TA Marseille, 26/08/2024, n°2407782


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 et 20 août 2024, la SAS Free Pro, représenté par Me Valette, demande au juge des référés :

1°) d'annuler, sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, la décision du 22 juillet 2024 par laquelle le président du conseil régional Provence-Alpes-Côte d'Azur a rejeté son offre au titre de la procédure d'appel d'offres ouvert en vue du renouvellement du réseau régional REALYCE, la décision par laquelle l'offre de la société Céleste a été retenue et, ensemble, la procédure de publicité et de mise en concurrence de ce marché ;

2°) de mettre à la charge de région Provence-Alpes-Côte d'Azur la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par a région Provence-Alpes-Côte d'Azur du marché ayant pour objet la livraison de fournitures d'un service de liens télécom de niveau 2 (REALYCE 3.1) ont été méconnues dès lors que le pouvoir adjudicateur a fait usage d'une méthode de notation du critère de prix inapplicable ayant conduit à attribuer des notes au critère du prix supérieures à 40, en modifiant la méthode, sans en informer les candidats et qu'il est impossible de comprendre la note qui lui a été attribuée de 26, 2640/ fixée après modification sans information des candidats ;

- en outre, l'offre de la société Celeste est anormalement basse, il appartenait à la région d'enclencher la procédure appropriée pour rejeter son offre ;

- la région a méconnu les dispositions des R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 15 et 21 août 2024, la région Provence- Alpes-Côte d'Azur, représentée par Me Cabanes et Me Michelin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Free Pro, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 19 août 2024, la société Celeste, représentée par Me Mikalef, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Free Pro, la somme de 5000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Lopa Dufrénot, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue en présence de Mme Romelli, greffière d'audience, Mme Lopa Dufrénot a lu son rapport et entendu les observations de :

- Me Valette, représentant la société Free Pro, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens qu'il développe ;

- Me Cabanes, représentant la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui persiste dans ses écritures, par les mêmes moyens ;

- et Me Nicolas, représentant la société Céleste, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures, par les mêmes moyens.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. La région Provence-Alpes-Côte d'Azur a soumis à la concurrence un appel d'offres ouvert en vue de l'attribution d'un accord-cadre mono-attributaire à bons de commande ayant pour objet la fourniture d'un service de liens télécom de niveau 2 (REALYCE 3.1) dans le cadre du renouvellement du réseau régional REALYCE. La société Free Pro, titulaire du précédent marché, a déposé une offre qui a été rejetée par un courrier du président du conseil régional du 22 juillet 2024. La société Free Pro demande au juge des référés d'annuler cette décision, celle retenant l'offre de la société Céleste et la procédure de passation du marché.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. En premier lieu, s'il appartient au pouvoir adjudicateur d'indiquer les critères d'attribution du marché ainsi que leur pondération, aucun principe ni aucun texte ne lui imposent d'informer en outre les candidats de la méthode de notation envisagée pour évaluer les offres au regard des critères de sélection. Par ailleurs, cette méthode échappe en principe, sous réserve d'une erreur de droit ou d'une discrimination illégale, au contrôle du juge du référé précontractuel.

5. Le règlement de consultation a, dans son article 4, prévu que la sélection des offres serait appréciée selon deux critères, la valeur technique représentant 60 % de la note et le critère du prix, 40 %, ce critère étant analysé au regard du devis quantitatif estimatif du candidat et noté en fonction de la formule suivante " [(Prix du moins disant/prix du candidat) *10] *40 pour le DQE ".

6. D'une part, la formule précitée dont l'erreur purement matérielle portant sur l'ajout d'un coefficient multiplicateur de 10 qui aurait eu pour conséquence arithmétique incohérente de conduire à la pondération du critère en cause à 400 %, et non 40 % était décelable aisément par l'ensemble des candidats, sans incidence sur la présentation des offres des candidats. Il ne résulte pas de l'instruction que son application aurait conduit la région PACA à mettre en œuvre les critères fixées de sélection des offres dont elle n'aurait pas informé les candidats ou qui auraient sans lien avec l'objet du marché en cause et discriminatoires ou encontre à modifier les critères.

