TA Marseille, 21/07/2023, n°2305895

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 juin 2023 et 12 juillet 2023, la société Egis Villes et Transports et la société Egis Rail, représentées par la SELARL Lexcase, agissant par Me Apelbaum, demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la décision du 13 juin 2023 par laquelle la métropole d'Aix-Marseille-Provence a rejeté la candidature de la société Egis Rail et l'offre qu'elle a présentée pour l'attribution du lot n° 1 de l'accord-cadre de prestations d'études de faisabilité pour le développement de l'offre de transports, de la mobilité et des infrastructures de déplacement ;

2°) d'annuler les décisions des 13 et 14 juin 2023 par lesquelles la métropole d'Aix-Marseille-Provence a rejeté la candidature de la société Egis Villes et Transports et l'offre qu'elle a présentée pour l'attribution des lots n°s 2 et 3 de l'accord-cadre de prestations d'études de faisabilité pour le développement de l'offre de transports, de la mobilité et des infrastructures de déplacement

3°) d'enjoindre à la Métropole, si elle entend reprendre la procédure, de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres.

4°) de mettre à la charge de la métropole d'Aix-Marseille-Provence un euro au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- leur exclusion est irrégulière sur le fondement de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique : la Métropole a entendu fonder ses décisions sur l'avis de la référente déontologue de la Métropole qui ne fait pas mention du fondement juridique invoqué par la Métropole mais de l'article 432-13 du code pénal sur la prise illégale d'intérêts, l'article L. 124-4 du code de la fonction publique qui concerne la déontologie des fonctionnaires et l'article L. 2140-10 du code de la commande publique concernant les cas de conflits d'intérêts et l'influence d'une personne sur l'issue de la procédure et n'a pas examiné la situation de M. A B au regard de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique et cet avis ne pouvait être cité en tant qu'élément justifiant son exclusion ; la déontologue, qui ne concluait pas à la disqualification de sa candidature et de ses offres, n'a pas été saisie de nouveau postérieurement à l'échange contradictoire intervenu en mars 2023 ; en les excluant en conséquence sur la base de cet avis, la Métropole a entaché la procédure d'irrégularité ;

- concernant le principe d'impartialité et la détention d'informations privilégiées : la sanction de l'exclusion n'est envisagée qu'en dernier recours et d'autres mesures sont possibles et en particulier le rehaussement du niveau d'information des candidats ; concernant la détention d'informations privilégiées, la jurisprudence fait peser sur l'acheteur une obligation de démontrer l'existence matérielle d'informations privilégiées détenues par le candidat et la simple participation d'un futur candidat aux études préalables d'un marché ne peut par elle-même lui interdire l'accès à ce marché, notamment lorsque le soumissionnaire a déclaré ne détenir aucune information lui conférant un avantage sur ses concurrents ; dans l'hypothèse d'anciens agents contractuels passant de l'acheteur public à un candidat, ou à l'inverse, cette seule circonstance n'entraîne pas une distorsion de concurrence du fait d'éventuelles informations privilégiées ; en l'espèce, les circonstances retenues par la Métropole ne pouvaient valablement conduire la collectivité à les exclure de la procédure d'attribution des lots n°s 1, 2 et 3 de l'accord-cadre en litige ;

- la substitution de motifs sollicitée dans le mémoire en défense ne pourra qu'être rejetée dès lors qu'elle n'est pas recevable puisque ce nouveau motif n'a pas été identifié lors de l'analyse des offres et ne résulte pas des circonstances de l'instance et la Métropole est taisante sur les caractéristiques d'un conflit d'intérêts en l'espèce.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 juillet 2023, la métropole d'Aix-Marseille-Provence, représentée par la SELARL Cabanes avocats, agissant par Me Cabanes, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge des sociétés requérantes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, la Métropole a rejeté à bon droit la candidature de la société requérante sur le fondement de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique, dont les trois conditions sont en l'espèce remplies à savoir que le candidat doit avoir directement ou indirectement participé à la préparation de la procédure du marché, que le candidat doit avoir eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats et que l'acheteur public ne doit pas disposer d'un autre moyen lui permettant de remédier au déséquilibre concurrentiel ainsi constaté ;

- à titre subsidiaire, si le juge des référés devait considérer que la Métropole ne pouvait se fonder sur l'article L. 2141-8 du code de la commande publique, l'exclusions de la candidature en litige pourra être également fondée sur les dispositions de l'article L. 2141-10 du même code et cette circonstance devra conduire à une substitution de motifs.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du Tribunal a désigné Mme Markarian, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 12 juillet 2023 à 10 heures, tenue en présence de Mme Martinez, greffière d'audience, Mme Markarian a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Apelbaum, pour la société Egis Villes et Transports et la société Egis Rail, qui reprend son argumentation ;

- les observations de Me Cabanes, pour la Métropole, qui reprend également son argumentation.

A l'issue de l'audience, et compte tenu de la production de pièces avant l'audience, la clôture de l'instruction a été reportée pour production complémentaire.

