TA Montpellier, 10/04/2024, n°2301693


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et deux mémoires enregistrés le 26 mars 2023, le 14 novembre 2023 et le 12 janvier 2024, M. A Campigna, représenté par Me Durand, demande au tribunal :

1°) d'annuler la délibération du 26 janvier 2023 par laquelle le conseil municipal d'Argelès-sur-Mer a approuvé le choix de l'attributaire de la délégation de service public pour l'exploitation des services de transport de voyageurs ;

2°) à titre principal, d'annuler également le contrat de délégation de service public pour l'exploitation des services de transport de voyageurs conclu le 25 février 2023 entre la commune d'Argelès-sur-Mer et la société Transports Pagès, et, à titre subsidiaire, de le résilier ;

3°) de mettre à la charge de la commune d'Argelès-sur-Mer une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- en qualité de conseiller municipal, il a qualité à agir ;

- le contrat de délégation de service public est irrégulier car la commune n'est pas compétente pour développer un service de mobilité touristique et les services touristiques ne constituent pas des services publics ;

- en méconnaissance de l'article 33 de la loi du 26 janvier 1984, le comité technique paritaire, qui s'est réuni le 20 mai 2022, n'a pas été consulté préalablement à l'approbation par le conseil municipal, le 17 février 2022, du principe du recours à la délégation de service public, et la consultation du comité technique le 16 décembre 2021 ne permet pas d'assurer la régularité de la procédure suivie ;

- le consentement des élus municipaux a été obtenu sur le fondement d'informations insuffisantes ou erronées s'agissant des caractéristiques financières du contrat et des caractéristiques techniques de l'offre sélectionnée ;

- la consultation a été menée sur le fondement d'un service et d'investissements attendus de la part du délégataire non conformes au cadre défini par l'assemblée délibérante le 17 février 2022 ;

- la consultation a eu lieu dans des conditions irrégulières du fait d'une insuffisante définition de ses besoins par la commune, en matière de service de transport urbain, scolaire, touristique et de mobilité douce, ainsi que du cadre financier du contrat dont la valeur estimée était entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- la commune n'a pas informé les candidats des obligations relatives à la reprise de personnel et elle n'établit pas, ainsi qu'elle l'allègue, que le contrat en litige n'implique pas une telle reprise au titre de l'exploitation du transport scolaire ;

- les investissements attendus de la part du délégataire ont été substantiellement modifiés de sorte que la durée de la délégation est irrégulière ;

- le contrat est irrégulier dans la mesure où il fixe un montant de contribution financière à la charge de la commune, substantiellement différent de celui prévu lors de la mise en concurrence ;

- la commune a irrégulièrement abandonné son exigence relative à une mise à disposition des véhicules au 1er mai 2023 ou, au plus tard, au 1er juillet 2023 ;

- l'offre initiale de la société Pagès était incomplète et irrégulière au regard du montant de la contribution forfaitaire proposé de sorte qu'elle aurait dû être écartée ;

- l'offre finale est irrégulière puisqu'elle prévoit la mise à disposition de petits trains thermiques sans avoir établi l'impossibilité de recourir à des petits trains électriques tel qu'exigé ;

- la procédure de dévolution, vouée à assurer une attribution du contrat à la société Pagès, est irrégulière.

Par trois mémoires, enregistrés les 18 août 2023, le 4 décembre 2023 et le 26 janvier 2024, la commune d'Argelès-sur-Mer, représentée par Me Le Chatelier, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. Campigna le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du ode de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- le contrat n'a pas un périmètre excessif car elle est compétente pour organiser des services réguliers de transport public de personnes et elle a, en tout état de cause, entendu ériger le service de transport par petits trains en service public ;

- le comité technique paritaire a été consulté dès le 16 décembre 2021 et, en tout état de cause, la saisine tardive de ce comité n'implique pas l'irrégularité du contrat de délégation de service public ;

- les conseillers municipaux ont été régulièrement informés des caractéristiques de la délégation et aucun n'a fait état d'un défaut d'information ;

- la consultation n'a pas méconnu le cadre défini par l'assemblée délibérante ;

- les besoins ont été régulièrement présentés dans la mesure où les caractéristiques essentielles de la délégation ont été précisées et, il n'y a pas d'obligation de reprise des personnels actuellement affectés au transport scolaire en l'absence de transfert d'une entité économique et eu égard au faible volume horaire consacré par les chauffeurs à cette activité spécifique ;

- la durée du contrat se justifie par les investissements qui incombent au prestataire et qui n'ont pas été diminués au cours des négociations ;

- si la valeur estimée du contrat a été sous-évaluée cette circonstance est sans incidence sur sa légalité car la contribution de la commune n'était pas plafonnée ;

- la négociation pouvait régulièrement être menée car la commission de délégation de service public n'a pas constaté l'incomplétude de l'offre et celle-ci était bien complète ;

- la commune a autorisé le recours aux petits trains thermiques et l'offre est donc régulière.

