TA de de Rouen, 10 novembre 2023, n° 2202246

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

I/ Par une requête enregistrée le 1er juin 2022, sous le n° 2202244, et des mémoires enregistrés le 26 septembre 2022 et le 21 avril 2023, la société General Metal Edition (GME), représentée par Me Guillaud, demande au tribunal :

1°) de condamner la métropole Rouen Normandie à lui verser la somme de 98 609 euros au titre de son préjudice financier subi du fait de son éviction irrégulière du lot n° 1 du marché de travaux de déconstruction et de réemploi des ressources de l'équipement " panorama XXL " situé à Rouen, et la somme de 1 euro au titre de son préjudice moral ;

2°) de mettre à la charge de la métropole Rouen Normandie la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société GME soutient que :

- sa requête est recevable dès lors qu'elle tend à mettre en jeu la responsabilité de la métropole Rouen Normandie et qu'elle a été introduite dans un délai de deux mois à compter de la date de rejet de sa réclamation indemnitaire préalable ;

- l'attributaire du marché, la société Eiffage Démolition, a présenté une offre irrégulière, car anormalement basse, au sens de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique, ce qui justifiait la mise en œuvre de la procédure de détection de l'offre anormalement basse prévue à l'article L. 2152-6 du même code ; le caractère anormalement bas de l'offre retenue est avéré compte-tenu, d'une part, de l'écart de prix entre cette offre et l'offre irrégulièrement évincée (188 304 euros / 708 000 euros), et, d'autre part, de l'écart de prix entre cette même offre et l'estimation de la valeur du lot par la maîtrise d'œuvre (382 000 euros) ;

- cette offre anormalement basse a compromis la bonne exécution du marché, au sens de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique, dès lors que la société Eiffage Démolition n'a pas procédé à des travaux de dépose et de déconstruction, ainsi que le prévoyait le CCTP, mais à des travaux de démolition, ce qui n'a pas permis d'atteindre les objectifs de réemploi prévus par le marché, et alors qu'elle avait indiqué la prochaine sous-traitance de cette opération, en mentionnant d'ailleurs la société GME ;

- en retenant l'offre de la société Eiffage Démolition, le choix de la métropole Rouen Normandie s'est porté sur le critère du prix (l'offre la moins-disante) au détriment de la bonne exécution du marché (offre la mieux-disante) ;

- alors que le point 2.3 du règlement de la consultation n'a autorisé aucune variante, ainsi que le permettent, par exception, les dispositions du 2° de l'article R. 2151-8 du code de la commande publique, l'attributaire du marché a procédé à une modification financière, consistant en un transfert à la maîtrise d'ouvrage des bénéfices liés à la revalorisation des ressources et au réemploi des équipements, qui a conduit à une modification de la structure du prix, et a ainsi présenté une offre variante, ce qui entache la procédure d'attribution d'une irrégularité ; il ne s'agit pas, contrairement à ce que fait valoir la métropole, de simples précisions sur les moyens techniques mis en œuvre ; la mention relative au transfert des bénéfices ne faisait pas partie des éléments exigés par le règlement de la consultation et l'annexe à l'acte d'engagement, mais est apparue dans le seul rapport d'analyse des offres ;

- la métropole Rouen Normandie a méconnu le principe d'égalité de traitements des candidats en sollicitant, par courrier du 13 juillet 2021, la société Eiffage Démolition afin qu'elle apporte des renseignements complémentaires s'agissant de la teneur de son offre en raison de l'omission de certaines lignes de la DPGF, ce qui n'a pas été le cas pour les deux autres candidats écartés ;

- elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le marché, d'autant plus qu'elle disposait des compétences techniques requises pour l'exécuter puisque le réemploi et la déconstruction sélective constitue son cœur de métier, et qu'elle avait d'ailleurs proposé une déconstruction manuelle de la charpente en lieu et place de la déconstruction mécanique proposée par l'attributaire, qui aurait permis de satisfaire le besoin exprimé par la métropole Rouen Normandie, mais que celle-ci n'a pas privilégié en choisissant l'offre financièrement plus compétitive, ainsi qu'il ressort du rapport d'analyse des offres ; elle doit, ainsi, être indemnisée de son manque à gagner, qui correspond au bénéfice net que lui aurait procuré le marché.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 juillet 2022 et le 27 mars 2023, la métropole Rouen Normandie, représentée par son président, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et, à titre subsidiaire, à ce que le préjudice indemnisable de la société GME soit limité aux frais de présentation de son offre.

