TA Montpellier, 01/08/2024, n°2403984


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 12 juillet 2024 et le 29 juillet 2024, la société d'études générales pour l'aménagement du territoire, représentée par Me Froger, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

1°) d'annuler la procédure de passation du lot A " Libération foncière des emprises du projet phase 1 " de l'accord-cadre portant sur une mission d'opérateur pour la libération foncière des emprises du projet Ligne Nouvelle Montpellier Perpignan, conduite par SNCF Réseau ainsi que la décision du 4 juillet 2024 par laquelle SCNF Réseau lui a notifié le rejet de son offre et le choix d'attribuer le lot litigieux à la société Systra ;

2°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à SNCF Réseau de reprendre la procédure de passation du lot A " Libération foncière des emprises du projet PHASE 1 " de l'accord-cadre portant sur une mission d'opérateur pour la libération foncière des emprises du projet Ligne Nouvelle Montpellier Perpignan, au stade de l'examen des offres, en respectant les obligations de publicité et de mise en concurrence qui lui incombent ;

3°) de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 7 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le courrier du 4 juillet 2024 ne comporte pas certaines des informations prévues aux articles R. 2181-3 et R. 2181-4 du code de la commande publique en particulier, la date à compter de laquelle SNCF Réseau est susceptible de signer le marché, les notes pour les sous critères et comprend des motifs insuffisants pour lui permettre de comprendre les raisons du rejet de son offre ou le choix de l'offre retenue ce qui ne lui a pas permis de contester utilement le rejet opposé ; la communication du courriel du 12 juillet 2024 ne suffit pas dès lors qu'il manque toujours une appréciation littérale s'agissant du critère RSE et de 3 sous critères techniques ;

- SNCF Réseau n'a pas apporté de réponse à ses deux questions posées le 15 avril 2024 ce qui ne lui a pas permis de lever des incertitudes majeures sur les besoins et attentes de l'acheteur ;

- il existe une situation de conflit d'intérêt, dès lors qu'un salarié de la société attributaire en détachement a participé directement à la procédure de passation du marché, qui est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence ;

- l'offre de la société attributaire était irrecevable dès lors qu'elle était inappropriée au sens de l'article L. 2152-4 du code de la commande publique au vu du conflit d'intérêt, cette société étant également titulaire de l'accord cadre ;

- le critère RSE est irrégulier en raison de son imprécision et, s'il était neutralisé, son offre se classerait première ;

- la note technique de l'adéquation des moyens humains est erronée étant fondée sur une prémisse erronée, sur une rupture d'égalité des candidats, méconnaissant l'article 9 du règlement de consultation et étant contradictoire avec l'appréciation portée sur le plan de management de la qualité ; s'agissant du surdimensionnement de l'équipe, le nombre d'opérateurs et d'experts fonciers correspond au CCTP et CPS ; s'agissant de l'incohérence entre le dimensionnement et le coût, il n'aurait pas dû faire l'objet d'une évaluation dans le cadre de l'adéquation des moyens humains mais uniquement dans le prix ; le sous critère technique de l'adéquation des moyens humains était irrégulier, les exigences de l'article 3.3 du CCTP étant inutiles, injustifiées et discriminatoires.

Par un mémoire, enregistré le 26 juillet 2024, la société SNCF Réseau, représentée par Me Crespelle, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- toutes les informations concernant le rejet de son offre lui ont été transmises en vertu de l'article R. 2181-3 du code de la commande publique ;

- les questions posées par la société requérante étaient soit vaines, soit déjà apportées par les documents de la consultation et sont intervenues avant le dépôt de l'offre initiale alors qu'après son offre a été jugée recevable et qu'elle a pu avoir des précisions au stade de la négociation le 11 juin ce qui, en tout état de cause n'a pas pu léser les intérêts de la société requérante ;

- l'agent de la société attributaire en détachement chez SNCF Réseau ne participe qu'à des missions techniques et opérationnelles et ne rédige aucun document contractuel, ni ne participe à l'analyse des offres, la consultation ayant été entièrement menée par SNCF Réseau ;

- la société attributaire ne fait qu'assister SNCF Réseau dans ses missions de pilotage des activités foncières dans le cadre de l'accord-cadre conclut depuis le 27 juin 2024 et n'est pas décisionnaire ;

- le critère RSE était suffisamment détaillé à l'article 1.10.6 du cahier des prescriptions spéciales et à l'article 13 du règlement de consultation et ni la société requérante, ni les autres soumissionnaires n'ont sollicités de détails sur ce critère.

