TA Cergy-P, 15/02/2024, n°2301340


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 21 juin 2023, la société par actions simplifiée (SAS) Patrimoine et Rénovation, représentée par Me Belcolore, demande à la juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 541-1 du code de justice administrative :

1°) de condamner la commune de Cergy à lui verser une provision de 2 107 124,44 euros au titre du solde du lot n° 2 " Aménagements intérieurs " du marché public de travaux portant sur la réhabilitation de l'équipement socio-culturel du quartier " Axe Majeur - Horloge de la ville " ;

2°) de mettre à la charge de la commune de Cergy la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que sa créance sur la commune de Cergy n'est pas sérieusement contestable dès lors que :

. les travaux ont été réceptionnés ;

. son projet de décompte final, établi le 1er septembre 2022, a été reçu le 4 septembre 2022 par la commune, qui n'a pas notifié de décompte général dans les délais contractuels requis ;

. son projet de décompte général, réceptionné par la commune de Cergy le 17 octobre 2022, est tacitement devenu le décompte général et définitif du marché, faute de notification du décompte général dans le délai de dix jours prévu par les stipulations de l'article 13.4.4 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux (CCAG-Travaux), auxquelles ne déroge pas le cahier des clauses administratives particulières (CCAP) ;

. le 8 novembre 2022, elle a vainement mis en demeure la commune de Cergy de procéder au règlement de la somme de 2 107 284,44 euros au titre du solde du marché.

Par un mémoire en défense, enregistré 17 juillet 2023, la commune de Cergy, représentée par Me Henochsberg, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la SAS Patrimoine et Rénovation au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- à titre principal, la requête de la SAS Patrimoine et Rénovation est irrecevable, faute de transmission du mémoire en réclamation préalable à la saisine du tribunal prévu par les stipulations de l'article 50.1.1 du CCAG-Travaux ;

- à titre subsidiaire, elle ne détient sur la commune aucune créance non sérieusement contestable dès lors que :

. les travaux ont été réceptionnés en partie sous réserves, non levées à ce jour, de sorte qu'à la date de transmission du projet de décompte final, le délai à partir duquel la SAS Patrimoine et Rénovation pouvait transmettre un tel document n'avait pas commencé à courir, faisant ainsi échec à la naissance ultérieure d'un décompte général et définitif tacitement intervenu ;

. en tout état de cause, le projet de décompte général n'a pas été adressé à la personne physique représentant le pouvoir adjudicateur, en l'occurrence le maire de la commune ;

. les projets de décomptes final et général n'ont pas été déposés sur la plateforme Chorus, en méconnaissance des articles L. 2192-1 et L. 2192-5 du code de la commande publique, 193 de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises et 9.6 du CCAP ;

. le projet de décompte général du marché n'a pas été signé par le président de la SAS Patrimoine et Rénovation, seul habilité à la représenter ;

. la SAS Patrimoine et Rénovation ne justifie pas de la notification de ses projets de décomptes final et général au maître d'œuvre, en méconnaissance des articles 13.3.2 et 13.4.4 du CCAG-Travaux.

Par ordonnance du 18 juillet 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 18 septembre 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- l'arrêté du 3 mars 2014 modifiant l'arrêté du 8 septembre 2009 portant approbation du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Oriol, vice-présidente, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. Par acte d'engagement du 24 juillet 2018, la commune de Cergy a confié à la société par actions simplifiée (SAS) Patrimoine et Rénovation le lot n° 2 " Aménagements intérieurs " du marché public de travaux portant sur la réhabilitation de l'équipement socio-culturel du quartier " Axe Majeur - Horloge de la ville ". Par la présente requête, la SAS Patrimoine et Rénovation demande à la juge des référés, statuant sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner la commune de Cergy à lui verser, à titre de provision, la somme de 2 107 124,44 euros au titre du solde de ce marché.

Sur la demande de provision :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ".

