TA Martinique, 11/04/2024, n°2300170


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 mars 2023 et le 18 octobre 2023, la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Luz Loc, représentée par Me Bourié, demande au tribunal :

1°) d'ordonner la reprise des relations contractuelles pour l'exécution du marché de location de longue durée d'un véhicule utilitaire conclu le 4 juillet 2022 avec l'Institut martiniquais de formation professionnelle pour adultes (IMFPA) ;

2°) subsidiairement, de condamner l'IMFPA à lui verser la somme de 77 819,84 euros en réparation des préjudices que lui a causés la décision du 23 janvier 2023 de résiliation de ce marché ;

3°) de mettre à la charge de l'IMFPA la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de résiliation n'a pas été précédée d'une mise en demeure adressée par lettre recommandée ;

- un délai suffisant ne lui a pas été accordé pour lui permettre de remédier aux manquements relevés par l'IMFPA ;

- la décision de résiliation a été signée par une autorité incompétente ;

- la décision ne comporte qu'une signature et un tampon de l'IMFPA, sans préciser l'identité et la qualité du signataire ;

- les deux motifs de résiliation ne sont pas fondés et ne peuvent caractériser une faute suffisamment grave de nature à justifier une mesure de résiliation ;

- aucun motif d'intérêt général ne fait obstacle à la reprise des relations contractuelles ;

- si la reprise des relations contractuelles ne peut être prononcée, une indemnité de 77 819,84 euros devra lui être versée en réparation de son préjudice.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mai 2023, l'Institut martiniquais de formation professionnelle pour adultes (IMFPA), représenté par Me Edimo Nana, conclut au rejet de la requête, à ce que la société Luz Loc soit condamnée à lui verser la somme de 10 000 euros en réparation de son préjudice, et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, par un courrier du 2 janvier 2024, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'incompétence de la juridiction administrative pour statuer sur le litige, le marché en cause étant un contrat de droit privé conclu par un établissement public industriel et commercial.

En application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, les parties ont été informées, par un courrier du 4 mars 2024, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur des moyens d'ordre public relevés d'office, tirés de ce que :

- les conclusions indemnitaires de la requête, qui n'ont pas été précédées ou accompagnées d'une demande indemnitaire adressée à l'administration, sont irrecevables ;

- les conclusions reconventionnelles de l'Institut martiniquais de formation professionnelle pour adultes soulèvent un litige distinct et sont, dès lors, irrecevables.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. de Palmaert,

- les conclusions de M. Lancelot, rapporteur public,

- les observations de M. A, représentant la société Luz Loc,

- et les observations de Me Mbouhou, substituant Me Edimo Nana, représentant l'Institut martiniquais de formation professionnelle pour adultes.

Considérant ce qui suit :

1. L'Institut martiniquais de formation professionnelle pour adultes (IMFPA) a conclu en juillet 2022 un marché de services pour la location longue durée de véhicules. Le lot n° 2, relatif à la location d'un grand fourgon, a été attribué à la société Luz Loc qui, le 17 août 2022, a mis à disposition de l'IMFPA un véhicule Renault Master moyennant un loyer mensuel de 755,16 euros. Endommagé dans un accident de la circulation par un agent de l'IMFPA, ce véhicule a été immobilisé du 10 septembre 2022 au 13 janvier 2023, le temps de sa réparation dans un garage agréé. Le véhicule de remplacement mis à disposition de l'IMFPA le 11 octobre 2022 a dû, compte tenu de dysfonctionnements, être également immobilisé pour réparations dès le 18 octobre 2022. Le 1er novembre 2022, l'IMFPA a refusé de reprendre possession de ce véhicule de remplacement redevenu disponible, au motif de sa non-conformité avec les stipulations du marché. Par un courrier du 19 décembre 2022 énonçant les manquements de son cocontractant, l'IMFPA l'a informé qu'une décision de résiliation lui serait communiquée dans un délai de 30 jours. Par une décision du 23 janvier 2023, l'IMFPA a résilié le marché aux torts exclusifs de la société Luz Loc. Par la présente requête, cette dernière conclut à ce que soit ordonnée la reprise des relations contractuelles.

2. Le juge du contrat, saisi par une partie d'un litige relatif à une mesure d'exécution d'un contrat, peut seulement, en principe, rechercher si cette mesure est intervenue dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Toutefois, une partie à un contrat administratif peut, eu égard à la portée d'une telle mesure d'exécution, former devant le juge du contrat un recours de plein contentieux contestant la validité de la résiliation de ce contrat et tendant à la reprise des relations contractuelles.

