TA Nantes, 04/08/2023, n°2310315

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire complémentaire enregistrés le 17 juillet et

31 juillet 2023, la SAS ADX Groupe, représentée par Me Ramaut, demandent au juge des référés :

1°) à titre principal, d'annuler la procédure de passation des lots n°1 et 3 du marché de " réalisation de diagnostics immobiliers sur le patrimoine de Sarthe Habitat " au stade de l'analyse des offres ;

2°) d'enjoindre à Sarthe Habitat, s'il entend conclure un marché ayant le même objet, de reprendre la procédure de passation au stade de l'examen des offres, en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre à Sarthe Habitat de lui communiquer le montant de l'offre globale de la société CICEA OCE au titres des lots n°1 et 3 ; d'assortir l'injonction d'une astreinte journalière ;

4°) de suspendre toutes les décisions qui se rapportent à la procédure de passation et en particulier ma décision de rejet de son offre en date du 7 juillet 2023 ainsi que la décision d'attribution du marché ;

5°) de mettre à la charge de Sarthe Habitat la somme de 3 000 €, en application des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- les dispositions des articles R.2181-3 et R.2181-4 du code de la commande publique ont été méconnus ;

- Sarthe Habitat n'a pas mis en œuvre la procédure de détection des offres anormalement basses.

Par un mémoire en défense enregistré le 25 juillet 2023, Sarthe Habitat, représenté par Me Collart, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SAS ADX Groupe la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Par un mémoire en observation enregistré le 26 juillet 2023, la SARL CICEA OCE représentée par Me Lalanne, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société requérante la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Giraud, vice-président, en application de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience publique du 1er août 2023, à 14h30.

Ont été entendus au cours de l'audience publique du 1 er août 2023 :

- le rapport de M. Giraud, juge des référés,

- les observations de Pasquet représentant la société ADX Groupe,

- les observations de Me Vally représentant Sarthe Habitat ;

- et les observations Me Gibierge, représentant la société CICEA OCE.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

Considérant ce qui suit :

1. La société ADX Groupe dans le dernier état de ses écritures demande à titre principal de l'annulation la procédure de passation des lots n°1 et 3 du marché de " réalisation de diagnostics immobiliers sur le patrimoine de Sarthe Habitat " au stade de l'analyse des offres qui a vu le marché être attribué à la société CICEA OCE et, à titre subsidiaire, à Sarthe Habitat de lui communiquer le montant de l'offre globale de la société CICEA OCE au titres des lots n°1 et 3.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, ou la délégation d'un service public. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I. Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. () ". Aux termes de son article L. 551-3 : " Le président du tribunal administratif ou son délégué statue en premier et dernier ressort en la forme des référés ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge du référé précontractuel de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

En ce qui concerne la communication des caractéristiques et avantages de l'offre retenue :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 2181-1 du code de la commande publique : " Dès qu'il a fait son choix, l'acheteur le communique aux candidats et aux soumissionnaires dont la candidature ou l'offre n'a pas été retenue, dans les conditions prévues par décret en Conseil d'Etat ". Aux termes de l'article R. 2181-1 du même code : " L'acheteur notifie sans délai à chaque candidat ou soumissionnaire concerné sa décision de rejeter sa candidature ou son offre. ". L'article R. 2181-3 de ce code énonce que : " La notification prévue à l'article

R. 2181-1 mentionne les motifs du rejet de la candidature ou de l'offre. / Lorsque la notification de rejet intervient après l'attribution du marché, l'acheteur communique en outre : / 1° Le nom de l'attributaire ainsi que les motifs qui ont conduit au choix de son offre ; / 2° La date à compter de laquelle il est susceptible de signer le marché dans le respect des dispositions de l'article R. 2182-1. ". Aux termes de l'article R. 2181-4 du code précité : " A la demande de tout soumissionnaire ayant fait une offre qui n'a pas été rejetée au motif qu'elle était irrégulière, inacceptable ou inappropriée, l'acheteur communique dans les meilleurs délais et au plus tard quinze jours à compter de la réception de cette demande : () / 2° Lorsque le marché a été attribué, les caractéristiques et les avantages de l'offre retenue. ".

5. D'autre part, au regard des règles de la commande publique, doivent être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché. Dans cette mesure, si notamment l'acte d'engagement, le prix global de l'offre et les prestations proposées par l'entreprise attributaire sont en principe communicables, ne sont, en revanche, pas communicables les documents qui reflètent la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et sont ainsi susceptibles de porter atteinte au secret commercial, tel le bordereau des prix unitaires de cette entreprise.

