TA Martinique, 21/04/2023, n°2300198
Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 3 avril 2023, la société Antea France, représentée par Me Garderes, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) à titre principal, d'annuler l'avis de marché rectificatif en date du 31 décembre 2022, ainsi que les décisions du 27 mars 2023 rejetant ses offres pour les lots 1 et 2 du marché public de prestations de reconnaissances géotechniques et génie civil relatives aux systèmes d'endiguement de Rivière Monsieur, A B, Rivière Lézarde, Rivière Gondeau et Ravine Bouillé, et d'enjoindre à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique de reprendre la procédure de passation au stade de la désignation des lauréats après analyse des offres ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler la procédure de passation du marché public de prestations de reconnaissances géotechniques et génie civil relatives aux systèmes d'endiguement, engagée par la communauté d'agglomération du centre de la Martinique et de lui enjoindre de reprendre l'intégralité de la procédure de passation ;
3°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du centre de la Martinique la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure de passation méconnaît l'article 2 du règlement de la consultation dès lors que les deux lots ne pouvaient pas être attribués à un même soumissionnaire ;
- l'avis rectificatif du 31 décembre 2022 n'a pas modifié l'article 2 du règlement de la consultation ;
- l'avis de marché rectificatif est illégal dans la mesure où il modifie de manière substantielle la consultation dès lors que, d'une part, le pouvoir adjudicateur a estimé que la disponibilité du titulaire est un enjeu crucial du marché, et d'autre part, que cette modification a un impact important sur la structuration des offres des soumissionnaires ;
- le report du délai de remise des offres de trois jours était insuffisant, une nouvelle procédure de passation aurait ainsi dû être lancée ;
- l'irrégularité de la procédure lui a causé une perte de chance réelle et sérieuse d'être désignée lauréate d'un lot.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 17 avril 2023, la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, représentée par Me Yang-Ting Ho conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la société Antea France sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- la société Antea France a pris connaissance tardivement de la note d'information aux candidats supprimant la rubrique " cumul de lots " de l'article 2 du règlement de consultation ;
- la modification du dossier de consultation n'est pas substantielle dès lors qu'elle permet aux soumissionnaires de remporter deux lots ;
- les soumissionnaires ont bénéficié d'un délai raisonnable pour préparer leurs offres ;
- la société Antea France n'établit pas en quoi la modification du dossier de consultation a affecté la présentation de ses offres ;
- la société Antea ne justifie pas d'un intérêt lésé dans la mesure où, d'une part, ses offres ne répondaient pas aux exigences du pouvoir adjudicateur, en proposant un prix supérieur à l'enveloppe budgétaire dédié de plus de 17%, pour le lot 1, et de plus de 30 %, pour le lot 2, ce qui ne lui permettait pas de remporter le marché, et d'autre part, ses offres auraient dû être jugées irrégulières dès lors qu'elles méconnaissent le CCTP, lequel imposait le recours à la méthode de forage destructif et que les variantes n'étaient pas autorisées.
La procédure a été régulièrement communiquée à la société attributaire, la SAS Ginger Geode, qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue en présence de M. Minin, greffier d'audience, Mme C a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Garderes, représentant la société Antea France, qui conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans sa requête ;
- les observations de Me Yang-Ting Ho, représentant la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, qui maintient ses conclusions par les mêmes moyens, et précise que le règlement de consultation dans sa version modifiée du 29 décembre 2022 est resté identique s'agissant de la rubrique " cumul de lots " en son article 2, à la version initiale.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Une note en délibéré, présentée par la société Antea France, a été enregistrée le 20 avril 2023.
Une note en délibéré, présentée par la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, a été enregistrée le 20 avril 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis de marché publié le 21 décembre 2022, la communauté d'agglomération du centre de la Martinique a lancé une consultation, selon une procédure d'appel d'offres ouvert, en vue de la passation d'un marché public ayant pour objet des prestations de reconnaissances géotechniques et génie civil relatives aux systèmes d'endiguement de plusieurs rivières. Ce marché a fait l'objet d'un allotissement géographique. D'une part, le lot n° 1 concerne les rivières Monsieur et Case B, et d'autre part, le lot n° 2 concerne les rivières Lézarde et Gondeau ainsi que la ravine Bouillé. Par deux lettres, en date du 27 mars 2023, la société Antea France a été informée du rejet de ses offres pour les lots 1 et 2. Par la présente requête, elle demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'annuler l'avis de marché rectificatif publié le 31 décembre 2022 et les deux lettres de rejet ainsi que d'enjoindre à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique de reprendre la procédure de passation au stade de la désignation des lauréats après analyse des offres. A titre subsidiaire, elle demande au juge des référés, d'annuler la procédure de passation du marché public et d'enjoindre à la collectivité de reprendre l'intégralité de la procédure de passation.
Sur les conclusions présentées au titre des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes du I de l'article L. 551-2 du même code : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. Aux termes de l'article L. 2113-10 du code de la commande publique : " Les marchés sont passés en lots séparés, sauf si leur objet ne permet pas l'identification de prestations distinctes. L'acheteur détermine le nombre, la taille et l'objet des lots. / Il peut limiter le nombre de lots pour lesquels un même opérateur économique peut présenter une offre ou le nombre de lots qui peuvent être attribués à un même opérateur économique ".
5. En outre, le règlement de la consultation prévu par un pouvoir adjudicateur pour la passation d'un marché public est obligatoire dans toutes ses mentions.
