TA de Bordeaux, 15 décembre 2023, n°2306479


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 24 novembre 2023, la SAS Infraneo, mandataire du groupement Infraneo-Corrosia, représentée par Me Fayat, demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative ;

1°) d'ordonner à Bordeaux Métropole de lui communiquer les motifs détaillés du rejet de son offre ainsi que les motifs ayant conduit aux choix de l'offre retenue ;

2°) d'annuler la décision du 15 novembre 2023 par laquelle Bordeaux Métropole a rejeté son offre dans le cadre de l'attribution de l'accord-cadre d'études en matière de prestations d'auscultation sur les ouvrages d'art de Bordeaux Métropole, et l'a informée avoir retenu l'offre de la société Sixense Engineering ;

3°) d'enjoindre à Bordeaux Métropole, s'il entend conclure le marché, de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres, en réexaminant celle du groupement Infraneo-Corrosia ;

4°) de mettre à la charge de Bordeaux Métropole la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Infraneo soutient que :

- le contrat n'a a encore été conclu mais l'accord-cadre pourrait être signé à compter du 27 novembre 2023 ;

- elle justifie d'un intérêt à engager la présente action, conformément à l'article L. 551-10 du code de justice administrative, dès lors que, candidate classée en deuxième position, les manquements du pouvoir adjudicateur ont pour effet de léser ses intérêts, eu égard, d'une part, à l'attribution sur son offre de la note maximale au titre du prix et, d'autre part, à l'écart particulièrement faible (de 4/100) sur le critère technique qui sépare son offre et celle de la société attributaire ;

- l'information du candidat évincé est insuffisante au regard des exigences de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique ; le courrier de notification se borne à préciser que l'offre de la société Sixense Engineering a été retenue en mentionnant la note obtenue, mais n'indique pas les motifs qui ont conduit au choix de cette offre ; les motifs de rejet de son offre sont quant à eux insuffisants ; malgré ses demandes, Bordeaux Métropole n'a pas communiqué les informations sollicitées ;

- les critères prévus par le règlement de consultation ont été méconnus ; les offres doivent être jugées selon deux critères, leur prix et leur valeur technique ; la valeur technique doit être appréciée au regard de deux sous-critères : la qualité des moyens humains mis à disposition pour réaliser les prestations objet du marché (le groupement a obtenu la note de 8/10) et la qualité et la pertinence de la méthodologie mise en place pour réaliser les prestations objet du marché (le groupement a obtenu 7/10) ;

- au titre des moyens humains, Bordeaux Métropole n'était pas fondé à sanctionner la société requérante pour ne pas avoir fourni les CV de ses prestataires et sous-traitants, dès lors que ces documents n'étaient pas exigés dans les documents de la consultation (articles 7.2 et 5.1 du règlement de consultation) ;

- au titre de la méthodologie, Bordeaux Métropole n'était pas fondé à sanctionner la société requérante pour ne pas avoir fourni de détails sur la prévention des risques locaux, dès lors que cette exigence ne découlait pas des documents de la consultation (articles 7.2 et 5.1 du règlement de consultation) ; au demeurant, ces " spécificités locales " n'étaient pas définies dans les documents de consultation ;

- l'attribution des points irrégulièrement retirés à l'offre de la société Infraneo aurait eu pour effet de lui conférer la place de première, de sorte que son offre aurait dû être retenue ;

Par un mémoire en défense enregistré le 11 décembre 2023, Bordeaux Métropole, représenté par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS Infraneo une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Bordeaux Métropole fait valoir que les moyens invoqués ne sont pas fondés :

- la note obtenue par la société requérante sur le sous-critère 2.1 a pu être dégradée en raison de l'absence de mention des qualifications et CV des sous-traitants puisqu'il n'est pas contesté qu'elle a annoncé dans son offre recourir à des sous-traitants pour exécuter le contrat et que ces sous-traitants sont donc au nombre des " moyens humains mis à disposition pour réaliser les prestations objet du marché " dont la qualité devait être évaluée selon l'intitulé même de ce sous-critère ;