6. L'information sur les motifs du rejet de son offre dont est destinataire l'entreprise en application des dispositions précitées a, notamment, pour objet de permettre à la société non retenue de contester utilement le rejet qui lui est opposé devant le juge du référé précontractuel saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative. Par suite, l'absence de respect de ces dispositions constitue un manquement aux obligations de transparence et de mise en concurrence. Cependant, un tel manquement n'est plus constitué si l'ensemble des informations mentionnées aux articles R. 2181-3 et R. 2181-4 précités du code de la commande publique a été communiqué au candidat évincé à la date à laquelle le juge des référés statue et si le délai qui s'est écoulé entre cette communication et la date à laquelle le juge statue a été suffisant pour permettre à ce candidat de contester utilement son éviction.

7. Il résulte de l'instruction que, par son courrier du 7 juillet 2023 informant la société requérante du rejet de son offre, Sarthe Habitat a indiqué à la société ADX Groupe le nom de l'attributaire des lots n°1 et 3, à savoir la société CICEA OCE, en précisant le détail des notes attribuées aux offres respectives de la société requérante et de la société attributaire sur chacun des deux lots. La société requérante a demandé un complément d'information sur le détail des notes sur les sous-critères, le mérite respectif de chaque offre, le montant de l'offre de l'attributaire désigné, ce qui lui a été communiqué par Sarthe Habitat, à l'exception du montant global de l'offre au motif que s'agissant d'un marché à prix unitaire, la communication de celui-ci conduisait à dévoiler la stratégie financière de l'attributaire désigné. La société requérante indique bien qu'elle ne sollicite ni le bordereau de prix unitaire (BPU) ni le détail quantitatif estimatif (DQE) de la société CICEA OCE. Cependant, en sollicitant le montant global de l'offre de la société CICEA OCE, même si ce marché à prix unitaire est en réalité composé de deux lots composés de plusieurs prix unitaires, cela revient pour la société ADX Groupe à solliciter, compte tenu de la particularité du marché à prix unitaire, des éléments qui reflètent la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans ce secteur d'activité et est, de ce fait, couverte par le secret des affaires. La société ADX Groupe ne saurait dès lors faire grief à Sarthe Habitat de ne pas lui avoir transmis d'informations plus détaillées à cet égard. Dans ces conditions, la société requérante a été destinataire de l'ensemble des informations prévues par les dispositions citées au point 4. Par suite, le moyen tiré de ce que Sarthe Habitat aurait méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en raison d'une information insuffisante à cet égard doit être écarté.

En ce qui concerne -Sarthe Habitat n'a pas mis en œuvre la procédure de détection des offres anormalement basses :

8. Aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. ". Aux termes de l'article L. 2152-6 du code de la commande publique : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. "

9. Pour soutenir que les dispositions précitées auraient été méconnues, la société requérante soutient qu'en l'absence d'information sur le prix global du marché et compte tenu des écarts de notation sur le critère économique des deux lots, l'offre de l'attributaire serait anormalement basse. Cependant, compte tenu de ce qui a été dit au point 7, le montant de l'offre globale ne faisait pas partie des éléments communicables. De plus, l'écart constaté sur le seul critère économique, entre l'offre de la société attributaire et de la société requérante, seul élément invoqué pour justifier que l'offre de CICEA OCE serait anormalement basse, ne suffit pas, à lui seul, à démontrer que Sarthe Habitat aurait commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en œuvre la procédure de rejet des offres anormalement basses. Dès lors ce moyen doit être écarté.

10. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées par la société ADX Groupe doivent être rejetées.

Sur les frais du litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de Sarthe Habitat, qui n'est pas la partie perdante, le versement d'une somme au titre des frais exposés par la société ADX Groupe et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la société ADX Groupe le versement à Sarthe Habitat et à la société CICEA OCE d'une somme de 1 500 euros chacun au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.

O R D O N N E :

Article 1er : La requête présentée par la société ADX Groupe est rejetée.

Article 2 : La société ADX Groupe versera à Sarthe Habitat une somme de

1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : La société ADX Groupe versera à la société CICEA OCE une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ADX Groupe, à Sarthe Habitat et à la société CICEA OCE.

Fait à Nantes, le 4 août 2023.

Le juge des référés, La greffière,

T. GIRAUD P. LABOUREL

La République mande et ordonne au préfet de la Sarthe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

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