TA Montpellier, 16/05/2024, n°2300899


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête, enregistrée le 16 février 2023, la Sarl d'exploitation des établissements Barattini, représentée par Me Simon, demande au tribunal :

1°) d'annuler ou résilier le marché public conclu entre la commune de Frontignan et la Sas BDE Bancarel ayant pour objet la fourniture et la pose de caveaux préfabriqués en béton ;

2°) d'enjoindre à la commune de Frontignan de conclure le marché public avec elle ;

3°) de condamner la commune à lui verser une somme d'un montant de 17 000 euros en réparation de son préjudice ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Frontignan une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le pouvoir adjudicateur ayant rejeté son offre, elle justifie d'un intérêt à agir direct et certain par l'attribution du marché à la société BDE ;

- le pouvoir adjudicateur a méconnu les dispositions de l'article R. 2152-7 du code de la commande ainsi que l'article 7.2 du règlement de la consultation dès lors que le pouvoir adjudicateur était tenu de lui attribuer une note ou l'inviter à préciser ou régulariser son offre ;

- en lui attribuant une note de 0 pour les critères 3 et 4 relatifs aux délais de livraison et de pose, le pouvoir adjudicateur a commis une erreur manifeste d'appréciation de son offre, ce qui a été susceptible de la léser dès lors que si elle avait obtenu une note de 5 sur 5 pour le critère 4 relatif au délai de pose, son offre aurait été classée en première position avec une note totale de 90 sur 100 ;

- elle subit un préjudice de perte de chance qu'elle évalue entre 17 000 euros et 27 200 euros chaque année.

Par un mémoire, enregistré le 7 novembre 2023, la commune de Frontignan, représentée par la Selas Charrel et associés, agissant par Me Charrel, conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce que la Sarl d'exploitation des établissements Barattini lui verse une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- à titre principal, les conclusions indemnitaires sont irrecevables en l'absence de demande indemnitaire préalable ;

- à titre subsidiaire, le pouvoir adjudicateur n'a pas commis de manquement aux règles de passation dès lors que la note de 0 a été attribuée à la société Barattini pour les critères 3 et 4, en raison des précisions très lacunaires de son offre ne permettant pas de quantifier ses délais d'intervention ;

- en tout état de cause, l'offre de la société Barattini a été classée en 3ème position et le manquement allégué n'est pas d'une gravité justifiant une résiliation ou une annulation des relations contractuelles ;

- il n'existe pas de lien direct entre le manquement allégué et le préjudice résultant de son éviction, la société Barattini ayant été classée en 3ème position, elle ne démontre pas qu'elle avait des chances sérieuses d'obtenir le contrat ;

- à titre infiniment subsidiaire, l'indemnisation du manque à gagner correspond à la marge nette escompté de l'exécution du marché, sur la période ferme, soit 595 euros.

La procédure a été régulièrement communiquée à la SAS BDE Bancarel qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de M. Lauranson, rapporteur public,

- et les observations de Me Domecq, représentant la commune de Frontignan La Peyrade.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de Frontignan La Peyrade a engagé une consultation, selon une procédure adaptée, en vue de la passation d'un accord-cadre à bons de commande mono-attributaire avec la Sas BDE Bancarel, ayant pour objet la fourniture et de pose de caveaux préfabriqués en béton, pour une durée d'un an, renouvelable une fois. Par un courrier du 16 décembre 2022, la commune de Frontignan a informé la société d'exploitation des établissements Barattini, du rejet de son offre, laquelle a été classée en troisième position. Par la présente requête, la société d'exploitation des établissements Barattini demande l'annulation ou la résiliation de ce marché public ainsi que la condamnation de la commune de Frontignan à lui verser une somme de 17 000 euros en réparation de son préjudice de perte de chance d'obtenir le marché.

Sur les conclusions à fin d'annulation ou résiliation du marché :

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Cette action devant le juge du contrat est également ouverte aux membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné ainsi qu'au représentant de l'Etat dans le département dans l'exercice du contrôle de légalité. Si le représentant de l'Etat dans le département et les membres de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné, compte tenu des intérêts dont ils ont la charge, peuvent invoquer tout moyen à l'appui du recours ainsi défini, les autres tiers ne peuvent invoquer que des vices en rapport direct avec l'intérêt lésé dont ils se prévalent ou ceux d'une gravité telle que le juge devrait les relever d'office. Le tiers agissant en qualité de concurrent évincé de la conclusion d'un contrat administratif ne peut ainsi, à l'appui d'un recours contestant la validité de ce contrat, utilement invoquer, outre les vices d'ordre public, que les manquements aux règles applicables à la passation de ce contrat qui sont en rapport direct avec son éviction.

3. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours autre que le représentant de l'Etat dans le département ou qu'un membre de l'organe délibérant de la collectivité territoriale ou du groupement de collectivités territoriales concerné se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

4. Aux termes de l'article L. 2152-7 du code de la commande publique : " Le marché est attribué au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse sur la base d'un ou plusieurs critères objectifs, précis et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution. Les modalités d'application du présent alinéa sont prévues par voie réglementaire. Les offres sont appréciées lot par lot.