3. Il incombe au juge du contrat, saisi par une partie d'un recours de plein contentieux contestant la validité d'une mesure de résiliation et tendant à la reprise des relations contractuelles, lorsqu'il constate que cette mesure est entachée de vices relatifs à sa régularité ou à son bien-fondé, de déterminer s'il y a lieu de faire droit, dans la mesure où elle n'est pas sans objet, à la demande de reprise des relations contractuelles, à compter d'une date qu'il fixe, ou de rejeter le recours, en jugeant que les vices constatés sont seulement susceptibles d'ouvrir, au profit du requérant, un droit à indemnité. Dans l'hypothèse où il fait droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il peut décider, si des conclusions sont formulées en ce sens, que le requérant a droit à l'indemnisation du préjudice que lui a, le cas échéant, causé la résiliation, notamment du fait de la non-exécution du contrat entre la date de sa résiliation et la date fixée pour la reprise des relations contractuelles.

4. Pour déterminer s'il y a lieu de faire droit à la demande de reprise des relations contractuelles, il incombe au juge du contrat d'apprécier, eu égard à la gravité des vices constatés et, le cas échéant, à celle des manquements du requérant à ses obligations contractuelles, ainsi qu'aux motifs de la résiliation, si une telle reprise n'est pas de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général et, eu égard à la nature du contrat en cause, aux droits du titulaire d'un nouveau contrat dont la conclusion aurait été rendue nécessaire par la résiliation litigieuse.

Sur la régularité et le bien-fondé de la mesure de résiliation :

En ce qui concerne la régularité :

5. D'une part, aux termes de l'article 41.1 du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services : " L'acheteur peut résilier le marché pour faute du titulaire dans les cas suivants : () c) Le titulaire ne s'est pas acquitté de ses obligations dans les délais contractuels ; () ". Aux termes de l'article 41.2 du même texte : " Sauf dans les cas prévus aux g, i, m et n du 41.1 ci-dessus, une mise en demeure, assortie d'un délai d'exécution, doit avoir été préalablement notifiée au titulaire et être restée infructueuse. / Dans le cadre de la mise en demeure, l'acheteur informe le titulaire de la sanction envisagée et l'invite à présenter ses observations ".

6. D'autre part, aux termes du point 10 du chapitre 1er du cahier des clauses techniques particulières : " Au cas où le prestataire ne respecterait pas ses engagements contractuels, l'IMFPA le mettra en demeure, par lettre recommandée avec accusé de réception, de remplir ses obligations sous un délai de huit jours. / Si au terme de ce délai, la mise en demeure est restée sans effet, la résiliation interviendra de plein droit par simple lettre recommandée au soumissionnaire. () ".

7. Il ressort des termes du courrier adressé le 19 décembre 2022 à la société Luz Loc que l'IMFPA, après avoir rappelé les manquements reprochés à sa cocontractante, l'a informée qu'il allait résilier le marché dans un délai de 30 jours. Un tel courrier, qui n'offre pas la possibilité au titulaire de se conformer à ses obligations dans un délai précis ni ne l'invite à présenter ses observations, ne peut être regardé comme une mise en demeure au sens de l'article 41.1 précité du cahier des clauses administratives générales des marchés publics de fournitures courantes et de services. Il ressort au demeurant d'un courriel du 23 janvier 2023 de la directrice administrative et financière de l'IMFPA que la décision de résilier le marché avait bien été prise dès le mois de décembre 2022, de façon visiblement définitive. Il s'ensuit que la société Luz Loc est fondée à soutenir que, en l'absence de mise en demeure, la résiliation du marché est intervenue dans des conditions irrégulières.

En ce qui concerne le bien-fondé :

8. Aux termes de l'article L. 2195-3 du code de la commande publique : " Lorsque le marché est un contrat administratif, l'acheteur peut le résilier : 1° En cas de faute d'une gravité suffisante du cocontractant () ".

9. Aux termes du C du point 6 du cahier des clauses techniques particulières : " un véhicule de remplacement devra être mis à disposition à titre gracieux en cas de panne, accident, vol ou destruction ". Le remplacement doit se faire " sans porter atteinte aux conditions d'application du présent marché ". " Le véhicule de remplacement fourni devra répondre aux mêmes critères d'utilisation que le véhicule immobilisé et lui correspondre ".

