TA de Bastia, 02 octobre, 2023, n° 2301095

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 9 et 29 septembre 2023, l'entreprise Bellini transports, représentée par la SELARL APAetC " Affaires publics - avocats et conseils ", agissant par Me Neveu, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à la collectivité de Corse de produire les extraits pertinents du cadre de réponse technique produit à l'appui de l'offre de la SAS Transport Phoenix pour le lot n° TSA001 - PM204 - LY205, ainsi que les pièces justificatives ;

2°) d'annuler la décision du 30 août 2023 par laquelle la collectivité de Corse a écarté son offre comme inacceptable pour le lot n° TSA001 - PM204 - LY205 et lui a annoncé que la SAS Transport Phoenix était l'attributaire de ce lot ;

3°) de mettre à la charge de la collectivité de Corse et de la société Phoenix les sommes de, respectivement, 5000 euros et 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société requérante soutient que :

- c'est à tort que son offre a été écartée comme inacceptable dès lors que la collectivité de Corse n'est pas en mesure de prouver qu'elle n'avait pas les moyens de la financer et que son estimation n'était ni sincère ni raisonnable ;

- le cahier des charges est irrégulier en ce qu'il fixe des exigences techniques incompatibles avec les contraintes du circuit du lot n°1 ;

- l'offre de la société Phoenix n'est pas conforme.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2023, la collectivité de Corse, représentée par Me Lelièvre, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 800 euros soit mise à la charge de l'entreprise Bellini transports sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. La collectivité soutient que le moyen de la requête n'est pas fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 septembre 2023, la SAS Transport Phoenix, représentée par Me Ganaye Vallette, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'entreprise Bellini transports sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Elle soutient que le moyen de la requête n'est pas fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

En application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, le président du tribunal a désigné M. Pierre Monnier, vice-président, pour statuer sur les requêtes présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du même code.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique du 29 septembre 2023 à 10 heures, tenue en présence de M. Baptiste Lelièvre, greffier :

- le rapport de M. Pierre Monnier, juge des référés ;

- et les observations de Me Durand, substituant Me Neveu, avocat de l'entreprise Bellini Transports, celles de Me Lelièvre, avocate de la collectivité de Corse, ainsi que celles de Me Ganaye Vallette, avocate de la SAS Transport Phoenix.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié au BOAMP le 9 avril 2023 et au JOUE le 11 avril 2023, la collectivité de Corse a engagé une procédure d'appel d'offre ouvert, soumise aux dispositions des articles L. 2124-2, R. 2124-2 1° et R. 2161-2 à R. 2161-5 du code de la commande publique, en vue de la passation d'un marché de prestations de services, divisé en 94 lots, ayant pour objet le transport scolaire en Corse-du-Sud. L'entreprise Bellini transports a déposé une offre pour le lot n° TSA001 - PM204 - LY205 correspondant à l'itinéraire Carazzi / embranchement Tavaco / Vero - Pont d'Ucciani / Ajaccio. Par une lettre en date du 30 août 2023, la collectivité de Corse l'a informée, d'une part, que son offre était écartée comme inacceptable dès lors que son montant était supérieur à celui des crédits budgétaires alloués avant le lancement de la consultation et, d'autre part, que le marché était attribué à la SAS Transport Phoenix. Par la présente requête, l'entreprise Bellini transports demande au juge du référé précontractuel, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler la décision du 30 août 2023.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne le caractère inacceptable de l'offre de la société requérante :

4. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres () inacceptables () " et aux termes de l'article L. 2152-3 du même code : " Une offre inacceptable est une offre dont le prix excède les crédits budgétaires alloués au marché, déterminés et établis avant le lancement de la procédure ".

5. L'offre de l'entreprise Bellini transports a été rejetée sans être analysée, au motif qu'elle était inacceptable, son montant étant supérieur à celui des crédits budgétaires alloués avant le lancement de la consultation.

