TA de Marseille, 08 décembre 2023, n°2310817


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 novembre 2023, le département des Bouches-du-Rhône, représenté par la SCP Charrel et associés, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative:

1°) d'enjoindre la société SMACL Assurances de poursuivre l'exécution de ses obligations contractuelles postérieurement au 31 décembre 2023, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché d'assurance, au plus tard le 31 décembre 2024 ;

2°) de mettre à la charge de la société SMACL assurances une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la condition d'urgence est satisfaite au regard de l'imminence de la prise d'effet, au 31 décembre 2023, de la fin du contrat d'assurance, de sorte que les biens du département ou ceux qu'ils louent, occupent ou en assurent la gestion ne seront plus assurés à compter de cette date, alors que ces biens concourent au bon fonctionnement du service public ;

- la mesure est utile car le département ne dispose d'aucune autre voie de droit pour contraindre la société SMACL à l'obligation de poursuivre, à titre provisoire, ses obligations contractuelles ;

- la mesure sollicitée ne se heurte à aucune contestation sérieuse, en application des critères définis dans la jurisprudence du conseil d'Etat dans son arrêt du 12 juillet 2023 n° 469319, et alors qu'il a lancé la procédure pour passer un nouveau marché.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Josset pour statuer sur les demandes de référé.

Considérant ce qui suit :

1. Il résulte de l'instruction que le département des Bouches-du-Rhône a conclu, le 9 décembre 2019, avec la SMACL Assurances, un marché public " d'assurance dommages aux biens et risques ", composé des lots 1 et 2, pour une durée de cinq ans, avec une prise d'effet au 1er janvier 2020, comportant la possibilité, pour les deux parties, de résiliation annuelle sous préavis de 6 mois avant l'échéance. Par un courrier du 26 juin 2023, la société d'assurances a sollicité, pour le lot n° 1, de nouvelles conditions tarifaires, une modification du périmètre des garanties et une diminution du nombre de bâtiments garantis, et pour le lot n° 2, a résilié le contrat, à compter du 31 décembre 2023. Par courrier du 19 juillet 2023, le département a accepté le principe d'une résiliation, sous réserve du report de cette date au 1er juillet 2024, avec le maintien des conditions contractuelles initiales jusqu'à cette date, pour permettre la passation d'un nouveau marché d'assurances. Par courriel du 1er août 2023, la société d'assurances a accepté de prolonger les contrats jusqu'au 30 juin 2024, mais en révisant les conditions d'assurances telles qu'énoncées dans son courrier du 26 juin 2023. Les contre-propositions du département ont été refusées par la SMACL Assurances par courrier du 20 septembre 2023. Par courrier du 12 octobre 2023, le département des Bouches-du-Rhône a mis en demeure la compagnie d'assurances de poursuivre l'exécution du contrat à partir du 1er janvier 2024 jusqu'à l'attribution du nouveau marché d'assurances aux biens. En l'absence de réponse à cette mise en demeure, le département des Bouches-du-Rhône demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, d'enjoindre à la SMACL Assurances de poursuivre l'exécution de ses obligations contractuelles, postérieurement au 31 décembre 2023, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché d'assurance, au plus tard le 31 décembre 2024.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 521-3 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 521-3 du code de justice administrative : " En cas d'urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l'absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative ".

3. S'il n'appartient pas au juge administratif d'intervenir dans l'exécution d'un marché public en adressant des injonctions à ceux qui ont contracté avec l'administration, lorsque celle-ci dispose à l'égard de ces derniers des pouvoirs nécessaires pour assurer l'exécution du contrat, il en va autrement quand l'administration ne peut user de moyens de contrainte à l'encontre de son cocontractant qu'en vertu d'une décision juridictionnelle. En pareille hypothèse, le juge du contrat est en droit de prononcer, à l'encontre du cocontractant, une condamnation, éventuellement sous astreinte, à une obligation de faire. En cas d'urgence, le juge des référés peut, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-3 du code de justice administrative, ordonner au cocontractant, éventuellement sous astreinte, de prendre à titre provisoire toute mesure nécessaire pour assurer la continuité du service public ou son bon fonctionnement, à condition que cette mesure soit utile, justifiée par l'urgence, ne fasse obstacle à l'exécution d'aucune décision administrative et ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

