TA Mayotte, 04/06/2024, n°2400692


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

I. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 2 mai 2024 sous le n°2400692, la société à responsabilité limitée (SARL) Carla Mayotte Transports Baltus (CMTB), représentée par Me Balladur, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'ensemble des décisions se rapportant à la procédure de consultation relatives au marché public de services de transport collectif urbain sur le territoire de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) dit A pour les lots 1 et 2 ;

2°) de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou une somme de 10 000 euros à verser l'exposante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations d'information des candidats évincés en méconnaissance de l'obligation d'information prévue à l'article R. 2181-3 du code de la commande publique ;

- il a méconnu les dispositions du règlement de consultation en ayant modifié tardivement le dossier de consultation des entreprises (DCE), à savoir le 17 octobre 2023 alors que le délai de remise des offres était fixé au 20 octobre 2023, mais aussi en l'ayant modifié substantiellement s'agissant des annexes financières ;

- il a méconnu les dispositions du code de la commande publique quant à la durée du marché public et quant à l'imprécision des documents du DCE concernant la durée du marché.

- il a méconnu les dispositions du code de la commande publique quant aux obligations de publicité et de mise en concurrence tenant aux critères et sous-critères ;

- le détail quantitatif estimatif (DQE) établi par la CADEMA et communiqué tardivement était erroné, viciant ainsi la procédure ;

- la commission d'appel d'offres (CAO) était illégalement composée ;

- l'avis de marché ne précisait pas l'estimation totale maximale pour la durée du marché ;

- aucun intérêt public justifierait de ne pas annuler la procédure

Par un mémoire distinct, enregistré le 25 avril 2024 et présenté au titre des dispositions des articles R. 611-30 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Kluczynski, verse aux débats le rapport d'analyse des offres qu'elle indique être couvert par le secret des affaires et demande qu'il soit soustrait au contradictoire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 30 avril et 3 mai 2024, la CADEMA, représentée par Me Kluczynski, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, à titre subsidiaire, au rejet de la requête, et à titre très subsidiaire, à prendre en compte l'intérêt public et à ce que ne soit pas annulée la procédure et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la société requérante étant extrêmement éloignée dans le classement, aucun des vices invoqués n'est susceptible de l'avoir lésé ;

- la présent marché est un nouveau service et il n'y avait pas, par conséquent, de candidat sortant ;

- les moyens relatifs à la composition et au renouvellement de la CAO manquent également en fait et sont voués au rejet ;

- les modifications du DCE ont permis de garantir la bonne information des candidats et les reports ont permis aux candidats de mieux formuler leurs offres et la requérante qui avait d'ailleurs sollicité le report de la date limite en a profité ;

- la requérante n'est pas susceptible d'avoir été lésée et son action ne saurait prospérer ;

- il ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels de se prononcer sur le mérite respectif des offres et aucune dénaturation des offres n'est à relever ;

- le moyen tenant à la prétendue absence de vérification des déclarations, à le supposer fondé en droit, manque en fait ;

- au surplus, l'intérêt public qui est de décongestionner la circulation en proposant une offre de transport collectif pérenne commande de ne pas annuler la procédure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mai 2024, la société par actions simplifiée (SAS) Opérateur de transports interurbains et de la mobilité à Mayotte (OPTIMOM) et la société à responsabilité limitée (SARL) SAT Transports Salime, constituant en ce qui concerne le lot n°1 le groupement momentané d'entreprises (GME) OPTI'SAT, représentées par Me C, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que les moyens ne sont pas fondés.

II. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 19 avril et 2 mai 2024 sous le n°2400694, le groupement d'intérêt économique (GIE) Tama Ya Leo Na Messo, représentée par Me Hourcabie, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la procédure de passation initiée par la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) en vue de la conclusion des accords-cadres correspondant aux lots n°1 et 2 ayant pour objet l'exécution de services de transport collectif urbain sur son territoire, dit A

2°) d'annuler les décisions par lesquelles la CADEMA a rejeté ses offres ;

3°) de mettre à la charge de la CADEMA une somme de 5 000 euros à verser l'exposante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la CADEMA a entaché sa procédure d'un vice de publicité et de mise en concurrence en ne portant pas à sa connaissance des motifs suffisamment précis justifiant ses décisions et lui permettant de comprendre les raisons objectives du rejet de ses offres ;

