TA Dijon, 08/09/2023, n°2302372

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 11 août 2023, le préfet de la Côte-d'Or demande au juge des référés de suspendre, sur le fondement des dispositions de l'article L. 554-1 du code de justice administrative, l'exécution des marchés de travaux passés par la commune de Fontaine-Française pour la construction d'une maison de santé pluri-professionnelle transmis au contrôle de légalité les 14, 19 et 20 juin 2023.

Il soutient que :

- son recours est recevable ; la demande n'est pas soumise à la condition d'urgence ;

- en ce qui concerne la validité du marché :

* L'offre de la société Rouge Cekoya a été retenue pour le lot n°15 alors que cette offre était tardive et qu'elle aurait dû être éliminée conformément à l'article R. 2151-5 du code de la commande publique ; l'attribution de ce lot doit être annulée ;

* La première procédure a été déclarée infructueuse pour des motifs d'intérêt général tenant à des prix élevés alors que ce motif n'est pas prévu ; la commission d'appel d'offre était incompétente pour déclarer la procédure infructueuse dès lors que cette décision relevait de la personne compétente pour attribuer le marché ; la première procédure aurait dû être déclarée sans suite pour motif économique ; il n'était pas possible de retenir lors de la seconde procédure des offres déposées lors de la première procédure ayant fait l'objet d'une abandon ; l'attribution du lot n°5 à l'entreprise " Service Etanche " est irrégulière dès lors que cette entreprise n'a déposé aucune offre lors de la seconde procédure de passation et que la première procédure avait fait l'objet d'un abandon en raison de prix trop élevés ; la commune ne pouvait passer un marché sans publicité ni mise en concurrence avec l'entreprise Vo Couverture pour l'attribution du lot n°3 sur le fondement de l'article R. 2122-2 du code de la commande publique dès lors qu'elle avait déclaré sans suite la première procédure ;

* Les offres ont été attribuées sans analyse des candidatures contrairement aux exigences posées par l'article R. 2144-3 du code de la commande publique alors que les documents de la consultation prévoyaient des conditions de participation relatives aux capacités des candidats ;

* L'offre de la SAS Noireault titulaire du lot n°8 ne contenait pas la totalité des documents exigés (absence de Kbis, Urssaf, attestations, assurances), ce qui aurait dû entraîner l'élimination de ce candidat ; en n'écartant pas cette candidature incomplète, l'acheteur a entaché la procédure de passation d'une irrégularité qui justifie l'annulation du marché ;

* Le montant fixé dans l'acte d'engagement du lot n°9 n'est pas identique au montant fixé dans la délibération autorisant la signature du marché ce qui entraîne l'irrégularité de la procédure de passation du lot n°9 en ce que l'étendue de la compétence du conseil municipal a été méconnue ;

* Aucune analyse des critères et sous-critères relatifs à la valeur technique n'a été réalisée dans " l'analyse devis et dépouillement " en méconnaissance des critères de choix fixés par les règlements de la consultation ; les critères de sélection ne peuvent être modifiés après le dépôt des offres ; le pouvoir adjudicateur a porté atteinte à l'égalité de traitement des candidats et aux principes de liberté d'accès et transparence en analysant les offres uniquement au regard du prix ou au regard d'un autre critère que celui de la valeur technique ;

* Une atteinte excessive ne serait pas portée à l'intérêt général en cas de suspension du marché dès lors que le projet de maison de santé de Fontaine-Française ne fait état que de la présence de deux médecins, trois infirmiers, quatre masseurs-kinésithérapeutes, un orthophoniste et un pharmacien ; il ressort des échanges avec l'agence régionale de santé que les deux médecins sont déjà installés sur le territoire et ne souhaiteraient plus s'établir dans la maison de santé ; au regard du zonage conventionnel relatif aux infirmiers, la commune se situe en zone intermédiaire, ce qui révèle l'absence de besoins importants ; la commune se situe aussi en périphérie de zones très dotées en infirmiers.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 août 2023, la société Trampé Construction, représentée par Adaes avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article R. 2185-1 du code de la commande publique permettent également de fonder une déclaration d'infructuosité ; il a déjà été jugé que tout pouvoir adjudicateur peut déclarer une procédure infructueuse si une seule société a présenté une offre et que le prix proposé est trop élevé ;

