TA Lille, 02/07/2024, n°2101550


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, des pièces et un mémoire, enregistrés les 1er mars 2021, 16 avril 2021 et 5 juillet 2021, la société Chauffage Services Maintenance et Entretien, représentée par Me Khayat, demande au tribunal :

1°) de résilier le contrat de marché public d'exploitation des installations de chauffage conclu entre la commune de Loon-Plage et la société Idex Energies ;

2°) de condamner la commune de Loon-Plage à lui verser la somme de 53 900 euros assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation à compter du 1er mars 2021 en réparation du préjudice découlant de la perte de chance sérieuse de conclure le contrat ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Loon-Plage la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- son offre n'était pas irrégulière ;

- elle avait une chance sérieuse d'emporter le contrat ;

- la marge bénéficiaire attendue était de 22 %, soit 53 900 euros hors taxes.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 5 mai 2021 et 3 décembre 2021, la commune de Loon-Plage, représentée par la SCP Gros, Hicter et associés, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Chauffage Services Maintenance et Entretien au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société Chauffage Services Maintenance et Entretien ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la société Idex Energies qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lemée,

- les conclusions de M. Even, rapporteur public,

- et les observations de Me Chavda représentant la commune de Loon-Plage.

Considérant ce qui suit :

1. Le 4 juin 2020, la commune de Loon-Plage a lancé une procédure d'appel d'offres ouvert pour un marché public ayant pour objet l'exploitation des installations de chauffage. Par un courrier du 18 septembre 2020, la société Chauffage Services Maintenance et Entretien a été informée du rejet de son offre. Par un courrier du 29 septembre 2020, la société a demandé des informations complémentaires à la commune. Le 5 octobre 2020, le marché a été attribué à la société Idex Energies. Par un courrier du 6 octobre 2020, la commune a indiqué à la société Chauffage Services Maintenance et Entretien les motifs de rejet de sa candidature. Par un courrier du 2 décembre 2020, la société a formé un recours gracieux contre la décision d'attribuer le marché à la société Idex Energies et a sollicité l'indemnisation de son préjudice. Par un courrier du 8 janvier 2021, la commune de Loon-Plage a rejeté la demande de la société. Par la présente requête, la société Chauffage Services Maintenance et Entretien demande la résiliation du marché et l'indemnisation de son préjudice résultant de la perte de chance sérieuse de conclure le contrat.

Sur les conclusions à fin de résiliation :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

4. Aux termes de l'article L. 2142-1 du code de la commande publique : " L'acheteur ne peut imposer aux candidats des conditions de participation à la procédure de passation autres que celles propres à garantir qu'ils disposent de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière ou des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché. / Ces conditions sont liées et proportionnées à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. " Aux termes de l'article R. 2142-1 du même code : " Les conditions de participation à la procédure de passation relatives aux capacités du candidat mentionnées à l'article L. 2142-1, ainsi que les moyens de preuve acceptables, sont indiqués par l'acheteur dans l'avis d'appel à la concurrence ou dans l'invitation à confirmer l'intérêt ou, en l'absence d'un tel avis ou d'une telle invitation, dans les documents de la consultation. " Aux termes de l'article R. 2143-3 de ce code : " Le candidat produit à l'appui de sa candidature : () 2° Les renseignements demandés par l'acheteur aux fins de vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles du candidat. " Aux termes de l'article R. 2143-11 du même code : " Pour vérifier que les candidats satisfont aux conditions de participation à la procédure, l'acheteur peut exiger la production des renseignements et documents dont la liste figure dans un arrêté annexé au présent code. " Aux termes de l'article R. 2144-7 de ce code : " Si un candidat ou un soumissionnaire se trouve dans un cas d'exclusion, ne satisfait pas aux conditions de participation fixées par l'acheteur, produit, à l'appui de sa candidature, de faux renseignements ou documents, ou ne peut produire dans le délai imparti les documents justificatifs, les moyens de preuve, les compléments ou explications requis par l'acheteur, sa candidature est déclarée irrecevable et le candidat est éliminé. () "