La métropole Rouen Normandie soutient que :

- la requête est tardive dès lors que la société requérante n'a pas contesté l'irrégularité du marché dans le délai de deux mois à compter de son attribution, en méconnaissance de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, et que seule une demande indemnitaire préalable a été réceptionnée par la métropole le 10 février 2022 ;

- la société GME ne démontre pas en quoi l'offre de l'attributaire était anormalement basse ;

- la société requérante ne peut utilement se prévaloir des conditions d'exécution du marché pour démontrer que le prix proposé par la société Eiffage Démolition était manifestement sous-évalué, dès lors que cette condition s'apprécie à la date de l'examen des offres ;

- la société Eiffage Démolition n'a pas présenté une variante mais a simplement présenté, dans l'annexe 2 de l'acte d'engagement, les conditions du réemploi et de la réutilisation de chaque ressource, ainsi que les filières associées ; cette précision faisait partie des éléments exigés par le règlement de la consultation et l'annexe à l'acte d'engagement ;

- la société GME ne démontre pas le lien entre une supposée irrégularité et un préjudice ;

- elle n'avait pas de chances sérieuses de remporter le marché, dès lors que son offre, de 708 000 euros, était nettement supérieure aux crédits budgétaires affectés à l'opération, d'un montant de 382 000 euros ; si l'offre de la société requérante avait été la seule, la consultation aurait sans doute été déclarée sans suite pour un motif d'intérêt général ; de plus, la requérante ne démontre pas en quoi elle aurait été à compétences au moins égales ou supérieures à celles de la société attributaire.

- à titre subsidiaire, l'indemnisation de la requérante doit être limitée aux frais de présentation de son offre, qui doivent être justifiés, en considérant qu'elle n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché.

II/ Par une requête enregistrée le 1er juin 2022, sous le n° 2202245, et des mémoires enregistrés le 26 septembre 2022 et le 21 avril 2023, la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Doyere, représentée par Me Guillaud, demande au tribunal :

1°) de condamner la métropole Rouen Normandie à lui verser la somme de 18 400 euros au titre des préjudices financiers et moraux subis du fait de son éviction irrégulière du lot n° 1 du marché de travaux de déconstruction et de réemploi des ressources de l'équipement " panorama XXL " situé à Rouen ;

2°) de mettre à la charge de la métropole Rouen Normandie la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SASU Doyere soutient que :

- sa requête est recevable dès lors qu'elle tend à mettre en jeu la responsabilité de la métropole Rouen Normandie et qu'elle a été introduire dans un délai de deux mois à compter de la date de rejet de sa réclamation indemnitaire préalable ;

- l'attributaire du marché, la société Eiffage Démolition, a présenté une offre irrégulière, car anormalement basse, au sens de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique, ce qui justifiait la mise en œuvre de la procédure de détection de l'offre anormalement basse prévue à l'article L. 2152-6 du même code ; le caractère anormalement bas de l'offre retenue est avéré compte-tenu, d'une part, de l'écart de prix entre cette offre et l'offre irrégulièrement évincée (188 304 euros / 708 000 euros), et, d'autre part, de l'écart de prix entre cette même offre et l'estimation de la valeur du lot par la maîtrise d'œuvre (382 000 euros) ;

- cette offre anormalement basse a compromis la bonne exécution du marché, au sens de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique, dès lors que la société Eiffage Démolition n'a pas procédé à des travaux de dépose et de déconstruction, ainsi que le prévoyait le CCTP, mais à des travaux de démolition, ce qui n'a pas permis d'atteindre les objectifs de réemploi prévus par le marché, et alors qu'elle avait indiqué la prochaine sous-traitance de cette opération, en mentionnant d'ailleurs la société GME ;

- en retenant l'offre de la société Eiffage Démolition, le choix de la métropole Rouen Normandie s'est porté sur le critère du prix (l'offre la moins-disante) au détriment de la bonne exécution du marché (offre la mieux-disante) ;

