TA Grenoble, 21/05/2024, n°2201399


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 7 mars 2022, la société Belgorail SA, représentée par Me Holterbach, demande au tribunal :

1°) d'annuler le contrat conclu le 16 mars 2021 entre la société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT) et le groupement Bureau Veritas exploitation et Bureau Veritas Italia ;

2°) d'enjoindre à la société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT) de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des candidatures, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent jugement ;

3°) de mettre à la charge de la société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT) une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Belgorail SA soutient que :

- sa candidature était régulière dès lors qu'elle disposait de l'accréditation exigée par le règlement de la consultation ;

- la candidature du groupement attributaire présente un caractère irrégulier.

Par un mémoire en défense enregistré le 20 avril 2022, la société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT), représentée par le cabinet Gide Loyrette Nouel, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Belgorail SA une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT) fait valoir que les moyens soulevés par la société Belgorail SA sont mal fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le décret n° 2019-525 du 27 mai 2019 ;

- l'arrêté du 27 mai 2019 relatif aux conditions et aux modalités de notification et de désignation des organismes d'évaluation de la conformité et des organismes internes accrédités ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Pollet,

- les conclusions de M. A,

- et les observations de Me Meierhans représentant la société Belgorail SA et les observations de Me Brusq représentant la société Tunnel Euralpin Lyon Turin.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre du projet de nouvelle liaison ferroviaire Lyon-Turin, la société TELT, créée sur le fondement de l'accord intergouvernemental signé entre la France et l'Italie le 30 janvier 2012, entité adjudicatrice au sens de la directive 2004/17/CE du 31 mars 2004, a, aux termes d'un avis d'appel public à la concurrence publié au journal officiel de l'Union Européenne (JOUE) le 5 février 2021, lancé une procédure adaptée en vue de la signature d'un accord-cadre mono-attributaire mixte. L'objet de cette procédure était de sélectionner un prestataire de services afin d'exécuter l'évaluation indépendante de la conformité des tunnels ferroviaires français (nobo-debo-asbo). La société requérante a été informée, par un courrier du 15 novembre 2021 de ce que la candidature de son groupement n'avait pas été retenue, faute de disposer de l'habilitation Debo-France. Le marché a été attribué au groupement composé des entreprises Bureau Veritas exploitation et Bureau Veritas Italia. Dans la présente instance, la société Belgorail SA demande l'annulation du contrat signé entre la société TELT et le groupement composé des entreprises Bureau Veritas exploitation et Bureau Veritas Italia le 16 mars 2021.

2. Saisi par un tiers de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

3. Aux termes du point 6.1 du règlement de consultation, le dossier de candidature devait contenir " les habilitations et les qualifications du candidat notamment délivrées par les ministères compétents et nécessaires à la réalisation des prestations objet du présent marché ; () qualification en tant qu'organise d'évaluation de la conformité " DeBo-France " accrédité auprès du ministère français de la transition écologique, chargé des transports () ".

4. Il résulte de l'instruction qu'au 8 mars 2021, date limite de dépôt des candidatures, la société Belgorail SA n'était pas accréditée " DeBo-France " par le ministère chargé des transports. Par un courrier du 8 juin 2021, la société TELT a sollicité la production de pièces complémentaires tendant à justifier de cette accréditation avant le 11 juin 2021. Il est constant, qu'à cette date, la société Belgorail SA ne disposait pas davantage de cette accréditation. Ainsi, la société Belgorail SA ne peut utilement se prévaloir de la délivrance de l'accréditation sollicitée, postérieurement au 11 juin 2021. En tout état de cause, la société ne soutient, ni même n'allègue avoir transmis à l'entité adjudicatrice l'accréditation délivrée par le ministère chargé des transports le 19 juillet 2021. Elle ne peut pas plus utilement se prévaloir de la circonstance qu'elle détenait l'accréditation délivrée par les autorités belges (BELAC) ainsi qu'une accréditation européenne.

5. Enfin, la société requérante ne peut utilement soutenir que l'attributaire n'était pas titulaire des accréditions sollicitées, une telle irrégularité, qui manque d'ailleurs en fait, n'étant pas en rapport direct avec son éviction.

6. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête aux fins de contestation du contrat doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions aux fins d'injonction, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité.

7. Les conclusions présentées par la société Belgorail SA, partie perdante, doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Belgorail SA une somme de 1 200 euros à verser à la société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT).

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Belgorail SA est rejetée.

Article 2 : La société Belgorail SA est condamnée à verser à la société Tunnel Euralpin Lyon Turin (TELT) une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Belgorail SA, à la société Tunnel Euralpin Lyon Turin, à Bureau Veritas exploitation et à Bureau Veritas Italia.

Délibéré après l'audience du 7 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Wyss, président,

Mme Frapolli, première conseillère,

Mme Pollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 mai 2024 .

La rapporteure,

MA. POLLET

Le président,

JP. WYSS

Le greffier,

G. MORAND

La République mande et ordonne au préfet de la Haute-Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.