TA Châlons, 24/10/2022, n°2202325

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 octobre 2022 et le 19 octobre 2022, la société Dalkia, représentée par le cabinet Joffe et associés, demande au tribunal, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) à titre principal, d'ordonner à la commune d'Epernay de se conformer à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en reprenant la procédure de passation du contrat de délégation de service public relatif à la production, au transport et à la distribution de chaleur sur son territoire, au stade de l'analyse des offres ;

2°) à titre subsidiaire, d'annuler la procédure de dévolution du contrat de délégation de service public précité ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Epernay le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'offre de la société Idex Territoires aurait dû être écartée dès lors qu'elle est irrégulière en ce qu'elle méconnait les exigences du dernier alinéa de l'article 7 du programme de la consultation ; en ne sanctionnant pas cette irrégularité, la commune d'Epernay a dénaturé l'offre d'Idex Territoires en la qualifiant à tort de régulière ;

- cette irrégularité est de nature à l'avoir lésée, dès lors que seuls deux candidats étaient en lice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 octobre 2022, la commune d'Epernay, représentée par Me Patrick Labayle-Pabet conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société Dalkia au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la commune n'a jamais eu l'intention d'ériger l'exigence de transmission des conventions conclues par le candidat, prévue à l'article 7 du programme de consultation, en élément de régularité de l'offre ;

- le programme de consultation n'impose pas la transmission de ces conventions avant la conclusion de la délégation de service public ;

- en tout état de cause des questions ont été posées en cours de procédure par le pouvoir adjudicateur, afin de vérifier si les chaufferies de délestage avaient fait l'objet de conventions permettant à l'attributaire de les utiliser ;

- l'offre de la société Idex Territoires n'a pas été dénaturée ;

- la société requérante ne justifie pas d'un intérêt lésé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 octobre 2022, la société Idex Territoires, représentée par la SEARL Atmos avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que le versement de la somme de 5 000 euros soit mis à la charge de la société Dalkia au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le production d'accords ou de contrats conclus avec des opérateurs tiers ne présentait pas une utilité telle que son absence rendrait son offre irrégulière ;

- cette absence peut seulement fonder une diminution de sa note ;

- son offre est régulière dès lors que la fourniture des protocoles d'accords ou des conventions n'était pas demandée à peine d'irrégularité de l'offre ;

- l'acceptation des opérateurs tiers n'est pas douteuse ;

- la notion de " protocole d'accord " n'a pas de définition juridique ; la production d'un tel document est donc inutile ;

- le recours à des chaufferies tierces n'a qu'un impact, notamment financier, marginal sur l'exploitation du réseau ;

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. B A en application de l'article

L. 551-5 du code de justice administrative

Ont été entendus lors de l'audience publique qui s'est tenue le 3 septembre 2022,

- le rapport de M. Nizet, président,

- les observations de Me Fumery, représentant la société Dalkia qui reprend à l'oral les moyens et conclusions contenus dans ses écritures et ajoute qu'au jour de l'audience aucun protocole d'accord n'a été produit par la société Idex Territoires, réserve faite d'un document émanant du centre hospitalier qui date du 17 octobre et a été rédigé pour les besoins de la cause ; que si les chaufferies d'appoint prévues par la société Idex Territoires n'étaient finalement pas disponibles, cela impliquerait une modification de la puissance des chaufferies à construire et leur classement en tant qu'ICPE ; que lors de la phase de négociation la commune a interrogé les deux entreprises autorisées à remettre une offre sur l'existence de protocoles d'accords, ce qui prouve l'importance que le pouvoir adjudicateur attache à cette question,

- les observations de Me Labayle-Pabet , représentant la commune d'Epernay qui reprend à l'oral le contenu de ses écritures et précise que la question en débat ne porte que sur une question mineure dès lors qu'il est prévu que les apports en chaleur provenant d'installations mises à disposition par des tiers ne représentent que 3 à 5 % de la chaleur produite ; que du fait de cette part particulièrement minime, il ne peut être soutenu que ce point soit une " caractéristique minimale " de l'offre au sens de l'article L. 3124-3 du code de la commande publique ; que le point central du contrat est celui du passage à des énergies renouvelables ;