- alors que le point 2.3 du règlement de la consultation n'a autorisé aucune variante, ainsi que le permettent, par exception, les dispositions du 2° de l'article R. 2151-8 du code de la commande publique, l'attributaire du marché a procédé à une modification financière, consistant en un transfert à la maîtrise d'ouvrage des bénéfices liés à la revalorisation des ressources et au réemploi des équipements, qui a conduit à une modification de la structure du prix, et a ainsi présenté une offre variante, ce qui entache la procédure d'attribution d'une irrégularité ; il ne s'agit pas, contrairement à ce que fait valoir la métropole, de simples précisions sur les moyens techniques mis en œuvre ; la mention relative au transfert des bénéfices ne faisait pas partie des éléments exigés par le règlement de la consultation et l'annexe à l'acte d'engament, mais est apparue dans le seul rapport d'analyse des offres ;

- la métropole Rouen Normandie a méconnu le principe d'égalité de traitements des candidats en sollicitant, par courrier du 13 juillet 2021, la société Eiffage Démolition afin qu'elle apporte des renseignements complémentaires s'agissant de la teneur de son offre en raison de l'omission de certaines lignes de la DPGF, ce qui n'a pas été le cas pour les deux autres candidats écartés ;

- elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le marché, d'autant plus qu'elle disposait des compétences techniques requises pour l'exécuter puisque le réemploi et la déconstruction sélective constitue son cœur de métier, et qu'elle avait d'ailleurs proposé une déconstruction manuelle de la charpente en lieu et place de la déconstruction mécanique proposée par l'attributaire, qui aurait permis de satisfaire le besoin exprimé par la métropole Rouen Normandie, mais que celle-ci n'a pas privilégier en choisissant l'offre financièrement plus compétitive par rapport à la démolition manuelle, ainsi qu'il ressort du rapport d'analyse des offres ; elle doit, ainsi, être indemnisée de son manque à gagner, qui correspond au bénéfice net que lui aurait procuré le marché.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 juillet 2022 et le 27 mars 2023, la métropole Rouen Normandie, représentée par son président, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et, à titre subsidiaire, à ce que le préjudice indemnisable de la SASU Doyere soit limité aux frais de présentation de son offre.

La métropole Rouen Normandie soutient que :

- la requête est tardive dès lors que la société requérante n'a pas contesté l'irrégularité du marché dans le délai de deux mois à compter de son attribution, en méconnaissance de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, et que seule une demande indemnitaire préalable a été réceptionnée par la métropole le 10 février 2022 ;

- la société Doyere ne démontre pas en quoi l'offre de l'attributaire était anormalement basse ;

- la société requérante ne peut utilement se prévaloir des conditions d'exécution du marché pour démontrer que le prix proposé par la société Eiffage Démolition était manifestement sous-évalué, dès lors que cette condition s'apprécie à la date de l'examen des offres ;

- la société Eiffage Démolition n'a pas présenté une variante mais a simplement présenté, dans l'annexe 2 de l'acte d'engagement, les conditions du réemploi et de la réutilisation de chaque ressource, ainsi que les filières associées ; cette précision faisait partie des éléments exigés par le règlement de la consultation et l'annexe à l'acte d'engament ;

- la société Doyere ne démontre pas le lien entre une supposée irrégularité et un préjudice ;

- elle n'avait pas de chances sérieuses de remporter le marché, dès lors que son offre, de 708 000 euros, était nettement supérieure aux crédits budgétaires affectés à l'opération, d'un montant de 382 000 euros ; si l'offre de la société requérante avait été la seule, la consultation aurait sans doute été déclarée sans suite pour un motif d'intérêt général ; de plus, la requérante ne démontre pas en quoi elle aurait été à compétences au moins égales ou supérieures à celles de la société attributaire.

- à titre subsidiaire, l'indemnisation de la requérante doit être limitée aux frais de présentation de son offre, qui doivent être justifiés, en considérant qu'elle n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché.