Par un mémoire, enregistré le 12 juillet 2023, la société Egis Villes et Transports et la société Egis Rail, qui concluent aux mêmes fins que leurs requêtes.

Par un mémoire, enregistré le 12 juillet 2023, la métropole d'Aix-Marseille-Provence conclut aux mêmes fins que précédemment.

La clôture d'instruction a été prononcée le 13 juillet à 16 heures 30.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public () Le président du tribunal administratif peut être saisi avant la conclusion du contrat. Il peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte. Il peut également annuler ces décisions et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. Dès qu'il est saisi, il peut enjoindre de différer la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure et pour une durée maximum de vingt jours. / () Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés. ".

2. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 30 septembre 2022, la métropole d'Aix-Marseille-Provence a lancé une consultation en vue de la passation, selon une procédure d'appel d'offres ouvert, d'un accord-cadre multi-attributaires en 4 lots de prestations d'études de faisabilité pour le développement de l'offre de transports, de la mobilité et des infrastructures de déplacement. La société Egis Villes et Transports a déposé une offre pour les lots n°s 2, 3 et 4 et la société Egis Rail pour le lot n° 1. Par courriers des 13 et 14 juin 2023, la métropole d'Aix-Marseille-Provence a informé la société Egis Villes et Transports la société Egis Rail du rejet de leurs candidatures et de leurs offres en application du 2° de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique. Dans le cadre de la présente instance, la société Egis Villes et Transports et la société Egis Rail demandent l'annulation des décisions des 13 et 14 juin 2023.

3. Aux termes de l'article L. 3 du code de la commande publique : " Les acheteurs et les autorités concédantes respectent le principe d'égalité de traitement des candidats à l'attribution d'un contrat de la commande publique. Ils mettent en œuvre les principes de liberté d'accès et de transparence des procédures, dans les conditions définies dans le présent code. / Ces principes permettent d'assurer l'efficacité de la commande publique et la bonne utilisation des deniers publics. "

4. Aux termes de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui : () 2° Soit par leur participation préalable directe ou indirecte à la préparation de la procédure de passation du marché, ont eu accès à des informations susceptibles de créer une distorsion de concurrence par rapport aux autres candidats, lorsqu'il ne peut être remédié à cette situation par d'autres moyens. ".

5. Aux termes de l'article L. 2141-11 du même code : " L'acheteur qui envisage d'exclure un opérateur économique en application de la présente section doit le mettre à même de présenter ses observations afin d'établir dans un délai raisonnable et par tout moyen qu'il a pris les mesures nécessaires pour corriger les manquements précédemment énoncés et, le cas échéant, que sa participation à la procédure de passation du marché n'est pas susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement./ La personne établit notamment qu'elle a, le cas échéant, entrepris de verser une indemnité en réparation des manquements précédemment énoncés, qu'elle a clarifié totalement les faits et les circonstances en collaborant activement avec les autorités chargées de l'enquête et qu'elle a pris des mesures concrètes propres à régulariser sa situation et à prévenir toute nouvelle situation mentionnée aux articles L. 2141-7 à L. 2141-10. Ces mesures sont évaluées en tenant compte de la gravité et des circonstances particulières attachées à ces situations. / Si l'acheteur estime que ces preuves sont suffisantes, la personne concernée n'est pas exclue de la procédure de passation de marché. ".

6. Il résulte des dispositions du 2° de l'article L. 2141-8 du code de la commande publique que l'acheteur public n'est tenu d'exclure un candidat que si celui-ci a eu accès à des informations ignorées des autres candidats et susceptibles de créer une distorsion de concurrence.

