TA Lille, 02/06/2023, n°2303897

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 28 avril 2023, et un mémoire, enregistré le 8 mai 2023, la société Flamme Environnement, représentée par Me Borrel, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler les décisions du 18 avril 2023 par lesquelles le président de la communauté de communes du pays de Mormal (CCPM) a rejeté son offre de base et sa variante n° 1 déposées pour l'attribution du lot n° 1 du marché ayant pour objet la collecte des déchets ménagers et assimilés ;

2°) d'annuler cette procédure d'attribution et toutes décisions s'y rapportant.

Elle soutient que :

- la CCPM s'est abstenue d'analyser et de noter les prestations supplémentaires éventuelles (PSE) alors qu'elle s'y était obligée dans le dossier de consultation des entreprises ; la CCPM a pris en compte les PSE pour la notation des offres au regard du critère de la valeur technique, mais non au regard du critère du prix ; la renonciation de la CCPM à analyser les PSE motif pris de l'insuffisante définition de ses besoins est irrégulière ; en renonçant à analyser les PSE, la CCPM a fait évoluer la méthode de notation au cours de la procédure sans en informer au préalable les soumissionnaires ; ce manquement l'a lésée au regard en particulier de l'écart important de point sur le critère du prix en comparaison de l'infime écart de points au niveau de la note globale ;

- la CCPM a dénaturé son offre de base quant à l'analyse du sous-critère " adéquation des moyens matériels affectés à l'exécution des prestations sur la durée du marché - adéquation organisation des moyens matériels - maintenance/entretien/lavage " dès lors que les commentaires d'appréciation générale identiques ont été formulés sans conduire à la même appréciation, que la CCPM n'a pas analysé le contenu des offres par rapport au besoin exprimé, et qu'une note différente a été attribuée à son offre de base et à sa variante n°1 alors que les prestations proposées étaient identiques ;

- la CCPM a attribué le lot n° 1 à la société Eco-Déchets sans lui avoir demandé la production d'aucun justificatif lui permettant de contrôler l'exactitude des informations fournies en ce qui concerne les conditions d'entretien et de réparation des véhicules, l'offre présentée par cette société étant irrégulière ;

- le dossier de consultation des entreprises était incomplet et erroné quant aux hypothèses de tonnage prévisionnels.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2023, la CCPM, représentée par Me Holterbach, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Robbe, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 9 mai 2023 à 11h00, en présence de M. Potet, greffier, M. Robbe, juge des référés, a lu son rapport et entendu :

- Me Borrel, représentant la société Flamme Environnement ;

- et Me Holterbach, représentant la communauté de communes du pays de Mormal.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 23 décembre 2022, la communauté de communes du pays de Mormal (CCPM) a lancé une consultation en vue de l'attribution, selon la procédure de l'appel d'offres ouvert, d'un accord-cadre relatif à la collecte des déchets ménagers et assimilés, composé de deux lots, le premier portant sur la " collecte des ordures ménagères résiduelles, des déchets d'emballages ménagers recyclables et des journaux, revues et magazines ", le second sur la " collecte du verre en apport volontaire ". La société Flamme Environnement, dont l'offre de base et la variante n° 1 déposées pour l'attribution du lot n° 1 ont été rejetées au profit de l'offre de base proposée par la société Éco-déchets Environnement, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'annuler les décisions du 18 avril 2023 par lesquelles le président de la CCPM a rejeté son offre de base et la variante n° 1 déposées pour l'attribution du lot n° 1, ainsi que la procédure d'attribution et toutes décisions se rapportant à l'attribution de ce lot.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Aux termes de l'article L. 551-10 de ce code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge du référé précontractuel de se prononcer sur les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence incombant à l'acheteur, invoqués à l'occasion de la passation d'un contrat. En vertu de ces mêmes dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

En ce qui concerne les informations fournies aux soumissionnaires relativement aux tonnages prévisionnels :

4. Aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique : "La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale".