Par trois mémoires enregistrés les 18 août et 4 décembre 2023 et le 26 janvier 2024, la société Transports Pagès, représentée par l'AARPI Frêche et Associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. Campigna le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les conclusions tendant à l'annulation de la délibération du conseil municipal du 26 janvier 2023 sont irrecevables eu égard à l'office du juge saisi de la validité du contrat ;

- le contrat n'est pas illicite car la commune est compétente pour organiser des services réguliers de transport public de personnes et elle a, en tout état de cause, entendu ériger le service de transport par petits trains en service public ;

- la saisine du comité technique paritaire n'était pas obligatoire puisqu'il n'existait pas, auparavant, de service équivalent sur la commune et en tout état de cause le comité technique paritaire a été valablement consulté ;

- les conseillers municipaux ont été régulièrement informés des caractéristiques financières de la délégation et de celles de l'offre proposée ;

- la consultation n'a pas méconnu le cadre défini par l'assemblée délibérante ;

- les besoins ont été régulièrement présentés dans la mesure où les caractéristiques essentielles de la délégation ont été précisées et, il n'y a pas d'obligation de reprise des personnels actuellement affectés au transport scolaire en l'absence de transfert d'une entité économique ;

- la durée du contrat se justifie par les investissements qui incombent au prestataire et qui n'ont pas été diminués au cours des négociations ;

- si la valeur estimée du contrat a été sous-évaluée, cette circonstance est sans incidence sur sa légalité car la contribution de la commune n'était pas plafonnée ;

- la commune a autorisé le recours aux petits trains thermiques et elle a régulièrement justifié de la mise à disposition des véhicules, de sorte que son offre est régulière ;

- la négociation pouvait régulièrement être menée car son offre était régulière malgré le montant du chiffre d'affaires différant de la valeur estimée du contrat et la commission de délégation de service public n'a pas constaté l'incomplétude de l'offre qui était bien complète.

Par courrier du 7 février 2022, les parties ont été informées, sur le fondement des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'illicéité de la délégation de service public en litige pour incompétence de la commune dans la mesure où, en vertu de l'article

L. 1231-1 du code des transports, la région est l'autorité organisatrice de la mobilité depuis le

1er juillet 2021 et que la commune peut organiser librement les seuls services déjà organisés par elle-même à cette même date.

Par un mémoire enregistré le 15 février 2024, M. Campigna, représenté par Me Durand, a présenté des observations qui ont été communiquées. Des observations complémentaires ont été enregistrées le 26 février 2024.

Par deux mémoires enregistrés le 12 février et le 20 février 2024, la commune d'Argelès-sur-Mer, représentée par Me Le Chatelier a présenté des observations qui ont été communiquées.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des transports ;

- l'arrêté du 22 janvier 2015 définissant les caractéristiques et les conditions d'utilisation des véhicules autres que les autocars et les autobus, destinés à des usages de tourisme et de loisirs ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- les observations de Me Durand, représentant M. Campigna, celles de Me Houmer, représentant la commune d'Argelès-sur-Mer et celles de Me Strbik, représentant la société Transports Pagès.

Deux notes en délibéré, présentées par M. Campigna, représenté par Me Durand, ont été enregistrées les 22 et 29 mars 2024.

Une note en délibéré, présentée par la commune d'Argelès-sur-Mer, représentée par

Me Le Chatelier, a été enregistrée le 27 mars 2024.

Deux notes en délibéré, présentées par la société Transports Pagès, représentée par l'AARPI Frêche et Associés, ont été enregistrées les 27 mars et 2 avril 2024.

Considérant ce qui suit :

1. La commune d'Argelès-sur-Mer a lancé, le 1er juillet 2022, une consultation pour la passation d'un contrat de délégation de service public en vue de l'exploitation, à compter du 1er mai 2023, du service public de transport de voyageurs comprenant les services de transport public régulier, le transport scolaire, le transport touristique et le transport en mobilité douce.

