TA Guadeloupe, 11/08/2023, n°2300936

Vu la procédure suivante :

I.

Par une requête n° 2300911, enregistrée le 25 juillet 2023, la société Oidaneos demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'enjoindre à la région de la Guadeloupe de différer la signature des lots n° 1 à 4 du marché de développement de l'apprentissage sur le territoire régional de la Guadeloupe ;

2°) d'enjoindre à la région de la Guadeloupe de se conformer à ses obligations de publicité et de concurrence ;

3°) d'enjoindre à la région de la Guadeloupe de reprendre la procédure au stade de la publicité préalable ;

4°) d'annuler les décisions d'attribution des lots n° 1 à 4 du marché de développement de l'apprentissage sur le territoire de la Guadeloupe ;

5°) de mettre à la charge de la région de la Guadeloupe une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que la région de la Guadeloupe ne pouvait pas écarter son offre comme irrégulière pour les lots n° 1 et 3, dès lors qu'elle disposait de locaux pour l'exécution des prestations dans les périmètres de ces lots.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2023, la région de la Guadeloupe, représentée par le cabinet Peyrical et Sabattier associés agissant par Me Sabattier, conclut au non-lieu à statuer.

Elle indique avoir déclaré sans suite la procédure d'appel d'offres ouverte pour les lots n° 1 à 4 du marché en cause par une décision du 9 août 2023.

Par un mémoire complémentaire, enregistré le 10 août 2023, la société Oidaneos, représentée par Me Mathurin-Kancel, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision du 9 août 2023 par laquelle le président du conseil régional de la Guadeloupe a déclaré sans suite la procédure de passation des lots n° 1 à 4 du marché de développement de l'apprentissage sur le territoire régional de la Guadeloupe ;

2°) d'enjoindre à la région de la Guadeloupe de se conformer à ses obligations de publicité et de concurrence ;

3°) de mettre à la charge de la région de la Guadeloupe une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que la décision de déclaration sans suite pour motif d'intérêt général fondée sur le " défaut de concurrence suffisante " du 9 août 2023 est irrégulière, dès lors qu'elle se substitue à la décision irrégulière du 24 juillet 2023 par laquelle le pouvoir adjudicateur a, à tort, déclaré infructueuse la procédure d'attribution des lots n°1 à 4.

La requête a été communiquée à la société Pépite Academy qui n'a pas produit d'observations dans la présente instance.

II.

Sous le n° 2300936, par une requête et deux mémoires complémentaires respectivement enregistrés les 27 juillet, 4 et 10 août 2023, la société Oidaneos, représentée par Me Mathurin-Kancel, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision de rejet de son offre pour l'attribution du lot n° 5 du marché de marché de développement de l'apprentissage sur le territoire régional de la Guadeloupe ;

2°) d'annuler la procédure de passation du lot n° 5 du marché public engagée par la région de la Guadeloupe sous la forme d'un appel d'offres ouvert ayant pour objet le développement de l'apprentissage sur le territoire régional de la Guadeloupe ;

3°) d'enjoindre à la région de la Guadeloupe de se conformer à ses obligations de publicité et de concurrence ;

4°) de mettre à la charge de la région de la Guadeloupe une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de transparence, de non-discrimination et d'égalité de traitement des candidats ;

- la décision de rejet est insuffisamment motivée ;

- l'élément d'appréciation retenu pour évaluer l'item " contenu de l'entretien initial individuel avec les apprentis " est sans lien avec l'intitulé même de l'item, entaché d'imprécision.

Par un mémoire en défense enregistré le 9 août 2023, la région de la Guadeloupe, représentée par le cabinet Peyrical et Sabattier associés agissant par Me Sabattier, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Oidaneos la somme de 3 000 euros.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la société requérante n'est fondé.

La requête a été communiquée à la société Pépite Academy qui n'a pas produit d'observations dans la présente instance.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Lubrani pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Lubino, greffière d'audience, ont été entendus :

- le rapport de M. Lubrani, juge des référés,

- les observations de Me Mathurin-Kancel, pour la société Oidaneos, qui conclut aux mêmes fins que les requêtes par les mêmes moyens,

- et celles M. A, pour la région de la Guadeloupe.

Après avoir prononcé, à l'issue de l'audience du 10 août 2023, la clôture de l'instruction.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique./ Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".

2. La région de la Guadeloupe a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert, en vue de l'attribution d'un marché public, alloti géographiquement en cinq lots, ayant pour objet le développement de l'apprentissage sur le territoire régional de la Guadeloupe. La société Oidaneos a présenté une offre pour les cinq lots. Elle a été informée, par un courrier du 24 juillet 2023, du rejet de son offre pour le lot n° 5, classée en seconde position avec la note globale de 62/100, et de l'irrégularité de ses offres concernant les lots n° 1 à 4 pour méconnaissance de l'article 5 du règlement de la consultation, la région de la Guadeloupe indiquant par ailleurs déclarer infructueuse la procédure de passation pour ces lots n°1 à 4.

Sur les conclusions de la requête n° 2300911 :

3. Aux termes de l'article R. 2185-1 du code de la commande publique : " L'acheteur peut, à tout moment, déclarer une procédure sans suite ". Aux termes de l'article R. 2185-2 suivant : " Lorsqu'il déclare une procédure sans suite, l'acheteur communique dans les plus brefs délais les motifs de sa décision de ne pas attribuer le marché ou de recommencer la procédure aux opérateurs économiques y ayant participé ".

4. Les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auxquels ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente. Toutefois, les pouvoirs conférés au juge administratif, en vertu de la procédure spéciale qu'elles instituent, ne peuvent être exercés ni après la conclusion du contrat ni lorsque le pouvoir adjudicateur décide, pour un motif d'intérêt général, de ne pas donner suite à la procédure de consultation.