6. Il résulte de l'instruction que par l'article 9 de la délibération n° 23/023 AC en date du 9 mars 2023 portant approbation du budget primitif de la collectivité de Corse pour l'exercice 2023, l'Assemblée de Corse a approuvé le programme des transports scolaires les services de la collectivité de Corse pour un montant de 25 163 000 euros HT. Par l'arrêté n° 23/193 CE du 11 avril 2023, dont le rapport de présentation précisait que l'ensemble des circuits ferait l'objet pour le département de la Corse-du-Sud de 94 marchés pour un montant total de 10 461 265,35 euros HT, le président du Conseil exécutif de Corse a réparti cette somme entre les 94 lots de transports scolaires pour l'année scolaire 2023-2024, dont le lot en litige pour une somme de 136 366,18 euros, laquelle était déjà déterminée le 30 mars 2023. Contrairement à ce que soutient la société requérante, il ne résulte pas de l'instruction, notamment du fait que la collectivité de Corse a revu son estimation à la baisse par rapport au marchés attribué en 2019 à la société requérante, que ce montant soit sous-évalué ou qu'il serait ni sincère ni raisonnable.

7. Il résulte de l'instruction que l'offre de l'entreprise Bellini transports, d'un montant annuel de 159 953,15 euros HT excédait de plus de 17 % les crédits budgétaires alloués. L'entreprise Bellini transports n'est donc pas fondée à soutenir que c'est à tort que la collectivité de Corse a écarté son offre comme inacceptable au sens des dispositions précitées de l'article L. 2152-3 du code de la commande publique.

En ce qui concerne le caractère non-conforme des offres de la société Phoenix :

8. Selon l'article 10.1 du cahier des clauses particulières : " Le candidat devra, dans on offre, proposer un parc de véhicules adapté à ce besoin ou fournir toutes pièces justificatives prouvant qu'il sera en mesure d'y satisfaire le jour de la rentrée scolaire. En toute hypothèse, en cas d'attribution du marché, les engagements doivent être suivis d'effet au plus tard un mois avant la rentrée scolaire sous peine de résiliation pour faute du marché ". Aux termes du dernier alinéa de l'article 10 du même cahier : " L'autorité organisatrice peut s'opposer à l'affectation de certains types de véhicules qui lui sembleraient inappropriés à la mission de service public confiée au Titulaire ".

9. D'une part, la circonstance que la SAS Transport Phoenix serait un opérateur de " Véhicule de Tourisme avec Chauffeur " (VTC) et que son site internet ne mentionne pas qu'elle dispose de cars susceptibles d'assurer le transport scolaire n'est pas de nature à rendre son offre non-conforme. Il en va de même du fait que le car qu'elle utilise pour desservir l'école de Vero devrait effectuer une marche arrière.

En ce qui concerne l'irrégularité du cahier des clauses particulières en ce qu'il fixe des exigences techniques incompatibles avec le circuit de lot n° 1 :

10. Pour soutenir que le cahier des clauses particulières relatif au lot n° 1 ne permet pas à la collectivité de Corse de s'assurer que les véhicules proposés par les candidats, notamment la société Transport Phoenix, soient adaptés à la typographie des lieux composant le circuit, la société requérante se borne à produire un procès-verbal de constat d'huissier dont il résulte que le car scolaire desservant l'école de Vero effectue une marche arrière pour revenir sur la route départementale n° 4. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction qu'un car d'une dimension plus modeste n'aurait pas à effectuer cette même marche arrière. Si une telle manœuvre serait assurément plus aisée avec un véhicule moins imposant, cette circonstance ne suffit pas à justifier que la collectivité de Corse n'aurait pas fixé des exigences techniques ne correspondant pas à la nature de ses besoins.

11. Il résulte de ce qui précède que l'entreprise Bellini transports n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision du 30 août 2023. Par suite, sa requête doit être rejetée sans qu'il soit besoin d'enjoindre à la collectivité de Corse de produire les extraits pertinents du cadre de réponse technique produit à l'appui de l'offre de la SAS Transport Phoenix pour le lot n° TSA001 - PM204 - LY205, ainsi que les pièces justificatives

Sur les frais liés à l'instance :

12. D'une part, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la collectivité de Corse et de la SAS Transport Phoenix, qui ne succombent à l'instance, les sommes demandées par l'entreprise Bellini transports au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. D'autre part, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'entreprise Bellini transports, au profit de la collectivité de Corse et de la SAS Transport Phoenix, le versement de la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de l'entreprise Bellini transports est rejetée.

Article 2 : L'entreprise Bellini transports versera à la collectivité de Corse la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : L'entreprise Bellini transports versera à la SAS Transport Phoenix la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'entreprise Bellini transports, à la SAS Transport Phoenix et à la collectivité de Corse.

Fait à Bastia, le 2 octobre 2023.

Le juge des référés,

Signé

P. MONNIER

La République mande et ordonne au préfet de Corse, préfet de la Corse-du-Sud en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

La greffière,

H. MANNONI