- il ressort du règlement de consultation que la commune a souhaité procéder à l'analyse des candidatures après celle des offres, ce qui lui permettait de seulement inventorier les documents et renseignements demandés.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 août 2023, la société Vitrey Menuiserie, représentée par Adaes avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les dispositions de l'article R. 2185-1 du code de la commande publique permettent également de fonder une déclaration d'infructuosité ; il a déjà été jugé que tout pouvoir adjudicateur peut déclarer une procédure infructueuse si une seule société a présenté une offre et que le prix proposé est trop élevé ;

- il ressort du règlement de consultation que la commune a souhaité procéder à l'analyse des candidatures après celle des offres, ce qui lui permettait de seulement inventorier les documents et renseignements demandés.

Par un mémoire en défense enregistré le 28 août 2023, la commune de Fontaine-Française, représentée par Me Barberousse, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- s'agissant de l'offre de la société Rouge Cekoya, elle prend acte de ce que l'horodatage de la plateforme dématérialisée de dépôt fait état d'une remise des plis après l'heure limite ;

- elle s'est résolue à retenir l'offre de la société Services Etanches en raison de l'absence de candidature lors de la seconde procédure ; elle n'a été guidée que par le souci d'aboutir à la bonne fin de l'opération sans volonté aucune de favoriser une entreprise ;

- s'agissant du lot n°3, aucune offre n'ayant été transmise, la seule solution était celle de la sollicitation directe ; aucune volonté de contourner le principe de liberté d'accès et de transparence des procédures ne peut lui être imputée ;

- il a été procédé à l'analyse des candidatures dès lors que figure dans le tableau une colonne " références " qui correspond à la liste des travaux exécutés et aux attestations de bonne exécution requises ;

- s'agissant du lot n°8, le règlement de consultation de la première procédure à l'issue de laquelle l'offre de cette société a été retenue ne prévoyait nullement que les candidats produisent un K-Bis, une attestation d'assurance et plus généralement les attestations relatives aux obligations fiscales et sociales ; l'article R. 2144-4 du code de la commande publique dispose que l'acheteur peut n'exiger que du candidat auquel il est envisagé d'attribuer le marché qu'il justifie ne pas relever d'un motif d'exclusion ; les documents ont été produits par la société Noireaut le 16 mai 2023 ;

- s'agissant du lot n°9, l'erreur de dix euros dans les montants est purement matérielle et n'est pas de nature à caractériser une irrégularité définitive ;

- la colonne " DT " recense les notes attribuées à chaque candidat au titre de la valeur technique ; la seule circonstance que l'appréciation de la valeur technique ait été formalisée par une note sur dix n'est pas en elle-même irrégulière puisque le classement des offres a été réalisé à partir des classements respectifs des offres sur les deux critères également pondérés de la valeur technique et du prix ;

- l'intérêt public commande de ne pas faire droit à la demande de suspension ; son territoire est sous-doté en offres de soins et il y a lieu de remédier au plus vite à cette situation ; les deux praticiens se sont engagés à rejoindre la future maison de santé et y exercer pendant une durée minimale de trois ans ; les travaux ont débuté le 13 juin 2023 et la pose de la première pierre est prévue le 15 septembre prochain ; les terrassements et les fondations sont d'ores et déjà coulés et les élévations doivent débuter incessamment ; la suspension placerait les entreprises de gros œuvre dans une situation extrêmement délicate dès lors qu'elles ont dû mobiliser leurs équipes à plein temps ; la situation de la commune serait catastrophique sur le plan financier.

Les sociétés Rouge Cekoya, Bongarzone, EURL Llorca bâtiment, Vo Couverture, Service Etanche, Menuiserie Petit, Noireaut, Ronzat, Sonelec, ATCF Nord Est Climatisation, Castellani BTP et L'atelier de la Menuiserie n'ont pas produit de mémoire.