7. D'autre part, la société Free Pro ne conteste pas que le pouvoir adjudicateur, en vertu de l'article 3 du règlement de la consultation, a procédé à l'application de la formule précitée en retenant, compte tenu de la discordance s'agissant des prestations relatives aux frais d'accès au service, entre le détail quantitatif estimatif les fixant à 0 et le bordereau des prix les facturant, celui- ci, portant le montant du prix de l'offre de la société Free Pro à 4 589 390 euros au lieu de 4 368 990 euros qu'il a retenu dans le cadre de la sélection des offres soumises. Dès lors, le moyen tiré de l'inapplication de la méthode de notation, dans ses branches, doit être écarté.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2152-3 dudit code : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter () ". Aux termes de l'article R. 2152-4 de ce code : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés () ".

9. Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.

10. Par ailleurs, pour contrôler le caractère anormalement bas ou non d'une offre, le juge du référé précontractuel ne peut se borner à relever un écart de prix plus ou moins important entre cette offre et d'autres offres concurrentes ou passées ou encore avec les estimations de prix du pouvoir adjudicateur que les explications fournies par le candidat ne sont pas de nature à justifier sans rechercher si le prix en cause est en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché.

11. Alors que, titulaire du précédent marché attribué en 2020, supporte la charge de la preuve, la société requérante se borne à affirmer que l'offre de la société Céleste, opérateur télécom spécialisé dans les offres très haut débit pour les entreprises et collectivités publiques d'un montant de 3 012 480 euros HT, montant de l'offre de la moins disante est plus de 30 % inférieure à la sienne et à s'appuyer sur l'évolution estimée du marché pour en conclure qu'elle est de nature compromettre la bonne exécution du marché, sans apporter d'éléments étayant ces allégations. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur l'offre de la société Céleste doit être écarté.

12. En dernier lieu, aux termes de l'article R. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique, " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre () ". Aux termes de l'article R. 2181-4 du même code : " À la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ".

13. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations, mentionnées aux articles du code de la commande publique précités, a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge des référés statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

14. Il résulte de l'instruction que le courrier du 22 juillet 2024 adressé par le président du conseil régional PACA à la société requérante, pour lui notifier le rejet de son offre, mentionnait le nom de la société Céleste comme attributaire, les différentes notes obtenues par l'attributaire et par le candidat évincé sur chacun des deux critères de sélection. La société Free Pro et la société attributaire ont obtenu respectivement les notes de 60/60 et 59/60 au critère technique comportant six sous-critères dont les notes ont également été communiquées. En revanche, concernant le critère du prix, la société requérante a obtenu la note de 26,26/40, la société Céleste, quant à elle, 40/40. La société requérante a été informée de son classement en deuxième position. Ce courrier comportait, en outre, le délai de suspension de la signature du marché. Eu égard aux nombre limité de critères en cause et à l'information apportée dans le cadre de la présente procédure du montant de l'offre la moins disante à hauteur de 3 012 480 euros HT ainsi que de celui de l'offre du 3ème concurrent porté à 3 900 000 euros, la société requérante a ainsi obtenu communication des informations de nature à lui permettre de connaître les motifs de rejet de son offre et de contester utilement son éviction. Dès lors, la région PACA a satisfait à l'obligation d'information des soumissionnaires évincés, fixée par les articles R. 2181-1 et R. 2181-3 précités du code de la commande publique. Le moyen tiré de ce qu'elle aurait méconnu ses obligations découlant du principe de transparence en matière d'information des soumissionnaires évincés doit donc être écarté.

15. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions présentées par la société Free Pro sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la région PACA la somme que demande la société Free Pro au titre des frais de l'instance. En revanche, il y a lieu, en application des dispositions du même article, de mettre à la charge de la société requérante une somme de 1 000 euros à verser à la région PACA et celle de 1000 euros à la société Céleste.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête de la société Free Pro est rejetée.

Article 2 : La société Free Pro versera à la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur, la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société Free Pro versera à la société Celeste, la somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Free Pro, à la région Provence- Alpes- Côte d'Azur et à la société Celeste.

Fait à Marseille, le 26 août 2024.

La juge des référés,

signé

M. Lopa Dufrénot

La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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