III/ Par une requête enregistrée le 1er juin 2022, sous le n° 2202246, et des mémoires enregistrés le 26 septembre 2022 et le 21 avril 2023, la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Doyere, agissant en tant que mandataire du groupement GME-Doyere-Remix, et représentée par Me Guillaud, demande au tribunal :

1°) de condamner la métropole Rouen Normandie à lui verser la somme de 117 009 euros au titre de son préjudice financier subi du fait de son éviction irrégulière du lot n° 1 du marché de travaux de déconstruction et de réemploi des ressources de l'équipement " panorama XXL " situé à Rouen, et la somme de 1 euro au titre de son préjudice moral ;

2°) de mettre à la charge de la métropole Rouen Normandie la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SASU Doyere soutient que :

- sa requête est recevable dès lors qu'elle tend à mettre en jeu la responsabilité de la métropole Rouen Normandie et qu'elle a été introduire dans un délai de deux mois à compter de la date de rejet de sa réclamation indemnitaire préalable ;

- l'attributaire du marché, la société Eiffage Démolition, a présenté une offre irrégulière, car anormalement basse, au sens de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique, ce qui justifiait la mise en œuvre de la procédure de détection de l'offre anormalement basse prévue à l'article L. 2152-6 du même code ; le caractère anormalement bas de l'offre retenue est avéré compte-tenu, d'une part, de l'écart de prix entre cette offre et l'offre irrégulièrement évincée (188 304 euros / 708 000 euros), et, d'autre part, de l'écart de prix entre cette même offre et l'estimation de la valeur du lot par la maîtrise d'œuvre (382 000 euros) ;

- cette offre anormalement basse a compromis la bonne exécution du marché, au sens de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique, dès lors que la société Eiffage Démolition n'a pas procédé à des travaux de dépose et de déconstruction, ainsi que le prévoyait le CCTP, mais à des travaux de démolition, ce qui n'a pas permis d'atteindre les objectifs de réemploi prévus par le marché, et alors qu'elle avait indiqué la prochaine sous-traitance de cette opération, en mentionnant d'ailleurs la société GME ;

- en retenant l'offre de la société Eiffage Démolition, le choix de la métropole Rouen Normandie s'est porté sur le critère du prix (l'offre la moins-disante) au détriment de la bonne exécution du marché (offre la mieux-disante) ;

- alors que le point 2.3 du règlement de la consultation n'a autorisé aucune variante, ainsi que le permettent, par exception, les dispositions du 2° de l'article R. 2151-8 du code de la commande publique, l'attributaire du marché a procédé à une modification financière, consistant en un transfert à la maîtrise d'ouvrage des bénéfices liés à la revalorisation des ressources et au réemploi des équipements, qui a conduit à une modification de la structure du prix, et a ainsi présenté une offre variante, ce qui entache la procédure d'attribution d'une irrégularité ; il ne s'agit pas, contrairement à ce que fait valoir la métropole, de simples précisions sur les moyens techniques mis en œuvre ; la mention relative au transfert des bénéfices ne faisait pas partie des éléments exigés par le règlement de la consultation et l'annexe à l'acte d'engament, mais est apparue dans le seul rapport d'analyse des offres ;

- la métropole Rouen Normandie a méconnu le principe d'égalité de traitements des candidats en sollicitant, par courrier du 13 juillet 2021, la société Eiffage Démolition afin qu'elle apporte des renseignements complémentaires s'agissant de la teneur de son offre en raison de l'omission de certaines lignes de la DPGF, ce qui n'a pas été le cas pour les deux autres candidats écartés ;

- elle disposait d'une chance sérieuse de remporter le marché, d'autant plus qu'elle disposait des compétences techniques requises pour l'exécuter puisque le réemploi et la déconstruction sélective constitue son cœur de métier, et qu'elle avait d'ailleurs proposé une déconstruction manuelle de la charpente en lieu et place de la déconstruction mécanique proposée par l'attributaire, qui aurait permis de satisfaire le besoin exprimé par la métropole Rouen Normandie, mais que celle-ci n'a pas privilégier en choisissant l'offre financièrement plus compétitive par rapport à la démolition manuelle, ainsi qu'il ressort du rapport d'analyse des offres ; elle doit, ainsi, être indemnisée de son manque à gagner, qui correspond au bénéfice net que lui aurait procuré le marché.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 28 juillet 2022 et le 27 mars 2023, la métropole Rouen Normandie, représentée par son président, conclut, à titre principal, au rejet de la requête, et, à titre subsidiaire, à ce que le préjudice indemnisable de la SASU Doyere soit limité aux frais de présentation de son offre.