- la note qu'elle a obtenue sur le sous-critère 2.2 a pu être dégradée en raison de l'absence de détail des risques spécifiques liés aux conditions de réalisation des missions du marché sur le territoire métropolitain puisque ce sous critère avait précisément pour objet d'évaluer la méthodologie proposée par les candidats pour l'exécution des " prestations objet de l'accord-cadre ", et non une méthodologie générale et standard telle qu'elle a été présentée par la requérante ;

- en toute hypothèse, il n'entre pas dans l'office du juge du référé précontractuel de juger que sa proposition aurait dû obtenir la meilleure note ;

- de façon plus générale, l'offre de la société Infraneo est techniquement moins qualitative, et globalement moins avantageuse, que celle de Sixence Engineering ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2023, la SAS Sixense Engineering, représentée par Me Claudon, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Infraneo la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

La Sixense Engineering fait valoir que les moyens développés dans la requête sont infondés :

- la société requérante s'est contenté, dans la " Partie 2 : les méthodologies et techniques utilisées de son " mémoire technique ", de décrire, en 6 pages, dans des termes généraux, les conditions de son intervention au cours des trois phases " Préparation de la mission ", " Auscultation sur site ", " Etablissement du rapport d'investigation ", sans détailler la méthodologie, le mode opératoire ou la technique qu'elle entend utiliser " pour chaque type de support faisant l'objet d'un chapitre au BPU (bordereau des prix unitaires)" ; le tableau auquel elle renvoie, et qui n'est pas produit, ne respecte pas le formalisme imposé ;

- s'agissant du sous-critère 2.1 " Qualité des moyens humains mis à disposition pour réaliser les prestations objet de l'accord-cadre ", le groupement évincé avait prévu de recourir à des sous-traitants ; il lui appartenait de produire les prestations, qualifications, expériences et C.V. des sous-traitants auxquels il entendait faire appel, à défaut de disposer de moyens humains pour réaliser les prestations d'analyse de matériaux et d'inspections subaquatiques ; la défenderesse a pour sa part joint à son mémoire la lettre d'engagement et les références de ses sous-traitants et les C.V. des intervenants de ces sous-traitants ; c'est le cas en particulier pour les intervenants des laboratoires auxquels il envisageait de sous-traiter l'analyse des matériaux ; la défenderesse a pour sa part fourni les qualifications et références du CEREMA, seul laboratoire en mesure de répondre aux exigences de la mission ;

- s'agissant du sous-critère 2.2 " Qualité et pertinence de la méthodologie mise en place pour réaliser les prestations objet de l'accord-cadre et pour chaque type de support faisant l'objet d'un chapitre au BPU ", le règlement de consultation n'imposait nullement d'apprécier les risques dans leur spécificité locale, mais de présenter une méthodologie propre à prévenir les risques et accidents du travail au vu des prestations définies au marché, ce qu'a fait la défenderesse ; le groupement évincé s'est contenté de généralités sur les mesures envisagées pour garantir la sécurité, sans distinction suivant la nature des prestations à réaliser ; en outre, la certification ISO 45001 - ou équivalente - était prise en compte pour l'appréciation de ce sous-critère ; la société requérante n'en a pas justifié, contrairement à la société défenderesse ; l'insuffisance des développements du " mémoire technique " du groupement évincé explique sa note dégradée ;

Par un mémoire en réplique, enregistré le 12 décembre 2023, la société Infraneo conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens ; elle ajoute que son offre ne peut être qualifiée d'irrégulière au sens de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique ;

Par un mémoire enregistré le 13 décembre 2023, à 9h15, dûment communiqué, la société Sixense Engineering conclut aux mêmes fins que son mémoire en défense et par les mêmes moyens ;

Vu :

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné M. Vaquero, premier conseiller pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du mercredi 13 décembre 2023 à 10h00, ont été entendus, en présence de Mme Gioffré, greffière :

- le rapport de M. Vaquero, juge des référés ;