5. Le cahier des clauses techniques particulières indique que " Le tonnage prévisionnel moyen d'ordures ménagères résiduelles est de 9 100 tonnes par an, soit 63 700 tonnes pour la durée du marché (60 mois + 2 x 12 mois). Le tonnage prévisionnel moyen de déchets d'emballages ménagers est de 3 000 tonnes par an, soit 21 000 tonnes pour la durée du marché (60 mois + 2 x 12 mois). Ces tonnages sont donnés à titre indicatif. Ils sont appréhendés sur la base de l'étude réalisée par [un cabinet] () ". La CCPM a, à la suite de questions posées par les soumissionnaires, établi et transmis le 31 janvier 2023, soit environ un mois avant la date limite de dépôt des offres, deux tableaux relatifs à l'évolution potentielle des tonnages, le premier pour les ordures ménagères résiduelles, le second pour les emballages ménagers. Si ce premier tableau fait apparaître, pour les années 2024 à 2028, un tonnage prévisionnel de 9 908 tonnes par an, la différence avec le tonnage prévisionnel mentionné dans le cahier des clauses techniques particulières (9 100 tonnes) n'est pas substantielle et en tout état de cause ne traduit, eu égard au caractère purement indicatif de ces données prévisionnelles, ni une insuffisante définition de ses besoins par la CCPM, ni une irrégularité tenant à la fourniture par le pouvoir adjudicateur d'informations incomplètes ou erronées aux soumissionnaires, cette irrégularité alléguée ne pouvant davantage se déduire de ce qu'aucune projection pour les années 2029 et 2030 ne leur a été fournie.

En ce qui concerne la vérification de l'exactitude des informations données par la société Éco-déchets Environnement :

6. Lorsque, pour fixer un critère ou un sous-critère d'attribution du marché, le pouvoir adjudicateur prévoit que la valeur des offres sera examinée au regard d'une caractéristique technique déterminée, il lui incombe d'exiger la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par les candidats.

7. Selon le point 7.9 du cahier des clauses techniques particulières : " Le titulaire doit maintenir les véhicules en bon état de fonctionnement et d'aspect, il assure à cet effet toutes les opérations d'entretien, de réparation, de maintenance et de remise en état nécessaires pour quelque cause que ce soit. Le titulaire doit procéder au renouvellement de véhicule chaque fois qu'il en est besoin. / Les véhicules doivent être propres en permanence, tant intérieurement qu'extérieurement. Ils ne doivent présenter aucun défaut de carrosserie (cabossage, rouille, peinture,) à même d'altérer l'image de la CCPM ou de poser des problèmes d'hygiène et/ou de sécurité. / La peinture de l'ensemble des véhicules doit être renouvelée chaque fois que cela s'avère nécessaire. / Les véhicules doivent être lavés après chaque service de manière à : / - garantir la propreté intérieure des bennes pour éviter la pollution des matériaux recyclables, / - éviter les nuisances olfactives, / - éviter que le lavage des bennes n'entraîne pas de pollution pour le milieu et le voisinage. En aucun cas, il ne doit se faire sur le domaine public, / - être propres intérieurement et extérieurement au démarrage de chaque jour de collecte () ". Ce même point 7.9 impose que les conditions d'entretien et de réparation des véhicules soient décrites dans le mémoire technique. Les exigences générales ainsi posées en matière d'entretien et de réparation des véhicules ne relèvent pas d'une caractéristique technique déterminée. La société requérante n'est ainsi pas fondée à soutenir que la CCPM aurait dû exiger auprès de la société Éco-Déchets Environnement la production de justificatifs lui permettant de vérifier l'exactitude des informations données par elle en ce qui concerne les modalités de nettoyage des bennes d'ordures ménagères, et que, en l'absence de ces justificatifs, la CCPM aurait dû écarter l'offre de cette société.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'absence d'analyse complète et de notation des prestations supplémentaires éventuelles :

8. Lorsque le pouvoir adjudicateur exige des candidats qu'ils présentent obligatoirement une ou plusieurs prestations supplémentaires éventuelles (PSE), il lui appartient, pour déterminer l'offre économiquement la plus avantageuse, de procéder à autant de classements qu'implique, outre l'analyse comparative des offres de base sans PSE, la prise en compte totale ou partielle de celles-ci. Si le choix du pouvoir adjudicateur de retenir, lors de la signature du contrat, soit une offre de base sans PSE, soit une offre avec une ou plusieurs PSE, présente un caractère discrétionnaire, il doit cependant intervenir, pour assurer le principe de transparence des procédures, au vu de ces classements.