Par un mémoire, enregistré le 26 juillet 2024, la société Systra France, représentée par Me Gagey, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société SEGAT ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique,

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné Mme Camille Doumergue, première conseillère, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 30 juillet 2024 :

- le rapport de Mme Doumergue ;

- les observations de Me Froger, représentant la société SEGAT qui précise l'intégralité de ses moyens et ajoute que l'expert foncier mentionné dans l'offre de candidature de Systra n'est pas inscrit sur la liste des experts CNEFAF ce qui rend son offre irrecevable ;

- les observations Me Boucheteil pour la société SNCF, qui fait valoir que le lot A est très différent du lot B en ce que le calendrier est beaucoup plus resserré incluant de nombreuses procédures variées

- et les observations de Me Gagey, représentant la société Systra France, qui précise que son salarié en détachement dans la société SNCF Réseau est sur le terrain pour des acquisitions à l'amiable et qu'à supposer qu'il existe un conflit d'intérêt il ne se situerait pas dans le présent marché mais dans le marché AMO Coordination.

L'instruction a été close à l'issue de l'audience sauf, jusqu'au 30 juillet 2024 18 heures, s'agissant de la production d'un mémoire pour ce qui concerne le moyen soulevé à l'audience par la société SEGAT tiré de ce que l'offre de la société Systra était irrecevable en raison de l'absence d'inscription de l'expert foncier sur la liste des experts.

Un mémoire présenté pour la société SNCF Réseau a été enregistré le 30 juillet 2024 à 16 heures 36 et n'a pas été communiqué.

Elle soutient que le moyen soulevé à l'audience n'est pas fondé dès lors qu'elle n'a pas exigé un expert inscrit sur la liste des experts fonciers et agricoles mais uniquement un professionnel ayant 20 ans d'expérience.

Un mémoire présenté pour la société Systra a été enregistré le 30 juillet 2024 à 17 heures 53 et n'a pas été communiqué.

Elle soutient que le moyen soulevé à l'audience n'est pas fondé dès lors que le 3.3 du CCTP n'exigeait pas un expert inscrit sur la liste des experts fonciers et agricoles mais uniquement un professionnel ayant 20 ans d'expérience.

La société Systra a produit pour le Tribunal le 30 juillet 2024, par pli confidentiel, l'organigramme de l'équipe proposée pour le lot A sous le bénéfice des dispositions de l'article R. 412-2-1 du code justice administrative.

Considérant ce qui suit :

1. La société SNCF Réseau a lancé une consultation en vue de l'attribution d'un accord-cadre mono attributaire à bons de commande portant sur une assistance à maitrise d'ouvrage (AMO) pour libérer le foncier des emprises du projet Ligne nouvelle Montpellier Perpignan qui a fait l'objet de deux lots distincts correspondant aux deux phases de l'opération. Si la société SEGAT s'est vu attribuer le lot B, son offre a été classée en seconde position pour le lot A. La société SEGAT demande l'annulation de la procédure de passation du lot A et de la décision du 4 juillet 2024 par laquelle la société SNCF Réseau lui a notifié le rejet de son offre.

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 de ce code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ". Et, aux termes de l'article L. 551-10 du même code : " Les personnes habilitées à engager les recours prévus aux articles L. 551-1 et L. 551-5 sont celles qui ont un intérêt à conclure le contrat et qui sont susceptibles d'être lésées par le manquement invoqué () ".

3. En premier lieu, la société requérante a soutenu à l'audience que l'offre de la société Systra aurait dû être écartée comme irrecevable au motif que l'expert foncier proposé dans l'équipe n'était pas inscrit sur la liste des experts fonciers et agricoles CNEFAF. L'article 3.3 du CCTP prévoit que l'équipe doit comprendre un ou plusieurs experts fonciers disposant d'au moins 20 ans d'expérience pour des prestations d'AMO Foncier. Alors qu'il est constant que la société Systra a présenté une offre comprenant un expert foncier, cette offre, quelles que soient les qualifications de l'expert, était complète et ne pouvait être écartée par le pouvoir adjudicateur comme irrecevable au sens de l'article R. 2144-7 du code de la commande publique.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. ". L'article R. 2181-1 du même code prévoit que : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. ". Et, l'article R. 2181-3 dudit code précise : " La notification prévue à l'article R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1. ". Enfin, aux termes de l'article R. 2181-4 de ce code : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : 1° Lorsque les négociations ou le dialogue ne sont pas encore achevés, les informations relatives au déroulement et à l'avancement des négociations ou du dialogue ; 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue ". Ces dispositions ont notamment pour objet de permettre à la société évincée de contester le rejet qui lui est opposé. Il en résulte qu'une méconnaissance de l'obligation de communication qui incombe au pouvoir adjudicateur constitue une atteinte aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible de léser cette société en l'empêchant de contester utilement le rejet de son offre.