Vu :

- la requête n° 2302373 enregistrée le 11 août 2023 tendant à l'annulation du marché litigieux ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Hascoët en qualité de juge des référés, en vertu des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Lelong, greffière d'audience :

- le rapport de Mme Hascoët, juge des référés ;

- les observations de Mme B, représentant le préfet de la Côte-d'Or qui reprend les conclusions et les moyens de la requête ; s'agissant de l'analyse des candidatures, elle ajoute que le tableau produit n'est pas daté et que les documents relatifs aux candidatures n'ont pas été transmis au contrôle de légalité ; s'agissant du lot n°8, elle regrette que le tableau d'analyse des offres ne précise pas quels sont les éléments manquants et que des demandes ont été effectuées auprès des soumissionnaires ;

- les observations de Me Caille, représentant la commune de Fontaine-Française qui indique à titre de contexte que l'offre de soins est insuffisante dans la commune, que c'est un projet ambitieux pour une petite commune et que celle-ci a été surprise par le contentieux et l'absence de dialogue avec la préfecture ; il ajoute que l'annulation ne peut être que la sanction ultime compte tenu de l'office du juge et que les moyens soulevés par le préfet, relatifs au non-respect des règles de passation, ne sont pas de nature à entraîner l'annulation ; concernant le lot n°15, il précise que l'intervention de l'attributaire sur le chantier est prévue pour le mois de juin 2024 ; s'agissant de la décision d'infructuosité, il indique que les prix étaient trop élevés lors de la première procédure et qu'il ne s'agit aucunement d'un stratagème ; il souligne qu'aucune offre n'a été présentée pour les lots 3 et 5 lors de la seconde procédure et que la commune a, par pragmatisme, contacté directement des entreprises ; s'agissant de l'analyse des candidatures, il fait valoir que le tableau d'analyse comporte une colonne " références " et la commune s'engage par ailleurs à transmettre au préfet le 31 août au plus tard les documents relatifs aux candidatures ; s'agissant du lot n°8, il est précisé que les croix présentes dans le tableau d'analyse indiquent seulement que les documents étaient manquants lors de l'ouverture des plis mais que toutes les sociétés attributaires ont néanmoins fourni les documents demandés avant la signature des actes d'engagement sur demande de la commune ; s'agissant de l'analyse de la valeur technique, M. A, maître d'œuvre de la commune, indique qu'il l'a notée sur dix par erreur et que la colonne " DT " du tableau correspond à cette note ; il explique par ailleurs qu'il a effectué une analyse des différentes offres " au brouillon " et qu'il a reporté dans le tableau d'analyse des offres le résultat de cette analyse ; Me Caille fait encore valoir que la suspension aurait des incidences catastrophiques pour la commune qui n'est pas au courant d'une défection des deux médecins porteurs du projet et qui a obtenu plusieurs subventions pour financer ce projet ; il ajoute qu'il existerait alors un risque d'augmentation du coût de l'opération et que la commune pourrait devoir indemniser des entreprises ;

- les observations de Me Hortance, représentant les sociétés Trampé Construction et Vitrey Menuiserie qui fait valoir que le règlement de consultation prévoyait une analyse des candidatures après l'analyse des offres, que l'analyse des offres a été réalisée et que les deux sociétés qu'elle représente ont commencé à exécuter les travaux.

Les sociétés Rouge Cekoya, Bongarzone, EURL Llorca bâtiment, Vo Couverture, Service Etanche, Menuiserie Petit, Noireaut, Ronzat, Sonelec, ATCF Nord Est Climatisation, Castellani BTP et L'atelier de la Menuiserie n'étaient pas représentées.

La juge des référés a indiqué à l'audience que la clôture de l'instruction était reportée au vendredi 1er septembre à 12h pour permettre à la commune de Fontaine-Française de produire les documents relatifs aux candidatures et de les transmettre par ailleurs au préfet.

Par un mémoire enregistré le 31 août 2023, la commune de Fontaine-Française, représentée par Me Barberousse, a produit des pièces concernant les documents de candidature.

Par un mémoire enregistré le 1er septembre 2023, le préfet de la Côte-d'Or a fait valoir ses observations sur les nouvelles pièces produites par la commune.