M. Campigna, conseiller municipal, demande l'annulation de la délégation de service public conclue le 25 février 2023 entre la commune d'Argelès-sur-Mer et la société Transports Pagès.

Sur la fin de non-recevoir opposée en défense :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini.

3. Il résulte du principe ci-dessus énoncé que les conclusions d'excès de pouvoir, dirigées contre la délibération du 26 janvier 2023 par laquelle le conseil municipal a approuvé le choix du candidat et le projet de contrat, sont irrecevables, seul le recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat étant ouvert au conseiller municipal.

4. Dans ces conditions, si M. Campigna peut régulièrement demander l'annulation du contrat conclu et contester, dans ce cadre, le choix du cocontractant, la délibération autorisant la conclusion du contrat et enfin la décision de le signer, la fin de non-recevoir opposée en défense, tirée de l'irrecevabilité des conclusions à fin d'annulation dirigées contre la délibération du 26 janvier 2023, doit être accueillie.

Sur l'illicéité du contrat :

5. Aux termes de l'article L. 1231-1 code des transports : " I.- Les communautés d'agglomération, les communautés urbaines, les métropoles, la métropole de Lyon, les communes mentionnées au V de l'article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales qui n'ont pas mis en œuvre le transfert prévu au second alinéa du II du présent article, les autres communes au plus tard jusqu'au 1er juillet 2021, les communautés de communes après le transfert de la compétence en matière de mobilité par les communes qui en sont membres, les syndicats mixtes mentionnés aux articles L. 5711-1 et L. 5721-2 du code général des collectivités territoriales, les pôles métropolitains mentionnés à l'article L. 5731-1 dudit code et les pôles d'équilibre territorial et rural mentionnés à l'article L. 5741-1 du même code, après le transfert de cette compétence par les établissements publics de coopération intercommunale qui en sont membres, sont les autorités organisatrices de la mobilité dans leur ressort territorial. / II.- Au 1er juillet 2021, la région exerce de droit, en tant qu'autorité organisatrice de la mobilité, l'ensemble des attributions relevant de cette compétence sur le territoire de la communauté de communes où le transfert prévu au III de l'article 8 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités n'est pas intervenu, sauf en ce qui concerne les services déjà organisés, à cette même date, par une ou plusieurs communes membres de la communauté de communes concernée qui peuvent continuer, après en avoir informé la région, à les organiser librement et pour le financement desquels elles peuvent continuer à prélever le versement destiné au financement des services de mobilité. Lorsqu'une de ces communes a transféré sa compétence d'organisation de la mobilité à un syndicat mixte, ce syndicat demeure compétent sur le périmètre de cette commune () ".

6. L'article L. 1231-1-1 du même code précise que : " I.- Sur son ressort territorial, chacune des autorités organisatrices de la mobilité mentionnées au I de l'article L. 1231-1, ainsi que la région lorsqu'elle intervient dans ce ressort en application du II du même article L. 1231-1, est compétente pour : 1° Organiser des services réguliers de transport public de personnes ; 2° Organiser des services à la demande de transport public de personnes ; 3° Organiser des services de transport scolaire définis aux articles L. 3111-7 à L. 3111-10, dans les cas prévus au quatrième alinéa de l'article L. 3111-7 et à l'article L. 3111-8 ; 4° Organiser des services relatifs aux mobilités actives définies à l'article L. 1271-1 ou contribuer au développement de ces mobilités ; 5° Organiser des services relatifs aux usages partagés des véhicules terrestres à moteur ou contribuer au développement de ces usages ; 6° Organiser des services de mobilité solidaire, contribuer au développement de tels services ou verser des aides individuelles à la mobilité, afin d'améliorer l'accès à la mobilité des personnes se trouvant en situation de vulnérabilité économique ou sociale et des personnes en situation de handicap ou dont la mobilité est réduite () ".

7. Il résulte de ces dispositions, issues de la codification de la loi du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités, qu'à compter du 1er juillet 2021, les communautés de communes ou le cas échéant les régions, deviennent les autorités organisatrices de la mobilité, compétentes pour organiser les services publics de transport de personnes et seuls les services déjà organisés à cette date peuvent continuer d'être librement organisés par les communes.