5. En l'espèce, il résulte de l'instruction que, par courrier du 4 juillet 2024, la directrice territoriale Occitanie de la société SNCF Réseau a notifié à la société requérante le rejet de son offre en mentionnant deux éléments de motivation de cette décision de rejet à savoir une équipe surdimensionnée et une méthodologie trop optimisée. Ce courrier mentionne également le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre et, enfin, les notes obtenues à chaque critère par la société requérante et la société attributaire. Une telle notification, au surplus renforcée par la communication le 12 juillet 2024 des notes et des appréciations littérales attribuées à chaque sous-critères, y compris techniques, et au critère RSE contrairement à ce qui est soutenu, permettait à la société requérante de comprendre les motifs de rejet de son offre qu'elle a d'ailleurs utilement contestés dans le présent recours. Si cette notification ne faisait pas apparaitre la date à compter de laquelle SNCF Réseau était susceptible de signer le marché, il résulte de l'instruction que l'absence de cette mention n'a pas empêché la société requérante de déposer le présent recours. Par suite, SNCF Réseau a satisfait aux obligations d'information du candidat évincé comme l'exige les dispositions du code de la commande publique.

6. En troisième lieu, il est constant que le 15 avril 2024, soit avant la date de remise des offres initiales, la société requérante a envoyé un mail à SNCF Réseau contenant deux questions ayant toutes les deux traits aux lignes à utiliser pour le bordereau des prix unitaires. S'il est également constant que SNCF n'a pas répondu à ce courriel, il résulte néanmoins de l'instruction que l'offre de la société requérante a été jugée recevable, que la société SNCF Réseau a demandé le 17 mai 2024 à la société requérante de fournir " tout élément jugé utile permettant de confirmer et de justifier les prix pratiqués au BPU ", que la société requérante a répondu le 23 mai suivant par un courrier très détaillé et que lors de l'audition de la société requérante le 11 juin 2024 les deux questions posées le 15 avril 2024 ont été abordées. Enfin, il résulte également de l'instruction que la société requérante a obtenu le nombre maximal de points sur le critère du prix. Dans ces conditions, alors que les candidats étaient suffisamment informés à la lecture du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) et du cahier des prescriptions spéciales (CPS), l'absence formelle de réponse aux questions posées le 15 avril 2024 ne méconnaissent pas le principe de transparence.

7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution (). Les offres sont appréciées lot par lot. Le lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément aux articles L. 2112-2 à L. 2112-4. ". L'article L. 2152-8 dudit code prévoit que : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. ". Et, l'article R. 2152-7 du même code dispose : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : () 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles, l'accessibilité, l'apprentissage, la diversité, les conditions de production et de commercialisation, la garantie de la rémunération équitable des producteurs, le caractère innovant, les performances en matière de protection de l'environnement, de développement des approvisionnements directs de produits de l'agriculture, d'insertion professionnelle des publics en difficulté, la biodiversité, le bien-être animal ; b) Les délais d'exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l'assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ; c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. () ".

8. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection.

9. En ce qui concerne la précision du critère RSE, l'accord cadre en cause prévoit trois critères d'appréciation des offres, la valeur technique, le prix et la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), représentant respectivement 60, 35 et 5 % de la note totale. Le critère de la valeur technique est lui-même divisé en quatre sous-critères : " Compréhension des enjeux du projet et des prestations ", " Adéquation des moyens humains ", " Méthodologies d'exécution des prestations " et " Analyse technique du cas pratique Organisation / Chronogramme / planning " représentant respectivement 10%, 30%, 30 et 30% du critère technique. Le critère financier comprend deux sous critères " DQE " et " Remises commerciales " représentant respectivement 90 et 10 % de ce critère tandis que le critère " RSE " comporte la mention décarbonation.