- les documents de la consultation étaient insuffisamment précis, entachés de manques évidents et de contradictions ou d'erreurs, rendant impossible la formalisation d'une offre répondant de façon certaine aux besoins effectifs du pouvoir adjudicateur qui a, au demeurant, mené de façon chaotique sa procédure en prolongeant, par touches successives de courte durée, le temps dont disposaient les soumissionnaires pour concevoir et formaliser leurs offres ;

- tout indique que c'est volontairement, et en toute connaissance de cause que la CADEMA a initié une procédure de passation qui empêchait les soumissionnaires " entrant " de déposer leur meilleure offre ;

- la procédure de passation entreprise encourt encore la censure en raison de la dénaturation manifeste de ses offres.

Par un mémoire distinct, enregistré le 25 avril 2024 et présenté au titre des dispositions des articles R. 611-30 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Kluczynski, verse aux débats le rapport d'analyse des offres qu'elle indique être couvert par le secret des affaires et demande qu'il soit soustrait au contradictoire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 29 avril et 3 mai 2024, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Kluczynski, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, et à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le GIE a été suffisamment informé des motifs du rejets de ses offres et la CADEMA n'était aucunement tenue de communiquer davantage de renseignements ;

- le marché en cause qui ne recouvrait pas le même périmètre ni les mêmes attentes techniques n'était pas une remise en concurrence d'un précédent marché identique et il n'y avait donc pas de candidat sortant ;

- l'acheteur à la possibilité de modifier les documents de la consultation avant la date limite de remise des offres et il est ainsi commun de modifier les pièces financières d'une consultation afin d'en ajuster le contenu en fonction des questions posées par les candidats sachant qu'en l'espèce, le matériel billettique et le système d'aide à l'exploitation et à l'information voyageurs (SAEIV) ont été clairement supprimés de la consultation le 27 octobre 2023 en raison d'une réflexion plus large sur le sujet de la billettique dans le secteur des transports, portée à l'échelle du Département ;

- s'agissant des horaires et plans, ils ont été actualisés dans le cadre de la mise à jour du DCE du 27 octobre 2023, dans l'annexe 5 et précisés dans une ultime version du 11 décembre 2023 ;

- le juge ne peut substituer son évaluation à celle de l'autorité administrative et le GIE ne saurait remettre en question l'appréciation qui a été faite, dès lors qu'elle s'est fondée sur les critères définis dans le règlement de la consultation ;

- le GIE ne peut sérieusement se prévaloir de la dénaturation de son offre et le moyen sera rejeté.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mai 2024, la société par actions simplifiée (SAS) OPTIMOM et la société à responsabilité limitée (SARL) SAT Transport Salime, constituant en ce qui concerne le lot n°1 le groupement momentané d'entreprises (GME) OPTI'SAT, représentées par Me C, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que les moyens ne sont pas fondés.

III. Par une requête, un mémoire et des pièces complémentaires, enregistrés les 19, 30 avril et 3 mai 2024 sous le n°2400705, la SARL Transports du Nord mandatée en qualité de représentante du groupement momentané d'entreprise (GME) Bahati Ndjema, représentée par Me Cloix, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision d'attribuer le lot n°1 du marché public, objet du litige ;

2°) d'annuler la décision du 11 avril 2024 par lesquelles la CADEMA a rejeté son offre ;

3°) d'enjoindre à la CADEMA de reprendre la procédure de mise en concurrence au stade de l'analyse des offres ;

4°) de mettre à la charge de la CADEMA une somme de 12 000 euros à verser l'exposante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure est entachée de nombreuses erreurs concernant les imprécisions ou documents de consultation en ce qui concerne la non-transmission de l'annexe financière, la non-transmission des informations sur la billettique, la non-transmission des informations sur le système d'aide à l'exploitation et à l'information des voyageurs (SAEIV), la non-transmission des éléments d'identification visuelle du réseau et les incohérences sur les tableaux de fréquence des passages ;

- la rupture d'égalité entre des candidats est caractérisée dans la mesure où la société OPTIMOM qui était la candidate sortante, était en possession de ces éléments ;

- la CADEMA a repoussé de manière excessive le délai de remise des offres et si le premier report est dû aux clarifications demandées par l'exposante, les autres reports ont eu lieu pour des motifs inconnus ;

