TA de Marseille, 19 octobre 2023, n°2104344

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 mai, 4 et 7 juin 2021 et le 18 mai 2022, la société GER Plomberie, représentée par Me Woimant, demande au tribunal dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le lot n°3 " plomberie chauffage PVC " du marché public de travaux conclu le 2 avril 2021 entre le centre régional des œuvres universitaires et scolaires d'Aix-Marseille-Avignon (CROUS) et la Société SNEF Connect portant sur la réhabilitation des bâtiments K et G du site des Douanes à Marseille, et à titre subsidiaire, de prononcer la résiliation de ce contrat ;

2°) de condamner le CROUS à lui verser la somme de 74 614 euros au titre du préjudice subi du fait de la perte de chance d'emporter le marché ;

3°) de mettre à la charge du CROUS la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le sous-critère " fiches produits " relatif à la valeur technique de l'offre est imprécis, de plus le CROUS n'a pas porté à la connaissance des candidats les modalités de mise en œuvre du sous-critère et a entendu faire de l'adéquation des produits utilisés au regard des exigences du cahier des clauses techniques particulières un sous-critère qui n'était pas précisé dans le règlement de consultation et a ainsi porté atteinte au principe d'égal accès à la commande publique,

- l'évaluation de son offre par le CROUS, et plus précisément du sous-critère " fiches produits " relatif à la valeur technique, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'elle a obtenu à tort la note de 1,25/5 soit " non satisfaisant " pour cette composante et qu'elle a confirmé par courrier du 15 février 2021, que les produits utilisés - vase d'expansion, radiateur, lavabo type 1 - seraient conformes aux prescriptions du cahier des clauses techniques particulières ;

- l'imprécision de ce sous-critère et l'erreur manifeste d'appréciation dans son évaluation par le CROUS a lésé ses intérêts dès lors qu'elle aurait dû obtenir la note de 5/5, ce qui lui aurait permis d'obtenir la note maximale de 50 points au titre du critère relatif à la valeur technique et ainsi d'être classée en première position et de remporter le lot n°3 du marché ;

- dans ces conditions, dès lors que l'irrégularité commise par le CROUS et que l'absence de sélection de son offre caractérise un vice du consentement du pouvoir adjudicateur, elle est fondée à demander l'annulation du lot n°3 du marché public de travaux conclu le 2 avril 2021 entre le CROUS et la société SNEF Connect, cette annulation n'étant pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général ;

- à titre subsidiaire, elle est fondée à solliciter la résiliation de ce contrat ;

- elle est fondée à solliciter la condamnation du CROUS à lui verser la somme de 74 614 euros au titre du préjudice subi du fait de la perte de chance sérieuse d'emporter le lot n°3.

Par des mémoires en défense enregistrés le 20 septembre 2021 et le 15 septembre 2022, le CROUS conclut dans le dernier état de ses écritures :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce que sa condamnation soit limitée à la marge nette réelle escomptée de l'exécution du marché sous réserve de la production d'éléments vérifiables ;

3°) à ce que la société Awa Architectes en sa qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, le relève et le garantisse de toute condamnation prononcée à son encontre au regard des fautes commises dans l'exercice des missions de maîtrise d'œuvre ;

4°) à ce que soit mis à la charge de la société GER plomberie ou de toute partie perdante la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la procédure de passation du marché en litige n'est entachée d'aucune irrégularité dès lors que s'agissant de l'imprécision alléguée du sous-critère relatif aux " fiches produits ", il n'existe aucun sous-critère qui n'ait été annoncé, le sous-critère relatif aux " fiches produits ", figurant bien dans le tableau présentant les critères de sélection des offres dans le règlement de la consultation, de plus, ce sous-critère a été appliqué de manière égalitaire pour chaque offre déposée et n'a fait l'objet d'aucune demande d'informations complémentaires de la part de la société requérante, qui n'a d'ailleurs eu aucune difficulté de compréhension à ce sujet dans le cadre du lot n°1 ;

- la procédure de passation du marché en litige n'est entachée d'aucune irrégularité dès lors que s'agissant de l'évaluation du sous-critère relatif aux " fiches produits ", l'offre de la société requérante comportait des fiches produits relatives aux vases d'expansion, radiateurs et lavabos types 1 qui n'étaient pas conformes aux prescriptions imposées dans le cahier des clauses techniques particulières ; dans ces conditions il aurait dû rejeter l'offre comme irrégulière et est ainsi fondé à solliciter une substitution de motif ;

- la société requérante n'est ainsi pas fondée à solliciter l'annulation ni la résiliation du lot n°3 ;

- en tout état de cause, si une irrégularité avait entaché la procédure, l'intérêt général justifie la poursuite du contrat dès lors qu'un retard du chantier compromettrait l'accomplissement de sa mission de service public de mise à disposition de logements étudiants pour laquelle la tension est déjà importante ;

- le marché n'est en outre entaché d'aucun vice du consentement dès lors que le CROUS a attribué le lot n°3 du marché au titulaire compte tenu de son classement final et était parfaitement consentant pour conclure le contrat ;

- la société requérante n'est pas fondée à solliciter une quelconque indemnisation du fait de son éviction du marché dès lors, que n'ayant pas présenté l'offre la plus avantageuse économiquement et que les " fiches produits " transmises par la requérante ne respectaient pas les prescriptions du cahier des clauses techniques particulières, son offre était irrégulière et en tout état de cause le montant de l'indemnisation sollicitée n'est aucunement justifié ;

- en cas de condamnation, il est fondé à appeler en garantie le groupement de maitrise d'œuvre en charge de la mission assistance pour la passation des contrats de travaux (ACT) représenté par son mandataire, la société Awa Architectes.

