TA Marseille, 07/06/2023, n°2210888
Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 décembre 2022 et 23 mars 2023, la société Girard, représentée par Me Engelhard, demande au juge des référés, dans le dernier état de ses écritures :
1°) sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui verser, à titre de provision, la somme de 172 855,69 euros TTC, assortie des intérêts moratoires au taux fixé par la banque centrale européenne majoré de 8 points de pourcentage, à compter du 21 juin 2021, et de leur capitalisation ;
2°) de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a droit au paiement d'une provision correspondant aux travaux supplémentaires régularisés par l'avenant n° 1 conclu le 18 avril 2019, lequel ne tient pas compte de ceux réalisés à prix unitaires, pour un montant de 39 011,92 euros HT ;
- elle a droit au paiement d'une provision correspondant aux travaux supplémentaires réalisés en exécution d'ordres de service non régularisés par avenant, à hauteur de 141 235, 54 euros HT desquels il convient de soustraire 24 157,56 euros HT correspondant au prix des prestations retirées du marché en exécution de l'ordre de service n° 26 ;
- le montant de la provision demandée au titre de ces travaux supplémentaires s'élève à 117 077, 98 euros HT ;
- elle a droit au paiement d'une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros ainsi qu'aux intérêts moratoires ;
- les acomptes mensuels auxquels se réfèrent le département ne figurent pas dans le décompte général et ne peuvent donc être pris en compte.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 20 février 2023 et le 24 avril 2023, le département des Bouches-du-Rhône conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de société Girard la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- à titre principal, l'obligation est sérieusement contestable ;
- il a réglé les sommes dues au titre des ordres de service n° 6, 11, 17, 19, 21, 30 et 31 régularisés par l'avenant n° 1, à l'exception de la somme de 118,07 euros HT correspondant au solde de l'ordre de service n° 27 ;
- il a réglé les travaux supplémentaires notifiés par ordres de service n° 39, 40, 43, 44, 45, 47, 48, 50 et 51 et non régularisés par avenant, à l'exception des ordres de service n°46 et 49, pour un montant de 26 474,80 euros HT et du solde de l'ordre de service n°52 pour un montant de 2 281,53 euros HT de sorte qu'il reste seulement redevable de la somme de 28 756,33 euros HT ;
- en retranchant de cette somme la moins-value de 24 157,56 euros HT, le département reste redevable de la somme de 4 598,77 euros HT ;
- à titre subsidiaire, la provision accordée devra être limitée à la somme de 4 716,84 euros HT, soit 5 660,21 euros TTC ;
- la société Girard n'apporte pas la preuve que la provision sollicitée n'a pas été versée en cours de chantier au titre du paiement des acomptes mensuels.
Un mémoire présenté par la société Girard, enregistré le 24 mai 2023, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des marchés publics ;
- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme A pour statuer sur les demandes de référés.
Considérant ce qui suit :
1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : "Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie".
2. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge des référés de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou non sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi. De même, pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que le juge des référés peut allouer n'a d'autre limite que celle qui résulte du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui parait revêtir un caractère de certitude suffisant.
3. Le département des Bouches-du-Rhône a lancé un marché de travaux pour la restructuration et la refonte de la muséographie du Museon Arlaten, à Arles. Le lot n° 1 " gros œuvre - maçonnerie - pierres de traille - revêtement de sol dur " a été confié, le 4 novembre 2015, au groupement solidaire d'entreprises Girard et Mastran, cette dernière ayant ensuite été absorbée par la société Girard, pour une durée de 24 mois. Ce lot comprenait des prestations rémunérées à prix forfaitaire et à prix unitaires. La date de démarrage des travaux a été fixée au 24 octobre 2016, lesquels ont été réceptionnés le 5 février 2020 avec levée des réserves le 2 décembre 2020. Le 8 décembre 2020, la société Girard a transmis son projet de décompte général au maître d'œuvre. Le 22 avril 2021, le département a notifié à la société Girard le décompte général arrêté à la somme de 3 607 475 euros HT, soit 4 328 971, 06 euros TTC. Le 20 mai 2021, la société Girard a retourné ce décompte au département avec des réserves, accompagné d'un mémoire en réclamation, réceptionné le 21 mai 2021. Le département n'a pas répondu à ce mémoire. La société Girard demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article R. 541-1 du code de justice administrative, de condamner le département des Bouches-du-Rhône à lui verser la somme provisionnelle de 187 307,76 euros TTC euros au titre des travaux supplémentaires exécutés sur ordre de service et devant être rémunérés par application de prix unitaires.
Sur la demande de provision :
4. Aux termes de l'article 13.4.1 du cahier des clauses administratives générales applicables (CCAG) aux marchés publics de travaux, alors en vigueur : " Le maître d'œuvre établit le projet de décompte général, qui comprend : le décompte final ; l'état du solde, établi à partir du décompte final et du dernier décompte mensuel, dans les mêmes conditions que celles qui sont définies à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; la récapitulation des acomptes mensuels et du solde. / () Le maître d'œuvre transmet le projet de décompte général au représentant du pouvoir adjudicateur dans un délai compatible avec les délais de l'article 13.4.2. / 13.4.2. Le projet de décompte général est signé par le représentant du pouvoir adjudicateur et devient alors le décompte général. / Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. () ".