Il soutient que :

-des documents sont toujours manquants pour les lots n°2, 3, 4, 5, 15, 16 ;

- s'agissant du lot n°5, il manque le mémoire technique, ce qui devait entraîner l'attribution d'une note égale à zéro alors que tel n'est pas le cas ;

- s'agissant du lot n°8, le Kbis a été sollicité le 1er juillet 2023 alors que le marché a été signé antérieurement ; la commune ne disposait pas de cette pièce lors de la signature ;

- s'agissant du lot n°13, l'entreprise attributaire s'est présentée en personne à la préfecture pour remettre les documents, ce qui interroge sur le point de savoir si la commune disposait des documents lors de l'attribution du lot ;

- le support manuscrit d'appréciation des offres n'est pas daté et ne permet pas de s'assurer que l'offre économiquement la plus avantageuse a été retenue ; ces informations auraient dû figurer dans le rapport d'analyse des offres et faire mention de la valeur technique notée sur six points ;

- sauf pour le lot n°8, il n'a été destinataire que des pièces de candidatures exigées dans le règlement de consultation et non des pièces requises dans le rapport d'analyse des offres.

Par un mémoire enregistré le 5 septembre 2023, la commune de Fontaine-Française, représentée par Me Barberousse, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- seules les pièces de la candidature exigées par le règlement de consultation devaient être produites ; les autres documents répertoriés dans le tableau d'analyse des offres ne constituent pas des pièces obligatoires de la candidature ;

- elle produit néanmoins les documents ;

- s'agissant du lot n°8, la commune a été destinataire d'un extrait Kbis préalablement à la signature de l'acte d'engagement ;

- s'agissant du lot n°13, la circonstance que l'entreprise ait communiqué spontanément ses attestations ne signifie nullement que les documents ont été établis et transmis à la commune postérieurement à la signature de l'acte d'engagement ;

- s'agissant du lot n°16, la société a commencé son activité le 1er juin 2022 et était dans l'incapacité de produire une liste de réalisations sans que l'accès au marché lui soit barré pour autant.

Par une ordonnance du 5 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été reportée au 5 septembre 2023 à 15 heures.

Un mémoire produit par le préfet de la Côte-d'Or a été enregistré le 5 septembre 2023 à 15h14 et n'a pas été communiqué.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Fontaine-Française a lancé une procédure adaptée en vue de la conclusion de marchés de travaux relatifs à la construction d'une maison de santé pluri-professionnelle. Ce marché comportait initialement dix-sept lots. A l'issue de la procédure, le pouvoir adjudicateur a, d'une part, attribué les lots n° 8, 10, 11 et 12, d'autre part, déclaré la procédure infructueuse pour les autres lots au motif que les prix des offres étaient trop élevés. Une seconde procédure adaptée a été menée en vue de l'attribution des lots n° 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 9, 13, 14, 15 et 16. Les actes d'engagements des différents lots ont été signés le 6 juin 2023. Par sa requête, le préfet de la Côte-d'Or demande au juge des référés la suspension de l'exécution de l'ensemble des lots du marché de travaux.

Sur la demande de suspension :

En ce qui concerne le cadre juridique :

2. Aux termes de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'Etat dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. / () Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. / Jusqu'à ce que le président du tribunal administratif ou le magistrat délégué par lui ait statué, la demande de suspension en matière d'urbanisme, de marchés et de délégation de service public formulée par le représentant de l'Etat dans les dix jours à compter de la réception de l'acte entraîne la suspension de celui-ci. Au terme d'un délai d'un mois à compter de la réception, si le juge des référés n'a pas statué, l'acte redevient exécutoire. / () ". Aux termes de l'article L. 554-1 du code de justice administrative : " Les demandes de suspension assortissant les requêtes du représentant de l'Etat dirigées contre les actes des communes sont régies par le 3e alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales ci-après reproduit : / " Art. L. 2131-6, alinéa 3.-Le représentant de l'Etat peut assortir son recours d'une demande de suspension. Il est fait droit à cette demande si l'un des moyens invoqués paraît, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'acte attaqué. Il est statué dans un délai d'un mois. " / () ".

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Les requérants peuvent éventuellement assortir leur recours d'une demande tendant, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à la suspension de l'exécution du contrat. Le représentant de l'Etat dans le département peut assortir son recours d'une demande de suspension sur le fondement des dispositions citées ci-dessus du troisième alinéa de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, auquel renvoie l'article L. 554-1 du code de justice administrative.