Les sociétés P3G ingénieurie, par des mémoires enregistrés les 26 juillet 2022 et 13 octobre 2022 et Awa Architectes, par des mémoires enregistrés les 18 juillet 2022 et 13 octobre 2022, toutes deux représentées par Me Tertian, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) au rejet de l'appel en garantie formé à leur encontre par le CROUS ;

3°) à ce que soit mis à la charge de toute partie perdante la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- le moyen tiré de la prétendue imprécision du sous-critère de sélection " fiches produits " est inopérant dès lors que la société requérante n'a sollicité aucune information, ni émis aucune réserve à ce sujet pendant la procédure de passation, que les candidats ont été placés dans une situation de stricte égalité, et que le CROUS n'était pas tenu d'informer les candidats des éléments d'appréciation mis en œuvre pour l'évaluation de ce sous-critère ;

- le moyen tiré de la prétendue erreur manifeste d'appréciation dans l'évaluation par le CROUS du sous-critère relatif aux " fiches produits " n'est pas fondé dès lors que les fiches produits transmises par la société requérante afférentes aux vases d'expansion, radiateurs et lavabos, n'étaient pas conformes aux exigences du cahier des clauses techniques particulières ;

- la société requérante ne démontre ni même n'allègue, qu'elle aurait présenté une meilleure offre si elle avait eu connaissance des éléments d'appréciation du sous-critère " fiches produits " et ne justifie dès lors pas que l'irrégularité invoquée est en rapport direct avec son éviction du marché ;

- aucune irrégularité n'entachant la procédure de sélection des offres du marché en litige, la demande d'annulation ou de résiliation de ce marché doivent donc être rejetées ;

- la société requérante n'établit pas que les supposées irrégularités ne pourraient être régularisées ni que le vice invoqué serait d'une particulière gravité ni encore que l'annulation du marché ne porterait pas une atteinte excessive à l'intérêt général ;

- en outre le marché est presque totalement exécuté et l'annulation du marché du priverait des milliers d'étudiants de logements pour la rentrée 2022 ;

- l'indemnisation sollicitée par la société requérante n'est aucunement justifié ;

- le CROUS n'est pas fondé à les appeler en garantie ni à appeler en garantie le groupement de maîtrise d'œuvre dès lors que l'assistance apportée au maître d'ouvrage pour la passation des marchés de travaux n'est qu'une simple faculté qui doit être expressément prévue dans les pièces contractuelles, or, en l'espèce, la prestation ACT prévue à l'article 9.1 du marché de maîtrise d'œuvre n'inclut pas la mission, pour le maître d'œuvre, de sélectionner et de noter les offres des candidats par rapport aux critères d'appréciation fixés dans le règlement de consultation, mission qui incombe au maître d'ouvrage, en tout état de cause le CROUS ne démontre aucune faute commise par la maîtrise d'œuvre.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Devictor ;

- les conclusions de Mme Dyèvre, rapporteure publique ;

- les observations de Me Extremet représentant la société Général Entreprise Rénovation, de Me Duverneuil, représentant le CROUS, de Me Martinez, représentant les sociétés Awa architectes et P3G Ingénieurie, et de Me Jérôme, substituant Me Bousquet, représentant la société Segilped.

Considérant ce qui suit :

1. Le CROUS a, par un avis d'appel public à la concurrence publié le 29 novembre 2020 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et le 2 décembre 2020 au Journal officiel de l'Union Européenne (JOUE), lancé un appel d'offres pour un marché de travaux portant sur la réhabilitation des bâtiments K et G du site des Douanes à Marseille afin d'y intégrer au total 58 appartements comprenant 204 chambre étudiantes, dont 4 logements pour personnes à mobilité réduite et un logement de fonction. Le marché comprend quatre lots dont le lot n°3 dit " plomberie chauffage PVC ". Le 10 mars 2021, le CROUS a notifié à la société GER Plomberie le rejet de son offre présentée pour le lot n°3, au profit de celle présentée par la société SNEF Connect. Le marché a été conclu le 2 avril 2021 avec la société SNEF Connect et l'avis d'attribution a été publié le 9 avril 2021. La société GER Plomberie, dont l'offre a été classée deuxième, demande l'annulation du lot n°3 du marché de travaux et à titre subsidiaire, sa résiliation et formule également une demande indemnitaire au titre du préjudice subi du fait de son éviction.

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Si le représentant de l'État dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Un concurrent évincé peut ainsi invoquer, outre les vices d'ordre public dont serait entaché le contrat, les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 de ce code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation () ". Et aux termes de l'article R. 2152-1 du même code : " Dans les procédures adaptées sans négociation et les procédures d'appel d'offres, les offres irrégulières, inappropriées ou inacceptables sont éliminées () ".

4. Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur est tenu de rejeter les offres inappropriées, irrégulières et inacceptables. La circonstance que le pouvoir adjudicateur ait examiné, négocié, puis classé l'offre de la société requérante ne fait pas obstacle à ce qu'il invoque devant le juge du contrat l'irrégularité de celle-ci. Par ailleurs, un candidat dont la candidature ou l'offre est irrégulière n'est pas susceptible d'être lésé par les manquements qu'il invoque, sauf si cette irrégularité est le résultat du manquement qu'il dénonce. Il en va ainsi alors même que son offre a été analysée, notée et classée par le pouvoir adjudicateur.

5. Selon l'article 4.5.2.3 du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) du marché litigieux, qui s'imposait aux soumissionnaires en application de l'article 5 du règlement de la consultation, le " vase d'expansion " doit disposer d'un " volume nominal [de] 140 litres ". Aux termes de l'article 4.5.2.5 du même cahier, les caractéristiques attendues des " radiateurs à eau chaude " étaient les suivantes : " Radiateur panneau plan en tôle d'acier horizontal ; Besoins estimés dans les locaux communs 80 W/m² ; () - Surpuissance de 20% pour le dimensionnement des radiateurs ; - Marque : FINIMETAL ou équivalent ; - Modèle : T6-PLAN ou équivalent ". Enfin aux termes de l'article 4.9.7.5 du même cahier, les dimensions attendues du " lavavo type 1 " étaient les suivantes : " L × P × H = 450 mm × 360 mm × 160 mm ".

6. Il résulte de l'instruction, que la fiche produit transmise par la société GER Plomberie avec son offre relative au vase d'expansion prévoyait une capacité de 100 litres. De plus, la fiche produit relative aux radiateurs indique que le modèle retenu par la société GER Plomberie sont de marque FINIMETAL de la gamme T6 en tôle d'acier horizontal dans quatre modèles différents de hauteurs et de longueurs variables, mais ne précise pas leur puissance thermique. Enfin, la fiche produit relative au " lavabo type 1 " indique que le modèle retenu par la société GER Plomberie est de dimension 50x40 centimètres. Par courrier du 11 février 2021, le CROUS a signalé à la société GER Plomberie que ces fiches produits n'étaient pas conformes aux exigences du CCTP. Si cette dernière fait valoir qu'elle a indiqué dans son courrier en réponse du 15 février 2021 que le vase d'expansion proposé en phase d'exécution serait bien de 140 litres et que les radiateurs et lavabos proposés en phase d'exécution seraient " exactement ceux décrits au CCTP ", il résulte de l'instruction que la société requérante a reconnu que ces trois fiches produits n'étaient pas conformes aux prescriptions du CCTP et qu'elle n'a communiqué aucune autre fiche produit conforme à ces exigences. Par suite, faute de respecter les stipulations des articles précités du CCTP, l'offre de la société GER Plomberie était irrégulière.

7. Dans ces conditions, l'offre de la société requérante était irrégulière et aurait pu pour ce motif être éliminée sans être classée. Elle n'est ainsi pas susceptible d'avoir été lésée par les différents manquements qu'elle invoque, relatifs l'imprécision alléguée du sous-critère " fiches produits " et à son évaluation par le CROUS alors même que son offre a été classée à l'issue de la procédure de passation du marché et rejetée pour un autre motif.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que la société de la société GER Plomberie n'est pas fondée à demander l'annulation du lot n°3 du contrat. Il en résulte également que ses conclusions indemnitaires, en l'absence de chances sérieuses d'obtenir le contrat, doivent être rejetées.

Sur les conclusions d'appel en garantie :

9. Le présent jugement ne prononçant aucune condamnation à l'encontre du CROUS, l'appel en garantie formé par celle-ci à l'encontre de la société Awa Architecte est dépourvu d'objet et doit être rejeté.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du CROUS, qui n'a pas la qualité de partie perdante, au titre des frais d'instance non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société GER Plomberie la somme de 2 000 euros à verser au CROUS et la somme de 1 000 euros à verser à chacune des sociétés Awa Architecte et P3G ingénieurie au titre de ces mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la société GER Plomberie est rejetée.

Article 2 : La société GER plomberie versera la somme de 2 000 euros au centre régional des œuvres universitaires et scolaires d'Aix-Marseille-Avignon et la somme de 1 000 euros à chacune des sociétés Awa Architecte et P3G ingénieurie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société GER Plomberie, au centre régional des œuvres universitaires et scolaires d'Aix-Marseille-Avignon, à la société SNEF Connect, à la société Awa Architectes, à la société P3G ingénieurie, à la société GAPIRA Ingénieurie et à la société VENATHEC.

Délibéré après l'audience du 28 septembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Gonneau, président,

M. Argoud, premier conseiller,

Mme Devictor, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

La rapporteure,

signé

É. DevictorLe président,

signé

P-Y. Gonneau

La greffière,

signé

A. Martinez

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,