9. Le règlement de la consultation a prévu en son point 3.6 des prestations supplémentaires éventuelles (PSE) pour les deux lots, celle du lot n°1 portant sur la collecte en apport volontaire des ordures ménagères résiduelles au niveau des centres bourgs des communes de Le Quesnoy, Landrecies et Maroilles, ce même point 3.6 ajoutant que " Les candidats sont tenus de remettre une offre pour chaque PSE ". En outre, le point 8.2 de ce règlement précise que le critère du prix sera apprécié sur la base du détail quantitatif estimatif (DQE), celui devant être complété par les soumissionnaires comportant une partie relative à ces PSE. La CCPM a ainsi exigé des candidats qu'ils présentent obligatoirement des PSE.

10. Le point 3.4.2 du rapport d'analyse des offres pour l'attribution du lot n° 1 rend compte de l'analyse faite par le pouvoir adjudicateur de la valeur technique de chacune des offres, uniquement distinguée selon qu'il s'agit de l'offre de base du candidat ou de sa (ou ses) variante(s). Ainsi, s'agissant de la société Flamme Environnement, l'analyse de la valeur technique de son offre de base figure au point 3.4.2.7, celle de sa variante 1 au point 3.4.2.8 et celle de sa variante 2 au point 3.4.2.9, cette dernière ayant été jugée irrégulière. Le point 3.4.3 de ce rapport comporte un tableau faisant la synthèse de la valeur technique des offres, dont il est expressément précisé qu'elle a été effectuée sans prise en compte de la PSE. Le point 3.4.4 intitulé " Analyse des prestations supplémentaires éventuelles " indique d'ailleurs que " l'acheteur a considéré que l'analyse de ces prestations supplémentaires n'était pas pertinente ". Si la société requérante soutient que la valeur technique de son offre de base et de sa variante n° 1 a été analysée en tenant compte de la PSE, et se prévaut à cet égard de ce que les points 3.4.2.7 et 3.4.2.8 précités font, il est vrai, référence à la PSE, cette mention doit, compte tenu de ce qui vient d'être indiqué, être regardée comme une simple erreur de plume.

11. Le choix de ne pas retenir pour le lot n°1 la PSE exigée a donc été effectué par la CCPM, au demeurant avant la signature du contrat, sans qu'il soit procédé aux différents classements qui s'imposaient conformément aux principes énoncés au point 8, le rapport d'analyse confirmant d'ailleurs que ce choix se justifie, d'après son point 3.4.4, " au regard de la nécessité de mieux définir le besoin de la CCPM " s'agissant de cette PSE. Ce faisant, la CCPM a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Ce manquement est susceptible d'avoir lésé la société Flamme Environnement dès lors qu'il ne saurait être exclu que, si ces classements avaient été effectués, le pouvoir adjudicateur aurait décidé d'inclure la PSE dans le contrat et de retenir l'offre avec PSE présentée par la société Flamme, cette dernière soutenant d'ailleurs, sans être contredite sur ce point, avoir proposé des prix plus compétitifs concernant cette prestation.

12. La société Flamme Environnement est par suite fondée à demander l'annulation de la procédure de passation du lot n° 1 à compter de l'examen des offres. Eu égard au stade auquel est prononcée l'annulation, il appartiendra à la CCPM, si elle entend conclure le marché, de reprendre la procédure au stade de cet examen.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Flamme Environnement, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme réclamée au titre des frais du procès par la CCPM.

O R D O N N E :

Article 1er : La procédure engagée par la communauté de communes du pays de Mormal pour l'attribution du lot n° 1 de l'accord-cadre ayant pour objet la collecte des déchets ménagers et assimilés, est annulée à compter de l'examen des offres.

Article 2 : Il est enjoint à la communauté de communes du pays de Mormal, si elle entend poursuivre la conclusion d'un marché ayant le même objet que celui de ce lot n°1, de reprendre la procédure de passation au stade de l'examen des offres conformément aux motifs de la présente ordonnance.

Article 3 : Les conclusions de la communauté de communes du pays de Mormal présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Flamme Environnement et à la communauté de communes du pays de Mormal.

Fait à Lille, le 2 juin 2023.

Le juge des référés,

signé

J. ROBBE

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2303897