Le lien avec l'objet du marché ou ses conditions d'exécution s'apprécie conformément aux articles L. 2112-2 à L. 2112-4 ". Aux termes de l'article L. 2152-8 de ce code : " Les critères d'attribution n'ont pas pour effet de conférer une liberté de choix illimitée à l'acheteur et garantissent la possibilité d'une véritable concurrence. Ils sont rendus publics dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2152-7 du même code : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : () 2° Soit sur une pluralité de critères non-discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. Il peut s'agir des critères suivants : a) La qualité, y compris la valeur technique et les caractéristiques esthétiques ou fonctionnelles () ; b) Les délais d'exécution, les conditions de livraison, le service après-vente et l'assistance technique, la sécurité des approvisionnements, l'interopérabilité et les caractéristiques opérationnelles ; c) L'organisation, les qualifications et l'expérience du personnel assigné à l'exécution du marché lorsque la qualité du personnel assigné peut avoir une influence significative sur le niveau d'exécution du marché. D'autres critères peuvent être pris en compte s'ils sont justifiés par l'objet du marché ou ses conditions d'exécution. () ".

5. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent, en conséquence, être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

6. En outre, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

7. En l'espèce, les offres ont été appréciées au regard de quatre critères : la " valeur technique " pondérée à 50%, le " prix " pondéré à 40%, le " délai de livraison " et le " délai de pose " respectivement pondérés à 5%. L'article 7.2 du règlement de la consultation a précisé que les critères relatifs aux délais de pose et de livraison ont été évalués en considération des renseignements fournis sur le bordereau des prix unitaires.

8. D'une part, il résulte de l'instruction, et notamment du courrier du 16 décembre 2022 par lequel le pouvoir adjudicateur a informé la société d'exploitation des établissements Barattini du rejet de son offre, qu'alors même qu'il lui a indiqué que pour les critères relatifs aux délais, ses notes n'avaient pas pu être déterminées au regard des indications fournies dans le bordereau des prix unitaires, le pouvoir adjudicateur lui a attribué une note de 0 sur 5 pour chacun des critères relatifs aux délais. Ainsi, par ce même courrier, la société d'exploitation des établissements Barattini a été informée avoir obtenu une note totale de 85 sur 100 résultant de la somme d'une note de 40 sur 40 pour le critère " prix " et d'une note de 45 sur 50 pour le critère " valeur technique " et avoir été classée en troisième position. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article R. 2152-7 du code de la commande publique et de l'article 7.2 du règlement de la consultation, doit être écarté.

9. D'autre part, il résulte de l'instruction que le règlement de la consultation précisait que les critères relatifs aux délais de livraison et de pose des caveaux seraient évalués au regard des délais renseignés sur le bordereau des prix unitaires. Par suite, la société d'exploitation des établissements Barattini, qui a proposé un délai de livraison " à fixer avec l'acheteur lors de l'émission du bon de commande ", ainsi qu'un délai de pose " immédiat si nécessaire ", n'est pas fondée à soutenir, qu'en lui ayant attribué la note de 0 points sur 10 au lieu de 5 points au moins, faute d'un engagement ferme à exécuter les prestations dans un délai déterminé précis, le pouvoir adjudicateur a commis une erreur manifeste d'appréciation de son offre pour les critères relatifs aux délais de livraison et de pose des caveaux.

10. Il résulte de ce qui précède que la société d'exploitation des établissements Barattini n'établit pas l'existence de vices entachant la validité du contrat. Par suite, ses conclusions tendant à son annulation ou sa résiliation, doivent être rejetées. Il en va de même, par voie de conséquence, des conclusions à fin d'injonction de la requête.

Sur les conclusions indemnitaires :

11. Il résulte de qui a été dit aux points 8 à 10 que l'irrégularité de l'éviction de la société d'exploitation des établissements Barattini n'est pas établie. Dès lors, sans qu'il ne soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, les conclusions indemnitaires présentées par la société d'exploitation des établissements Barattini, doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Frontignan, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la société d'exploitation des établissements Barattini au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société d'exploitation des établissements Barattini une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Frontignan sur le fondement de ces mêmes dispositions.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société d'exploitation des établissements Barattini est rejetée.

Article 2 : La société d'exploitation des établissements Barattini versera une somme de 1 500 euros à la commune de Frontignan sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SARL d'exploitation des établissements Barattini, à la commune de Frontignan La Peyrade et à la Sas BDE Bancarel.

Délibéré après l'audience du 25 avril 2024, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

Mme Adrienne Bayada, première conseillère,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 mai 2024.

Le président-rapporteur,

E. A L'assesseure la plus ancienne,

A. Bayada

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet de l'Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier le 16 mai 2024.

La greffière,

M-A. Barthélémy