fins par les mêmes moyens en précisant que :

- la communauté urbaine a demandé la régularisation de son offre, possibilité qui était prévue dans le règlement de la consultation, et elle doit donc maintenant respecter la procédure qu'elle a mise en œuvre ; en outre, son offre finale était complète ;

- la méthode de notation n'a pas permis d'attribuer la meilleure note à la meilleure offre ; s'agissant du critère " conditions économiques et financières ", elle a obtenu la note de 8 pour le sous-critère " niveau des tarifs des proposés aux abonnés et leur pérennisation " alors que son offre est la meilleure sur ce critère ; de même, la note n'est pas justifiée pour le sous-critère 2 " performance énergétique et environnementale " du critère 2 dès lors qu'elle proposait également une option ENR 100 % ; au vu de ces deux seuls sous-critères, la lésion est évidente puisqu'elle passe en première position alors même que la société Coriance garderait les notes qui lui ont été attribuées ;

- de Me Cabanes, représentant la communauté urbaine Caen la mer, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens, en précisant que l'offre globale de la société Coriance, en particulier la décomposition des prix, est, à ce stade, couverte par le secret des affaires pour le cas où la procédure serait annulée ;

- et de Me Béjot, représentant la société Coriance, qui conclut aux mêmes fins par les mêmes moyens et précise que son offre est également 100 % ENR et que le recours au fioul est une solution de secours pour le cas où il y aurait un défaut d'approvisionnement en gaz, le recours au fioul étant, par ailleurs, prévu pour certains équipements, en particulier le centre hospitalier universitaire, afin d'assurer la continuité du service public ; en outre, contrairement à l'offre de la société Engie, le 100 % ENR qu'elle propose n'est pas une option à souscrire par l'usager.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par une délibération du 30 septembre 2021, le conseil communautaire de Caen la mer a approuvé le principe d'une délégation de service public avec constitution d'une société d'économie mixte à opération unique (SEMOP) pour la modernisation, le développement et l'exploitation du réseau de chaleur de Caen nord. Par un avis d'appel public à la concurrence envoyé à la publication le 5 janvier 2022, la communauté urbaine Caen la mer a lancé une procédure de passation pour l'attribution d'un contrat de concession de service public ayant pour objet de confier à un concessionnaire la modernisation, la rénovation et le développement et l'exploitation du réseau de chaleur de Caen nord dans le cadre d'une concession d'une durée de vingt-cinq ans. La société Coriance et le groupement Engie Solutions/Viria, que la commission de délégation de service public, réunie le 23 septembre 2022, a admis à présenter une offre, ont, après plusieurs séances de négociations, remis leur offre finale avant la date limite de remise des offres fixée au 20 mars 2023 à 12 heures. Lors de sa séance du 6 juillet 2023, le conseil communautaire de Caen la mer a approuvé le choix de la société Coriance ainsi que le contrat de concession de service public avec constitution d'une SEMOP et a autorisé la signature du contrat. Par un courrier du 7 juillet 2023, la société Engie Solutions Energie Services a été informée du rejet de son offre. Par la présente requête, cette société demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la procédure de passation pour l'attribution de la concession de service public avec constitution de la SEMOP.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".

3. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'autorité concédante à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne l'information sur les motifs du rejet de l'offre de la société requérante :

4. Aux termes de l'article R. 3125-1 du code de la commande publique : " L'autorité concédante notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. / Cette notification précise les motifs de ce rejet et, pour les soumissionnaires, le nom du ou des attributaires ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de l'offre. () ". Aux termes de son article R. 3125-3 du même code : " L'autorité concédante communique aux soumissionnaires ayant présenté une offre qui n'a pas été éliminée en application de l'article L. 3124-2 les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue, dans les quinze jours de la réception d'une demande à cette fin. ".

