TA de Grenoble, 08 décembre 2023, n° 2108747
Vu la procédure suivante :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 décembre 2021, 4 mai 2022 et 10 juin 2023, M. B A demande au tribunal :
1°) de condamner la commune de Bilieu à lui communiquer, subsidiairement sous astreinte, l'ensemble des documents relatifs au marché public de rénovation de l'ancienne école ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Bilieu une somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à verser à l'association des assistantes maternelles l'"Association des p'tits loups ".
Il soutient que :
- les documents qu'il a demandés sont communicables en application des articles L. 300-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration ;
- s'il a eu accès sur place à une partie des documents le 10 février 2022, il n'a pu consulter l'audit énergétique, les offres de prix détaillées des candidats retenus, le rapport de présentation, la lettre de visa du contrôleur financier et les documents concernant l'exécution financière du marché ;
- l'audit énergétique fait partie du dossier de rénovation dont il a demandé la communication ;
- les documents transmis révèlent des anomalies dans l'exécution des travaux d'isolation.
Par un mémoire en défense enregistré le 13 décembre 2022, la commune de Bilieu, représentée par Me Rey, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du requérant la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la demande de communication de l'audit énergétique est irrecevable dès lors que ce document n'était pas au nombre de ceux visés par la demande initiale et la saisine de la Commission d'accès aux documents administratifs ;
- la requête est devenue sans objet dans la mesure des documents déjà communiqués ;
- l'offre de prix détaillée du candidat retenu n'est pas communicable en application du 1° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration, dès lors qu'elle reflète la stratégie commerciale du soumissionnaire ;
- la lettre de visa du contrôleur financier et le rapport de présentation n'existent pas ;
- la communication des documents concernant l'exécution financière du marché lui imposerait une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose et de l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le requérant.
Par une ordonnance du 13 juin 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 13 juillet 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. L'Hôte, vice-président,
- les conclusions de M. Sportelli, rapporteur public,
- les observations de M. A,
- et les observations de Me Achard, représentant la commune de Bilieu.
La commune de Bilieu a présenté une note en délibéré, enregistrée le 1er décembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 12 juillet 2021, le conseil de M. A a demandé au maire de Bilieu de communiquer à son client l'ensemble des documents relatifs à la prestation de rénovation de l'ancienne école, à savoir, d'une part, en ce qui concerne le contrat conclu et les documents qui s'y rapportent, l'offre de prix détaillé du candidat retenu, le rapport de présentation, l'acte d'engagement de l'entreprise retenue et ses annexes, le cahier des clauses administratives et techniques particulières, la lettre de visa du contrôleur financier, la copie de l'acte de notification du marché et son accusé de réception, l'avis d'attribution, d'autre part, en ce qui concerne l'exécution du contrat, les avenants, les ordres de service, le procès-verbal de réception des travaux, les devis des entrepreneurs et les documents de sous-traitance, ainsi que les documents concernant l'exécution financière du marché tels que les factures, le décompte général et définitif faisant apparaitre non seulement la nature détaillée des prestations mais également le montant attaché, les documents comptables relatifs à l'exécution financière du marché, les mandats de paiement et les notes d'honoraires. N'ayant pas obtenu de réponse, il a saisi la Commission d'accès aux documents administratifs qui, le 8 décembre 2021, a rendu un avis favorable, excepté pour l'offre de prix détaillée du candidat retenu, et sous réserve pour les autres documents de l'occultation des éléments couverts par le secret des affaires. M. A doit être regardé comme demandant au tribunal d'annuler la décision par laquelle le maire de Bilieu a implicitement confirmé son refus de communiquer les documents en cause.
Sur l'exception de non-lieu soulevée en défense :
2. Dans son mémoire enregistré le 4 mai 2022, M. A reconnaît avoir eu copie en février 2022 des documents voulus, à l'exception de l'audit énergétique, de l'offre de prix détaillé du candidat retenu, du rapport de présentation, de la lettre de visa du contrôleur financier et des documents concernant l'exécution financière du marché. Par suite, sa demande est devenue sans objet en ce qu'elle porte sur les autres documents visés dans sa demande du 12 juillet 2021.