5. Par ailleurs, aux termes de l'article 3.2. du règlement de consultation du marché " Documents à remettre par les candidats " : " Le dossier à remettre par les candidats portera la mention : " Exploitation des installations de chauffage " et contiendra les pièces suivantes : () 2. L'imprimé DC2 MARCHES PUBLICS, concernant les renseignements permanents et relatifs au marché, accompagné des documents et justifications qui y sont demandés. / Cette déclaration et ses annexes devront comporter tous renseignement permettant d'apprécier les capacités professionnelles techniques et financières du candidat : pouvoirs de la personne habilité à engager l'entreprise, forme juridique de la société, capital social, chiffre d'affaires, ressources humaines, moyens logistiques et matériels affectés aux prestations, qualifications ou justifications équivalents, agrément, certification, et notamment : () B) Les certificats de qualifications professionnelles, en cours de validité, attestant les compétences et les savoir-faire nécessaires à l'exercice du métier visé par la présente consultation, délivré par un institut ou service officiel chargé du contrôle de la qualité et habilité à attester la conformité des fournitures par des références à certaines spécifications techniques. Les rubriques des qualifications obtenues devront être mentionnées très explicitement. (Qualibat ou autre organisme professionnel qualificateur Européen). Les éventuelles déclarations unilatérales d'équivalences non accompagnées de certificats valides ne seront pas prises en considération. / C) Les attestations d'habilitation (ISO, OHSAS). Le titulaire justifiera des habilitations en cours de validité, dont il dispose, dans les domaines : / - De la qualité (ISO 9001 ou équivalent, ou organisation interne) / - De la gestion des déchets (ISO 14000 ou équivalent ou organisation interne) / - De la protection de l'environnement (ISO 14001 ou équivalent, ou organisation interne) () F) Les attestations délivrées par la compagnie d'assurances garantissant les risques " Responsabilité Civile Exploitation " et " Responsabilité Civile Professionnelle " de l'entreprise () Le marché ne peut être attribué au candidat dont l'offre a été retenue que si celui-ci produit dans le délai imparti les certificats et attestations demandés ci-dessus. S'il ne peut produire ces documents dans le délai de 10 jours francs à compter de la demande formulée par le pouvoir adjudicateur par lettre ou télécopie, son offre est rejetée et le candidat éliminé. () ". Aux termes de l'article 6 de ce même règlement de consultation : " Le marché public ne peut être attribué aux candidats dont l'offre a été retenue que si celui-ci produit dans un délai imparti : / - Les pièces prévues aux articles D. 822-5, D. 8222-7 et D. 8254-2 du code du travail, et ce, tous les 6 mois à savoir : / - Une attestation de fourniture de déclarations sociales et de paiement des cotisations et contributions de sécurité sociale prévue à l'article L. 243-15 émanant de l'organisme de protection sociale chargée du recouvrement des cotisations et contributions datant de moins de six mois dont elle s'assure l'authenticité auprès de l'organisme de recouvrement des cotisations de sécurité sociale ; / - Lorsque l'immatriculation du cocontractant au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers [est] obligatoire ou lorsqu'il s'agit d'une profession réglementée, l'un des documents suivants : / - Un extrait de l'inscription au registre du commerce des sociétés (K ou K bis) ; / - Une carte d'identification justifiant de l'inscription au répertoire des métiers ; / - Un devis, un document publicitaire ou une correspondance professionnelle, à condition qu'il y soit mentionné le nom ou la dénomination sociale, l'adresse complète et le numéro d'immatriculation au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou à une liste ou un tableau d'un ordre professionnel, ou la référence de l'agrément délivré par l'autorité compétente ; / - Un récépissé de dépôt de déclaration auprès d'un centre de formalités des entreprises pour les personnes en cours d'inscription ; / - La liste nominative des salariés étrangers employés et soumis à l'autorisation de travail prévue à l'article L. 5221-2, établie à partir du registre unique du personnel, précise pour chaque salarié : / - Sa date d'embauche / - Sa nationalité / - Le type ou le numéro d'ordre du titre valant autorisation de travail. / S'il ne peut produire ces documents dans le délai imparti de 10 jours, son offre est rejetée et le candidat est éliminé. "