- l'appréciation de l'offre n'a pas été effectuée dans le respect de l'égalité de traitement, notamment en ce qui concerne le renouvellement de la commission d'appel d'offres le 12 septembre 2023 ;

- elle a intérêt à conclure le marché en cause ayant été classée deuxième dans le classement des offres et elle est en outre lésée par les manquements qu'elle invoque ;

Par un mémoire distinct, enregistré le 25 avril 2024 et présenté au titre des dispositions des articles R. 611-30 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Kluczynski, verse aux débats le rapport d'analyse des offres qu'elle indique être couvert par le secret des affaires et demande qu'il soit soustrait au contradictoire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 29 avril et 3 mai 2024, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Kluczynski, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, et à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la présent marché est un nouveau service et il n'y avait pas, par conséquent, de candidat sortant ;

- les modifications du DCE ont permis de garantir la bonne information des candidats et les reports ont permis aux candidats de mieux formuler leurs offres ce dont la requérante qui avait d'ailleurs sollicité le report de la date limite, a profité ;

- la requérante n'est pas susceptible d'avoir été lésée et son action ne saurait prospérer ;

- il ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels de se prononcer sur le mérite respectif des offres et aucune dénaturation des offres n'est à relever ;

- au surplus, l'intérêt public qui est de décongestionner la circulation en proposant une offre de transport collectif pérenne commande de ne pas annuler la procédure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mai 2024, la société par actions simplifiée (SAS) OPTIMOM et la société à responsabilité limitée (SARL) SAT Transport Salime, constituant en ce qui concerne le lot n°1 le groupement momentané d'entreprises (GME) OPTI'SAT, représentées par Me C, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens ne sont pas fondés.

IV. Par une requête, un mémoire et des pièces complémentaires, enregistrés les 19, 30 avril et 3 mai 2024, sous le n°2400707, la SARL Transports du Nord, mandatée en qualité de représentante du groupement momentané d'entreprise (GME) Bahati Ndjema, représentée par Me Cloix, demande au juge des référés, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler la décision d'attribuer le lot n°2 du marché public, objet du litige ;

2°) d'annuler la décision du 11 avril 2024 par lesquelles la CADEMA a rejeté son offre ;

3°) d'enjoindre à la CADEMA de reprendre la procédure de mise en concurrence au stade de l'analyse des offres ;

4°) de mettre à la charge de la CADEMA une somme de 12 000 euros à verser l'exposante au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la procédure est entachée de nombreuses erreurs concernant les imprécisions ou documents de consultation en ce qui concerne la non-transmission de l'annexe financière, la non-transmission des informations sur la billettique, la non-transmission des informations sur le système d'aide à l'exploitation et à l'information des voyageurs (SAEIV), la non-transmission des éléments d'identification visuelle du réseau et les incohérences sur les tableaux de fréquence des passages ;

- la rupture d'égalité entre des candidats est caractérisée dans la mesure où la société OPTIMOM qui était la candidate sortante, était en possession de ces éléments ;

- la CADEMA a repoussé de manière excessive le délai de remise des offres et si le premier report est dû aux clarifications demandées par l'exposante, les autres reports ont eu lieu pour des motifs inconnus ;

- l'appréciation de l'offre n'a pas été effectuée dans le respect de l'égalité de traitement, notamment en ce qui concerne le renouvellement de la commission d'appel d'offres le 12 septembre 2023 ;

- elle a intérêt à conclure le marché en cause ayant été classée deuxième dans le classement des offres et elle est en outre lésée par les manquements qu'elle invoque ;

Par un mémoire distinct, enregistré le 25 avril 2024 et présenté au titre des dispositions des articles R. 611-30 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Kluczynski, verse aux débats le rapport d'analyse des offres qu'elle indique être couvert par le secret des affaires et demande qu'il soit soustrait au contradictoire.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 29 avril et 3 mai 2024, la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), représentée par Me Kluczynski, conclut, à titre principal, à l'irrecevabilité de la requête, et à titre subsidiaire, au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- la présent marché est un nouveau service et il n'y avait pas, par conséquent, de candidat sortant ;

- les modifications du DCE ont permis de garantir la bonne information des candidats et les reports ont permis aux candidats de mieux formuler leurs offres ce dont la requérante qui avait d'ailleurs sollicité le report de la date limite, a profité ;