7. Il résulte de l'instruction que la métropole d'Aix-Marseille-Provence a, lors de l'examen des offres reçues, jusqu'au 3 novembre 2022, pour les 4 lots de l'accord-cadre portant sur des prestations d'études de faisabilité pour le développement de l'offre de transports, de la mobilité et des infrastructures de déplacement constaté la présence au sein de l'équipe proposée pour exécuter les prestations dans les mémoires techniques des lots 1, 2 et 3 de M. A B, salarié de la société Egis Villes et Transports depuis le 5 septembre 2022. Il résulte de l'instruction que M. A B avait été recruté par la Métropole en qualité d'ingénieur contractuel du 1er septembre 2020 au 4 septembre 2022, soit durant deux ans, et s'il est soutenu que la Métropole avait été informée de son départ dès le mois d'avril 2022 vers la société Egis Villes et Transports, les sociétés requérantes ne justifient pas que M. B aurait informé sa hiérarchie de son embauche par la société Egis Villes et Transports et se serait conformé aux obligations de l'article L. 124-4 du code de la fonction publique en se bornant à produire une attestation sur l'honneur de M. B, datée du 10 juillet 2023, attestant pour les besoins de la cause avoir informé sa hiérarchie dès le mois d'avril 2022. Selon le courrier de la Métropole du 8 mars 2023, M. B occupait un poste d'ingénieur au sein de la direction générale des services " d'infrastructures voirie et espaces publics, service des projets métro et tramway, études générales ". Eu égard au niveau de son recrutement, et comme l'indique la Métropole, ses missions consistaient, en collaboration avec les institutions et partenaires extérieurs, à participer à la gestion des études préalables à la réalisation des projets tramway et métro, aux opérations de maîtrise d'œuvre des projets d'extension du tramway et du métro de Marseille en lien avec les chefs de projets, participer à la conduite des études techniques préalables à la réalisation des projets, participer à la conduite des études de maîtrise d'œuvre et assurer le suivi des dossiers, lui donnant ainsi accès à l'ensemble des données d'informations relatives aux enjeux du transport sur le territoire de la Métropole. Si les sociétés requérantes soutiennent que les interventions de M. B, selon les informations obtenues de ce dernier, se seraient limitées, dans le cadre de l'accompagnement des missions de maîtrise d'œuvre, à l'utilisation du modèle M13+et à la préparation de données de trafics nécessaires à la réalisation des études socio-économiques menées par les maîtres d'oeuvre, et qu'il occupait un poste opérationnel et technique, ces allégations, à les supposer même établies, ne peuvent toutefois, compte tenu de niveau de recrutement, conduire à considérer que M. B, qui faisait partie de l'équipe de la direction infrastructures voirie, espaces publics, tramway et métro, n'a pas eu accès à l'ensemble des informations relatives précisément aux études socio-économiques sur le territoire de la Métropole, laquelle souhaite, ainsi qu'il est rappelé à l'article 1er du CCTP du lot n° 4, disposer de capacités de diagnostic et d'expertise pour le développement des transports et de la mobilité en cohérence avec son plan de mobilité approuvé le 16 décembre 2021 et compte tenu de la nécessité affirmée par le ministère chargé des transports de promouvoir depuis la crise sanitaire de nouveaux projets de transport collectif en site propre ainsi que de pôles d'échanges multimodaux. A cet égard, et dans son courrier du 10 mars 2022, M. B évoque lui-même une réunion des 6 et 7 avril en indiquant que " les délais sont compatibles avec la rédaction du CCTP de l'accord-cadre ", sans autre précision sur le lot concerné, et il apparaît ainsi destinataire des articles du CCTP alors même que la société requérante soutient que ces courriels concernaient uniquement le lot n°1. En outre, la société requérante ne peut soutenir que le dossier de consultation des entreprises a nécessairement fait l'objet de modifications depuis le départ de M. B dès lors que ce dernier a quitté les services de la Métropole le 4 septembre 2022 alors que l'avis d'appel à candidatures a été publié très peu de temps après le 30 septembre 2022. Compte tenu de l'implication de M. B dans l'équipe des transports de la Métropole pour la préparation de l'accord-cadre en litige, et alors que le dossier de l'accord-cadre devait être prêt lorsqu'il a quitté la Métropole le 4 septembre 2022, les sociétés requérantes ne peuvent soutenir que M. B n'a pas bénéficié d'informations privilégiées dès lors que les 4 lots font partie intégrante du même accord-cadre, dont l'élaboration a nécessairement conduit à définir les critères communs d'analyse des offres. Dès lors qu'il résulte de l'instruction que M. B est susceptible directement ou indirectement d'avoir participé à l'élaboration de l'accord-cadre en litige, ces informations dont ont disposé les sociétés requérantes ont été de nature à créer une distorsion de concurrence et la Métropole ne disposait en conséquence, en l'état de l'instruction, d'autre solution que d'écarter leurs candidatures de l'appel d'offres ouvert concernant l'accord-cadre dans son ensemble. Ainsi, et la circonstance que la déontologue de la Métropole n'aurait pas visé dans son avis les dispositions de l'article L. 2141-8 2° du code de la commande publique étant sans incidence, la Métropole a pu à bon droit exclure, sur ce fondement, les candidatures de la société Egis Villes et transports et de la société Egis Rail de l'accord-cadre en litige.

8. Il en résulte que la société Egis Villes et Transports et la société Egis Rail ne sont pas fondées à demander l'annulation des décisions des 13 et 14 juin 2023 par laquelle la Métropole a rejeté leurs candidatures et les offres qu'elles ont présentées pour les lots n° 1, 2 et 3.

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la métropole d'Aix-Marseille-Provence, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par les sociétés requérantes et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Egis Villes transports et de la société Egis Rail une somme globale de 2 500 euros à verser à la métropole d'Aix-Marseille-Provence sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Egis Villes et Transports et de la société Egis Rail est rejetée.

Article 2 : La société Egis Villes et Transports et la société Egis Rail verseront à la métropole d'Aix-Marseille-Provence une somme globale de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Egis Villes et Transports, à la société Egis Rail et à la métropole d'Aix-Marseille-Provence

Fait à Marseille, le 21 juillet 2023.

La Juge des référés,

Signé

G. Markarian

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

La greffière,

N°2305895