La métropole Rouen Normandie soutient que :

- la requête est tardive dès lors que la société requérante n'a pas contesté l'irrégularité du marché dans le délai de deux mois à compter de son attribution, en méconnaissance de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, et que seule une demande indemnitaire préalable a été réceptionnée par la métropole le 10 février 2022 ;

- la SASU Doyere, agissant en qualité de mandataire du groupement, ne dispose pas d'un intérêt à agir, dès lors que l'un des membres de ce groupement, la société Remix, n'a pas présenté de requête distincte ;

- la société Doyere ne démontre pas en quoi l'offre de l'attributaire était anormalement basse ;

- la société requérante ne peut utilement se prévaloir des conditions d'exécution du marché pour démontrer que le prix proposé par la société Eiffage Démolition était manifestement sous-évalué, dès lors que cette condition s'apprécie à la date de l'examen des offres ;

- la société Eiffage Démolition n'a pas présenté une variante mais a simplement présenté, dans l'annexe 2 de l'acte d'engagement, les conditions du réemploi et de la réutilisation de chaque ressource, ainsi que les filières associées ; cette précision faisait partie des éléments exigés par le règlement de la consultation et l'annexe à l'acte d'engagement ;

- la société Doyere ne démontre pas le lien entre une supposée irrégularité et un préjudice ;

- elle n'avait pas de chances sérieuses de remporter le marché, dès lors que son offre, de 708 000 euros, était nettement supérieure aux crédits budgétaires affectés à l'opération, d'un montant de 382 000 euros ; si l'offre de la société requérante avait été la seule, la consultation aurait sans doute été déclarée sans suite pour un motif d'intérêt général ; de plus, la requérante ne démontre pas en quoi elle aurait été à compétences au moins égales ou supérieures à celles de la société attributaire.

- à titre subsidiaire, l'indemnisation de la requérante doit être limitée aux frais de présentation de son offre, qui doivent être justifiés, en considérant qu'elle n'était pas dépourvue de toute chance de remporter le marché.

Par des ordonnances du 3 mai 2023, les clôtures d'instruction ont été fixées au 30 mai 2023 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Armand,

- les conclusions de Mme Delacour, rapporteur public,

- et les observations de Me Nectoux, représentant les sociétés GME et Doyere, et de Mme A, représentant la métropole Rouen Normandie.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 3 juin 2021, la métropole Rouen Normandie a lancé une procédure de passation d'un marché selon la procédure adaptée prévue à l'article L. 2123-1 du code de la commande publique, et portant sur des travaux de déconstruction et de réemploi des ressources de l'équipement culturel " Panorama XXL " situé à Rouen. Ce marché comportait un lot n° 1 " Rotonde et infrastructures ", pour lequel quatre entreprises se sont portées candidates. Après avoir analysé les offres, le marché relatif à ce lot a été attribué à la société Eiffage Démolition, classée au premier rang avec une note de 8,33/10, le groupement composé des entreprises General Metal Edition (GME), Doyere et Remix étant classé en seconde position avec une note de 4,59/10, tandis que les deux autres offres ont été déclarées irrégulières. Estimant avoir été illégalement évincées de ce contrat, les sociétés GME et Doyere ont, par un courrier du 9 février 2022, présenté une réclamation indemnitaire préalable auprès de la métropole Rouen Normandie, tendant à la réparation des préjudices occasionnés par cette éviction. Cette réclamation ayant été rejetée le 8 avril 2022, les sociétés GME et Doyere, cette dernière agissant quant à elle en son nom propre et en tant que mandataire du groupement GME-Doyere-Remix, demandent au tribunal, par des requêtes enregistrées sous les n° 2202244, 2202245 et 2202246, qu'il y a lieu de joindre dès lors qu'elles présentent à trancher des questions similaires et opposent les candidats évincés d'un même marché, de condamner la métropole Rouen Normandie à leur verser une somme totale de 117 010 euros.

