Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 2 février 2024, la société à responsabilité limitée Equip Travaux Hydrauliques Maritimes, représentée par Me Poirot-Bourdain, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-5 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la décision du Grand Port Maritime de Guadeloupe en date du 23 janvier 2024 rejetant son offre pour l'attribution du lot n°3 du marché public ayant pour objet la fourniture des équipements du quai n°12, dans le cadre des travaux d'extension de ce quai ;
2°) d'annuler toute décision se rapportant à la passation du marché en ce qui concerne le lot n°3 en litige ;
3°) d'enjoindre au Grand Port Maritime de Guadeloupe de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché en ce qui concerne le lot n°3 en litige ;
4°) d'enjoindre au Grand Port Maritime de Guadeloupe de réexaminer sa candidature ;
5°) de mettre à la charge du Grand Port Maritime de Guadeloupe une somme de 2 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le Grand Port Maritime de Guadeloupe a commis un manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence qui s'imposaient à elle, dès lors que la décision de rejet de son offre n'est pas motivée ;
- contrairement au motif retenu par le pouvoir adjudicateur, son offre était complète, et par suite régulière, dès lors, d'une part, qu'à la suite de la demande de régularisation, elle a précisé son prix en intégrant les frais initialement omis et, d'autre part, que le motif ayant justifié le rejet de l'offre ne constituait pas un critère de complétude des candidatures, faute de précision dans le règlement de consultation du marché.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 février 2024, le Grand Port Maritime de Guadeloupe, représenté le cabinet Ernst et Young, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société requérante une somme de 3 000 euros, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- les conclusions à fins de suspension de la signature du contrat sont sans objet et par suite irrecevables ;
- les conclusions à fins d'injonction au réexamen de la candidature de la société requérante sont irrecevables ;
- la décision de rejet de l'offre en précise les motifs, ce qui a permis à la société requérante de les contester utilement, sans le léser ;
- aucun manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence n'a été commis dès lors que la régularisation de l'offre par la société requérante a eu pour effet d'en modifier le prix, la rendant, de facto, irrégulière.
Par un courrier en date du 13 février 2024, la société Shibatafenderteam, attributaire du lot litigieux, a indiqué qu'elle n'entendait pas produire d'observation, dans le cadre de la présente instance.
Par courrier en date du 17 février 2024, les parties ont été invitées, en application des article L. 551-12 et R. 551-14 du code de justice administrative, à présenter leurs observations jusqu'au 21 février 2024, sur l'éventualité que le juge du référé précontractuel fasse application d'office des pouvoirs lui étant conférés par les dispositions du code de justice administrative en prononçant l'annulation de la procédure de passation des lots n°3 - Fournitures des équipements au stade de l'analyse des candidatures dans l'hypothèse où il accueillerait les moyens présentés par la SARL Equip Travaux Hydrauliques Maritimes.
Par un mémoire enregistré le 19 février 2024, la SARL Equip Travaux Hydrauliques Maritimes a présenté ses observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Bakhta en application de l'article L. 551-5 du code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendu au cours de l'audience publique tenue le 21 février 2024 à 9 heures, en présence de Mme Lubino, greffière d'audience :
- le rapport de Mme Bakhta, juge des référés,
- les observations de Me Lionnet, représentant le Grand port Maritime de Guadeloupe qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens et précise, d'une part que l'offre de la société requérante ne pouvait pas être regardée comme régularisée à la suite des échanges avec le pouvoir adjudicateur, dès lors que la modification du prix dans le second acte d'engagement produit ne pouvait être regardé comme la rectification d'une erreur matérielle et présenté un caractère substantielle et d'autre part, si le courrier de rejet mentionne que la formule de calcul permettant de relier les frais afférent au transport aux différents taux indiqués faisait obstacle à la régularisation de l'offre, il s'agit d'une erreur, l'obstacle à la régularisation étant celui développé dans les écritures et les observations propre au caractère substantielle de la modification du prix induite.
La société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes n'était ni présente, ni représentée.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Par avis en date du 18 octobre 2023, le Grand Port Maritime de Guadeloupe a engagé une consultation, sous la forme d'un appel d'offre ouvert, pour l'attribution d'un marché de fourniture relatif aux travaux d'extension du quai 12, divisé en 3 lots, dont un lot n°3 dénommé " Fourniture des équipements ". Par courrier en date du 23 janvier 2024, la société requérante Equip Travaux Hydrauliques Maritimes a été informée du rejet de son offre comme étant irrégulière. La société requérante demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-5 du code de justice administrative d'annuler la décision de rejet de son offre, ainsi que toutes les décisions se rapportant à la passation du marché public relatif au lot n° 3, et d'enjoindre au Grand Port Maritime de Guadeloupe de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du marché public en son lot n° 3 et de réexaminer sa candidature.