4. Aux termes de l'article L. 113-12 du code des assurances : " La durée du contrat et les conditions de résiliation, particulièrement le droit pour l'assureur et l'assuré de résilier le contrat tous les ans, sont fixées par la police. / Toutefois, l'assuré a le droit de résilier le contrat à l'expiration d'un délai d'un an, en adressant une notification dans les conditions prévues à l'article L. 113-14 à l'assureur au moins deux mois avant la date d'échéance de ce contrat. / Lorsque l'assuré a souscrit un contrat à des fins professionnelles, l'assureur a aussi le droit de résilier le contrat dans les mêmes conditions. / Dans les autres cas, l'assureur peut résilier le contrat à l'expiration d'un délai d'un an, à la condition d'envoyer une lettre recommandée à l'assuré au moins deux mois avant la date d'échéance du contrat. / Il peut être dérogé à ces règles de résiliation annuelle pour les contrats individuels d'assurance maladie et pour la couverture des risques autres que ceux des particuliers. / Le délai de résiliation court à partir de la date figurant sur le cachet de la poste ou de la date d'expédition de la notification. / Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux assurances sur la vie ".

5. Il résulte des principes généraux applicables aux contrats administratifs que lorsque l'assureur entend en faire application pour résilier unilatéralement le marché qui le lie à la personne publique assurée et que le contrat ne prévoit pas un préavis de résiliation suffisant pour passer un nouveau marché d'assurance, cette dernière peut, pour un motif d'intérêt général tiré notamment des exigences du service public dont la personne publique a la charge, s'y opposer et lui imposer de poursuivre l'exécution du contrat pendant la durée strictement nécessaire, au regard des dispositions législatives et réglementaires applicables, au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché public d'assurance, sans que cette durée ne puisse en toute hypothèse excéder douze mois, y compris lorsque la procédure s'avère infructueuse. L'assureur peut contester cette décision devant le juge afin d'obtenir la résiliation du contrat.

6. Il résulte de l'instruction, notamment des cahiers des clauses techniques particulières du marché en litige, que la police d'assurances du marché conclut avec la SMACL Assurances a pour objet de garantir l'hôtel du département et les autres biens dont le département des Bouches-du-Rhône est propriétaire, locataire et ou occupants à quelque titre que ce soit en vue de l'exécution de ses missions de service public contre divers risques, tels ceux d'incendie, d'explosion, de dégâts des eaux, de catastrophes naturelles, d'actes de vandalisme ou de terrorisme..

7. Il résulte de ce qui précède que le motif invoqué par le département des Bouches-du-Rhône pour s'opposer à la résiliation unilatérale par la SMACL Assurances du contrat qui les lie, tiré de la nécessité que les dommages aux biens concourant au bon accomplissement des missions de service public qui lui sont confiées soient couverts par une police d'assurance, constitue un motif d'intérêt général justifiant la poursuite de l'exécution du marché en application des principes rappelés au point 4. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le refus de la SMACL Assurances d'exécuter le contrat à compter du 1er janvier 2024 priverait ces biens de garantie contre les risques mentionnés au point 6, et que cette absence d'assurance serait, dans les circonstances de l'espèce, de nature à compromettre l'exercice de certaines missions de service public en cas de sinistre majeur. Enfin, dans les circonstances de l'espèce, le délai de préavis de six mois prévu par le contrat en cas de résiliation était insuffisant pour procéder à un appel d'offres ouvert. Par suite, la mesure demandée, qui est ainsi nécessaire à la continuité et au bon fonctionnement du service public assuré par le département des Bouches-du-Rhône présente un caractère d'urgence et d'utilité, et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Dès lors qu'elle ne fait pas non plus obstacle à l'exécution d'une décision administrative, il y a lieu d'ordonner à la SMACL Assurances de reprendre intégralement l'exécution des prestations auxquelles ces sociétés sont obligées par le contrat en litige, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché d'assurance par le département des Bouches-du-Rhône, sauf à ce que ce dernier y renonce, et au plus tard, dans les circonstances de l'espèce, jusqu'au 31 décembre 2024.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SMACL Assurances la somme de 1 000 euros à verser au département des Bouches-du-Rhône.

O R D O N N E :

Article 1er : Il est enjoint à la SMACL Assurances de poursuivre intégralement l'exécution des prestations auxquelles elle est obligée par le contrat portant sur la police d'assurance " dommages aux biens " conclu le 9 décembre 2019 avec le département des Bouches-du-Rhône, pendant la durée strictement nécessaire au déroulement de la procédure de passation d'un nouveau marché d'assurance par le département des Bouches-du-Rhône, sauf à ce que ce dernier y renonce, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2024.

Article 2 : La SMACL Assurances versera au département des Bouches-du-Rhône une somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée au département des Bouches-du-Rhône et à la SMACL Assurances.

Fait à Marseille, le 8 décembre 2023.

La juge des référés,

signé

Muriel Josset

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,