10. L'article 13 du règlement de consultation mentionne que le candidat doit produire " un mémoire technique de 10 pages dans lequel il présente ses actions, moyens et méthodes pour réduire le bilan carbone des prestations à réaliser " et le point 1.10.6 du cahier des prescriptions spéciales (CPS) mentionne un objectif pour le titulaire du marché " d'engager ou de poursuivre une démarche de transition énergétique et écologique en réduisant notamment ses émissions de gaz à effet de serre ". La société requérante a obtenu la moitié des points à ce critère au motif " Pas de bilan à date. Quelques actions mises en place mais pas d'objectif chiffré, ni de réel outil de suivi appliqué ". Si la requérante soutient que ce critère n'était pas suffisamment précis, elle ne soutient, ni n'établit avoir sollicité des précisions qui lui auraient été refusées. Si la société requérante soutient que le règlement de consultation ne prévoyait pas la production d'un bilan carbone prévisionnel des prestations à réaliser, les termes du règlement de consultation et du CPS permettaient de comprendre qu'il ne s'agissait pas uniquement de faire une liste de mesures envisagées pour réduire les émissions de gaz à effet de serre mais que SNCF Réseau, qui devait apprécier les mérites respectifs de chacun des candidats, attendait des éléments concrets permettant de donner la meilleure note au soumissionnaire qui réduirait le plus efficacement ses émissions de gaz à effet de serre et ainsi attendrait à minima des éléments chiffrés. Dans ces conditions, ce critère n'était pas particulièrement imprécis et le moyen doit être écarté.

11. En cinquième lieu, au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, qui implique l'absence de situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure de sélection du titulaire du contrat. Aux termes l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens. Constitue une situation de conflit d'intérêts toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché public ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché public ". L'existence d'une situation de conflit d'intérêts au cours de la procédure d'attribution du marché est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence susceptible d'entacher la validité du contrat.

12. D'une part, il est constant qu'un salarié de la société attributaire est détaché au sein de la société SNCF Réseau depuis le 21 mars 2021 en exécution du marché d'assistance au maitre d'ouvrage (AMO) Foncier sur des fonctions d'assistance de la direction territoriale dans la mise en œuvre de l'opération " ligne nouvelle Montpellier-Perpignan ". Les missions d'AMO telles que mentionnées à l'article 3 du CCTP d'AMO Foncier confiées à la société Systra en 2021 ne comprennent pas la participation à la passation de marchés publics. Les seules circonstances que cet employé de la société Systra en détachement travaille à temps plein au sein de la direction Occitanie de SNCF Réseau et sous la supervision de la responsable du pôle foncier, qu'il ait été invité à la réunion de lancement du lot B le 22 juillet 2024, circonstance postérieure à l'attribution du marché, et qu'il ait une bonne connaissance des marchés d'AMO ne suffisent pas, en l'absence de tout élément laissant penser qu'il aurait pris part à la rédaction des documents contractuels et à la procédure de sélection des candidatures et des offres, à établir qu'il existait une situation de conflit d'intérêt.

13. D'autre part, il résulte de l'instruction que la société Systra attributaire du présent marché est également titulaire de l'accord-cadre de SNCF Réseau portant sur l'AMO pour la coordination foncière et les relations avec les tiers. Si la société requérante soutient que cette situation créé un conflit d'intérêt structurel dès lors que la société Systra a pour mission, au titre de cet AMO, de coordonner, diriger et contrôler des activités qu'elle réalisera elle-même au titre du lot litigieux, il résulte des articles 4.3 et 5.2.3 du CCTP que cette situation a été anticipée par SNCF Réseau et que précisément la société Systra en tant qu'AMO pour la coordination foncière et les relations avec les tiers n'exercera pas ses missions de pilotage, de suivi et de coordination de son propre marché d'AMO Foncier. Le moyen tiré du défaut d'impartialité de la société attributaire doit être écarté.

14. En dernier lieu, il n'appartient pas au juge du référé précontractuel, qui doit seulement se prononcer sur le respect, par le pouvoir adjudicateur, des obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation d'un contrat, de se prononcer sur l'appréciation portée sur la valeur d'une offre ou les mérites respectifs des différentes offres. Il lui appartient, en revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le pouvoir adjudicateur n'a pas dénaturé le contenu d'une offre en en méconnaissant ou en en altérant manifestement les termes et procédé ainsi à la sélection de l'attributaire du contrat en méconnaissance du principe fondamental d'égalité de traitement des candidats.