- la requérante n'est pas susceptible d'avoir été lésée et son action ne saurait prospérer ;

- il ne relève pas de l'office du juge des référés précontractuels de se prononcer sur le mérite respectif des offres et aucune dénaturation des offres n'est à relever ;

- au surplus, l'intérêt public qui est de décongestionner la circulation en proposant une offre de transport collectif pérenne commande de ne pas annuler la procédure.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mai 2024, la société par actions simplifiée (SAS), OPTIMOM et la société à responsabilité limitée (SARL) Taxi Vanille, constituant en ce qui concerne le lot n°2 le groupement momentané d'entreprises (GME) Baraka Ndjema, représentées par Me C, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la requérante une somme de 5 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elles font valoir que les moyens ne sont pas fondés.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des marchés publics ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Vu la décision, prise en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative, par laquelle le président du Tribunal a désigné M. Bauzerand, vice-président, en qualité de juge des référés.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique qui a eu lieu le 3 mai 2024 à 9 heures au tribunal administratif de Mayotte, Mme B étant greffière d'audience, M. Bauzerand a lu son rapport et entendu :

- les observations de Me Hesler, substituant Me Balladur, pour la société requérante qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

- les observations de Me Kluczynski pour la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA), qui reprend ses écritures en défense ;

- et les observations de M. C pour les sociétés OPTIMOM et SAT Transports Salime, qui reprend ses écritures en défense

La clôture de l'instruction a été différée au 10 mai 2024 à 17h00 pour permettre la communication des mémoires arrivés tardivement.

Une note en délibéré a été déposée le 9 mai 2024 pour les sociétés OPTIMOM et SAT Transport Salime.

Une note en délibéré a été enregistrée le 10 mai 2024 pour la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou.

Considérant ce qui suit :

1.Par un avis d'appel à la concurrence publié le 1er septembre 2023 au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) et au Journal officiel de l'Union européenne (JOUE), la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) a lancé une consultation, sous forme d'appel d'offres ouvert, en vue de la passation d'un marché public de services de transport collectif urbain divisé en deux lots sur le territoire communautaire d'une durée de quatre ans et donnant lieu à la conclusion d'un accord cadre. Le lot n°1 était composé de quatre lignes dites " fortes " devant être exploitées par autocar et autobus. Le lot n°2 concernait deux lignes complémentaires devant être exploitées en petits véhicules. La date de réception des offres, initialement fixée au 6 octobre 2023, a été prorogée par quatre avis rectificatifs successifs jusqu'au 29 décembre 2023. Par deux courriers en date du 11 avril 2024, la société à responsabilité limitée (SARL) Carla Mayotte Transports Baltus (CMTB), qui avait déposé une offre pour chacun des deux lots, a été informée que sa candidature n'était pas retenue et que ces lots avaient été attribués aux groupements portés par la société par actions simplifiée (SAS), Opérateur de transports interurbains et de la mobilité à Mayotte (OPTIMOM), étant associée pour le lot n°1 avec la SARL Transports Salime et pour le lot n°2 avec la SARL Transport Vanille. Le groupement d'intérêt économique (GIE) Tama Ya Leo Na Messo, qui avait également soumissionné pour les deux lots, a reçu les mêmes courriers, de même que la SARL Transports du Nord.

2. Par les requêtes susvisées, la SARL Carla Mayotte Transports Baltus, le GIE Tama Ya Leo Na Messo et la SARL Transports du Nord, agissant en leur qualité de candidates évincées, demandent au juge des référés du tribunal administratif, statuant sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation des décisions de rejet de ses offres.

Sur la jonction :

3.Les requêtes de la SARL Carla Mayotte Transports Baltus, du GIE Tama Ya Leo Na Messo et de la SARL Transports du Nord, sont dirigées contre les mêmes décisions et concernent le même marché public. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par une seule ordonnance.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la CADEMA en ce qui concerne la société CMTB :

4.Aux termes des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Selon les termes de l'article L. 551-10 du code de justice administrative : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué, (). / () ".