Sur les conclusions principales :
2. Aux termes de l'article L. 551-5 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les entités adjudicatrices de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () ". Aux termes de l'article L. 551-6 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations en lui fixant un délai à cette fin. Il peut lui enjoindre de suspendre l'exécution de toute décision se rapportant à la passation du contrat ou à la constitution de la société d'économie mixte à opération unique. Il peut, en outre, prononcer une astreinte provisoire courant à l'expiration des délais impartis () ".
En ce qui concerne le moyen tiré de l'insuffisante motivation du rejet de l'offre de la requérante :
3. Aux termes de l'article L. 2124-3 du code de la commande publique : " La procédure avec négociation est la procédure par laquelle l'acheteur négocie les conditions du marché avec un ou plusieurs opérateurs économiques. ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du même code : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. () ".
4. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à cette société de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-5 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-5 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.
5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que par courrier du 23 janvier 2024, le Grand Port Maritime de Guadeloupe a indiqué à la société requérante que son offre était irrégulière car incomplète dès lors qu'elle avait omis d'intégrer les frais afférents au transport jusqu'au lieu de livraison et a transmis un nouveau détail quantitatif estimatif avec les prix de l'offre initiale et un détail des frais afférents au transport, sans formule de calcul permettant de les relier aux différents taux indiqués. Si ce motif a pu être utilement contesté par le requérant, dans le cadre de sa requête introductive d'instance enregistrée le 2 février, le Grand Port Maritime de Guadeloupe a fait valoir dans le cadre de l'instance un autre motif pour justifier le caractère irrégulier de l'offre de la requérante. Cet autre motif a été porté à la connaissance de l'entreprise dans un délai raisonnable antérieurement à l'audience, au plus tard par le mémoire en défense enregistré le 12 février 2023. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de la décision de rejet de ses offres doit être écarté.
En ce qui concerne le caractère irrégulier de l'offre de la société requérante :
6. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. ". Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale ". Aux termes de l'article R. 2152-2 du code de la commande publique : " Dans toutes les procédures, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires concernés à régulariser les offres irrégulières dans un délai approprié, à condition qu'elles ne soient pas anormalement basses. / La régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles ". Enfin, aux termes de l'article R. 2161-5 du code de la commande publique : " L'acheteur ne peut négocier avec les soumissionnaires. Il lui est seulement possible de leur demander de préciser la teneur de leur offre ".
7. Aux termes des stipulations de l'article 5.1 du cahier des clauses administratives particulières : " Conformément à l'article 10.1.3. du CCAG Fournitures et Services, les prix sont réputés comprendre toutes les charges fiscales ou autres frappant obligatoirement les prestations, les frais afférents au conditionnement, au stockage, à l'emballage, à l'assurance et au transport jusqu'au lieu de livraison, ainsi que toutes les autres dépenses nécessaires à l'exécution des prestations, les marges pour risque et les marges bénéficiaires. / Les frais de manutention et de transport, qui naîtraient de l'ajournement ou du rejet des prestations, sont à la charge du titulaire. / Les prix du contrat comprennent : les dépenses nécessaires à l'exécution des prestations prévues au contrat ; les charges fiscales et autres charges éventuelles qui frappent les prestations ; les frais éventuels de conditionnement, stockage, emballage, assurance et transport ; les marges pour risque et les marges bénéficiaires ".
8. L'acheteur public ne peut attribuer un marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par le règlement de la consultation. Il est tenu d'éliminer, sans en apprécier la valeur, les offres incomplètes, c'est-à-dire celles qui ne comportent pas toutes les pièces ou renseignements requis par les documents de la consultation et sont, pour ce motif, irrégulières. Si, dans les procédures d'appel d'offre, l'acheteur peut autoriser tous les soumissionnaires dont l'offre est irrégulière à la régulariser, dès lors qu'elle n'est pas anormalement basse et que la régularisation n'a pas pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles, il ne s'agit toutefois que d'une simple faculté qui lui est offerte, non d'une obligation. En outre, si les dispositions de l'article R. 2161-5 du code de la commande publique s'opposent en principe à toute modification du montant de l'offre à l'initiative du candidat ou du pouvoir adjudicateur, ce principe ne saurait recevoir application dans le cas exceptionnel où il s'agit de rectifier une erreur purement matérielle, d'une nature telle que nul ne pourrait s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat verrait son offre retenue.