8. Les dispositions antérieurement en vigueur du code des transports prévoyaient, s'agissant de l'article L. 1231-1, que les communes faisaient parties des autorités compétentes pour organiser la mobilité. Dans ce cadre, les dispositions des articles L. 1231-3 et L. 1231-4 de ce même code, dans leur version en vigueur jusqu'au 9 août 2015, prévoyaient que " Les services de transport public urbain de personnes sont organisés dans les limites des périmètres de transports urbains " et que " Le périmètre de transports urbains comprend le territoire d'une commune ou le ressort territorial d'un établissement public ayant reçu mission d'organiser le transport public de personnes. Sur demande du maire ou du président de l'établissement public, l'autorité administrative compétente de l'Etat constate la création du périmètre dans des conditions fixées par voie réglementaire ". A ces périmètres de transports urbains ont finalement été substitués les ressorts territoriaux des autorités organisatrices de la mobilité.

9. Enfin, aux termes de l'article L. 3111-7 du code des transports, le département, puis, à compter du 1er septembre 2017, la région, ont été successivement désignés comme l'autorité ayant la responsabilité de l'organisation et du fonctionnement des transports scolaires. L'article L. 3111-8 de ce même code prévoyait néanmoins le transfert de cette compétence à l'autorité compétente pour l'organisation des transports urbains en cas de création d'un périmètre de transports urbains. Toutefois, cet article prévoit désormais, depuis la codification de la loi du 24 décembre 2019 précitée, un transfert de la compétence aux seuls périmètres de transports urbains existants au 1er septembre 1984 ou aux ressorts territoriaux d'une autorité organisatrice de la mobilité. Parallèlement, l'article L. 1231-2 du code des transports, qui définit la compétence des autorités organisatrices de la mobilité, mentionnées à l'article L. 1231-1 du même code, inclut expressément les transports scolaires.

10. Il résulte de ces évolutions textuelles que le législateur a également entendu transférer aux autorités organisatrices de la mobilité, telles qu'elles sont définies par l'article

L. 1231-1 du code des transports dans sa version en vigueur depuis le 27 décembre 2019, la compétence en matière d'organisation du transport scolaire, seuls les services déjà organisés au 1er juillet 2021 par une commune pouvant continuer à être organisés librement par celle-ci.

11. D'une part, si la commune d'Argelès-sur-Mer établit avoir délibéré, le 18 mai 2021, afin de " conserver " la compétence mobilité, cette circonstance ne peut s'opposer à l'application des dispositions précitées de l'article L. 1231-1 du code des transports qui ne lui permettent pas, après le 1er juillet 2021, de demeurer l'autorité organisatrice des transports sur son territoire.

12. D'autre part, il est établi que la commune d'Argelès-sur-Mer a délibéré, le 19 janvier 2012, en vue de créer un périmètre de transport urbain, dont la création a été actée par un arrêté du préfet du 3 août 2012. Néanmoins, pour satisfaire l'organisation des transports urbains et scolaires sur son territoire, dont la responsabilité lui incombait alors, la commune a conclu avec le département des Pyrénées-Orientales, désigné comme autorité organisatrice de second rang, une convention entrée en vigueur le 2 janvier 2015, afin que ce dernier mette en œuvre les lignes locales et scolaires sur le territoire de la commune. S'il est vrai que cette convention prévoyait un renforcement de l'offre départementale sur le territoire de la commune en contrepartie d'une prise en charge des dépenses supplémentaires correspondant au service rendu, la commune ne décidait pas de l'offre tarifaire des transports et elle ne disposait d'aucun bien ni d'aucune ressource permettant d'assurer le service rendu.

13. Par ailleurs, ce n'est qu'à compter du 1er juillet 2021 que la commune a décidé de proposer un service de transport urbain en régie avec l'ouverture de deux lignes de transport assurées par des minibus conduit par trois chauffeurs directement recrutés par elle. S'agissant par ailleurs du transport scolaire, ce n'est qu'à compter du 1er janvier 2022 que la commune a conclu avec la région une convention lui permettant d'assurer directement le transport scolaire pour les trajets dont l'origine et la destination se situent sur son territoire et qu'elle a décidé de confier à un prestataire l'organisation de ce service dans le cadre d'un marché public de transport. En outre, il est constant que la commune n'a jamais organisé de service de transports relevant de la mobilité douce.

