TA de Dijon, 08 janvier 2024, n° 2303624


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et trois mémoires enregistrés les 15 décembre 2023, 2, 4 et 5 janvier 2024, la SARL Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes, représentée par Me Rothdiener, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) de mettre en œuvre ses pouvoirs d'instruction afin de solliciter auprès de la commune la communication du compte rendu de la commission MAPA, du rapport d'analyse des offres et de l'extrait de la note méthodologique de l'attributaire portant sur le planning et les délais ;

2°) de juger illégale la décision du 8 décembre 2023 par laquelle le maire de Ciry le Noble a décidé d'attribuer le marché de maîtrise d'œuvre portant sur la réhabilitation et extension d'un bâtiment communal en maison d'assistantes maternelles à l'atelier d'architecture Sénéchal-Auclair ;

3°) de prononcer l'attribution dudit marché à la SARL Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Ciry le Noble une somme de 21 562 euros au titre de son préjudice,

5°) de mettre à la charge de la commune de Ciry le Noble une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'atelier d'architecture Sénéchal-Auclair ayant été attributaire d'un marché d'assistance à maîtrise d'ouvrage par la commune pour ce projet, il ne pouvait remettre une offre pour la mission de maîtrise d'œuvre demandée, en méconnaissance des dispositions de l'article L 2422-4 du code de la commande publique ;

- les principes d'égalité de traitement des candidats, de liberté d'accès et de transparence de la procédure ont été méconnus puisque l'étude du marché de services d'assistance à maîtrise d'ouvrage avec l'étude de faisabilité de l'atelier d'architecture Sénéchal-Auclair n'ont pas été joints dans le dossier de consultation des candidats ; ce dernier a bénéficié d'informations que la SARL les ateliers Martin n'a pas eues pour sa réponse à la consultation d'appel à candidature de maîtrise d'œuvre ; le candidat retenu a bénéficié d'un demi-point sur des critères de respect des délais qui n'apparaissent pas dans le règlement de consultation ce qui constitue un sous critère non prévu ; il existe une erreur de fait et une dénaturation de l'offre de la requérante.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 janvier 2024, la commune de Ciry-le-Noble, représentée par la SCP Adaes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- in limine litis, la demande indemnitaire est irrecevable et mal fondée,

- à titre principal, rejeter l'ensemble des demandes aucun des moyens soulevés n'étant fondé,

- à titre subsidiaire, rejeter la demande d'annulation de la procédure et enjoindre la commune à reprendre la procédure seulement au stade de l'analyse des offres.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du Tribunal a désigné M. Bataillard, premier conseiller, en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 5 janvier 2024 à 10 heures.

Ont été entendus au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Lelong, greffier d'audience :

- le rapport de M. Bataillard, juge des référés ;

- les observations Me Rothdiener, représentant la SARL les ateliers Martin, qui reprend les développements et conclusions exposés dans ses écritures.

- les observations de Me Santana, représentant la commune de Ciry le Noble, qui reprend les développements et conclusions exposés dans ses écritures et ajoute que l'assistance à maîtrise d'ouvrage comporte des missions différentes mais portait en l'espèce uniquement sur l'étude de faisabilité et aucunement sur la conduite d'opérations ; cette étude comportait différents scénarios mais un seul a été retenu et porté à la connaissance de toutes les entreprises concurrentes ; il n'existait aucun sous-critère occulte à l'intérieur du critère " valeur technique de l'offre " dont le planning faisait évidemment partie ; il n'existe aucune dénaturation de l'offre et il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur le mérite des offres ;

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Une note en délibéré a été produite par la commune de Ciry le Noble le 8 janvier 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Ciry le Noble a lancé une consultation pour une mission de maîtrise d'œuvre selon une procédure adaptée en vue de la réhabilitation et l'extension d'un bâtiment communal en maison d'assistantes maternelles. La société Les Ateliers Martin Architectes a présenté une offre dans le cadre d'un groupement de maîtrise d'œuvre. Par un courrier du 8 décembre 2023, la commune a informé la société les ateliers Martin Architectes du rejet de son offre, classée en deuxième position, avec une note globale de 18,8/20 alors que l'entreprise retenue a obtenu une note de 19/20. Par un courrier du 14 décembre 2023, la société requérante a demandé le détail de la pondération des critères du règlement de la consultation concernant son offre et celle de l'attributaire. Par un courrier du 20 décembre 2023, la commune a apporté les précisions demandées sur la pondération des critères dans le cadre de l'analyse des offres. Par un courrier du 29 décembre 2023, la commune a apporté des précisions complémentaires sur les motifs ayant conduit au rejet de l'offre de la société requérante. Par la présente requête, la société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes conteste le rejet de sa candidature.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Dans son mémoire enregistré le 5 janvier 2024 la société requérante déclare renoncer à ses conclusions indemnitaires. Il n'y a donc pas lieu de statuer sur ces conclusions.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

3. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public./ Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ".

4. La société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes soutient que le candidat retenu aurait déjà travaillé sur le projet en amont de la procédure de passation, que cette circonstance le placerait en situation de " juge et partie " et constituerait une violation de la loi n° 2006 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances. Toutefois, ce moyen n'est pas assorti de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.

5. Aux termes de l'article L 2141-8 du code de la commande publique : " l'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui () 2° soit par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens ". Il ressort des dispositions de cet article qu'une société ayant participé aux études utilisées dans le cadre d'une procédure de passation ultérieure, n'a pas, par principe, à être exclue de la possibilité de candidater, sauf s'il est démontré qu'elle a eu accès à des informations susceptibles de l'avantager par rapport aux autres candidats.