- les observations de Me Fayat, représentant la SAS Infraneo, qui développe les moyens exposés dans les écritures de cette société ; elle ajoute qu'elle n'a toujours pas obtenu communication de l'intégralité des motifs de rejet de son offre ; si la société Sixense Engineering fait valoir que son offre était irrégulière, ce moyen est inopérant et en tout état de cause, l'annexe 5 qu'elle a produit correspond à l'exigence de note technique ; la formulation des deux sous-critères techniques dans le règlement de consultation ne saurait valider l'interprétation et l'application qu'en a fait Bordeaux Métropole ; cette application caractérise une rupture d'égalité de traitement entre les candidats ; il ne saurait y avoir, contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, de " critères implicites " ;

- les observations de Me Michaud, substituant Me Cabanes, pour Bordeaux Métropole, qui reprend les moyens invoqués en défense ; il ajoute que le pouvoir adjudicateur n'a aucune obligation de communiquer le rapport d'analyse des offres, qui reste couvert par le secret des affaires ; sur le sous-critère 2.1, la production des CV et qualification/expériences des sous-traitants n'était pas obligatoire, mais a pu faire la différence au moment de comparer les offres ; le sous-critère 2.2 devait faire apparaître la méthodologie particulière au regard de la spécificité des ouvrages et des conditions d'exécution de la mission ;

- les observations de Me Bonnet-Cerisier, substituant Me Claudon, pour la SAS Sixense Engineering, qui reprend les moyens invoqués en défense ; elle ajoute qu'elle n'avait pas à produire elle-même dans le cadre du débat contentieux l'intégralité de son mémoire technique ; l'offre de la société Infraneo ne comportait pas de mémoire technique exposant de manière suffisante la méthodologie appliquée au 16 chapitres du BPU ;

La parole a été donnée en dernier lieu aux défendeurs et la clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience, à 12h00.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 30 juillet 2023, Bordeaux Métropole a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un accord-cadre portant sur des prestations d'auscultation sur les ouvrages d'art de Bordeaux Métropole. La date limite de remise des offres était fixée au 18 septembre 2023. La société Infraneo, pour le groupement Infraneo-Corrosia d'une part, et la SAS Sixense Engineering d'autre part, ont présenté une offre dans le délai imparti. Par lettre du 15 novembre 2023, Bordeaux Métropole a notifié à la société Infraneo le rejet de son offre en lui indiquant que celle-ci avait été classée en deuxième position, avec une note globale de 84/100, contre une note de 88/100 pour la société attributaire, Sixense Engineering, ainsi placée en première position. La société Infraneo demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler cette décision rejetant son offre et d'annuler ainsi la procédure de passation du marché correspondant.

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique (). / () Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

4. L'article 7.2 du règlement de consultation fixe les critères retenus par le pouvoir adjudicateur pour le jugement des offres, ainsi que leur pondération. Il en résulte que les offres sont jugées selon deux critères : leur prix et leur valeur technique. Le prix des prestations est jugé sur 40 points. La valeur technique est notée à concurrence de 60 points sur 100. Elle est appréciée suivant un sous-critère 2.1, noté sur 20 points, s'agissant de la qualité des moyens humains mis à disposition pour réaliser les prestations objet du marché. Ces moyens sont évalués sur la base de la partie 1 du mémoire justificatif que le candidat doit produire en vertu de l'article 5.1 du règlement de consultation pour justifier des " dispositions qu'[il] se propose d'adopter pour l'exécution du contrat ". Elle est également appréciée suivant un sous-critère 2.2 relatif à la qualité et la pertinence de la méthodologie mise en place pour réaliser les prestations objet du marché, évaluées sur la base de la partie 2 du même mémoire justificatif.

5. Il résulte du courrier de notification du 15 novembre 2023 que le groupement Infraneo-Corrosia a obtenu une note pondérée de 40 au titre du prix des prestations, contre 28 pour la société Sixense Engineering, une note pondérée de 44 au titre de la valeur technique, dont 16 pour la sous-critère 2.1 et 28 pour le sous-critère 2.2, contre une note pondérée totale de 60 points pour la société Sixense Engineering, dont 20 au titre du sous-critère 2.1 et 40 au titre du sous-critère 2.2. Il est ainsi constant que la société requérante a recueilli une note globale pondérée de 84 points contre 88 points pour la société Sixense Engineering.