Sur la fin de non-recevoir soulevée en défense :
3. Comme le fait valoir la commune de Bilieu en défense, la lettre de M. A du 12 juillet 2021 ne visait aucun audit énergétique. Si le requérant fait valoir dans ses dernières écritures que ce document ferait partie du " dossier de rénovation ", d'une part il ne l'établit pas, d'autre part et en tout état de cause, sa demande adressée à la commune énumérait précisément les pièces contractuelles dont il souhaitait avoir communication et au nombre desquelles n'était pas mentionné l'audit énergétique. Par suite, la demande de M. A est irrecevable en tant qu'elle porte sur la communication de ce document.
Sur la légalité du refus de communication :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ". Aux termes de l'article L. 311-6 du même code : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : / 1° Dont la communication porterait atteinte () au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence () ".
5. Au regard des règles de la commande publique, doivent être regardées comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché. Dans cette mesure, si notamment l'acte d'engagement, le prix global de l'offre et les prestations proposées par l'entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau des prix unitaires de l'entreprise attributaire, en ce qu'il reflète la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité, n'est quant à lui, en principe, pas communicable.
6. Au cas d'espèce, la commune de Bilieu fait valoir, sans être utilement contredite, que l'offre de prix détaillée du candidat retenu, dans la mesure où elle reflète la stratégie commerciale du soumissionnaire, n'est pas communicable en application du 1° de l'article L. 311-6 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, c'est à bon droit que le maire de Bilieu a refusé de communiquer ce document.
7. En deuxième lieu, l'administration n'est tenue de communiquer que les documents qui existent. Or la commune de Bilieu fait valoir que la lettre de visa du contrôleur financier et le rapport de présentation n'existent pas, sans que cette affirmation ne soit contredite par aucune pièce du dossier ni même contestée par le requérant. Par suite, le maire de Bilieu a pu légalement refuser de communiquer ces deux documents.
8. En troisième lieu, le dernier alinéa de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " L'administration n'est pas tenue de donner suite aux demandes abusives () ". Revêt un caractère abusif, au sens de ces dispositions, la demande de communication qui, en raison notamment des opérations matérielles qu'elle impliquerait, ferait peser sur l'administration une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose. Lorsque l'administration invoque un tel motif pour justifier son refus de communiquer les documents demandés, il revient au juge de prendre en compte, pour déterminer si la charge alléguée est effectivement excessive, l'intérêt qui s'attache à cette communication pour le demandeur ainsi, le cas échéant, que pour le public.
9. En l'espèce, la commune de Bilieu fait valoir que les pièces relatives à l'exécution financières du marché comportent plus de 231 pages et que la communication de ces documents impliquerait un travail d'occultation conséquent compte tenu de la nécessité de protéger le secret des affaires, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles de l'attributaire. Elle précise qu'elle ne dispose par ailleurs d'agents administratifs qu'à hauteur de 4,5 équivalents temps plein. De son côté, M. A ne justifie pas de l'intérêt qui s'attacherait pour lui à la communication de la totalité des documents relatifs à l'exécution financière du marché, en se bornant à faire état de certaines anomalies dans la réalisation technique des travaux. Dans ces circonstances, le maire de Bilieu a pu, à bon droit, estimer que la communication des documents sollicités imposerait à la commune une charge de travail disproportionnée au regard des moyens dont elle dispose et, pour ce motif, opposer un refus à la demande du requérant.
10. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête aux fins d'annulation et d'injonction doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Bilieu, qui n'est pas la partie perdante, une somme, au demeurant non chiffrée, au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de la commune présentée au même titre.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête de M. A en tant qu'elle porte sur les documents dont il a eu communication le 3 février 2022.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et à la commune de Bilieu.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 décembre 2023.
Le magistrat désigné,
V. L'HÔTE
La greffière,
L. ROUYER
La République mande et ordonne au préfet de l'Isère en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2108747