14. S'agissant du transport dit " touristique ", visant à faciliter les déplacements des visiteurs et résidents estivaux de la commune, il résulte de l'instruction que la commune a contracté de façon " sui generis ", entre 2012 et 2018 avec la société privée Trainbus, en vue d'encadrer partiellement l'activité de transport de personnes par petits trains touristiques exercée par cette société en contrepartie d'une rémunération forfaitaire. Toutefois, ces accords, ne couvrant que quelques mois de l'année et une partie seulement des itinéraires exploités par ladite société, sans au demeurant que la commune n'intervienne dans la politique tarifaire de celle-ci, ne permettent pas de conclure que la commune était à l'origine de l'organisation d'un service public de transport de personnes. En tout état de cause, cette collaboration avait visiblement cessé après 2018. Et, la seule circonstance que le maire de la commune soit sollicité pour rendre un avis non conforme, préalablement à la délivrance de l'autorisation préfectorale autorisant la circulation du petit train touristique sur son territoire, portant notamment sur la sécurité de l'itinéraire envisagé, conformément aux dispositions de l'article 4 de l'arrêté du 22 janvier 2015 susvisé, ne permet nullement de conclure que la commune serait organisatrice du service de transport ainsi exécuté.

15. Enfin, il résulte de l'instruction que le budget consacré au transport par la commune était, avant que ne soit conclue la délégation de service public en cause, de 740 000 euros annuels pour le transport urbain et de 174 000 euros annuels au maximum pour le transport scolaire. Or, le contrat en litige prévoit une participation annuelle fixe de la commune, comprise entre 970 000 et 1 182 000 euros par an, à quoi s'ajoute une part variable pouvant atteindre, en vertu du contrat signé, la somme de 1 000 000 d'euros par an. Enfin, la commune a aussi investi 940 000 euros dans l'achat et l'aménagement d'un dépôt de véhicules afin, notamment, de permettre l'exploitation des services de transport sur son territoire.

16. Il résulte donc de tout ce qui précède, qu'à supposer même que soit reconnue l'organisation de services de transports urbain et scolaire par la commune d'Argelès-sur-Mer avant le 1er juillet 2021, la présente délégation de service public, qui prévoit notamment, d'une part, que 24 nouvelles lignes scolaires, en plus des 23 lignes existantes, pourront être confiées au délégataire, d'autre part, la possibilité d'accroître l'offre de transport urbain avec le développement de lignes additionnelles, ainsi que le développement d'une offre de mobilité douce avec l'installation de bornes permettant la location de vélos, et l'exploitation d'un service de transport dit " touristique " par petits trains, comprenant 4 itinéraires sur chacun desquels doivent être affectés au moins deux petits trains assurant 14 rotations minimales par jour, ne peut être assimilé à la poursuite de l'exécution des " services déjà organisés " au 1er juillet 2021 par la commune au sens des dispositions précitées de l'article L. 1231-1 du code des transports.

17. Dès lors, la commune d'Argelès-sur-Mer était incompétente pour conclure la délégation de service public en litige et le contenu de celle-ci est donc entaché d'un vice d'une particulière gravité.

18. En outre, si la région, autorité organisatrice de la mobilité, a la possibilité, en vertu des dispositions de l'article de l'article L. 1231-4 du code des transports de déléguer, par convention, toute attribution ainsi que tout ou partie d'un service ou plusieurs services à une collectivité territoriale qui exercerait au nom et pour le compte du délégant, conformément à une convention fixant notamment la durée, les objectifs à atteindre et les modalités de contrôle de l'autorité délégante, il ne résulte pas de l'instruction qu'une telle convention aurait été envisagée ni, surtout, que le contrat en litige remplirait les objectifs à la définition desquels devrait participer la région. Dans ces conditions, alors que la procédure de passation et la signature du contrat en litige sont intervenues sans que la possibilité d'une convention de délégation conforme aux dispositions de l'article L. 1231-4 du code des transports et ses éventuelles implications ne soient envisagées, le vice ci-dessus relevé n'apparaît pas régularisable.

