TA Lille, 05/04/2023, n°2301827

Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 27 février 2023, et un mémoire, enregistré le 14 mars 2023, la société J. Leroy représentée par Me Le Briquir, demande, dans le dernier état de ses écritures, au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative

1°) de surseoir à statuer dans l'attente de la communication des éléments mentionnés à l'article R. 2181-2 du code de la commande publique ;

2°) d'annuler la phase de sélection des offres relative à la procédure d'attribution du lot n° 3 du marché lancé par la commune d'Arques pour la réhabilitation de l'hôtel de ville et toutes les décisions qui s'y rapportent ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Arques le versement d'une somme de 2 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société HIS Bâtiment, déclarée attributaire du lot, ne dispose pas des capacités économiques ;

- cette société ne dispose, non plus, ni des qualifications Qualibat ni de références.

Par deux mémoire en défense, enregistrés les 10 et 14 mars 2023, la commune d'Arques, représentée par la SCP Gros, Hicter, d'Halluin et associés, conclut au rejet de la requête et à ce la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

La requête a été communiquée à la société HIS Bâtiment, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Robbe, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 14 mars 2023 à 15h30, en présence de M. Potet, greffier, M. Robbe, juge des référés, a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Le Briquir, représentant la société J. Leroy ;

- et les observations de Me d'Halluin, représentant la commune d'Arques.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence envoyé à la publication le 8 décembre 2022, la commune d'Arques a lancé une consultation, en vue de l'attribution, selon une procédure adaptée, d'un accord-cadre, composé de sept lots, relatif à la réhabilitation de l'hôtel de ville. La société J. Leroy, dont l'offre pour l'attribution du lot n° 3 (" Couverture - étanchéité ") a été rejetée, au profit de celle présentée par la société HIS Bâtiment, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, d'une part, de surseoir à statuer dans l'attente de la communication des éléments mentionnés à l'article R. 2181-2 du code de la commande publique, et, d'autre part, d'annuler la phase de sélection des offres relative à la procédure d'attribution de ce lot n° 3 ainsi que toutes les décisions qui s'y rapportent.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Aux termes de l'article L. 551-10 de ce code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat ou à entrer au capital de la société d'économie mixte à opération unique et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge du référé précontractuel de se prononcer sur les manquements aux règles de publicité et de mise en concurrence incombant à l'acheteur, invoqués à l'occasion de la passation d'un contrat. En vertu de ces mêmes dispositions, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements de l'acheteur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge du référé précontractuel de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.

En ce qui concerne le sursis à statuer :

4. Selon l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : "L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre". Aux termes des dispositions de l'article R. 2181-2 du même code, applicable aux marchés passés selon une procédure adaptée : " Tout candidat ou soumissionnaire dont la candidature ou l'offre a été rejetée peut obtenir les motifs de ce rejet dans un délai de quinze jours à compter de la réception de sa demande à l'acheteur. / Lorsque l'offre de ce soumissionnaire n'était ni inappropriée, ni irrégulière, ni inacceptable, l'acheteur lui communique en outre les caractéristiques et avantages de l'offre retenue ainsi que le nom de l'attributaire du marché ". L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

5. La société J. Leroy, informée du rejet de son offre et du nom de l'attributaire par un courriel du 22 février 2023, a demandé à la commune d'Arques la communication du rapport d'analyse des offres par un courriel du 27 février 2023. La commune a rejeté cette demande en se fondant sur le motif tiré de ce que ce rapport, revêtant un caractère préparatoire, ne peut être communiqué aux tiers. Le second mémoire en défense de la commune d'Arques, enregistré le 14 mars 2023, et immédiatement communiqué à la société requérante, comporte un tableau récapitulant les notes obtenues par l'attributaire et par la société requérante pour chaque sous-critère de la valeur technique, pondéré à 55%, ainsi que le classement des trois soumissionnaires au regard de l'ensemble des critères. Ainsi, la société requérante a été mise à même de contester utilement devant le juge des référés précontractuels le rejet de son offre, et sa demande tendant à ce qu'il soit sursis à statuer dans l'attente de la communication des éléments mentionnés à l'article R. 2181-2 du code de la commande publique ne peut qu'être rejetée.