15. S'agissant du sous-critère " Adéquation des moyens humains ", sous-critère pour lequel la société SEGAT a obtenu 13/20, la société SNCF Réseau a estimé que " les experts fonciers, juristes et experts AFAFE étaient externes à la société SEGAT ce qui induit un besoin de vigilance particulière pour la bonne circulation des informations en temps réel et des interactions au service de la stratégie et du planning du projet ainsi qu'une incohérence entre le dimensionnement de l'équipe et la qualité / mobilisation des personnes proposées par rapport aux coûts des prestations ". La notification du rejet de son offre du 4 juillet 2024 mentionne également que l'offre n'a pas été retenue compte tenu d'une " équipe surdimensionnée par rapport au besoin, avec un risque sur l'efficacité de la coordination de l'ensemble de l'activité ainsi qu'une méthodologie " trop " optimisée qui ne correspond pas aux attentes qualité du maitre d'ouvrage ".

16. Il résulte de l'instruction que, pour répondre à l'appel d'offre, la société requérante a candidaté en tant que mandataire d'un groupement constitué de cinq opérateurs et a présenté une équipe relativement étoffée avec néanmoins un prix intéressant lié à une rationalisation importante du temps consacré à certaines missions. En estimant, comme il l'a été dit au point précédent que l'équipe était surdimensionnée, et à supposer même que l'équipe proposée correspondait aux exigences de l'article 3.3 du CCTP, que les experts fonciers, juristes et AFAFE étaient externes à la société SEGAT, la société SCNF Réseau n'a pas dénaturé son offre.

17. Si la société requérante estime que l'incohérence entre le dimensionnement et le coût des prestations aurait dû être prise en compte dans le critère du prix et non dans le sous-critère de l' " Adéquation des moyens humains ", cette appréciation porte sur l'insuffisance des moyens humains, trop rationalisés, selon la société SNCF Réseau et pouvait ainsi être prise en compte dans ce sous-critère. Enfin, une telle prise en compte dans le critère du prix aurait été, au vu des pondérations de chaque critère, en défaveur de la société requérante qui a présenté l'offre économiquement la plus avantageuse et a donc obtenu la note maximale au critère financier.

18. Si l'article 9 du règlement de consultation autorise les opérateurs économiques à présenter une candidature sous forme d'un groupement d'entreprises en vue de remettre une offre commune, l'attributaire ne commet aucune discrimination ni rupture du principe d'égalité, ni dénaturation, malgré la validation du plan de management de la qualité, en estimant que l'offre proposée composée d'un groupement de cinq entreprises induit un besoin de vigilance particulière pour la bonne circulation des informations en temps réel et des interactions au service de la stratégie et du planning du projet.

19. Enfin, si la requérante soutient que les exigences de l'article 3.3 du CCTP fixant la composition de l'équipe que devait présenter les candidats sont inutiles, injustifiées et discriminatoires dès lors que des marchés comparables ne comprennent pas de telles exigences, elle ne démontre pas que les marchés dont elle se prévaut seraient en tous points identiques, en particulier en ce qui concerne le lot B du même marché pour lequel la société a reconnu elle-même dans ses écritures que le volume de prestation était différent.

20. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de la société SEGAT aux fins d'annulation de la procédure de passation du lot A de l'accord-cadre mono attributaire à bons de commande portant sur une assistance à maitrise d'ouvrage (AMO) pour libérer le foncier des emprises du projet Ligne nouvelle Montpellier Perpignan et de la décision de notification du 4 juillet 2024 doivent être rejetées, ensemble les conclusions aux fins d'injonction.

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

21. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société SNCF Réseau, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande la société SEGAT au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Et, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société SEGAT une somme de 1 500 euros à verser à SNCF Réseau et de 1 500 euros à verser à la société Systra au titre des mêmes dispositions.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la société SEGAT est rejetée.

Article 2 : La société SEGAT versera la somme de 1 500 euros à la société SNCF Réseau et de 1 500 euros à la société Systra en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société d'études générales pour l'aménagement du territoire, à la société SNCF Réseau et à la société par actions simplifiées Systra France.

Fait à Montpellier, le 1er août 2024,

Le juge des référés,

C. Doumergue

La greffière

A. Farell La République mande et ordonne au préfet de la région Occitanie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 1er août 2024.

La greffière,

A. Farell