5. Par un courrier du 7 juillet 2023, la communauté urbaine Caen la mer a informé la société Engie Solutions Energie Services du rejet de son offre, en indiquant que le conseil communautaire avait décidé, par délibération du 6 juillet 2023, d'attribuer le contrat à la société Coriance et en précisant les notes obtenues par ces deux sociétés sur les différents critères et sous-critères de notation des offres. Par un second courrier du 26 juillet 2023, la communauté urbaine a également transmis, à la demande de la société Engie Solutions Energie Services, des extraits du rapport de choix, reprenant les appréciations littérales des deux offres sur chacun des critères et sous-critères et permettant ainsi de comparer leurs mérites respectifs. La communauté urbaine, qui n'était pas tenue de communiquer le prix global de l'offre retenue ni les tarifs proposés aux abonnés par la société Coriance, s'est ainsi conformée aux obligations prévues par les dispositions des articles R. 3125-1 et R. 3125-3 du code de la commande publique. Au surplus, il résulte de l'instruction que la société requérante a pu avoir connaissance, par les débats du conseil communautaire du 6 juillet 2023, du prix global du contrat qui, selon la requérante, s'élève à 750 000 000 euros H.T.. Enfin, si elle a été informée oralement, dès le 17 mai 2023, par les services de la communauté urbaine que son offre ne serait pas retenue, cette information ne saurait être regardée comme une décision de rejet de son offre prise par l'autorité concédante, et plus particulièrement par le conseil communautaire, exigeant que le concédant réponde à son courrier du 19 mai 2023 sollicitant les motifs du rejet de son offre ainsi que les caractéristiques et avantages de l'offre classée en première position. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que le moyen tiré de la méconnaissance des articles R. 3125-1 et R. 3125-3 du code de la commande publique doit être écarté.

En ce qui concerne la candidature de la société Coriance :

6. Aux termes de l'article L. 3123-18 du code de la commande publique : " L'autorité concédante ne peut imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation autres que celles propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du contrat de concession. / Lorsque la gestion d'un service public est concédée, ces conditions de participation peuvent notamment porter sur l'aptitude des candidats à assurer la continuité du service public et l'égalité des usagers devant le service public. / Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution. ". Aux termes de l'article L. 3123-19 du même code : " Après examen des capacités et aptitudes des candidats, l'autorité concédante élimine les candidatures incomplètes ou irrecevables et dresse la liste des candidats admis à participer à la suite de la procédure de passation du contrat de concession. ". Aux termes de l'article L. 3123-20 de ce code : " Est irrecevable une candidature présentée par un candidat qui ne peut participer à la procédure de passation en application des articles L. 3123-1 à L. 3123-14, L. 3123-16 et L. 3123-17 ou qui ne possède pas les capacités ou les aptitudes exigées en application de la présente section. ". En outre, l'article R. 3123-19 du code prévoit que : " Si le candidat s'appuie sur les capacités et aptitudes d'autres opérateurs économiques, il justifie des capacités et aptitudes de ces opérateurs économiques et apporte la preuve qu'il en disposera pendant toute l'exécution du contrat. Cette preuve peut être apportée par tout moyen approprié. / En ce qui concerne la capacité financière, l'autorité concédante peut exiger que l'opérateur économique et les autres entités en question soient solidairement responsables de l'exécution du contrat de concession. ".

7. Il ressort du dossier de candidature de la société Coriance, pièce soustraite au contradictoire en application de l'article R. 412-2-1 du code de justice administrative, que ce candidat, d'une part, a transmis à l'autorité concédante l'ensemble des pièces exigées pour apprécier sa capacité économique et financière ainsi que ses capacités professionnelles et, d'autre part, ne s'est pas prévalu de capacités d'autres opérateurs économiques auxquels il prévoyait de recourir pour l'exécution du contrat de concession en cause. Enfin, la circonstance que la société Coriance, dont il est constant qu'elle n'était pas placée en redressement judiciaire, n'a pas indiqué, dans son dossier de candidature, que son actionnariat était susceptible d'évoluer en cours de procédure ne saurait être regardée comme une rétention d'informations de nature à avoir faussé, en l'espèce, l'appréciation de l'autorité concédante des garanties financières de la société Coriance, aucune disposition législative ou réglementaire ne faisant par ailleurs obstacle à ce qu'une société en vente se porte candidate à l'attribution d'un contrat de concession de service public.

8. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que la société Coriance, dont le chiffre d'affaires pour les années 2019, 2020 et 2021 s'élève, ainsi que cela ressort de son dossier de candidature, à, respectivement, 75 661 895 euros, 66 382 629 euros et 68 907 181 euros, ne disposerait manifestement pas des capacités suffisantes pour exécuter le contrat de concession en cause, dont le montant prévisionnel est estimé, sur une période de vingt-cinq ans, à 750 000 000 euros. Enfin, la circonstance que la société requérante aurait un chiffre d'affaires annuel largement supérieur à celui de la société Coriance est sans incidence sur l'appréciation portée par la communauté urbaine sur les capacités de la société Coriance à exécuter le contrat de concession.

9. Il résulte de ce qui précède que le moyen relatif à la candidature de la société Coriance doit être écarté.

En ce qui concerne la définition des besoins :

10. Aux termes de l'article L. 3111-1 du code de la commande publique : " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. ". Les concessions sont soumises aux principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, qui sont des principes généraux du droit de la commande publique. Pour assurer le respect de ces principes, la personne publique doit apporter aux candidats à l'attribution d'une concession, avant le dépôt de leurs offres, une information suffisante sur la nature et l'étendue des besoins à satisfaire. Il lui appartient à ce titre d'indiquer aux candidats les caractéristiques essentielles de la concession. S'il est loisible à l'autorité concédante d'indiquer précisément aux candidats l'étendue et le détail des investissements qu'elle souhaite les voir réaliser, elle n'est pas tenue de le faire à peine d'irrégularité de la procédure. Il lui est en effet possible, après avoir défini les caractéristiques essentielles de la concession, de laisser les candidats définir eux-mêmes leur programme d'investissement, sous réserve qu'elle leur ait donné des éléments d'information suffisants sur la nécessité de prévoir des investissements, sur leur nature et leur consistance et sur le rôle qu'ils auront parmi les critères de sélection des offres.

11. Il est constant que le montant prévisionnel du contrat tel qu'il ressort de l'offre de la société Coriance est largement supérieur à l'estimation prévisionnelle du contrat de concession mentionnée dans l'avis d'appel public à la concurrence, soit 400 000 000 euros H.T., du fait, notamment, du montant d'investissement prévisionnel pour les travaux de premier établissement qui serait d'un montant deux fois supérieur à celui mentionné dans le document de préfiguration de la SEMOP. Toutefois, eu égard notamment à l'objet et la durée du contrat à attribuer, cette circonstance ne saurait, à elle seule, caractériser une information insuffisante par l'autorité concédante sur la nature et l'étendue de ses besoins, les deux sociétés candidates ayant d'ailleurs, ainsi que l'affirme la communauté urbaine sans être contestée, présenté une offre d'un montant de l'ordre de 750 000 000 euros. Au surplus, il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante, qui a pu utilement présenter une offre qui a été examinée et classée, aurait été lésée par le manquement allégué. Dans ces conditions, ce moyen ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'analyse des offres finales des candidats :

12. Aux termes de l'article L. 3124-5 du code de la commande publique : " Le contrat de concession est attribué au soumissionnaire qui a présenté la meilleure offre au regard de l'avantage économique global pour l'autorité concédante sur la base de plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du contrat de concession ou à ses conditions d'exécution. Lorsque la gestion d'un service public est concédée, l'autorité concédante se fonde également sur la qualité du service rendu aux usagers. / Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'autorité concédante et garantissent une concurrence effective. () ". Aux termes de l'article R. 3124-4 du même code : " Pour attribuer le contrat de concession, l'autorité concédante se fonde, conformément aux dispositions de l'article L. 3124-5, sur une pluralité de critères non discriminatoires. Au nombre de ces critères, peuvent figurer notamment des critères environnementaux, sociaux, relatifs à l'innovation. Les critères et leur description sont indiqués dans l'avis de concession, dans l'invitation à présenter une offre ou dans tout autre document de la consultation. ".