4. Le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini.

En ce qui concerne les vices soulevés par le préfet :

5. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. / Les offres sont appréciées lot par lot () ". Aux termes de l'article R. 2152-11 du même code : " Les critères d'attribution ainsi que les modalités de leur mise en œuvre sont indiqués dans les documents de la consultation ".

6. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres. Le pouvoir adjudicateur est tenu de respecter les dispositions du règlement de consultation qu'il a édicté.

7. L'article 6 du règlement de consultation prévoyait pour les deux procédures adaptées successivement menées par la commune que les offres seraient appréciées en fonction de deux critères, le prix et la valeur technique, pondérés chacun à 50 %. S'agissant de la valeur technique, ce document précisait encore : " Il est décomposé en deux sous-critères : / 1/ Les indications sur l'organisation du chantier : / -nombre de personnes affecté au chantier et qualifications (noté sur 1 point) / -matériel affecté au chantier (noté sur 1 point) / -références et caractéristiques techniques des matériaux mis en œuvre sur le chantier (noté sur 1 point) / 2/ Les indications sur la méthodologie prévue pour la réalisation des travaux, et en particulier le traitement des différentes étapes nécessaires à la réalisation des ouvrages : / -étude, fabrication (noté sur 1 point) / -approvisionnement, pose, enchaînement des tâches (noté sur 1 point) / - contrôle des travaux (noté sur 1 point) / Les notes seront ensuite pondérées en fonction du coefficient affecté au critère (50 %) / () Une note globale sera attribuée par addition des notes précitées pondérées. La note sera arrondie à deux décimales. () ".

8. Le seul document relatif à l'analyse des offres produit par la commune est un tableau qui n'indique pas de note globale pour les offres ni de note concernant le prix et, s'agissant de la valeur technique, indique seulement dans une colonne dite " détail technique " une note apparemment donnée sur 10. Les seules remarques apparaissant dans ce tableau concernent le prix et ne permettent pas de vérifier comment la note relative à la valeur technique a été donnée. Il résulte de l'instruction, et notamment des échanges lors de l'audience, que le maître d'œuvre a établi par erreur une note sur 10 au lieu d'une note sur 6 au titre de la valeur technique et qu'il n'existe pas de document permettant de connaître le détail de la note attribuée au titre de la valeur technique, les notes manuscrites du maître d'œuvre produites lors de l'audience ne donnant pas ce détail. Alors que selon le règlement de consultation chacun des deux sous-critères de la valeur technique devait être noté sur 3, et que chacun des deux sous-critères comportait trois éléments notés chacun sur un point, soit un total de six points, les notes données sur dix points au titre de la valeur technique sont toutes des notes exprimées sous forme de nombres entiers sans arrondi de sorte qu'il ne peut s'agir de notes respectant la pondération de chaque sous-critère de la valeur technique prévue par le règlement de consultation (soit 16 2/3 % de la note concernant la valeur technique pour chaque élément). Il résulte en outre des notes manuscrites produites que des critères non prévus par le règlement de consultation relatifs à la taille de l'entreprise, à sa situation géographique, à la distance entre le siège et le chantier et à l'existence de relations contractuelles préalables semblent avoir été utilisés lors de l'appréciation des offres. En outre, comme le relève le préfet, l'attributaire du lot n°5 a reçu une note de 7 puis de 8 au titre de la valeur technique alors que son mémoire technique est indiqué manquant. Alors qu'il n'existe aucun document détaillé relatif à la notation des offres, ces circonstances révèlent que le pouvoir adjudicateur n'a pas respecté les sous-critères qu'il avait lui-même fixés dans le règlement de consultation et a ce faisant méconnu les principes de transparence et d'égalité de traitement des candidats.