3. Il résulte de ces dispositions que, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état.

4. Aux termes de l'article 13.3.1 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux (CCAG-Travaux), dans sa version issue de l'arrêté du 3 mars 2014 applicable au marché en litige : " Après l'achèvement des travaux, le titulaire établit le projet de décompte final, concurremment avec le projet de décompte mensuel afférent au dernier mois d'exécution des prestations ou à la place de ce dernier. / Ce projet de décompte final est la demande de paiement finale du titulaire, établissant le montant total des sommes auquel le titulaire prétend du fait de l'exécution du marché dans son ensemble, son évaluation étant faite en tenant compte des prestations réellement exécutées () ". Selon l'article 13.3.2 du même cahier : " Le titulaire transmet son projet de décompte final, simultanément au maître d'œuvre et au représentant du pouvoir adjudicateur, par tout moyen permettant de donner une date certaine, dans un délai de trente jours à compter de la date de notification de la décision de réception des travaux telle qu'elle est prévue à l'article 41.3 ou, en l'absence d'une telle notification, à la fin de l'un des délais de trente jours fixés aux articles 41.1.3 et 41.3. / Toutefois, s'il est fait application des dispositions de l'article 41.5, la date du procès-verbal constatant l'exécution des travaux visés à cet article est substituée à la date de notification de la décision de réception des travaux comme point de départ des délais ci-dessus. / S'il est fait application des dispositions de l'article 41.6, la date de notification de la décision de réception des travaux est la date retenue comme point de départ des délais ci-dessus. ". L'article 41.5 du même cahier stipule que : " S'il apparaît que certaines prestations prévues par les documents particuliers du marché et devant encore donner lieu à règlement n'ont pas été exécutées, le maître de l'ouvrage peut décider de prononcer la réception, sous réserve que le titulaire s'engage à exécuter ces prestations dans un délai qui n'excède pas trois mois. La constatation de l'exécution de ces prestations doit donner lieu à un procès-verbal dressé dans les mêmes conditions que le procès-verbal des opérations préalables à la réception prévu à l'article 41. 2. ".

5. Il résulte de ces dispositions que lorsque le maître d'ouvrage réceptionne l'ouvrage au moins en partie sous réserves, le délai ouvert au titulaire pour transmettre son projet de décompte final court à compter du procès-verbal de levée de ces réserves, y compris, le cas échéant, pour les travaux qu'il propose de réceptionner sans réserves ou avec réserves.

6. Il résulte de l'instruction que le maître d'ouvrage a réceptionné les travaux des phases n°s 1 et 2 du marché avec effet aux 31 mars 2021 et 30 septembre 2021, sous réserve des remarques de la commission de sécurité et de l'exécution concluante avant les 30 juin 2021 et 31 décembre 2021 des épreuves, travaux et prestations mentionnées en annexes, avec la réserve que le titulaire remédie avant les mêmes dates aux imperfections et malfaçons indiquées dans les mêmes annexes. Pour la phase n° 3 du marché, le maître d'ouvrage n'a notifié au titulaire aucune décision expresse de réception ou de refus de réception dans les trente jours suivant la date du procès-verbal des opérations préalables à la réception, de sorte que les propositions du maître d'œuvre se sont imposées aux parties. A ce titre il ressort du formulaire EXE 5 du 28 juin 2022 versé à l'instance que le maître d'œuvre, malgré une erreur de plume, a proposé de réceptionner les travaux de cette phase n° 3 avec effet au 28 juin 2022, sous réserve des remarques de la commission de sécurité et de l'exécution concluante avant le 28 juillet 2002 des épreuves, travaux et prestations mentionnées en annexes, avec la réserve que le titulaire remédie à la même date aux imperfections et malfaçons indiquées dans les mêmes annexes. Il n'est pas contesté que les réserves mentionnées pour la réception des travaux des trois phases du marché n'avaient pas été levées à la date à laquelle la SAS Patrimoine et Rénovation a adressé son projet de décompte final à la commune de Cergy, le 31 août 2022. Dans ces conditions, la notification de ce document n'a pu engager la procédure d'établissement du décompte général et définitif et, en particulier, faire courir le délai de trente jours imparti au maître d'ouvrage pour notifier le décompte général. La SAS Patrimoine et Rénovation ne peut donc se prévaloir de la naissance d'un décompte général et définitif tacite selon les modalités prévues par les stipulations précitées de l'article 13.4.4. du CCAG-Travaux.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir contractuelle soulevée en défense, que la créance de 2 107 284,44 euros revendiquée par la SAS Patrimoine et Rénovation n'est pas non sérieusement contestable. Dès lors, sa demande de provision doit être rejetée.

Sur les frais liés à l'instance :

8. La commune de Cergy n'étant pas la partie perdante à l'instance, les conclusions de la SAS Patrimoine et Rénovation présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à sa charge la somme de 1 000 euros au titre des conclusions de la commune de Cergy présentées sur le même fondement.

Par ces motifs, le tribunal ordonne :

Article 1er : La requête de la SAS Patrimoine et Rénovation est rejetée.

Article 2 : La SAS Patrimoine et Rénovation versera la somme de 1 000 euros à la commune de Cergy au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Patrimoine et Rénovation et à la commune de Cergy.

Fait à Cergy, le 15 février 2024.

La juge des référés,

signé

C. Oriol

La République mande et ordonne au préfet du Val-d'Oise en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.