6. Si l'article 3.2 du règlement de consultation du marché en litige prévoit que les certificats et attestations demandés ne peuvent être fournis par un candidat qu'à compter de la sélection de son offre, toutefois, cet article qui reprend la formulation de l'article 46 du code des marchés publics, doit nécessairement être lu en combinaison avec l'article 6 du règlement de consultation " Documents à produire par le candidat retenu " qui restreint cette possibilité aux seuls documents relatifs aux obligations fiscales et sociales des sociétés soumissionnant à des marchés publics. En effet, s'il en allait autrement, l'offre d'un candidat pourrait être retenue, alors qu'il n'aurait produit aucun document permettant notamment au pouvoir adjudicateur de vérifier qu'il dispose des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché. Dès lors, la commune de Loon-Plage pouvait écarter la candidature de la société Chauffage Services Maintenance et Entretien en se fondant sur les seules pièces qu'elle a fournies, sans avoir à lui demander des pièces complémentaires.

7. D'une part, si la société requérante a fourni un certificat Qualibat relatif au remplacement de chaudière gaz/fuel en logement individuel mention RGE et trois attestations de capacité du grand port maritime de Dunkerque, de la commune de Saint-Pol-sur-Mer et de la communauté urbaine de Dunkerque portant toutes les trois sur les spécialités 521, 526, 527 et 551, à savoir les installations de chauffage à combustible gaz/fuel, l'entretien et la maintenance d'installations de chauffage et de rafraîchissement, l'exploitation d'installations de chauffage et de rafraîchissement et la gestion technique du bâtiment respectivement, toutefois, par ces seuls documents, alors même que la commune défenderesse aurait eu accès aux attestations Qualibat conformément à l'article R. 2143-13 du code de la commande publique, la société Chauffage Services Maintenance et Entretien ne justifie pas disposer des capacités techniques nécessaires à l'exécution du marché qui est certes un marché d'exploitation des installations de chauffage mais comporte également des installations d'aérothermie et de géothermie pour lesquelles elle ne justifie d'aucune capacité technique particulière. En outre, elle n'a pas produit les trois attestations d'habilitation dans les domaines ISO 9001, ISO 14000 et ISO 14001.

8. D'autre part, si la société Chauffage Services Maintenance et Entretien conteste qu'elle devait fournir une attestation d'assurance couvrant les risques liés à la géothermie et à l'aérothermie, toutefois, la commune de Loon-Plage pouvait exiger de la part de la société requérante qu'elle fournisse une attestation d'assurance couvrant l'ensemble des prestations prévues par le marché dont l'entretien d'échangeurs géothermiques enterrés et d'échangeurs sur l'air, conformément à l'article 3.2 précité du règlement de consultation.

9. Il résulte de ce qui précède que la société Chauffage Services Maintenance et Entretien, ne justifiant pas disposer des capacités techniques et professionnelles nécessaires à l'exécution du marché, n'est pas fondée à demander la résiliation du marché public d'exploitation des installations de chauffage conclu entre la commune de Loon-Plage et la société Idex Energies, alors qu'au demeurant, le rejet de sa candidature est fondé sur un troisième motif non contesté tiré de l'absence de désignation d'un sous-traitant en matière de ramonage et de l'absence de couverture assurance à ce titre si cette prestation n'est pas sous-traitée.

Sur les conclusions indemnitaires :

10. En l'absence d'irrégularité entachant la procédure de passation du marché en litige et la société Chauffage Services Maintenance et Entretien n'ayant été privée d'aucune chance d'obtenir le marché, elle ne saurait prétendre à l'indemnisation d'un quelconque préjudice.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Loon-Plage, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la société Chauffage Services Maintenance et Entretien au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

12. Il y a lieu par ailleurs lieu, sur le fondement des mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société Chauffage Services Maintenance et Entretien une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Loon-Plage et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société Chauffage Services Maintenance et Entretien est rejetée.

Article 2 : La société Chauffage Services Maintenance et Entretien versera à la commune de Loon-Plage une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Chauffage Services Maintenance et Entretien, à la commune de Loon-Plage et à la société Idex Energies.

Délibéré après l'audience du 11 juin 2024, à laquelle siégeaient :

M. Fabre, président,

Mme Monteil, première conseillère,

M. Lemée, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juillet 2024.

Le rapporteur,

Signé

M. LEMÉE

Le président,

Signé

X. FABRE

La greffière,

Signé

M. A

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,