5.Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquement. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

6.Il résulte de l'instruction que la société à responsabilité limitée Carla Mayotte Transports Baltus (CMTB) s'est portée candidate pour les deux lots du marché litigieux. Elle a ainsi la qualité de candidate évincée d'un marché relevant de son champ de compétence pour lequel son intérêt à conclure le contrat est établi. La CADEMA fait valoir que compte tenu de son classement en quatrième position pour les deux lots, aucun des vices invoqués n'est susceptible de l'avoir lésé. Toutefois, cette seule circonstance n'est pas de nature à rendre irrecevable la requête, mais a seulement une incidence au stade de l'appréciation de la lésion en cas de manquement avéré du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Il y a lieu, dès lors, d'écarter la fin de non-recevoir opposée en défense tirée de ce que la société CMTB n'a pas intérêt pour agir.

Sur les conclusions tendant à l'annulation de la procédure :

En ce qui concerne les moyens tirés de la méconnaissance du règlement de la consultation et de la modification substantielle du DCE :

7.D'une part, aux termes de l'article L. 2111-1 du code de la commande publique, " La nature et l'étendue des besoins à satisfaire sont déterminées avec précision avant le lancement de la consultation en prenant en compte des objectifs de développement durable dans leurs dimensions économique, sociale et environnementale. ". Aux termes de l'article R. 2132-1 du même code : " Les documents de la consultation sont l'ensemble des documents fournis par l'acheteur ou auxquels il se réfère afin de définir son besoin et de décrire les modalités de la procédure de passation, y compris l'avis d'appel à la concurrence. Les informations fournies sont suffisamment précises pour permettre aux opérateurs économiques de déterminer la nature et l'étendue du besoin et de décider de demander ou non à participer à la procédure. " et aux termes de l'article R. 2132-6 de ce code : " En cas de procédure formalisée, les renseignements complémentaires sur les documents de la consultation sont envoyés aux opérateurs économiques six jours au plus tard avant la date limite fixée pour la réception des offres, pour autant qu'ils en aient fait la demande en temps utile. / Lorsque le délai de réception des offres est réduit pour cause d'urgence en application des dispositions du titre VI, ce délai est de quatre jours. ". Aux termes de l'article R. 2151-4 du même code : " Le délai de réception des offres est prolongé dans les cas suivants : / () / 2° Lorsque des modifications importantes sont apportées aux documents de la consultation. / La durée de la prolongation est proportionnée à l'importance des informations demandées ou des modifications apportées. ". Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 2151-4 du code de la commande publique qu'une personne publique ne peut apporter de modifications au dossier de consultation remis aux candidats à un appel d'offres que dans des conditions garantissant l'égalité des candidats et leur permettant de disposer d'un délai suffisant, avant la date limite fixée pour la réception des offres, pour prendre connaissance de ces modifications et adapter leur offre en conséquence.

8.D'autre part, aux termes de l'article 4.1 du règlement de consultation : " Le dossier de consultation des entreprises contient les pièces suivantes : / () / - Une annexe financière (AF) distincte pour chaque lot : Bordereau des prix pour les prestations, détail quantitatif estimatif, inventaire comptable des biens du service ; / () / - La copie du marché de billettique confié à un prestataire extérieur. / (). " et aux termes de l'article 4.2 du même règlement : " () / La CADEMA se réserve la possibilité d'effectuer des modifications non substantielles sur le dossier de consultation des entreprises, dans un délai de 10 jours calendaires précédant la date de remise des offres. Les candidats devront alors répondre sur la base du dossier modifié sans pouvoir élever aucune réclamation à ce sujet. / () ".

9. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le cahier des clauses techniques particulières (CCTP) applicable au marché litigieux prévoyait à l'article 23, dans sa version initiale, que la gestion de la billettique serait confiée à un prestataire, mais que le titulaire du marché aurait à sa charge l'installation du système à bord des véhicules, le bon fonctionnement en service commercial et le soin du matériel mis à disposition. Il prévoyait également à l'article 16 la mise à disposition des usagers d'une agence commerciale fonctionnant toute l'année hors jours fériés. Il est toutefois constant que, sur interrogation de l'un des candidats, la CADEMA a complété et modifié le 27 septembre 2023 ledit CCTP en communiquant les annexes financières propres à chaque lot, en supprimant la question de la billettique et celle de l'agence commerciale et elle a décalé la date limite de réception des offres, initialement fixée au 6 octobre 2023 au 20 octobre 2023.