10. En l'espèce, la société Luz Loc a livré le 17 août 2022 à l'IMFPA un véhicule Renault Master conforme aux stipulations du cahier des charges. Accidenté le 9 septembre 2022, ce véhicule est devenu indisponible jusqu'en janvier 2023. La société Luz Loc a proposé comme véhicule de remplacement un véhicule Peugeot expert qui, dans un premier temps, a été accepté par l'IMFPA. Il résulte toutefois de l'instruction que, dès le lendemain de la prise de possession de ce véhicule, l'IMFPA a signalé d'importants dysfonctionnements sur ce véhicule et un état de propreté inacceptable. A la suite d'une panne, le véhicule a dû être également immobilisé pour réparations, sans qu'il ne soit à son tour remplacé. Redevenu disponible le 1er novembre 2022, l'IMFPA a refusé de reprendre possession de ce véhicule Peugeot expert. D'une part, le véhicule de remplacement proposé à l'IMFPA était d'un gabarit sensiblement plus réduit que celui d'un " grand fourgon ", objet du lot n° 2 attribué à la société Luz loc. D'autre part, et surtout, loin d'être neuf, ce véhicule fourni par le titulaire était dans un état d'entretien très médiocre. L'IMFPA est dès lors fondé à soutenir que la société Luz Loc a méconnu ses obligations contractuelles, se montrant dans l'incapacité de lui fournir un véhicule de remplacement répondant aux mêmes critères d'utilisation que le véhicule immobilisé.

11. Toutefois, il est constant que l'IMFPA a été informé, par deux courriers électroniques de la société Luz Loc en date des 28 décembre 2022 et 2 janvier 2023, que le grand fourgon Renault Master, réparé, allait être remis à sa disposition à compter du 13 janvier 2023. L'IMFPA n'a, dans un premier temps, pas donné suite à cette information. En réponse à une relance du 23 janvier 2023, la directrice administrative et financière de l'institut a répondu à la société Luz Loc que la décision de résilier le marché avait été prise dès le mois de décembre 2022, et que le courrier " d'officialisation " allait suivre " sous peu ". Il ressort de telles circonstances que la société Luz Loc doit être regardée comme s'étant de nouveau conformée à ses obligations contractuelles à compter du 13 janvier 2023, date à laquelle le véhicule Renault Master était de nouveau mis à la disposition de l'IMFPA. Si son incapacité à fournir un véhicule de remplacement conforme aux stipulations du marché pendant la période d'immobilisation du fourgon accidenté doit en effet être regardée comme fautive, cette faute n'était pas d'une gravité suffisante, dans les circonstances de l'espèce, pour fonder légalement la résiliation du marché. Par suite, la résiliation, par l'IMFPA, du lot n° 2 du marché de la location longue durée de véhicules est disproportionnée.

Sur la reprise des relations contractuelles :

12. Il ne résulte pas de l'instruction qu'un nouveau contrat aurait été conclu. Il ne résulte pas davantage de l'instruction que la reprise des relations contractuelles serait, dans les circonstances de l'espèce, de nature à porter une atteinte excessive à l'intérêt général. Par suite, eu égard à la gravité des vices constatés, il y a lieu d'enjoindre à l'IMFPA de reprendre les relations contractuelles avec la société Luz Loc au titre du lot n° 2 du marché de location de longue durée de véhicules sans délai.

Sur les conclusions indemnitaires :

13. La société Luz Loc ne demande la condamnation de l'IMFPA à lui verser la somme de 77 819,84 euros en réparation du préjudice subi du fait de la mesure de résiliation litigieuse qu'à titre subsidiaire et dans l'hypothèse d'un rejet de sa demande tendant à la reprise des relations contractuelles. Compte tenu de ce qu'il est fait droit par le présent jugement à cette dernière demande, ses conclusions indemnitaires ne peuvent être que rejetées.

Sur les conclusions reconventionnelles de l'IMFPA :

14. Les conclusions de l'IMFPA tendant à la condamnation de la société Luz Loc à lui verser la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts ne sont assorties d'aucune précision permettant d'apprécier le bien-fondé de ses prétentions. Par suite, ces conclusions reconventionnelles doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Luz Loc, qui n'est pas la partie perdante dans l'instance, la somme demandée par l'IMFPA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'IMFPA la somme de 1 500 euros au titre des mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : Il est enjoint à l'IMFPA de reprendre les relations contractuelles avec la société Luz Loc au titre du lot 2 du marché de location de longue durée de véhicules sans délai.

Article 2 : L'IMFPA versera à la société Luz Loc la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la société Luz Loc et à l'Institut martiniquais de formation professionnelle pour adultes.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Laso, président,

M. de Palmaert, premier conseiller,

Mme Monnier-Besombes, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2024.

Le rapporteur,

S. de Palmaert

Le président,

J-M. Laso

La greffière,

M. B

La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition :

La greffière,