TA Guyane, 13/04/2023, n°2100549

Vu la procédure suivante :

Par un déféré enregistré le 22 avril 2021, le préfet de la Guyane demande au tribunal d'annuler la délibération n°56-2020/ MK du 28 juillet 2020 adoptée par le conseil municipal de la commune de Kourou, portant protocole transactionnel entre la commune et la société Ouest Voyages Guyane.

Il soutient que :

- la délibération attaquée est entachée d'erreur de droit car elle méconnaît, s'agissant des agents de la commune de Kourou, les dispositions du décret n° 2001-654 du 19 juillet 2001 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements des personnels des collectivités locales et établissements publics mentionnés à l'article 2 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 modifiée portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et abrogeant le décret n° 91-573 du 19 juin 1991 dont l'article 1er renvoie au décret n°2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat et, s'agissant des élus de la commune de Kourou, les dispositions des articles L.2123-18 et R.2123-22-1 du code général des collectivités territoriales ;

- la transaction objet de la délibération attaquée constitue une libéralité.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 février 2023, la société Ouest Voyages Guyane, représentée par Me Semonin, conclut au rejet du déféré, et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Le déféré a été communiqué à la commune de Kourou qui n'a ni répondu à la mise en demeure qui lui a été adressée le 13 février 2023, ni produit d'observations avant la clôture de l'instruction.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le décret n°2001-654 ,

- le décret n°2006-78 ;

- l'arrêté du 3 juillet 2006 fixant les taux des indemnités de mission prévues à l'article 3 du décret n°2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A,

- les conclusions de M. Hégésippe, rapporteur public,

- et les observations de Me Semonin, représentant la société Ouest Voyages Guyane.

Les autres parties n'étant ni présentes ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Kourou a adopté le 28 juillet 2020 une délibération n°56-2020/ MK approuvant un protocole transactionnel entre la commune et la société Ouest Voyages Guyane. Elle a transmis cette délibération au préfet de la Guyane pour qu'il exerce un contrôle de sa légalité, en août 2020. Par un courrier du 24 septembre 2020, reçu par la commune le 5 octobre 2020, le préfet a demandé à la commune, pour pouvoir apprécier la légalité de cette délibération, de produire les deux délibérations de 2008 relatives aux frais de déplacement des agents municipaux et des élus ainsi que les justificatifs de la société ayant organisé les voyages attestant que les billets d'avion achetés correspondaient aux tarifs les moins onéreux. Le silence gardé par la commune de Kourou sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet le

5 décembre 2020. Par un courrier du 28 janvier 2021, reçu le 1er février 2021 par la commune de Kourou, le préfet de la Guyane a adressé à la commune une lettre d'observations lui demandant expressément de retirer la délibération attaquée. Le silence gardé par la commune a fait naître une décision implicite de rejet le 1er avril 2021. Par le présent déféré, le préfet de la Guyane demande au tribunal d'annuler la délibération n°56-2020/ MK du 28 juillet 2020 de la commune de Kourou.

2. Aux termes de l'article L. 2131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités communales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'État dans le département ou à son délégué dans l'arrondissement. Pour les décisions individuelles, cette transmission intervient dans un délai de quinze jours à compter de leur signature. ". Aux termes de l'article L. 2131-2 de ce code : " Sont soumis aux dispositions de l'article L. 2131-1 les actes suivants : () 5° Les décisions individuelles relatives à la nomination, au recrutement, y compris le contrat d'engagement, et au licenciement des agents non titulaires, à l'exception de celles prises pour faire face à un besoin lié à un accroissement temporaire ou saisonnier d'activité, en application des 1° et 2° de l'article 3 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ; () ". L'article L. 2131-3 du même code dispose : " Les actes pris au nom de la commune autres que ceux mentionnés à l'article L. 2131-2 sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés. / Le représentant de l'État peut en demander communication à tout moment. Il ne peut les déférer au tribunal administratif, dans un délai de deux mois à compter de leur communication, que si sa demande a été présentée dans le délai de deux mois à compter de la date à laquelle les actes sont devenus exécutoires. ". D'après l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales : " Le représentant de l'État dans le département défère au tribunal administratif les actes mentionnés à l'article L. 2131-2 qu'il estime contraires à la légalité dans les deux mois suivant leur transmission. () ".

3. Lorsque la transmission de l'acte au représentant de l'État ou à son délégué dans l'arrondissement, faite en application des dispositions précitées, ne comporte pas le texte intégral de cet acte ou n'est pas accompagnée des documents annexes nécessaires pour mettre le représentant de l'État à même d'apprécier la portée et la légalité de l'acte, il appartient à cette autorité de demander à la collectivité en cause, dans un délai de deux mois suivant la réception de l'acte transmis, de compléter cette transmission. En outre, dans le délai de deux mois suivant la transmission des documents annexes nécessaires, le représentant de l'Etat a la faculté de former un recours gracieux. L'exercice d'un tel recours a pour effet de proroger le délai imparti au préfet pour saisir le tribunal administratif sur le fondement de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales.