10.En second lieu, il résulte également de l'instruction que le 17 octobre 2023, la CADEMA a décidé de décaler de nouveau la date limite de remise des offres au 10 novembre 2023. Le 27 octobre 2023, cette date a été encore reportée au 1er décembre 2023 après avoir supprimé la question du système d'aide à l'exploitation et à l'information des voyageurs (SAEIV) initialement prévue à l'article 17 du CCTP. Le 1er décembre, la CADEMA a reporté la date limite de remise des offres au 22 décembre 2023. Enfin, le 20 décembre 2023, celle-ci a été encore décalée jusqu'au 29 décembre 2023.

11. Il est constant que si les multiples reports de la date de remise des offres, à l'exception du dernier, ont été conformes aux dispositions précitées de l'article 4.2 du règlement de la consultation, il résulte néanmoins de l'instruction que ces modifications du DCE n'étaient pas mineures en ce qu'elles changeaient de manière significative le périmètre des prestations demandées dans le cadre de la création et de la gestion du réseau de transports. Si la CADEMA fait valoir en défense que ces modifications ont dû être apportées au DCE en raison du fait, d'une part, que les marchés distincts concernant la billettique et le SAEIV n'avaient pas encore été lancés, et d'autre part, qu'une réflexion plus large sur le sujet de la billettique dans le secteur des transports, portée à l'échelle du Département, avait été engagée, ces retards et contretemps révélant l'insuffisante définition de la nature et des besoins à satisfaire auraient dû commander au pouvoir adjudicateur de reprendre la procédure à son commencement, une fois ces éléments précisément définis.

12.Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres manquements invoqués, les sociétés et le groupement requérants sont fondés à soutenir que le pouvoir adjudicateur a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.

En ce qui concerne l'intérêt public :

13. Aux termes de l'article L. 551-2 du code de justice administrative : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages./ Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ()".

14.La CADEMA soutient que l'intérêt public commande de ne pas annuler la procédure, eu égard aux conséquences négatives d'une telle décision, compte tenu de l'intérêt public qui est de décongestionner la circulation en proposant une offre de transport collectif pérenne.

15.Eu égard toutefois à la portée des manquements retenus et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, il n'y a pas lieu, au titre de la balance à laquelle il appartient au juge des référés précontractuels de procéder en prenant en compte l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment l'intérêt public, d'admettre que les inconvénients de l'annulation de la procédure l'emporteraient, dans les circonstances de l'espèce, sur les avantages d'une telle mesure.

16. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu d'annuler la procédure en litige au stade de l'appel d'offres et d'inviter la CADEMA, si elle entend conclure un accord-cadre ayant le même objet, à reprendre la procédure à ce stade.

Sur les frais du litige :

17. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. "

18. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mises à la charge des sociétés requérantes, les sommes demandées par la CADEMA au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

19. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces mêmes dispositions et de mettre à la charge de la CADEMA une somme de 3 000 euros à verser à chacune des sociétés requérantes au titre des mêmes frais.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation des lots 1 et 2 du marché public, sous forme d'accord-cadre, de services de transport collectif urbain sur le territoire de la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou (CADEMA) dit A est annulée au stade de l'appel d'offres.

Article 2 : Les décisions par lesquelles la CADEMA, d'une part, a rejeté les offres de la société Carla Mayotte Transports Baltus, du GIE Tama Ya Leo Na Messo, de la société Transports du Nord, et d'autre part, a retenu les offres des sociétés OPTIMOM, Transports Salime et Transports Vanille pour les mêmes lots sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint à la CADEMA, si elle entend conclure un accord-cadre ayant le même objet, de reprendre la procédure au stade de l'appel d'offres.

Article 4 : La CADEMA versera une somme de 3 000 euros chacun à la société Carla Mayotte Transports Baltus, au GIE Tama Ya Leo Na Messo, et à la société Transports du Nord, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les conclusions de la CADEMA tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 6 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Carla Mayotte Transports Baltus, au GIE Tama Ya Leo Na Messo, à la société Transports du Nord, à la société OPTIMOM, à la société Transports Salime, à la société Transports Vanille et à la communauté d'agglomération Dembéni-Mamoudzou.

Copie sera adressée au préfet de Mayotte conformément aux dispositions de l'article R. 751-8 du code de justice administrative

Fait à Mamoudzou, le 4 juin 2024.

Le juge des référés,

Ch. BAUZERAND

La République mande et ordonne au préfet de Mayotte en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°s 24000692