Sur la contestation de la validité du contrat :

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les candidats :

2. Les sociétés requérantes soutiennent que la métropole Rouen Normandie a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats en sollicitant, par courrier du 13 juillet 2021, la société Eiffage Démolition afin qu'elle apporte des renseignements complémentaires s'agissant de la teneur de son offre en raison de l'omission de certaines lignes de la décomposition du prix global forfaitaire (DPGF), ce qui n'a pas été le cas pour les deux autres candidats écartés. Toutefois, il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'analyse des offres, que la société ATD, dont l'offre a été déclarée irrégulière, a été, tout comme la société Eiffage Démolition, interrogée le 13 juillet 2021, au même motif qu'elle avait fait une erreur d'addition dans sa DPGF et donc dans le rapport sur l'acte d'engagement, et que les deux entreprises ont confirmé le montant réel de leur offre le 15 juillet 2021. En outre, il ne résulte pas de l'instruction que l'offre présentée par la société NDDE aurait nécessité une telle demande de renseignements ou qu'elle aurait pu ne pas être écartée en présence d'une telle demande. Par suite, le moyen, en tout état de cause, doit être écarté.

En ce qui concerne la présentation d'une variante prohibée :

3. Aux termes de l'article R. 2151-8 du code de la commande publique : " Les acheteurs peuvent autoriser la présentation de variantes dans les conditions suivantes : () 2° Pour les marchés passés selon une procédure adaptée, les variantes sont autorisées sauf mention contraire dans les documents de la consultation ". Pour l'application de ces dispositions, constituent des " variantes " des modifications, faites à l'initiative des candidats, de spécifications prévues dans la solution de base décrite dans les documents de la consultation. Ne constituent en revanche pas des " variantes " des précisions que les candidats doivent apporter, en application du règlement de consultation, sur les moyens, notamment techniques, mis en œuvre pour exécuter le marché.

4. Le rapport d'analyse des offres (RAO) mentionne, s'agissant de l'offre présentée par la société Eiffage Démolition, que : " A la lecture du mémoire, l'entreprise Eiffage affiche clairement son réel intérêt pour l'opération de réemploi, ce qui explique le coût moindre par rapport à l'estimation MOE. L'entreprise met en avant l'enjeu commercial de cette opération au regard des stratégies décrites dans son mémoire technique. L'entreprise transfère à la maîtrise d'ouvrage les bénéfices liés à la revalorisation des ressources et du réemploi des équipements ".

5. Sur la base de ce rapport, les sociétés requérantes soutiennent, alors que le point 2.3 du règlement de la consultation n'autorise aucune variante, que l'attributaire du marché a procédé à une modification financière, consistant en un transfert à la maîtrise d'ouvrage des bénéfices liés à la revalorisation des ressources et au réemploi des équipements, qui a conduit à une modification de la structure du prix, et a ainsi présenté une offre variante, ce qui entache la procédure d'attribution d'irrégularité.

6. L'article 8.2 du règlement de la consultation, relatif à l'" attribution des marchés ", n'a cependant prévu, en son point 2., aucune règle de détermination du prix de la prestation, et s'est contenté d'indiquer que " le critère du prix sera appliqué de la façon suivante : prix des prestations au regard du montant en euros TTC figurant dans l'acte d'engagement ". Ainsi, en indiquant dans son offre que les bénéfices liés à la revalorisation des ressources et au réemploi des équipements seront transférés à la maîtrise d'ouvrage, la société Eiffage Démolition a précisé les conditions financières de son offre, en expliquant que le coût moindre de celle-ci par rapport à l'estimation faite par la maîtrise d'œuvre était lié à son intérêt pour l'opération de réemploi et à l'enjeu commercial de cette opération, sans pour autant modifier les spécifications prévues dans la solution de base décrite dans les documents de la consultation, lesquels ne contiennent aucune définition de la structure du prix. Elle n'a donc pas, contrairement à ce qui est soutenu, présenté une variante en méconnaissance des dispositions de l'article 2.3 du règlement de la consultation. Il s'ensuit que le moyen doit être écarté.

En ce qui concerne la présentation d'une offre anormalement basse :

7. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". En vertu de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre () ".