6. Aux termes de l'article L. 2422-4 du code de la commande publique : " La mission de conduite d'opération est incompatible avec toute mission de maîtrise d'œuvre, de contrôle technique définie à l'article L. 125-1 du code de la construction et de l'habitation ou d'exécution de travaux, portant sur la même opération et exercée soit par le conducteur d'opération directement, soit par une entreprise liée définie à l'article L. 2511-8. ".

7. La société requérante soutient que l'assistant à maîtrise d'ouvrage chargé d'une mission de conduite d'opérations ne peut pas exercer une mission de maîtrise d'œuvre. Toutefois, il résulte de l'instruction que le marché de prestations intellectuelles passé par la commune le 30 janvier 2023 portait sur une étude de faisabilité pour la réhabilitation d'un bâtiment communal en maison d'assistantes maternelles. Il ne portait pas sur une assistance générale à caractère administratif, financier et technique au maître d'ouvrage, et ne relevait pas de la conduite d'opérations. Les deux réunions prévues avec le maître d'ouvrage portaient uniquement sur le lancement et la présentation de l'étude de faisabilité et ne sont pas constitutives d'un pilotage et d'une coordination du projet jusqu'à son terme. Le contenu de cette étude a été repris dans le programme de l'opération, s'agissant du seul scénario retenu, et a été communiqué à tous les candidats. Il est constant que l'atelier d'architecture Sénéchal-Auclair n'a pas participé à la sélection des candidats dans le cadre de la procédure de passation du marché litigieux.

8. Il ressort de ce qui précède que la société attributaire a effectué l'étude de faisabilité pour l'opération de réhabilitation et extension en cause. Le programme de l'opération résulte de cette étude. Elle comportait plusieurs scénarios que la commune a écartés pour n'en retenir qu'un, qui a été transcrit dans le programme de l'opération. Elle prévoyait l'organisation de deux réunions avec le maître d'ouvrage portant respectivement sur le lancement de l'étude sur la restitution des scénarios. Il n'est pas établi que la connaissance des scénarios non retenus et celle du montant estimé de l'opération aurait désavantagé la société requérante dans la présentation de son offre qui, au demeurant, a reçu une note très proche de celle de la société retenue. L'étude de faisabilité a été très largement reprise dans le programme de l'opération inclus dans le dossier de consultation. Tous les candidats ont donc eu accès aux mêmes informations. Il n'est pas démontré que la société attributaire aurait disposé d'informations susceptibles de lui conférer un avantage par rapport aux autres soumissionnaires. Il n'a pas été porté atteinte aux principes d'impartialité, d'égalité de traitement des candidats et de transparence de la procédure.

9. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution () ". Aux termes de l'article R. 2152-6 du même code : " Les offres régulières, acceptables et appropriées, et qui n'ont pas été rejetées en application des articles R. 2152-3 à R. 2152-5 et R. 2153-3, sont classées par ordre décroissant en appliquant les critères d'attribution ". Aux termes de l'article R. 2152-7 du même code : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire (), l'acheteur se fonde () sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux () ".

10. Si le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a retenus et rendus publics, une méthode de notation est entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elle est, par elle-même, de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et est, de ce fait, susceptible de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

11. Il résulte de l'article 2.4 du règlement de consultation que la commune de Ciry-le-Noble a retenu deux critères, à savoir la valeur technique jugée sur la base de la note méthodologique remise par le candidat à l'appui de son offre, sur 20 points à hauteur de 60 %, et le prix, sur 20 points à hauteur de 40 %. Il est constant que la société requérante a reçu communication des motifs ayant conduit au rejet de son offre par deux courriers des 20 et 29 décembre 2023. Si l'analyse de l'offre présentée par l'atelier d'architecture Sénéchal-Auclair se réfère à la qualité de la note méthodologique sur le critère de respect des délais, cette mention, qui se rapporte expressément aux conditions d'exécution de la mission et aux conditions d'organisation des candidats pour l'exécution de leur mission, ne traduit pas l'existence d'un sous-critère qui aurait dû être communiqué à toutes les entreprises. Il n'a pas été porté atteinte au principe de transparence.

12. La société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes soutient qu'elle acceptait également les délais fixés par le maître d'ouvrage, que ce dernier n'était pas fondé à attribuer un demi-point de plus à l'offre concurrente sur le critère du planning et qu'il aurait ce faisant commis une erreur de fait et dénaturé son offre. Elle doit être regardée comme contestant les qualités techniques de l'offre émise par l'atelier d'architecture Sénéchal-Auclair. Il n'appartient pas au juge du référé précontractuel de se prononcer sur les mérites respectifs des différentes offres. Elle ne démontre pas une dénaturation de son offre.

13. Il résulte de ce qui précède que la société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes n'est pas fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du marché de maîtrise d'œuvre destiné à la réhabilitation et l'extension d'un bâtiment communal en maison d'assistantes maternelles, ni l'annulation de la décision de rejet de son offre. Par voie de conséquence, les conclusions tendant à ce que ledit marché lui soit attribué doivent, en tout état de cause, être rejetées sans qu'il soit besoin de procéder à un supplément d'instruction.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. La commune de Ciry le noble n'étant pas la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à sa charge la somme demandée par la société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes la somme de 2 000 euros à verser à la commune de Ciry le noble au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes est rejetée.

Article 2 : La société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes versera à la commune de Ciry le noble la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Les Ateliers Martin Architectes et Urbanistes, à la commune de Ciry le noble et à l'atelier d'architecture Sénéchal-Auclair.

Fait à Dijon le 8 janvier 2024.

Le juge des référés,

T. Bataillard

La République mande et ordonne au préfet de Saône-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Le greffier,