13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3134-1 du code de la commande publique : " Le concessionnaire peut confier à des tiers une part des services ou travaux faisant l'objet du contrat de concession. Il demeure personnellement responsable de l'exécution de toutes les obligations résultant du contrat de concession. ". Contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte pas de l'instruction que l'offre de la société Coriance procéderait à une sous-concession totale du contrat de concession qui lui a été attribué ni qu'elle prévoirait un transfert de risque d'exploitation à un sous-concédant. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que l'irrégularité alléguée aurait eu une incidence sur le choix de l'attributaire, une telle irrégularité, qui concerne l'exécution du contrat de concession, ne pouvant, dans ces conditions, être regardée comme un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence. Par suite, ce moyen doit être écarté.

14. En deuxième lieu, s'il appartient à l'autorité concédante d'indiquer les critères d'attribution du contrat de concession ainsi que leur pondération, aucun principe ni aucun texte ne lui imposent d'informer en outre les candidats de la méthode de notation envisagée pour évaluer les offres au regard des critères de sélection. Par ailleurs, cette méthode échappe en principe, sous réserve d'une erreur de droit ou d'une discrimination illégale, au contrôle du juge du référé précontractuel.

15. Il résulte de l'instruction que la méthode mise en œuvre par la communauté urbaine de Caen la mer a consisté à attribuer une note de 1 à 10 selon le degré de satisfaction apportée par l'offre examinée sur le critère ou sous-critère considéré, les notes étant attribuées suivant un barème allant de " peu satisfaisant " avec une note de 1 à 2,5 à " très satisfaisant " avec une note allant de 9 à 10. Contrairement à ce que soutient la société requérante, une telle méthode de notation permet d'attribuer la meilleure note à la meilleure offre. Enfin, la société Engie Solutions Energie Services ne saurait utilement, pour remettre en cause la méthode de notation dont il a été fait application, se borner à faire valoir que son offre, compte tenu de ses caractéristiques, aurait dû obtenir des notes supérieures à celles attribuées à l'offre de la société Coriance, en particulier sur le critère n° 1 " Conditions économiques et financières " et le sous-critère 2 " Performance énergétique et environnementale " du critère 2 " Qualité technique et environnementale de l'offre ".

16. En dernier lieu, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par l'autorité concédante, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que l'autorité concédante n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

17. Si la société requérante soutient que la communauté urbaine a dénaturé son offre et celle de la société Coriance sur le critère n° 1 " Conditions économiques et financières " et le sous-critère 2 " Performance énergétique et environnementale " du critère 2 " Qualité technique et environnementale de l'offre ", son argumentation conduit le juge des référés précontractuels à apprécier les mérites respectifs des offres sur ces deux critères, ce qui ne relève pas de son office. Au surplus, s'agissant du critère n° 1, et plus particulièrement du sous-critère " Niveau des tarifs proposés aux abonnés et leur pérennisation ", la circonstance que la société Engie Solutions Energie Services aurait proposé un prix inférieur à celui de la société Coriance ne saurait suffire à caractériser une dénaturation de son offre dès lors que l'appréciation de l'offre au regard de ce sous-critère portait également sur la pérennisation des tarifs proposés. En outre, s'agissant du critère n° 2, il ressort de l'extrait du rapport d'analyse des offres que la communauté urbaine de Caen la mer a bien pris connaissance du fait que l'offre de la société Engie Solutions Energie Services proposait une option à 100 % ENR pouvant être souscrite par les usagers. Enfin, il résulte des débats à l'audience que la société Coriance a également proposé une offre 100 % ENR pour tous les abonnés et pas seulement sous forme d'option à souscrire par l'abonné. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que ce moyen doit être écarté.

18. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense ni sur la régularité des offres initiale et finale de la société requérante, que les conclusions de la société Engie Solutions Energie Services formulées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur les frais de l'instance :

19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la communauté urbaine Caen la mer et de la société Coriance une somme au titre des frais exposés par la société Engie Solutions Energie Services pour la présente instance. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 500 euros à verser tant à la société Coriance qu'à la communauté urbaine Caen la mer au titre des frais de l'instance.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Engie Solutions Energie Services est rejetée.

Article 2 : La société Engie Solutions Energie Services versera la somme de 1 500 euros à la société Coriance ainsi qu'à la communauté urbaine Caen la mer en application de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Engie Solutions Energie Services, à la communauté urbaine Caen la mer et à la société Coriance.

Fait à Caen, le 8 août 2023.

La juge des référés

Signé

A. MACAUD

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,