5. Il résulte de l'instruction que la société Girard a effectué des travaux supplémentaires pour un montant cumulé de 202 166, 73 euros HT en exécution des ordres de service n°6, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 19, 21, 23, 24, 25, 27, 28, 30, 32 et 33. Ces derniers ont été régularisés, s'agissant de la partie du marché rémunérée à prix forfaitaires, par un avenant n°1 signé le 18 avril 2019, pour un montant de 162 595, 15 euros HT, lequel est inscrit au décompte général notifié par le département. Les travaux supplémentaires rémunérés à prix unitaires, correspondant à la somme de 39 011, 92 euros HT, n'ont pas été régularisés par l'avenant n°1 et n'ont pas été inscrits dans l'état du marché du décompte général. Il résulte également de l'instruction que la société Girard a effectué des travaux supplémentaires en exécution des ordres de service n° 7, 35, 36, 31, 39, 40, 43, 44, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 51 et 52 pour un montant cumulé de 141 235, 54 euros HT, duquel la société requérante admet qu'il convient de déduire 24 157, 56 euros HT correspondant à la moins-value du prix des prestations de l'ordre de service n°26, soit un montant de travaux supplémentaires de 117 077, 98 euros HT. Ces travaux n'ont pas non plus été portés dans l'état du marché du décompte général établi par le département. Si ce dernier fait valoir que ces travaux supplémentaires ont été payés au titre des acomptes, il résulte toutefois de ce qui vient d'être dit qu'ils n'ont pas été pris en compte pour le calcul du solde du marché, lequel inclut pourtant le montant des acomptes versés. Par suite, la société Girard est fondée à soutenir que les sommes de 39 011, 92 euros HT et de 117 077, 98 euros HT, soit 187 307, 88 euros TTC, correspondants au montant des travaux supplémentaires exécutés au titre des ordres de service précités doivent être inscrites dans l'état du marché figurant au décompte général.
6. Il résulte de ce qui précède que le montant total du décompte général du marché litigieux doit être porté à la somme de 4 516 278, 82 euros TTC. Il résulte de l'instruction que la société Girard a perçu un montant total d'acomptes de 4 343 423, 13 euros TTC, lequel est inscrit dans le décompte général notifié par le département, portant le montant du solde du marché à 172 855, 69 euros TTC. Dans ces conditions, le montant non sérieusement contestable de la créance réclamée par la société Girard s'élève à la somme de 172 855, 69 euros TTC.
Sur les intérêts moratoires et l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement :
7. Aux termes de l'article 3.4.4 du CCAP : " Le paiement sera effectué par virement administratif sous 30 jours sur le budget départemental. Le point de départ du délai est la réception de la facture par le maître d'ouvrage. En cas de dépassement, le titulaire sera de plein droit bénéficiaire du versement d'intérêts moratoires. Conformément au décret n°2013-269 du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique : - Le taux des intérêts moratoires est égal au taux d'intérêt appliqué par la Banque centrale européenne à ses opérations principales de refinancement les plus récentes, en vigueur au premier jour du semestre de l'année civile au cours duquel les intérêts moratoires ont commencé à courir, majoré de huit points de pourcentage. / Le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement est fixé à 40 euros. ". Aux termes de l'article 7 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique : " Lorsque les sommes dues en principal ne sont pas mises en paiement () à l'expiration du délai de paiement, le créancier a droit, sans qu'il ait à les demander, au versement des intérêts moratoires et de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévus aux articles 39 et 40 de la loi du 28 janvier 2013 susvisée ".
8. La société Girard a droit aux intérêts moratoires au taux contractuel sur la somme de 172 855, 69 euros à compter du 21 mai 2021, date de réception de son mémoire en réclamation contestant le projet de décompte du 22 avril 2021, ainsi que l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement de 40 euros. Ces intérêts seront capitalisés au 21 mai 2022 et à chaque échéance annuelle ultérieure.
Sur les frais d'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par la société Girard et non compris dans les dépens. La société Girard n'étant pas la partie perdante ans la présente instance ces mêmes dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées au même titre par le département des Bouches-du-Rhône.
O R D O N N E :
Article 1er : Le département des Bouches-du-Rhône est condamné à verser à la société Girard la somme de 172 855, 69 euros assortie des intérêts moratoires à compter 21 mai 2021. Les intérêts échus à la date du 21 mai 2022 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le département des Bouches-du-Rhône versera la somme de 1 500 euros à la société Girard au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Girard est rejeté.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Girard et au département des Bouches-du-Rhône.
La juge des référés,
Signé
C. A
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
P. La greffière en chef,
La greffière,