8. Le fait pour un pouvoir adjudicateur de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le caractère anormalement bas ou non d'une offre ne saurait résulter du seul constat d'un écart de prix important entre cette offre et d'autres offres que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier et il appartient notamment au juge du plein contentieux, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

9. Il résulte de l'instruction, en particulier du RAO, que la société Eiffage Démolition a présenté une offre qui s'élevait à la somme de 188 304 euros TTC, plus de deux fois inférieure à l'estimation de la valeur du lot par la maîtrise d'œuvre, chiffrée à 382 000 euros TTC, et presque quatre fois inférieure à l'offre présentée par le groupement GME-Doyere-Remix, de 708 000 euros TTC. Si pour justifier du faible montant de l'offre présentée par l'attributaire du marché, la métropole Rouen Normandie se prévaut de l'extrait précité du RAO, qui mentionne, pour rappel, que " l'entreprise Eiffage affiche clairement son réel intérêt pour l'opération de réemploi, ce qui explique le coût moindre par rapport à l'estimation MOE ", et que " l'entreprise met en avant l'enjeu commercial de cette opération au regard des stratégies décrites dans son mémoire technique ", il ressort de cet extrait que la société Eiffage Démolition a proposé, dans le même temps, de transférer " à la maîtrise d'ouvrage les bénéfices liés à la revalorisation des ressources et du réemploi des équipements ", réduisant ainsi d'autant la marge bénéficiaire qu'elle pouvait escompter réaliser grâce à l'attribution du marché litigieux. Dans ces conditions, le prix proposé par la société attributaire doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme ayant été manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. Par suite, en ne mettant pas en œuvre la procédure de détection de l'offre anormalement basse prévue par les dispositions précitées de l'article L. 2152-6 du code de la commande publique, la métropole Rouen Normandie a commis une erreur manifeste d'appréciation, qui a entaché d'une irrégularité la procédure d'attribution du marché.

Sur les conséquences de l'illégalité de la procédure de passation du contrat :

En ce qui concerne le préjudice financier :

10. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce contrat et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. En l'absence de toute chance, il n'a droit à aucune indemnité. Dans le cas contraire, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient en outre de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat conclu avec un autre candidat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre, lesquels n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique. En revanche, le candidat ne peut prétendre à une indemnisation de ce manque à gagner si la personne publique renonce à conclure le contrat pour un motif d'intérêt général.

11. Ainsi qu'il a été dit précédemment, le groupement GME-Doyere-Remix a présenté une offre d'un montant de 708 000 euros TTC, presque deux fois supérieure au chiffrage effectué par le maître d'œuvre, qui avait estimé la valeur du lot à 382 000 euros. Si l'offre présentée par la société Eiffage Démolition avait été écartée, le groupement GME-Doyere-Remix demeurant seul en lice, la métropole Rouen Normandie aurait conservé la possibilité de renoncer à la conclusion de ce contrat au motif, d'intérêt général, que son enveloppe financière ne lui permettait pas de procéder à cette conclusion. Dès lors, les sociétés requérantes ne peuvent être regardées comme ayant eu des chances sérieuses d'emporter le contrat qui a été conclu avec la société Eiffage Démolition, mais seulement comme n'étant pas dépourvues de toutes chances de remporter ce contrat.

12. En application des règles rappelées au point 10, les membres du groupement GME-Doyere-Remix ne peuvent prétendre qu'au remboursement des frais qu'ils ont engagés pour présenter leur offre. Il ne résulte toutefois pas de l'instruction qu'ils aient engagés de tels frais, dont l'indemnisation n'est au demeurant pas expressément demandée. Les conclusions présentées à ce titre doivent donc être rejetées.

En ce qui concerne le préjudice moral :

13. Le préjudice moral allégué n'étant pas établi, les conclusions tendant à sa réparation doivent être rejetées.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que les requêtes enregistrées sous les n° 2202244, 2202245 et 2202246 doivent être rejetées en toutes leurs conclusions, y compris, dès lors que la métropole Rouen Normandie n'est pas la partie perdante, celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les requêtes n° 2202244, 2202245 et 2202246 sont rejetées.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié à la société General Metal Edition, à la SASU Doyere agissant en son nom propre et en tant que mandataire du groupement GME-Doyere-Remix, ainsi qu'à la métropole Rouen Normandie.

Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Van Muylder, présidente,

- M. Armand, premier conseiller,

- M. Cotraud, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2023.

Le rapporteur,

G. ARMAND

La présidente,

C. VAN MUYLDERLe greffier,

J.-B. MIALON

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 2202244, 2202245, 2202246