9. L'irrégularité relevée au point qui précède, qui affecte le choix des attributaires pour les lots qui ont fait l'objet de plusieurs offres, ne peut être couverte par une mesure de régularisation et ne permet pas la poursuite de l'exécution des marchés compte tenu de sa gravité. Ce vice, qui n'affecte ni le consentement de la personne publique, ni la licéité du contenu des marchés, ne paraît pas susceptible de justifier, en l'absence de circonstances particulières, l'annulation des contrats. Ce vice est en revanche au nombre de ceux qui seraient susceptibles de conduire le juge du contrat à résilier les marchés. Il résulte des éléments produits par le préfet que la résiliation des marchés de travaux, si elle va retarder le regroupement de professionnels de santé au sein d'un même établissement et la création de nouveaux locaux, ne privera pas les administrés de soins dès lors que la commune de Fontaine-Française compte déjà installés sur son territoire deux médecins généralistes, un cabinet infirmier, quatre masseurs kinésithérapeutes, un pharmacien et un orthophoniste. Il résulte du document " projet de soin relatif à la maison de santé " que la commune se situe en zone intermédiaire selon les zonages conventionnels, de sorte qu'elle n'est pas sous-dotée ou très sous-dotée en offre de soins. En outre, si le projet immobilier pourrait permettre l'accueil de nouveaux professionnels, il ne résulte pas de l'instruction qu'un chirurgien-dentiste ou une sage-femme se soit d'ores et déjà engagé à s'installer dans la nouvelle maison de santé. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que la construction de la maison de santé répondrait à une situation d'une particulière urgence sur le plan sanitaire. La circonstance que les travaux de gros œuvre ont commencé et les difficultés financières, peu documentées, qui pourraient résulter de la suspension et de la résiliation des contrats compte tenu du coût des travaux ne permettent pas plus en elles-mêmes, en l'espèce, de considérer que la résiliation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général. Dès lors, le moyen tiré du non-respect des critères de sélection des offres est de nature à créer un doute sérieux quant à la validité des marchés et à justifier la suspension de l'exécution des marchés relatifs aux lots concernés, soit les lots n°1, 2, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16.

10. En revanche, pour les lots n° 3, 4 et 7, qui ont fait l'objet d'une seule offre, le vice tenant au non-respect des sous-critères d'évaluation de la valeur technique, qui ne peut être régularisé, permet la poursuite de l'exécution des contrats, compte tenu de l'absence d'incidence en l'espèce de ce vice sur le choix de l'attributaire.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2144-1 du code de la commande publique : " L'acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, y compris en ce qui concerne les opérateurs économiques sur les capacités desquels le candidat s'appuie. Cette vérification est effectuée dans les conditions prévues aux articles R. 2144-3 à R. 2144-5 ". Aux termes de l'article R. 2144-3 du même code : " La vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles des candidats peut être effectuée à tout moment de la procédure et au plus tard avant l'attribution du marché ".

12. Le préfet fait valoir que le pouvoir adjudicateur n'a pas procédé à l'analyse des candidatures et a retenu des candidats qui avaient présenté des dossiers incomplets. Il résulte de l'instruction que le tableau intitulé " analyse dépouillement 2ème appel suite négociation ", qui constitue le seul document d'analyse des offres et des candidatures, fait état de pièces manquantes, y compris pour les attributaires des lots. Ceci concerne en particulier les lots n°2, 4, 5, 8, 13, 15 et 16. Il résulte des échanges intervenus à l'audience que les documents manquants, dont la transmission au préfet était obligatoire dans le cadre du contrôle de légalité en application de l'article R. 2131-5 du code général des collectivités territoriales, n'ont pas été transmis au préfet lors de la signature des marchés. Si la commune a fait valoir à l'audience qu'elle avait demandé aux entreprises candidates de compléter leur dossier de candidature avant d'attribuer les lots, elle n'a produit aucun courrier ou courrier électronique ayant cet objet permettant d'étayer ses dires et d'établir la date à laquelle les documents auraient été transmis. Si les documents manquants ont finalement été communiqués, pour un certain nombre d'entre eux, dans le cadre de l'instance, certains documents comportaient une date incohérente, postérieure à la signature des marchés, comme l'a relevé le préfet et certains documents demeurent manquants. Ces circonstances révèlent que la commune de Fontaine-Française n'a pas procédé à une vérification des candidatures qu'elle a reçues avant d'attribuer les lots.