5. Il résulte de l'instruction que, le 9 août 2023, postérieurement à l'introduction de la requête, le président du conseil régional de la Guadeloupe a déclaré sans suite la procédure de passation des lots n° 1 à 4 du marché en cause " pour motif d'intérêt général en raison d'un défaut de concurrence suffisante ". L'existence de cette décision suffit à priver d'objet le litige, dès lors que les pouvoirs conférés au juge des référés précontractuels ne peuvent être exercés lorsque le pouvoir adjudicateur décide de ne pas donner suite à la procédure de consultation, peu importe à cet égard que la décision du 9 août 2023 soit, à supposer même le grief fondé, entachée d'illégalité. Les conclusions de la requête n° 2300911 de la société Oidaneos fondées sur l'article L. 551-1 du code de justice administrative, qui sont devenues sans objet, ne peuvent par conséquent qu'être rejetées.

6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Sur les conclusions de la requête n° 2300936 :

7. En premier lieu, si la société Oidaneos soutient que le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de transparence, de non-discrimination et d'égalité de traitement des candidats, elle n'assortit pas, en se bornant à faire un rappel du droit applicable et à affirmer avoir remis une offre complète, son moyen des précisions suffisantes permettant d'en apprécier le bien-fondé,

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. " L'article R. 2181-3 de ce code précise : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1. ". L'article R. 2181-4 indique : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue. "

9. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles R. 2181-3 et R. 2181-4 précités du code de la commande publique a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

10. Il résulte de l'instruction que, par un courrier du 24 juillet 2023, la région de la Guadeloupe a informé la société requérante du rejet de son offre pour le lot n° 5, en lui indiquant le nom de l'attributaire, le prix global de l'offre retenue, les notes obtenues pour chaque critère par chacun des deux candidats, la note globale attribuée aux deux candidats et une appréciation littérale succincte des caractéristiques des offres remises. Le 25 juillet 2023, la société requérante a formé une demande d'explication complémentaire, concernant en particulier " le détail de la valeur technique de l'offre ", et, sans attendre la réponse, a formé le 27 juillet suivant le présent recours contentieux. La région de la Guadeloupe a répondu à cette demande en cours d'instruction, le 8 août 2023, en produisant notamment l'analyse des offres de la société attributaire et de la société requérante, faisant apparaître le détail des notes attribuées pour l'ensemble des sous-critères préalablement définis, ainsi que les éléments d'appréciation pertinents. Ainsi, compte tenu, d'une part, des informations transmises dès le 24 juillet 2023 qui permettaient à la société requérante de connaître précisément les motifs de rejet de sa candidature et d'attribution et, d'autre part, des compléments d'information apportés par la région de la Guadeloupe en cours d'instruction, le moyen tiré de ce que la société requérante n'aurait pas été informée des motifs du rejet de son offre ne peut qu'être écarté.

11. En troisième et dernier lieu, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Le pouvoir adjudicateur, qui a l'obligation d'indiquer dans les documents de consultation les critères d'attribution du marché et leurs conditions de mise en œuvre, n'est en revanche pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation retenue pour apprécier les offres au regard de chacun de ces critères.

12. Il résulte de l'article 10. III. du règlement de la consultation que les critères d'attribution du marché litigieux étaient le prix des prestations, représentant 30 % de la note finale, et la valeur technique de l'offre, représentant 70 % de la note finale, critère lui-même décomposé en deux sous-critères, la " cohérence et qualité de la méthode pédagogique proposée ", représentant 40 % de la note globale, et l'" adéquation des moyens proposés pour l'exécution des prestations ", représentant 30 % de la note globale. Le règlement de la consultation indiquait en outre, pour la mise en œuvre de chaque sous-critère, les éléments d'appréciation sur lesquels le pouvoir adjudicateur entendait se fonder pour évaluer les offres, et précisait ainsi que le sous-critère 1 serait évalué en prenant en compte notamment " le contenu de l'entretien initial avec les apprentis ". Contrairement à ce que soutient la société requérante, il était loisible au pouvoir adjudicateur d'évaluer le sous-critère 1 en prenant en compte les conditions dans lesquelles le candidat indiquait mener l'entretien initial avec les apprentis, dès lors que cet élément d'appréciation n'était pas dépourvu de lien avec le sous-critère évalué et se rattachait en tout état de cause au " contenu de l'entretien initial avec les apprentis " qui constituait un élément d'appréciation dont les candidats avaient connaissance. Par suite, le moyen tiré de ce que le pouvoir adjudicateur aurait, d'une part, fait usage de sous-critères imprécis et, d'autre part, utilisé une méthode de notation de valeur technique irrégulière, doit être écarté.

13. Il résulte de ce qui précède que les conclusions de la requête n° 2300936 tendant à l'annulation de la procédure de passation du marché en litige doivent être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions accessoires à fin d'injonction.

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions aux fins d'annulation et d'injonction présentées par la société Oidaneos présentées sous le n° 2300911.

Article 2 : La requête présentée par la société Oidaneos sous le n° 2300936 est rejetée.

Article 3 : Les conclusions présentées par la région de la Guadeloupe, au titre des frais d'instance sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Oidaneos, à la région de la Guadeloupe et à la société Pépite Academy.

Décision rendue publique par mise à disposition au greffe le 11 août 2023.

La juge des référés,

Signé :

A. Lubrani La greffière,

Signé :

L. Lubino

La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme

La greffière en chef

Signé :

M-L Corneille

N° 2300911, 2300936