9. Le juge des référés précontractuels peut substituer au motif retenu par l'acheteur public dans le document informant le candidat du rejet de son offre, un autre motif de droit ou de fait, à condition que cette substitution ait été demandée par l'autorité administrative lors de l'instruction de l'affaire et que le requérant n'ait été privé d'aucune garantie de procédure.
10. Il résulte de l'instruction que, par courrier en date du 23 janvier 2024, l'acheteur public a fondé le caractère irrégulier de l'offre de la société requérante sur l'omission des frais afférents au transport dans son offre initiale ainsi que l'absence de régularisation de l'offre dès lors que le nouveau détail quantitatif estimatif ne permettait pas de relier les prix de l'offre initiale aux détails des frais afférents au transport en l'absence de formule de calcul. Toutefois, dans le cadre de la présente instance, le Grand Port Maritime fait valoir que, dès lors que la régularisation des offres irrégulières ne peut avoir pour effet d'en modifier des caractéristiques substantielles, la modification substantielle du prix de l'offre de la requérante, qui ne saurait être considérée comme la correction d'une erreur matérielle, faisait obstacle à la régularisation de l'offre.
11. Il résulte de l'instruction que la société requérante a remis le 17 novembre 2023 une offre pour le lot n°3 " Fourniture des équipements ". Par courrier en date du 24 novembre 2023, le Grand Port Maritime de Guadeloupe a informé la société requérante que son offre était susceptible d'être qualifiée d'anormalement basse. Par courrier en date du 29 novembre 2023, la société requérante a indiqué que cet écart significatif de prix serait dû à des frais d'importation non intégrés dans son offre. Par courrier en date du 6 décembre 2023, l'acheteur public l'a invité à régulariser son offre sur ce point, pour se mettre en conformité avec le cahier des clauses administratives particulières, notamment son article 5.1. En réponse à cette demande, la société requérante a transmis le 12 décembre 2023 un nouvel acte d'engagement, portant son offre de 390 750 euros à 477 540 euros. Cette modification ainsi apportée par la société requérante à son offre initiale a abouti, par son ampleur, à modifier la teneur de son offre, dont le prix global a été augmenté de plus de 22 %. Cette modification substantielle apportée au prix de l'offre de la société postérieurement à la date limite de réception des offres, bien qu'induite par l'acheteur public, ne peut être regardée comme la rectification d'une erreur purement matérielle, aisément décelable par le pouvoir adjudicateur, d'une nature telle que nul n'aurait pu s'en prévaloir de bonne foi dans l'hypothèse où le candidat aurait vu son offre retenue. De plus, si la société requérante fait valoir que le règlement de consultation ne faisait pas état de de l'intégration des frais d'importation dans le calcul des prix, il résulte de l'instruction que d'une part, les dispositions précitées du CCAG indiquaient que le prix de l'offre devait comprendre de tels frais et que, d'autre part, la société requérante a été destinataire, le 10 novembre 2023, d'une réponse à la question d'une autre société candidate, rappelant que la livraison était comprise dans le prix du marché. Par suite, dès lors qu'elle n'intégrait pas ce prix dans son offre initiale et que la régularisation de l'offre n'était pas possible au regard de son impact substantiel sur le prix, l'offre de la société requérante était irrégulière. Il s'ensuit que le Grand Port Maritime de Guadeloupe était tenu d'écarter cette offre de la consultation.
12. Dans ces conditions, dès lors que la société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes n'a été privée d'aucune garantie et que le motif tiré de l'irrégularité de l'offre, en ce que son offre initiale n'intégrait pas les frais relatifs au transport jusqu'au lieu de livraison et que la régularisation de l'offre n'était pas possible au regard du caractère substantiel de la modification du prix initial, était susceptible de fonder le rejet de cette offre, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le Grand Port Maritime de Guadeloupe, et de considérer que ce dernier était fondé à rejeter comme irrégulière l'offre de la société requérante.
13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées par le Grand Port Maritime de Guadeloupe, que l'ensemble des conclusions à fin d'annulation et d'injonction de la société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes doivent être rejetées.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Grand Port Maritime de Guadeloupe, qui n'est pas partie perdante à la présente instance, la somme que demande la société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes une somme de 1 000 euros à verser au Grand Port Maritime de Guadeloupe, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes est rejetée.
Article 2 : La société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes versera au Grand Port Maritime de Guadeloupe une somme de 1 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Equip Travaux Hydrauliques Maritimes, au Grand Port Maritime de Guadeloupe et à la société Shibatafenderteam.
Fait à Basse-Terre, le 22 février 2024.
La juge des référés,
Signé :
K. BAKHTA
La République mande et ordonne au préfet de la Guadeloupe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef
Signé :
M-L CORNEILLE