En ce qui concerne les capacités financières de la société HIS Bâtiment :

6. Aux termes de l'article R. 2143-3 du code de la commande publique : " Le candidat produit à l'appui de sa candidature () 2° Les renseignements demandés par l'acheteur aux fins de vérification de l'aptitude à exercer l'activité professionnelle, de la capacité économique et financière et des capacités techniques et professionnelles du candidat. ". Aux termes de l'article R. 2143-12 du même code : " Si le candidat s'appuie sur les capacités d'autres opérateurs économiques, il justifie des capacités de ce ou ces opérateurs économiques et apporte la preuve qu'il en disposera pour l'exécution du marché. Cette preuve peut être apportée par tout moyen approprié. ". L'article R. 2144-1 du code prévoit que : " L'acheteur vérifie les informations qui figurent dans la candidature, y compris en ce qui concerne les opérateurs économiques sur les capacités desquels le candidat s'appuie. Cette vérification est effectuée dans les conditions prévues aux articles R. 2144-3 à R. 2144-5. ". Aux termes de l'article R. 2142-13 de ce code : " L'acheteur peut imposer des conditions garantissant que les opérateurs économiques possèdent les ressources humaines et techniques et l'expérience nécessaires pour exécuter le marché en assurant un niveau de qualité approprié. () ". Aux termes des dispositions de l'article R. 2142-14 : " L'acheteur peut exiger que les opérateurs économiques disposent d'un niveau d'expérience suffisant, démontré par des références adéquates provenant de marchés exécutés antérieurement. Toutefois, l'absence de références relatives à l'exécution de marchés de même nature ne peut justifier, à elle seule, l'élimination d'un candidat ".

7. Il résulte de ces dispositions que le pouvoir adjudicateur doit contrôler les garanties professionnelles, techniques et financières des candidats à l'attribution d'un marché public. Les documents ou renseignements exigés à l'appui des candidatures doivent être objectivement rendus nécessaires par l'objet du marché et la nature des prestations à réaliser. Le juge du référé précontractuel ne peut censurer l'appréciation portée par le pouvoir adjudicateur sur les niveaux de capacité technique exigés des candidats à un marché public, ainsi que sur les garanties, capacités techniques et références professionnelles présentées par ceux-ci que dans le cas où cette appréciation est entachée d'une erreur manifeste.

8. Il résulte de l'instruction que l'offre proposée par la société HIS Bâtiment pour la tranche ferme représente environ 41 % de son chiffre d'affaires. Ni la circonstance que ce ratio serait plus élevé en tenant compte des deux tranches optionnelles, ni celle que la société HIS Bâtiment ne dispose actuellement que de deux salariés, ni enfin l'allégation de la société requérante, au demeurant peu étayée, selon laquelle l'offre proposée par la société HIS Bâtiment la conduirait à s'engager à produire pour un montant représentant le double de sa capacité de production, ne suffisent, eu égard à l'objet et à la durée du marché, à faire regarder comme entachée d'une erreur manifeste l'appréciation portée par la commune d'Arques sur les capacités économiques et financières de la société HIS Bâtiment.

En ce qui concerne le respect du règlement de la consultation :

9. Le règlement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions et l'administration ne peut, dès lors, attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par ce règlement. Toutefois, le pouvoir adjudicateur peut s'affranchir des exigences du règlement de la consultation quand la fourniture des éléments demandés ne présente pas d'utilité pour l'appréciation de l'offre, et il appartient à la juridiction saisie d'une contestation du marché de rechercher si le défaut de production d'une pièce ou d'un élément constitutif du dossier pouvait justifier le rejet de l'offre en prenant en compte l'utilité de cette pièce pour l'appréciation de l'offre.

10. Au titre des pièces relatives à l'offre, le règlement de la consultation exige plusieurs qualifications, dont, pour le lot n° 3, certains certificats Qualibat ou des " références similaires ". Il est constant que la société HIS Bâtiment ne dispose pas de ces certificats. Cependant, le pouvoir adjudicateur ne peut en principe se fonder sur des critères portant sur les capacités générales de l'entreprise qu'au stade de l'examen des candidatures. Or, les certificats ou références exigés au stade de l'analyse de l'offre par le règlement de la consultation se rapportent à ces capacités générales. Il était ainsi loisible à la commune d'Arques de s'affranchir, au stade de l'analyse des offres, de ces exigences de production de certificats ou références, la société HIS Bâtiment ayant d'ailleurs produit des références, sans qu'il soit sérieusement soutenu que l'appréciation portée par la commune sur les garanties, capacités techniques et références professionnelles présentées par la société HIS Bâtiment serait entachée d'une erreur manifeste.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune d'Arques, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme réclamée au titre des frais du procès par la société J. Leroy.

12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de la commune d'Arques tendant à l'application à son profit des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société J. Leroy est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune d'Arques présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société J. Leroy, à la commune d'Arques et à la société HIS Bâtiment.

Fait à Lille, le 5 avril 2023.

Le juge des référés,

signé

J ROBBE

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Le greffier,