19. En tout état de cause, aux termes de l'article L. 3124-2 du code de la commande publique : " L'autorité concédante écarte les offres irrégulières ou inappropriées ". L'article

L. 3124-3 du même code prévoit que : " Une offre est irrégulière lorsqu'elle ne respecte pas les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ". Enfin, en vertu de l'article L. 3124-1 du même code : " Lorsque l'autorité concédante recourt à la négociation pour attribuer le contrat de concession, elle organise librement la négociation avec un ou plusieurs soumissionnaires dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. La négociation ne peut porter sur l'objet de la concession, les critères d'attribution ou les conditions et caractéristiques minimales indiquées dans les documents de la consultation ".

20. Le règlement de la consultation prévu par une autorité concédante pour la passation d'un contrat de concession est obligatoire dans toutes ses mentions. L'autorité concédante ne peut, dès lors, attribuer ce contrat à un candidat qui ne respecte pas une des exigences imposées par ce règlement, sauf si cette exigence se révèle manifestement dépourvue de toute utilité pour l'examen des candidatures ou des offres. Par ailleurs, lorsque le règlement de la consultation ou le cahier des charges impose la production de documents ou de renseignements à l'appui des offres, l'autorité habilitée à signer la convention ne peut, après avis de la commission mentionnée à l'article L. 1411-5, engager de négociation avec un opérateur économique dont l'offre n'est pas accompagnée de tous ces documents ou renseignements que si cette insuffisance, d'une part, ne fait pas obstacle à ce que soit appréciée la conformité de l'offre aux exigences du cahier des charges et, d'autre part, n'est pas susceptible d'avoir une influence sur la comparaison entre les offres et le choix des candidats qui seront admis à participer à la négociation. Enfin, au cours de la consultation, la personne responsable de la passation du contrat de délégation de service public peut apporter des adaptations à l'objet du contrat qu'elle envisage de conclure au terme de la négociation lorsque ces adaptations sont d'une portée limitée, justifiées par l'intérêt du service et qu'elles ne présentent pas, entre les entreprises concurrentes, un caractère discriminatoire.

21. En l'espèce, le document de programme du contrat de délégation, auquel renvoie le règlement de consultation prévoit, s'agissant des " contraintes pesant sur le matériel roulant ", que : " la commune souhaite favoriser une mobilité propre. Ainsi les véhicules assurant le transport régulier urbain devront être de type électrique, tandis que les véhicules de renfort estival devront disposer d'une motorisation propre : électriques, hybrides, gaz, B 100 (ou apparenté). Pour ce qui concerne le transport touristique assuré par des petits trains, ils devront être obligatoirement de type électrique () Compte tenu des contraintes de livraison des véhicules, le candidat, s'il est dans l'incapacité de fournir des véhicules conformes aux exigences précitées au 1er mai 2023, peut proposer à la commune leur mise à disposition au 1er juillet 2023, en produisant des justificatifs de commandes correspondants ". Par ailleurs, le règlement de consultation prévoyait, s'agissant de la fourniture du matériel roulant, que : " le candidat peut proposer l'arrêt de la location en contrepartie de la fourniture du matériel roulant par ses soins. Dans ce cas () les matériels proposés par le candidat devront avoir des caractéristiques proches ou comparables (capacité, motorisation, âge, consommation électrique, services à bord) et respecter le document de programme ".

22. Par ailleurs, en vertu du règlement de consultation, le critère financier était pondéré à hauteur de 45% tandis qu'un autre critère, pondéré à hauteur de 5%, portait sur la qualité des actions qui seront menées en faveur de l'environnement pour l'exécution du contrat.

23. D'une part, à supposer que la précision du règlement de consultation citée au point 21 du présent jugement puisse s'appliquer aux petits trains, malgré le fait qu'il ne soit pas fait état de l'existence d'une " location " de véhicules préalable à la conclusion du contrat de délégation de service public, la dérogation prévue par cette disposition, qui imposait une motorisation " comparable " au matériel loué et un respect du document de programme, n'autorisait pas les candidats à proposer des petits trains de type autre qu'électrique.

24. D'autre part, il résulte de l'instruction que lors de la procédure de passation, avant le dépôt des offres, la commune a informé les candidats, en réponse à une question qui lui avait été soumise sur la possibilité de proposer des petits trains thermiques, que : " c'est une forte volonté de la collectivité de pouvoir disposer d'une flotte de petits trains électriques. Il vous appartient de justifier et de démontrer concrètement l'impossibilité de recourir à ce type de véhicules et donc de faire une proposition alternative ".