En ce qui concerne la régularité de l'offre de la société Infraneo :

6. Aux termes de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Il résulte de ces dispositions que l'acheteur doit éliminer les offres qui ne respectent pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, sauf, le cas échéant, s'il a autorisé leur régularisation.

7. Un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu'il dénonce. Il en va ainsi alors même que son offre a été analysée, notée et classée par le pouvoir adjudicateur.

8. Il résulte de l'article 5.1 du règlement de consultation que chaque candidat devait produire un mémoire justificatif d'une longueur recommandée de 30 pages, présenté en deux parties, dont la deuxième décrit la méthodologie/mode opératoire/technique utilisée par le candidat pour chaque type de support faisant l'objet d'un chapitre au BPU. Le bordereau des prix unitaires (BPU) fait référence à 16 chapitres surlignées en jaune. Le règlement de consultation n'impose en revanche aucun formalise particulier pour la présentation du mémoire justificatif.

9. Il résulte de l'instruction que la société Infraneo a déposé une offre qui contenait un mémoire justificatif synthétisant les informations requises par le pouvoir adjudicateur en une trentaine de pages, conformément à la recommandation du règlement de consultation. Ce mémoire justificatif, dans sa partie 2, renvoie à plusieurs annexes, dont une annexe 5 intitulée " Méthodologie, mode opératoire et technique proposés pour chaque type de prestation ". Cette méthodologie, présentée sous forme de tableau, décrit, pour chaque type de prestation listé au BPU, le numéro du prix du BPU, son intitulé, son objectif et les " références techniques et modes opératoires associés ". Il ne résulte pas de l'instruction que l'exposé de cette méthodologie, au demeurant conforme aux normes techniques applicables, serait insuffisante ou incomplète. Il est d'ailleurs constant que Bordeaux Métropole n'a ni déclaré irrégulière l'offre de la société Infraneo, ni opposé dans le cadre de la présente instance une telle irrégularité.

10. Il résulte de ce qui précède que la société Sixense Engineering n'est pas fondée à opposer le caractère irrégulier de l'offre de la société requérante.

En ce qui concerne les motifs de la décision de rejet et du choix de la société attributaire :

11. Aux termes de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1 ". Aux termes de l'article R. 2181-4 du même code :" A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ". En vertu de ces dispositions, le pouvoir adjudicateur, dès qu'il a choisi une offre dans le cadre d'une procédure formalisée, doit notifier aux autres candidats le rejet de leur offre ainsi que le nom de l'attributaire, en indiquant les motifs de son choix. Le pouvoir adjudicateur doit en outre, sur demande d'un candidat dont l'offre a été écartée alors qu'elle n'est ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, " () lui communiquer les caractéristiques et les avantages relatifs de l'offre retenue () ".

12. Il résulte de l'instruction que dans son courrier de rejet de son offre du 15 novembre 2023, Bordeaux Métropole a communiqué à la société requérante, le nom de l'attributaire pressenti - en l'espèce, la société Sixense Engineering -, le montant pour lequel le marché a été conclu, ainsi que les notes attribuées aux candidats pour l'ensemble des critères et sous-critères de sélection tels que prévus par le règlement de consultation. Bordeaux Métropole a en outre communiqué les explications littérales qui ont justifié la dégradation de la note de la requérante pour les sous-critères techniques concernés et justifié le choix de l'offre de la société concurrente. Par suite, Bordeaux Métropole doit être regardé comme ayant satisfait à l'obligation de communication des motifs de rejet de l'offre et des caractéristiques et avantages de l'offre de la société attributaire.

En ce qui concerne les manquements au principe d'égalité de traitement entre les candidats :

13. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, l'information appropriée des candidats doit alors porter également sur les conditions de mise en œuvre de ces critères. Il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché et les conditions de leur mise en œuvre selon les modalités appropriées à l'objet, aux caractéristiques et au montant du marché concerné.

