Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 28 novembre 2021, la société coopérative de production Artenreel demande au tribunal d'annuler le lot n°1 du marché de restauration des peintures foraines du musée d'art forain et de la musique mécanique signé entre la commune de Conflans-en-Jarnisy et la société Artbee Conservation.
Elle soutient que :
- le prix proposé par la société Artbee Conservation est anormalement bas ;
- les règles de la concurrence n'ont pas été respectées dès lors que la société Artbee Conservation et la commune de Conflans-en-Jarnisy entretenaient des relations contractuelles avant le lancement de la consultation ;
- cette situation de collusion est de nature à fausser le jeu de la concurrence à son détriment et a méconnu le principe d'égalité de traitement entre les candidats.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2023, la commune de Conflans-en-Jarnisy, représentée par Me Couronne, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Artenreel la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable, dès lors que l'auteure de la requête, qui n'a pas la qualité de gérante, n'a pas qualité pour agir au nom et pour le compte de la société requérante, que le contrat contesté n'a pas été produit, que la requête, faute d'être assortie de conclusions et de moyens, n'a pas été régularisée avant l'expiration du délai de recours contentieux et que le recours en contestation de la validité du contrat est forclos ;
- à titre subsidiaire, la société requérante ne démontre pas que le prix de la société Artbee Conservation est anormalement bas ;
- la circonstance alléguée qu'elle a déjà recouru à la société Artbee Conservation pour les œuvres et les décors de son musée d'art forain n'est pas de nature à établir l'existence d'une collusion ou à fausser le jeu de la concurrence.
La société Artbee Conservation, à qui la requête a été communiquée, n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Agnès Bourjol,
- les conclusions de Mme Laëtitia Cabecas, rapporteure publique,
- et les observations de Me Couronne, représentant la société Artenreel.
Considérant ce qui suit :
1. La commune de Conflans-en-Jarnisy a décidé de lancer une consultation sous la forme d'une procédure adaptée, en application de l'article R. 2123 du code de la commande publique, en vue de la conclusion d'un marché ayant pour objet la restauration des peintures foraines et des documents de son musée d'art forain et de la musique mécanique, composé de 2 lots. La société Artenreel et la société Artbee Conservation ont fait acte de candidature pour le lot n°1 " restauration de peintures foraines, décors en bois ". La commune de Conflans-en-Jarnisy a attribué ce lot à la société Artbee Conservation et a informé la société Artenreel du rejet de son offre, classée en deuxième position. Par la présente requête, la société Artenreel doit être regardée comme contestant la validité du contrat conclu entre la commune de Conflans-en-Jarnisy et la société Artbee Conservation.
Sur la contestation de la validité du marché :
2. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché ". Selon l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsque une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". En application de son article R. 2152-3 : " L'acheteur exige que le soumissionnaire justifie le prix ou les coûts proposés dans son offre lorsque celle-ci semble anormalement basse eu égard aux travaux, fournitures ou services, y compris pour la part du marché qu'il envisage de sous-traiter. / Peuvent être prises en considération des justifications tenant notamment aux aspects suivants : / 1° Le mode de fabrication des produits, les modalités de la prestation des services, le procédé de construction ; / 2° Les solutions techniques adoptées ou les conditions exceptionnellement favorables dont dispose le soumissionnaire pour fournir les produits ou les services ou pour exécuter les travaux ; / 3° L'originalité de l'offre ; / 4° La règlementation applicable en matière environnementale, sociale et du travail en vigueur sur le lieu d'exécution des prestations ; / 5° L'obtention éventuelle d'une aide d'Etat par le soumissionnaire ".
3. D'une part, le fait, pour un pouvoir adjudicateur, de retenir une offre anormalement basse porte atteinte à l'égalité entre les candidats à l'attribution d'un marché public. Il résulte des dispositions précitées que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature, ainsi, à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre.
4. D'autre part, l'existence d'un prix paraissant anormalement bas au sein de l'offre d'un candidat, pour l'une seulement des prestations faisant l'objet du marché, n'implique pas, à elle-seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l'objet d'un mode de rémunération différent ou d'une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix. Le prix anormalement bas d'une offre s'apprécie en effet au regard de son prix global.
5. En premier lieu, la société requérante fait valoir, d'une part, que les taux horaires proposés par la société Artbee Conservation sont largement inférieurs à ceux pratiqués, en moyenne, par les restaurateurs d'œuvres d'art, d'autre part, que ses temps d'intervention, estimés à 29,6 heures par œuvre, ont été largement sous-estimés. Elle se prévaut à cet effet de sa propre expérience comme titulaire du marché de restauration des œuvres d'art religieuses et civiles de la ville de Paris, de nature à lui donner une meilleure estimation des volumes horaires à consacrer aux différentes missions prévues. Elle fait également valoir que la société Artbee Conservation n'a pas pris en compte, dans l'estimation de son coût horaire, l'état sanitaire, l'état de conservation et de présentation, particulièrement dégradé, des œuvres d'art forain à restaurer. Toutefois, à supposer même que certaines prestations aient été évaluées par la société Artbee Conservation, en termes horaires et en termes de coûts, en deçà de ce qui a été proposé par la société Artenreel, cette circonstance ne saurait par elle-même démontrer le caractère anormalement bas de l'offre, alors qu'il est constant que le prix anormalement bas d'une offre s'apprécie au regard de son prix global. Enfin, la société requérante ne soutient ni même n'allègue que le prix en cause aurait été susceptible de compromettre la bonne exécution du marché en litige, compte tenu des prestations exigées par le cahier des clauses techniques et particulières annexé au marché, tant en ce qui concerne les prestations de conservation des décors picturaux par traitement antifongique et le nettoyage des cadres et châssis, que les travaux de restauration proprement dits, consistant en une reprise des déchirures, un masticage des lacunes, un dévernissage, et une réintégration picturale. Par suite, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que la commune de Conflans-en-Jarnisy aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en retenant une offre anormalement basse.
6. En second lieu, les circonstances alléguées qu'elle aurait vainement demandé, à l'occasion de la visite du musée des arts forains de Conflans-en-Jarnisy, la copie de l'étude préalable à l'élaboration du cahier des clauses techniques particulières applicable au marché litigieux et que la consultation du site internet du musée des arts forains aurait révélé l'existence de relations contractuelles antérieures entre la commune et la société attributaire ne sont pas de nature à établir, contrairement à ce que soutient la société requérante, que la commune de Conflans-en-Jarnisy et la société Artbee Conservation auraient conclu une entente illégale. Ainsi, alors que rien ne permet d'estimer que le maître de l'ouvrage et la société titulaire auraient, par leurs agissements, transgressé délibérément les règles de transparence et d'égalité entre les candidats ou qu'ils révèleraient une collusion à son détriment, le moyen doit être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les fins de non-recevoir opposées en défense, que les conclusions présentées par la société Artenreel doivent être rejetées.
Sur les frais d'instance :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Artenreel la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Conflans-en-Jarnisy et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la société Artenreel est rejetée.
Article 2 : la société Artenreel versera à la commune de Conflans-en-Jarnisy la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société Artenreel, à la commune de Conflans-en-Jarnisy et à la société Artbee Conservation.
Délibéré après l'audience publique du 30 mai 2024 à laquelle siégeaient :
M. Di Candia, président,
Mme Bourjol, première conseillère,
Mme Philis, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2024.
La rapporteure,
A. BourjolLe président,
. O. Di Candia
Le greffier,
P.Lepage
La République mande et ordonne à la préfète de Meurthe-et-Moselle en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
No 2103468