13. L'irrégularité relevée au point qui précède, qui affecte le choix des attributaires, ne peut être couverte par une mesure de régularisation et ne permet pas la poursuite de l'exécution des marchés compte tenu de sa gravité. Ce vice est au nombre de ceux qui seraient susceptibles de conduire le juge du contrat à résilier les marchés. Il ne résulte pas de l'instruction que la résiliation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, comme il a été dit précédemment. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que la commune n'a pas procédé à l'analyse des candidatures fait naître un doute sérieux sur la validité des marchés des lots n°2, 4, 5, 8, 13, 15 et 16.

14. En troisième lieu, au surplus, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation () ". Les articles R. 2143-2 et R. 2151-5 du code de la commande publique prévoient respectivement que les candidatures reçues hors délai et les offres reçues hors délai sont éliminées.

15. L'article 7 du règlement de consultation prévoit également : " () Les plis qui seraient remis ou dont l'avis de réception serait délivré après la date et l'heure limites précitées, ne seront pas retenus ". La date limite de réception des offres fixée par le règlement de consultation était le 23 février 2023 à 17 heures.

16. Il est constant que la candidature et l'offre et la société Rouge Cekoya a été déposée le 23 février 2023 à 17h07, comme cela ressort du document intitulé " dépouillement d'une consultation " relatif à la seconde procédure adaptée menée. Cette offre parvenue postérieurement à l'heure limite fixée par le règlement de consultation aurait dû être éliminée. En retenant cette offre, alors d'ailleurs que des offres régulières avaient été reçues pour le lot n° 15, le pouvoir adjudicateur a méconnu l'égalité de traitement entre les candidats.

17. L'irrégularité relevée au point qui précède qui n'affecte ni le consentement de la personne publique, ni la licéité du contenu du marché, ne paraît pas susceptible de justifier, en l'absence de circonstances particulières, l'annulation du contrat. Elle ne peut être couverte par une mesure de régularisation et ne permet pas la poursuite de l'exécution du marché compte tenu de sa gravité. Elle est ainsi au nombre de celles qui seraient susceptibles de conduire le juge du contrat à résilier le marché. Il ne résulte pas de l'instruction que la résiliation porterait une atteinte excessive à l'intérêt général, comme il a été dit précédemment, alors en outre qu'il résulte des échanges intervenus à l'audience que l'exécution des travaux de ce lot n'est prévue qu'au printemps 2024. Dès lors, le moyen tiré de ce que la commune a retenu pour le lot n° 15 une offre qui devait être éliminée comme tardive est également de nature à créer un doute sérieux quant à la validité du marché relatif à ce lot et à justifier la suspension de ce marché.

18. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête en ce qui concerne ces lots, le préfet de la Côte-d'Or est fondé à demander la suspension de l'exécution des marchés relatifs aux lots n°1, 2, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16.

19. En revanche, en l'état de l'instruction, aucun des moyens de la requête du préfet de la Côte-d'Or n'est de nature à faire naître un doute sérieux quant à la validité des marchés relatifs aux lots n°3 et 7.

Sur les frais liés au litige :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : L'exécution des contrats afférents aux lots n°1, 2, 4, 5, 6, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15 et 16 du marché de travaux de construction d'une maison de santé pluri-professionnelle à Fontaine-Française est suspendue jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur leur validité.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par la commune de Fontaine-Française, la société Trampé Construction et la société Vitrey Menuiserie sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée au préfet de la Côte-d'Or, à la commune de Fontaine-Française, à la SASU Rouge Cekoya, à la SAS Bongarzone, à l'EURL Llorca bâtiment, à la SARL Vo Couverture, à la SARL Trampé Construction, à l'EURL Service Etanche, à la SARL Vitrey Menuiserie, à la SARL Menuiserie Petit, à la SAS Noireaut, à la SAS Ronzat, à la SAS Sonelec, à la SAS ATCF Nord Est Climatisation, à la SARL Castellani BTP et à la SAS L'atelier de la Menuiserie.

Copie en sera adressée au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Fait à Dijon, le 8 septembre 2023.

La juge des référés,

P. HASCOËT

La République mande et ordonne au préfet de la Côte-d'Or en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

N°2302372