S'agissant du sous-critère 2.1 relatif à la qualité des moyens humains mis à disposition pour réaliser les prestations objet du marché :

14. Aux termes de l'article 5.1 du règlement de consultation, le mémoire doit décrire au titre des " Pièces de l'offre " : " () Partie 1 : les moyens humains que le candidat entend mettre en œuvre pour la réalisation des prestations de l'accord-cadre, avec le nombre de personnes mises à disposition pour réaliser les prestations, leurs qualifications, leurs expériences et leurs C.V. ". L'article 5.1 stipule ensuite que " L'offre, qu'elle soit présentée par une seule entreprise ou par un groupement, devra indiquer tous les sous-traitants connus lors de son dépôt. Elle devra également indiquer les prestations dont la sous-traitance est envisagée, la dénomination et la qualité des sous-traitants. ".

15. Au titre du sous-critère 2.1 relatif à la qualité des moyens humains, Bordeaux Métropole a estimé, pour dégrader la note pondérée correspondante auquel le groupement Infraneo-Corrosia n'a obtenu que 8/10, que " les CV et qualifications des sous-traitants ne sont pas fournis, ce qui ne permet pas d'évaluer pleinement le dimensionnement des moyens humains ".

16. Il résulte des stipulations précitées de l'article 5.1, qui ne sauraient être confondues, qu'en dehors de toute précision complémentaire dans la rédaction du sous-critère 2.1, la rédaction " les moyens humains que le candidat entend mettre en œuvre pour la réalisation des prestations de l'accord-cadre " ne peut s'entendre que pour les intervenants mis à disposition par la société ou le groupement candidat lui-même. En affirmant dans son mémoire en défense que " à aucun moment il n'était indiqué aux soumissionnaires que la qualité des moyens humains serait appréciée au regard des seuls moyens appartenant au candidat ", Bordeaux Métropole introduit un élément d'incertitude sur la portée des stipulations de l'article 5.1, corroboré au demeurant par ses déclarations à l'audience selon lesquelles la production des CV et qualification des prestataires et sous-traitants n'était pas obligatoire mais a été valorisée. Il s'en déduit qu'en ne précisant pas formellement cette exigence dans la formulation du sous-critère 2.1, le pouvoir adjudicateur n'a pas placé les candidats dans une situation d'égalité.

17. Il résulte de ce qui précède que Bordeaux Métropole, en sanctionnant l'absence de CV et qualifications des sous-traitants pressentis par la société requérante et en dégradant sa note au titre du sous-critère 2.1 pour ce motif a introduit une discrimination sans rapport avec l'objet du marché et porté ainsi atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats.

S'agissant du sous-critère 2.2 relatif à la qualité et la pertinence de la méthodologie :

18. Aux termes de l'article 7.2 du règlement de consultation relatif à l'attribution des accords-cadres, l'offre est jugée au regard du sous-critère " 2.2 - Qualité et pertinence de la méthodologie mise en place pour réaliser les prestations objet de l'accord-cadre et pour chaque type de support faisant l'objet d'un chapitre au BPU (surligné en jaune au BPU) (partie 2 du mémoire) ". Aux termes de l'article 5.1 du règlement de consultation, le mémoire doit comporter dans la " Partie 2 : une note décrivant la méthodologie ou le mode opératoire et la technique utilisée par le candidat pour chaque type de support faisant l'objet d'un chapitre au BPU (surligné en jaune au BPU) et plus particulièrement au regard des points suivants : - La prévention des risques et accidents du travail sur les chantiers et/ou lieux de prélèvement (la Certification ISO 45001 ou équivalent (santé, sécurité au travail) serait appréciée mais non exigée) ; - La limitation des nuisances sur les lieux d'intervention et/ou de prélèvement ".

19. Au titre du sous-critère 2.2 relatif à la méthodologie appliquée, Bordeaux Métropole a dégradé la note pondérée correspondante auquel le groupement Infraneo-Corrosia n'a obtenu que 7/10 au motif que " La prévention des risques et accidents du travail sur les chantiers et/ou les lieux de prélèvement est présentée de manière générique, sans détail des risques spécifiques liés aux conditions de réalisation des missions du marché sur le territoire métropolitain ", suivant l'extrait du rapport d'analyse des offres produit par Bordeaux Métropole et reprenant les termes du courrier du 15 novembre 2023.