6. Enfin, la circonstance que l'offre du concurrent évincé, auteur du référé précontractuel, soit irrégulière ne fait pas obstacle à ce qu'il puisse se prévaloir d'un manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence du pouvoir adjudicateur.
En ce qui concerne les conclusions tendant à l'annulation de l'avis de marché rectificatif en date du 31 décembre 2022 :
7. Il résulte de l'instruction et notamment de l'article 2 du règlement de la consultation que, dans le cadre de la procédure de passation, " un seul lot sera attribué par opérateur économique, ceci dans le but d'assurer la disponibilité optimale du titulaire retenu sur ledit lot ". Par un premier avis rectificatif, publié le 31 décembre 2022, le pouvoir adjudicateur a informé, les opérateurs économiques, d'une modification de l'avis de marché relative à la rubrique " II.1.6 - Informations sur les lots " consistant en la suppression de la mention " nombre maximal de lots pouvant être attribués à un soumissionnaire : 1 ". Par ailleurs, une deuxième version du dossier de consultation a été mise en ligne, le 3 janvier 2023, laquelle comprenait une note d'information à l'attention des candidats, dont la société requérante ne conteste pas avoir eu connaissance. Cette note d'information indiquait aux candidats que la rubrique " cumul de lots ", laquelle énonce la règle de limitation à un lot maximum pouvant être attribué à un même opérateur, était supprimée du règlement de consultation commun aux lots 1 et 2. Toutefois, il résulte de l'instruction que l'article 2 du règlement de consultation est demeuré inchangé, d'une part, en ce qui concerne la rubrique " cumul de lots " et, d'autre part, en ce qui concerne la rubrique " dossier de consultation " en n'intégrant pas la note d'information à la liste énumérative et exhaustive des pièces constitutives du dossier de consultation. Dès lors, à défaut de modification non équivoque du règlement de consultation s'agissant des modalités d'attribution des lots, et ainsi que le fait valoir la société requérante dans ses écritures, l'avis de marché rectificatif en date du 31 décembre 2023 n'a pas eu pour effet de modifier le règlement de la consultation, dont la collectivité était tenue de respecter les mentions. Dans ces conditions, la société Antea France ne peut utilement se prévaloir de ce que le pouvoir adjudicateur aurait apporté des modifications substantielles à la procédure de passation du marché en litige par cet avis de marché rectificatif. Par suite, les conclusions dirigées contre l'avis de marché rectificatif en date du 31 décembre 2023 ne peuvent qu'être rejetées.
En ce qui concerne le surplus des conclusions :
8. Ainsi qu'il a été dit au point précédent, à défaut de modification non équivoque du règlement de consultation publié le 21 décembre 2022, s'agissant des modalités d'attribution des lots, le pouvoir adjudicateur était tenu de respecter les mentions de ce règlement. En attribuant les deux lots du marché en litige à la société Ginger Geode, la communauté d'agglomération du centre de la Martinique a commis un manquement aux obligations de publicité et mise en concurrence qui s'imposent au pouvoir adjudicateur. Ce manquement a été susceptible de léser la société Antea France, classée en deuxième position au terme de l'analyse des offres, qui, si le pouvoir adjudicateur avait respecté la règle définie selon laquelle un même attributaire ne peut se voir attribuer qu'un seul lot, aurait pu remporter l'un des lots du marché. A supposer même, comme l'invoque la collectivité pour la première fois devant le juge des référés, que l'irrégularité de l'offre de la société Antea soit établie, ce manquement était néanmoins susceptible de la léser en la privant du bénéfice d'une nouvelle procédure de passation. Enfin, la circonstance que la société Antea France n'a pas sollicité d'informations complémentaires ainsi que le permettait l'article 5 du règlement de consultation, ne saurait la priver de la possibilité d'invoquer ce manquement.
9. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens que de la requête, que la société Antea France est fondée à demander l'annulation, au stade de l'analyse des offres, de la procédure de passation du marché de prestations de reconnaissances géotechniques et génie civil relatives aux systèmes d'endiguement de Rivière Monsieur, A B, Rivière Lézarde, Rivière Gondeau et Ravine Bouillé, engagée par la communauté d'agglomération du centre de la Martinique. Par voie de conséquence, les décisions du 27 mars 2022 par lesquelles la communauté d'agglomération du centre de la Martinique a rejeté les offres de la société Antea France, doivent être également annulées. Enfin, il y a lieu d'enjoindre, à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, si elle entend poursuivre l'attribution du marché, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres.
Sur les frais liés au litige :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces mêmes dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Antea France, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
O R D O N N E :
Article 1er : La procédure de passation du marché relatif aux prestations de reconnaissances géotechniques et génie civil relatives aux systèmes d'endiguement de Rivière Monsieur, A B, Rivière Lézarde, Rivière Gondeau et Ravine Bouillé est annulée au stade de l'analyse des offres.
Article 2 : Les décisions du 27 mars 2023 par lesquelles la communauté d'agglomération du centre de la Martinique a rejeté les offres de la société Antea France, présentées pour les lots 1 et 2, sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique, si elle entend poursuivre l'attribution du marché, de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres.
Article 4 : La communauté d'agglomération du centre de la Martinique versera à la société Antea France la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Les conclusions présentées par la communauté d'agglomération du centre de la Martinique au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 7 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Antea France, à la communauté d'agglomération du centre de la Martinique et à la société Ginger Geode.
Fait à Schœlcher, le 21 avril 2023.
La juge des référés,
H. C
Le greffier,
J-H. Minin
La République mande et ordonne au préfet de la Martinique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.