TA de Nantes, 10 janvier 2024, n° 2317573


REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 20 novembre et 18 décembre 2023, la société CDP Consulting, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative d'annuler la décision du 6 novembre 2023 par laquelle l'ADEME a décidé d'écarter son offre déposée dans le cadre de la procédure de passation du lot n° 2 " traitement des données anciennes et récentes Ouest et Sud parisien ".

Il soutient que :

- la méthode d'évaluation des offres est irrégulière, dès lors que le BRGM ne disposait pas des compétences techniques nécessaires pour l'établissement du cahier des charges et l'évaluation des offres techniques ;

- la réalisation du cahier des charges et de l'évaluation des offres confiées en définitives au BRGM n'a pas fait l'objet d'une mise en concurrence ;

- les critères de sélections reposent principalement sur les délais et les prix sans s'attacher aux défis techniques qu'elle est la seule à maîtriser ,

- les sous-critères de la valeur technique ne sont pas clairement exprimés et le système d'évaluation des offres manque de clarté ;

- elle n'a obtenu qu'une note de 5/10 s'agissant du critère technique alors qu'elle avait obtenu une note de 10/10 pour des prestations similaires dans le cadre d'une procédure lancée par l'ADEME ;

- les tarifs proposés par les autres candidats semblent anormalement bas.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 décembre 2023, l'ADEME, représentée par Me Sery, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société CDP Consulting au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens invoqués par la société requérante n'est fondé.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Simon, en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue le 19 décembre 2023 à 15h30 en présence de Mme Goudou, greffière d'audience, M. Simon a lu son rapport et entendu :

- les observations de M. A représentant la société CDP Consulting ;

- les observations de Me Triantafyllou, avocate de l'ADEME ;

- et les observations de Me Baud, avocate de la société DMT Petrologic.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié les 8 et 10 juillet 2023 l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert pour la passation de quatre accords-cadres à bons de commande ayant pour objet " la mise en place d'un programme d'exploration du sous-sol dans deux des secteurs clés pour le développement de la géothermie profonde en France métropolitaine : le croissant de l'Ouest et Sud Parisien ainsi que la zone du synclinal de l'Arc ". Par courrier du 6 novembre 2023, la société CDP Consulting a été informée de ce que son offre pour l'attribution du lot 2 " traitement des données anciennes et récentes Ouest et Sud parisien " avait été rejetée. Par sa requête, cette société demande au juge des référés d'annuler, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, la décision par laquelle l'ADEME a rejeté son offre.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Il peut également être saisi en cas de manquement aux mêmes obligations auxquelles sont soumises, en application de l'article L. 521-20 du code de l'énergie, la sélection de l'actionnaire opérateur d'une société d'économie mixte hydroélectrique et la désignation de l'attributaire de la concession. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le cahier des charges du marché litigieux a été rédigé par l'ADEME avec l'assistance d'une équipe intervenant pour le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) au nombre desquels figuraient notamment une ingénieure en géothermie et réservoir et deux docteur en géophysique et séismologie. Il résulte par ailleurs du deuxième aliéna de l'article 1er du décret n° 59-1205 du 23 octobre 1959 relatif à l'organisation administrative et financière du BRGM dans sa version alors en vigueur que cet établissement public a notamment pour mission de " de conduire des recherches fondamentales et appliquées concernant le sol et le sous-sol et de mener des actions d'expertise et des actions de développement technologique et industriel dans ce domaine. Il exerce, notamment, les fonctions de service géologique national. " Eu égard à la qualification de l'équipe du BRGM et de l'objet statutaire de cet établissement, la société requérante, qui se borne à faire valoir sa plus grande expertise, n'établit pas que l'équipe qui a rédigé le cahier des charges n'était pas compétente pour ce faire. Par suite, le moyen ainsi invoqué doit, en tout état de cause, être écarté comme non-fondé.

5. En deuxième lieu, la circonstance que le recours au BRGM par l'ADEME pour l'assister dans la rédaction du cahier des charges n'aurait pas fait l'objet d'une procédure de mise en concurrence est, en tout état de cause, sans incidence sur le respect par l'ADEME du respect des obligations de publicité et de mise en concurrence dans le cadre de la procédure litigieuse.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 2152-7 du code de la commande publique " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / 1° Soit sur un critère unique qui peut être : /a) Le prix, à condition que le marché ait pour seul objet l'achat de services ou de fournitures standardisés dont la qualité est insusceptible de variation d'un opérateur économique à l'autre ; / b) Le coût, déterminé selon une approche globale qui peut être fondée sur le coût du cycle de vie défini à l'article R. 2152-9 ; / 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : / a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l'accessibilité, l'apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, d'insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ; / b) Les délais d'exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l'assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ; / c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché. / D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. / Les critères d'attribution retenus doivent pouvoir être appliqués tant aux variantes qu'aux offres de base. "

7. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publiques, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, de telles méthodes de notation.

8. Il résulte de l'instruction que le règlement de la consultation prévoyait à son point 6 la mise en œuvre de deux critères de sélection des offres avec d'une part, le critère du prix pondéré à 35%, le critère de la qualité des politique RSE et HSE mise en place pour la réalisation des prestations pondéré à 10% et d'autre part, le critère de la valeur technique de l'offre pondéré à 55% et divisé en deux sous-critères " qualité des solutions technologiques (qualité des algorithmes, des équipements utilisés et des équipes proposées) " et " qualité du scénario de mise en situation " également pondérés. Les principaux attendus dans le scénario de mise en situation étaient par ailleurs mentionnés dans ce document. Ces éléments, non-dépourvus de lien avec le marché, étaient suffisamment précis pour permettre aux candidats de présenter utilement une offre. Par ailleurs, la société requérante, qui se borne à contester la note qu'elle a obtenue sur le critère technique, n'établit pas que la méthode de notation aurait eu pour effet de priver les critères ainsi définis de leur portée. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité des critères de sélection des offres et de la méthode de notation doit être écarté comme non-fondé.

9. En quatrième lieu, la société requérante ne peut utilement soutenir qu'elle aurait dû obtenir une meilleure note sur le critère de la valeur technique, dès lors qu'il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. En outre, les offres étant appréciées les unes par rapport aux autres, la circonstance que la société CDP Consulting aurait obtenu une meilleure note en candidatant dans le cadre d'une procédure lancée par l'ADEME pour un marché similaire ne suffit pas à établir que son offre aurait été dénaturée.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. "

11. Le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter.

12. Il résulte de l'instruction que la société requérante a déposé une offre d'un montant de 1 062 960 euros et a été placée dernière sur le critère du prix en cinquième position. Si ce montant est très largement supérieur à l'offre de la société attributaire qui s'élève à 245 700 euros TTC, cette seule circonstance ne suffit pas à établir que l'offre de la société DMP Petrologic serait anormalement basse alors que notamment, d'autres offres d'un montant comparable à celle de la société attributaire et également d'un montant très largement inférieur à celle de la société requérante ont été présentées. Par suite, le moyen tiré de ce que l'offre de la société attributaire présenterait un caractère anormalement bas doit être écarté comme non-fondé.

13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la société

CDP Consulting sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société CDP Consulting une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'ADEME et non compris dans les dépens.

ORDONNE :

Article 1er : La requête de la société CDP Consulting est rejetée.

Article 2 : La société CDP Consulting versera à l'ADEME une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société CDP Consulting, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société DMT Petrologic.

Copie en sera adressée à l'agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME)

Fait à Nantes, le 10 janvier 2024.

Le juge des référés,

P-E. SIMON

La greffière,

A. GOUDOU

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui

concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à

l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,