TA Nantes, 12/09/2023, n°2216117

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 7 décembre 2022 et le 23 mai 2023, la société mayennaise d'électricité et de chauffage (SMEC), représenté par Me Haudebert, demande au juge des référés :

1°) de condamner le département de la Sarthe à lui verser une provision de 250.520,29 euros TTC, en règlement du solde de son marché, assortie d'intérêts moratoires pour retard de paiement à compter du 9 septembre 2022 et d'une indemnité de recouvrement de 40 euros, en application de l'article R. 541-1 du code de justice administrative ;

2°) de mettre à la charge du département de la Sarthe une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a adressé au maître d'ouvrage, le département de la Sarthe, le 26 juillet 2022 avec copie au Maître d'œuvre, un projet de décompte général signé avec ses annexes et son mémoire en réclamation ; le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre ont accusé réception de ce projet de décompte général le 27 juillet 2022 ; en application de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux, le Maître d'ouvrage disposait d'un délai de 10 jours à compter du 27 juillet, soit jusqu'au lundi 8 août 2022 pour notifier son décompte général, ce qu'il n'a pas fait ; le projet de décompte général qu'elle a notifié doit être considéré comme étant le décompte définitif de l'opération en application de l'article 13.4.4 du CCAG ; sa créance n'est dès lors pas sérieusement contestable ;

- elle peut également prétendre au versement de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement prévue par l'article 9 du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 février 2023, le département de la Sarthe, représenté par Me Morice (Selarl Symchowicz-Weissberg) conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la SMEC une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens soulevés par la SMEC ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des marchés publics ;

- la loi n° 2013-100 du 28 janvier 2013 ;

- le décret n° 2013-269 du 29 mars 2013 ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Degommier pour statuer sur les demandes de référé.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. " ;

2. Dans le cadre de l'opération de restructuration et d'extension du Collège Bercé à Lusseau, le département de la Sarthe a attribué à la société mayennaise d'électricité et de chauffage (SMEC) le lot n° 16 " Electricité : Courant fort/Courant Faible ". Le marché a fait l'objet de trois avenants afin notamment de prendre en compte des travaux modificatifs exécutés par la société SMEC pour un montant total de 74.040,52 euros HT. La société SMEC a adressé un mémoire en réclamation en cours d'opération au département le 2 octobre 2019, sollicitant à ce titre une indemnisation de 234.407,91 euros, puis, après échanges avec le département, une nouvelle réclamation diminuée à la somme de 97.172,50 euros le 18 mai 2020. Entre temps, par décision du 26 décembre 2019, la réception des travaux a été prononcée et la date de fin des travaux a été fixée au 16 août 2019. Par courrier du 13 octobre 2020, le département a proposé de faire droit aux demandes de la SMEC à hauteur de 9.942, 50 euros au titre de l'excavation de vide sanitaire pour 5.621,00 euros HT et de la reprise de plans pour 4.321,50 euros HT. Le 3 novembre 2020, par un courrier écrit, l'entreprise a adressé une contreproposition d'indemnisation d'un montant de 25 000 euros, rejetée par le département de la Sarthe par courrier du 10 novembre 2020. La société SMEC a saisi le comité consultatif de règlement amiable des différends relatifs aux marchés publics (CCIRA) le 5 février 2021. Elle a par la suite adressé un projet de décompte final avec sa réclamation le 20 juin 2022 tant au Maître d'œuvre qu'au Maître d'ouvrage. Puis, en application de l'article 13.4.4 du CCAG Travaux, elle a adressé au département, par courrier reçu le 27 juillet 2022, avec copie au Maître d'œuvre, un projet de décompte général signé avec ses annexes et son mémoire en réclamation. Par courrier du 5 août 2022, le département a réitéré sa proposition d'indemnisation complémentaire et annoncé l'envoi à venir d'un décompte général.

3. La SMEC saisit le juge des référés d'une demande présentée sur le fondement de l'article R. 541-1 du code de justice administrative tendant à la condamnation de la collectivité à lui verser une provision de 250.520,29 euros, en se prévalant des stipulations de l'article 13.4.2. du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés de travaux.