20. Il résulte de l'instruction que dans son mémoire en défense comme à l'audience, Bordeaux Métropole se borne à invoquer à titre d'exemples attendus des " propositions spécifiques concernant les interventions au-dessus de la Garonne, les interventions dans des conditions de circulation denses, etc. qui sont des spécificités du territoire bordelais ". A supposer que ces spécificités soient propres au territoire de la métropole bordelaise, elles ne peuvent se déduire de manière claire et certaine de la rédaction des articles 5.1 et 7.2 du règlement de consultation. En toute hypothèse, le groupement Infraneo-Corrosia a développé dans son mémoire technique les mesures proposées pour prévenir les risques et accidents du travail, qui prennent en compte à la fois la spécificité des prestations objet du marché et les spécificités du territoire, notamment les mesures de protection mises en œuvre pour la réalisation des travaux en hauteur, au-dessus des cours d'eau, sous circulation routière et sur des voies SNCF et navigables.

21. Il résulte de ce qui précède que Bordeaux Métropole, en introduisant une condition liée aux spécificités territoriales pour l'appréciation de l'offre de la société requérante au titre du sous-critère 2.2 et en dégradant la note pondérée correspondante pour ce motif, a introduit une discrimination entre les candidats sans rapport avec l'objet du marché et a porté ainsi atteinte à l'égalité de traitement entre ces derniers.

22. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il besoin d'ordonner à Bordeaux Métropole la communication du rapport complet d'analyse des offres, il y a lieu de sanctionner les deux sous-critères entachés d'incertitudes, qui sont constitutifs de manquements aux obligations de publicité et de mise en concurrence et qui caractérisent une rupture dans l'égalité de traitement entre les candidats de la part du pouvoir adjudicateur. Eu égard au très faible écart de points qui sépare le classement de l'offre du groupement Infraneo-Corrosia de celui de la société attributaire sur le sous-critère 2, la société Infraneo apparaît fondée à demander l'annulation de la décision du 15 novembre 2023 par laquelle Bordeaux Métropole a rejeté son offre et attribué l'accord-cadre à la société Sixense Engineering. Cette irrégularité affecte l'ensemble de la procédure. Il y a lieu, dès lors, d'annuler la procédure de passation du marché relatif à l'attribution d'un accord-cadre portant sur des prestations d'auscultation sur les ouvrages d'art de Bordeaux Métropole, et d'enjoindre à Bordeaux Métropole, si l'établissement public entend conclure le marché, de reprendre la procédure au stade de l'examen des offres, en réexaminant celle du groupement Infraneo-Corrosia.

Sur les conclusions relatives aux frais de l'instance :

23. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Bordeaux Métropole une somme de 1 500 euros à verser à la société Infraneo, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de Bordeaux Métropole et de la SARL Sixense Engineering présentées sur même fondement et dirigées contre la société requérante qui n'est pas, dans la présente instance de référé, la partie perdante.

ORDONNE :

Article 1er : La décision de Bordeaux Métropole en date du 15 novembre 2023 est annulée.

Article 2 : La procédure de passation du marché engagée par Bordeaux Métropole en vue de l'attribution d'un accord-cadre portant sur des prestations d'auscultation sur les ouvrages d'art de Bordeaux Métropole est annulée.

Article 3 : Il est enjoint à Bordeaux Métropole, si l'établissement public entend poursuivre son appel d'offre, de reprendre la procédure au stade de la consultation des offres réceptionnées en tenant compte des motifs de la présente ordonnance.

Article 4 : Bordeaux Métropole versera à la SAS Infraneo une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la SAS Infraneo ainsi que les conclusions de Bordeaux Métropole et de la SARL Sixense Engineering tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Infraneo, à Bordeaux Métropole et à la SARL Sixense Engineering.

Fait à Bordeaux, le 15 décembre 2023.

Le juge des référés,

M. Vaquero La greffière,

C. Gioffré

La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

N°2306479