- les observations de Me Braud, représentant la société Idex Territoires qui reprend à l'oral les moyens et conclusions contenus dans ses écritures et insiste sur la part minime prise par les chaudières d'appoint sur la part totale de production de chaleur prévue au contrat ; qu'il faut définir ce qu'est un " protocole d'accord " et qu'en tout état de cause, dès lors que son offre prévoit également, en cas de nécessité, l'usage de chaufferies mobiles, la question de l'existence de protocoles d'accords est accessoire et ne saurait être regardée comme une caractéristique minimale de l'offre en sens de l'article L. 3124-3 du code de la commande publique.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Une note en délibéré, présentée par la société Idex Territoire, a été enregistrée le 21 octobre 2022.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. /()/ Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. "

2. La commune d'Epernay, par un avis d'appel à la concurrence publié le

25 juin 2021, a lancé une procédure en vue d'attribuer une délégation de service public afin d'assurer la production, le transport et la distribution de chaleur sur le territoire communal. L'objet de la consultation portait sur la gestion et l'exploitation du réseau de distribution de chaleur existant et sur la construction, puis l'exploitation, de chaudières à bois. Quatre candidats ont présenté une offre. Seules les sociétés Idex Territoires et Dalkia ont été retenues afin de participer à la phase de négociation. Par un courrier daté du 15 septembre 2022, reçu le 26 septembre 2022, la société Dalkia a été informée du rejet de son offre. Par le présent recours elle demande, à titre principal, l'annulation de la procédure et sa reprise au stade de l'analyse des offres, et à titre subsidiaire, l'annulation totale de la procédure.

3. Aux termes de l'article L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales : " Les collectivités territoriales, leurs groupements ou leurs établissements publics peuvent confier la gestion d'un service public dont elles ont la responsabilité à un ou plusieurs opérateurs économiques par une convention de délégation de service public définie à l'article L. 1121-3 du code de la commande publique préparée, passée et exécutée conformément à la troisième partie de ce code ". Aux termes de l'article L. 3124-1 du code de la commande publique : " Lorsque l'autorité concédante recourt à la négociation pour attribuer le contrat de concession, elle organise librement la négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. / La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. ". Aux termes de l'article

L. 3124-2 du même code : " L'autorité concédante écarte les offres irrégulières ou inappropriées. ". Aux termes de l'article L. 3124-3 du même code : " Une offre est irrégulière lorsqu'elle ne respecte pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation. ".

4. Il résulte de ces dispositions que l'autorité concédante doit éliminer les offres qui ne respectent pas les exigences formulées dans les documents de la consultation dont font notamment partie le règlement de la consultation et le programme de la consultation. Ces documents sont obligatoires dans toutes leurs mentions. L'autorité délégante ne peut, dès lors, attribuer le contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences qu'ils imposent, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres ou si la méconnaissance de cette exigence résulte d'une erreur purement matérielle d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.

5. Aux termes du dernier paragraphe de l'article 7 " création de sous-stations " du programme de la consultation " Dans son dossier technique, le candidat a la possibilité de présenter des sources complémentaires d'énergie apportant des atténuations de charges. La modélisation de ces sources devra être justifiée par l'apport des conventions de raccordement et de fourniture de chaleur conclues à cet effet. L'autorité délégante exige à la remise des offres initiales, des protocoles d'accords en ce sens et avant la conclusion du contrat les conventions en bonne et due forme ".