25. La société Transports Pagès fait état de l'attestation, établie le 15 février 2023 par une société fournisseur de petits trains, selon laquelle une " livraison cadencée de janvier à avril 2024 de dix petits trains routiers touristiques () est possible selon les éléments connus à ce jour, sauf évènement de force majeure, si une commande confirmée avec acompte intervient avant le 1er mai 2023 ". Toutefois, si cette attestation peut permettre de constater l'impossibilité de mettre à disposition de la commune les véhicules au 1er mai 2023, elle n'apporte aucun élément d'information sur l'éventuelle indisponibilité de petits trains de type électrique. Par ailleurs, s'il ressort du compte rendu des négociations que la société Transports Pages a défendu l'impossibilité d'utiliser des petits trains électriques du fait de contraintes techniques liées à l'importante distance des trajets quotidiens, cette assertion ne s'appuie sur aucun élément probant. En outre, il n'est nullement justifié de l'étude de solutions alternatives par le concessionnaire ou de la mise en évidence du surcoût important qui aurait été induit par l'exigence de la collectivité.

26. Dans ces conditions, alors que la commune a exprimé, dans le cahier des charges, sa volonté forte de se doter d'une flotte de petits trains de type électrique, l'offre sélectionnée de la société Transports Pagès qui implique l'usage de petits trains thermiques, dotés de systèmes diesel, ne respecte pas le règlement de consultation. Ainsi, eu égard à l'importance de cette modification qui impacte l'appréciation des offres, il ne peut être soutenu que la procédure de négociation pouvait régulièrement aboutir à la sélection de l'offre de la société Transports Pagès.

Sur les conséquences de l'illicéité du contrat :

27. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

28. D'une part, il résulte de ce qui précède que la délégation de service public en litige n'est nullement indispensable au maintien des seuls services qui étaient organisés par la commune avant le 1er juillet 2021.

29. D'autre part, si la commune ainsi que la société Transports Pagès font valoir l'incidence financière de l'annulation de la délégation conclue, en arguant d'un coût potentiel pour la commune de près de 5,5 millions d'euros, la justification de ce montant, ainsi que des investissements effectivement réalisés, ne sont que partiellement établis. Par ailleurs, le coût de l'annulation du contrat doit être mis en relation avec le coût annuel restant à la charge de la commune en lien avec l'exécution du contrat dont la durée restante est de près de sept ans ainsi qu'avec la volonté du législateur de limiter les investissements des communes en matière de transport afin de permettre une organisation supra-communale.

30. En revanche, eu égard à la nécessité d'éviter toute interruption du transport scolaire, de permettre la continuité des services de transport offerts aux résidents de la commune ainsi qu'aux visiteurs de celle-ci, nombreux durant la période estivale, et enfin, compte tenu de la mise à disposition, par le délégant, des véhicules au service du plan communal de sauvegarde, il y a lieu de différer l'annulation du contrat en litige au 1er septembre 2024. Eu égard au périmètre de la délégation de service public, à la volonté d'opérer une mutualisation des coûts et de l'organisation de ce service et, enfin, à l'intérêt général qui s'attache à la continuité du service public de transport de voyageurs, il n'y a pas lieu de limiter le différé de cette annulation à une partie seulement des services de transport proposés.

31. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, qu'il y a lieu de prononcer l'annulation de la délégation de service public conclue le 25 février 2023 entre la commune d'Argelès-sur-Mer et la société Transports Pagès à compter du 1er septembre 2024.

Sur les frais du litige :

32. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que soit mise à la charge de M. Campigna, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une sommer à verser à la commune d'Argelès-sur-Mer ou à la société Transports Pagès. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune d'Argelès-sur-Mer une somme de 1 500 euros à verser à M. Campigna sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La délégation de service public conclue le 25 février 2023 entre la commune d'Argelès-sur-Mer et la société Transports Pagès est annulée à compter du 1er septembre 2024.

Article 2 : La commune d'Argelès-sur-Mer versera une somme de 1 500 euros à M. Campigna sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. Campigna est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la commune d'Argelès-sur-Mer et la société Transports Pagès sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A Campigna, à la commune d'Argelès-sur-Mer et à la société Transports Pagès.

Délibéré après l'audience du 21 mars 2024, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

Mme Adrienne Bayada, première conseillère,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 avril 2024.

La rapporteure,

A. Lesimple Le président,

E. Souteyrand

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet des Pyrénées-Orientales en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 10 avril 2024.

La greffière,

M-A. Barthélémy