4. En ce qui concerne les élus communaux, aux termes de l'article L.2123-18 du code général des collectivités territoriales : " Les fonctions de maire, d'adjoint, de conseiller municipal, de président et membre de délégation spéciale donnent droit au remboursement des frais que nécessite l'exécution des mandats spéciaux. / Les frais ainsi exposés peuvent être remboursés forfaitairement dans la limite du montant des indemnités journalières allouées à cet effet aux fonctionnaires de l'Etat. / Les dépenses de transport effectuées dans l'accomplissement de ces missions sont remboursées selon des modalités fixées par délibération du conseil municipal. / Les autres dépenses liées à l'exercice d'un mandat spécial peuvent être remboursées par la commune sur présentation d'un état de frais et après délibération du conseil municipal. (). Aux termes de l'article R.2123-22-1 du même code : " Les membres du conseil municipal chargés de mandats spéciaux par leur assemblée peuvent prétendre, sur justificatif de la durée réelle du déplacement, d'une part, au paiement d'indemnités journalières destinées à rembourser forfaitairement leurs frais supplémentaires de repas et de nuitée nécessités par l'exercice de ces mandats et, d'autre part, au remboursement des frais de transport engagés à cette occasion. / La prise en charge de ces frais est assurée dans les conditions définies par le décret fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat. () ".

5. En ce qui concerne les agents de la commune, aux termes de l'article 1er du décret du

19 juillet 2001 fixant les conditions et les modalités de règlements des frais occasionnés par les déplacements des personnels des collectivités locales : " Les conditions et modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des collectivités et établissements publics mentionnés à l'article 2 de la loi du 26 janvier 1984 susvisée et de toute personne dont les frais de déplacement temporaires sont à la charge des budgets de ces collectivités et établissements sont, sous réserve des dispositions du présent décret, celles fixées par le décret n° 2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat. (). Aux termes de l'article 3 du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat : " Lorsque l'agent se déplace pour les besoins du service à l'occasion d'une mission, d'une tournée ou d'un intérim, il peut prétendre, sous réserve de pouvoir justifier du paiement auprès du seul ordonnateur : / -à la prise en charge de ses frais de transport ; (). En vertu de l'arrêté du même jour, le montant de cette prise en charge, en ce qui concerne l'hébergement en France métropolitaine, va de 70 euros à 110 euros par nuit en ce qui concerne l'hébergement et est de 15,25 euros par repas en France métropolitaine.

6. Il ressort des pièces du dossier que la délibération attaquée a pour objet le versement à la société Ouest Voyages Guyane, d'une somme de 22 667,99 euros, en contrepartie d'une part de services de transports et d'hébergements en France hexagonale pour sept personnes, dont deux élus et deux agents. D'une part, ainsi que le soutient le préfet de la Guyane, les frais de transport facturés le 21 février 2019 en ce qui concerne la première adjointe au maire et le 4 juin 2019, en ce qui concerne le maire de Kourou, ne sont justifiés par aucune délibération du conseil municipal les autorisant. D'autre part, ainsi que le soutient également le préfet de la Guyane, les factures des 13 juin 2019, 1er mars 2019, 23 septembre 2019 et 10 octobre 2019, dont une concerne une personne dont la qualité d'agent n'est même pas établie, excèdent les plafonds prévus par les dispositions précitées du décret et de l'arrêté du 3 juillet 2006. Dans ces conditions, la circonstance que ces prestations aient eu lieu en exécution d'un marché de services conclu en 2018 entre la commune de Kourou et la société Ouest Voyages Guyane ne permet pas de regarder ces prestations comme conformes aux principes de la commande publique. Par suite, le préfet de la Guyane est fondé à soutenir que la délibération qui autorise le règlement de ces factures méconnaît les dispositions précitées du code général des collectivités territoriales, du décret du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat auquel renvoie le décret du 19 juillet 2001 fixant les conditions et les modalités de règlements des frais occasionnés par les déplacements des personnels des collectivités locales, et de l'arrêté du 3 juillet 2006 fixant les taux des indemnités de mission prévues à l'article 3 du décret n°2006-781 du 3 juillet 2006 fixant les conditions et les modalités de règlement des frais occasionnés par les déplacements temporaires des personnels civils de l'Etat et doit être annulée.

7. Il résulte de ce qui précède que les conclusions du déféré doivent être accueillies, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen du déféré.

D E C I D E :

Article 1er : La délibération n°56-2020/ MK du 28 juillet 2020 adoptée par le conseil municipal de la commune de Kourou est annulée.

Article 2 : Le présent jugement sera notifié au préfet de la Guyane, la commune de Kourou et à la société Ouest Voyages Guyane.

Copie en sera adressée à la chambre régionale des comptes Guadeloupe, Guyane et Martinique.

Délibéré après l'audience du 23 mars 2023, à laquelle siégeaient :

M. Martin, président,

Mme Schor, première conseillère,

Mme Deleplancque, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 avril 2023.

La rapporteure,

Signé

E. A

Le président,

Signé

L. MARTINLa greffière,

Signé

C. PAUILLAC

La République mande et ordonne au préfet de la Guyane en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme

Le greffier en Chef,

Ou par délégation le greffier,

Signé

S. MERCIER