6. En premier lieu, d'une part, il résulte de l'instruction que l'offre remise par la société Idex Territoires prévoyait le recours à trois chaufferies d'appoint utilisées par des opérateurs tiers pour leurs besoins personnels. Il ressort des débats qu'il devait en être fait usage notamment dans l'hypothèse d'une insuffisance ou d'une défaillance de l'alimentation en chaleur depuis les chaufferies que le délégataire devait construire et exploiter. Par suite, le recours à ces chaufferies d'appoint participait à la réponse du candidat aux besoins et aux attentes exprimés par l'autorité délégante, alors même qu'il n'était prévu d'user de ces sources de chaleur que dans une proportion de l'ordre de 3 à 5 % du total de la chaleur produite. D'autre part, alors même que le recours à des sources complémentaires d'énergie n'est qu'une possibilité offerte aux candidats, la formulation impérative retenue par l'autorité délégante dans la rédaction de la dernière phrase de l'article 7 du programme de consultation, établit, si les candidats se saisissent de la possibilité d'user de sources complémentaires d'énergie, l'importance qu'elle accorde à l'exigence qu'elle formule. Par suite, eu égard à son but, qui est notamment d'assurer la continuité de la distribution de chaleur et donc du service en cause, et à sa formulation, la ville d'Epernay et la société Idex Territoires ne sont pas fondées à soutenir que l'exigence posée par l'article 7 du programme de consultation ne constituerait pas, en dépit même de l'absence de mention expresse en ce sens, pour l'autorité adjudicatrice, une caractéristique minimale au sens des dispositions précitées de l'article L. 3124-3 du code de la commande publique.

7. En second lieu, il est constant, alors qu'il n'est pas soutenu et qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette absence constituerait une erreur matérielle, que la société Idex Territoires n'a pas, lors de la remise de son offre, produit les documents exigés par l'article 7 du programme de la consultation. La production de ces documents, comme il vient d'être dit, permettait à l'autorité délégante d'apprécier la consistance et la valeur de l'offre de la société Idex Territoires. La circonstance alléguée que la société Idex Territoires a assuré à la délégante qu'elle prendrait à sa charge les conséquences des éventuelles difficultés résultant de l'absence de conclusion des contrats autorisant l'usage des chaufferies d'appoint, ou qu'elle pourrait avoir recours à des chaufferies mobiles, n'est pas de nature, dès lors qu'elle avait saisi la possibilité offerte par l'article 7 du programme de la consultation de recourir à des chaufferies extérieures au périmètres délégué, d'obvier à l'absence des documents requis par cet article. De même, la simple affirmation que l'accord des opérateurs tiers n'est pas douteux, ne saurait pallier l'absence de tout document contractuel, quelle qu'en soit la nature, formalisant un tel accord. Enfin la circonstance que l'article 4 du règlement de consultation indique qu'il pourra être demandé aux candidats de modifier leur offre, n'a pas d'incidence sur la portée de l'article 7 du programme de la consultation.

8. Il suit de là que l'absence de la production des accords ou des conventions, prévus à l'article 7 du programme de la consultation faisait obstacle à ce que soit appréciée l'offre de la société Idex Territoires. Dans ces circonstances la société Dalkia, qui, étant la seule candidate ayant été admise, avec la société Idex Territoires, à présenter une offre, justifie de ce fait d'un intérêt lésé, est fondée à soutenir que l'offre de la société Idex Territoires devait être écartée comme étant irrégulière. En acceptant cette offre, le pouvoir adjudicateur a porté atteinte à l'égalité de traitement entre candidats.

9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler la procédure à compter de l'analyse des offres et d'enjoindre à la ville d'Epernay, si elle entend reprendre la présente procédure, de le faire au stade de l'analyse des offres.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société Dalkia, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement des sommes que la ville d'Epernay et la société Idex Territoires demandent au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de la ville d'Epernay une somme de 1 500 euros à verser à la société Dalkia sur le fondement des mêmes dispositions.

ORDONNE

Article 1er : ll est enjoint à la ville d'Epernay, si elle entend poursuivre la procédure de passation du contrat de délégation de service public relatif à la production, au transport et à la distribution de chaleur sur son territoire, de reprendre ladite procédure au stade de l'analyse des offres.

Article 2 : La ville d'Epernay versera à la société Dalkia la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par la ville d'Epernay et par la société Idex Territoires au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Dalkia, à la commune d'Epernay et à la société Idex Territoires.

Fait à Châlons-en-Champagne, le 24 octobre 2022.

Le juge des référés,La greffière,

O. AN. MASSON