4. L'ensemble des opérations auxquelles donne lieu l'exécution d'un marché public de travaux est compris dans un compte dont aucun élément ne peut être isolé et dont seul le solde arrêté lors de l'établissement du décompte général et définitif détermine les droits et obligations définitifs des parties.

5. Aux termes de l'article 13.4.2. du cahier des clauses administratives générales (CCAG) des marchés de travaux, applicable au marché en litige : " () Le représentant du pouvoir adjudicateur notifie au titulaire le décompte général à la plus tardive des deux dates ci-après : - trente jours à compter de la réception par le maître d'œuvre de la demande de paiement finale transmise par le titulaire ; - trente jours à compter de la réception par le représentant du pouvoir adjudicateur de la demande de paiement finale transmise par le titulaire. () ". L'article 13.4.4. du même cahier stipule que " Si le représentant du pouvoir adjudicateur ne notifie pas au titulaire le décompte général dans les délais stipulés à l'article 13.4.2, le titulaire notifie au représentant du pouvoir adjudicateur, avec copie au maître d'œuvre, un projet de décompte général signé, composé : - du projet de décompte final tel que transmis en application de l'article 13.3.1 ; - du projet d'état du solde hors révision de prix définitive, établi à partir du projet de décompte final et du dernier projet de décompte mensuel, faisant ressortir les éléments définis à l'article 13.2.1 pour les acomptes mensuels ; - du projet de récapitulation des acomptes mensuels et du solde hors révision de prix définitive. Dans un délai de dix jours à compter de la réception de ces documents, le représentant du pouvoir adjudicateur notifie le décompte général au titulaire. Le décompte général et définitif est alors établi dans les conditions fixées à l'article 13.4.3. Si, dans ce délai de dix jours, le représentant du pouvoir adjudicateur n'a pas notifié au titulaire le décompte général, le projet de décompte général transmis par le titulaire devient le décompte général et définitif. () Le décompte général et définitif lie définitivement les parties () ". En outre, aux termes de l'article 13.3.1. dudit cahier des clauses administratives générales " Le projet de décompte final est établi à partir des prix initiaux du marché, comme les projets de décomptes mensuels, et comporte les mêmes parties que ceux-ci, à l'exception des approvisionnements et des avances. Ce projet est accompagné des éléments et pièces mentionnés à l'article 13.1.7 s'ils n'ont pas été précédemment fournis ". Enfin aux termes de l'article 13.1.7 : " Le titulaire joint au projet de décompte mensuel les pièces suivantes, s'il ne les a pas déjà fournies : - les calculs des quantités prises en compte, effectués à partir des éléments contenus dans les constats contradictoires ; - le calcul, avec justifications à l'appui, des coefficients d'actualisation ou de révision des prix ; - le cas échéant, les pièces justifiant les débours, effectués au titre de l'article 26.4, dont il demande le remboursement ; - les copies des demandes de paiement des sous-traitants acceptées par le titulaire ".

6. Il résulte des pièces produites que la société SMEC a notifié sa demande de paiement finale au département de la Sarthe, avec copie au maître d'œuvre par courrier du 20 juin 2022. La collectivité n'ayant pas notifié le décompte général à la société SMEC à l'expiration des délais prévus à l'article 13.4.2 du CCAG précité, la société lui a notifié le 27 juillet 2022 un projet de décompte général. Il ne résulte pas de l'instruction que la société SMEC n'aurait pas adressé les justificatifs prévus aux articles 13.3.1 et 13.4.4. précités du CCAG. Sur ce dernier point, la société SMEC fait valoir sans être contestée avoir communiqué les pièces listées à l'article 13.1.7 du CCAG, et dont elle était redevable, avant l'envoi de son projet de décompte final, qu'elle n'a pas recouru à la sous-traitance, que son marché a été conclu à prix forfaitaire, que s'agissant du calcul des coefficients d'actualisation ou de révision des prix, elle s'est contentée de reporter la somme admise par le maître d'œuvre, aux termes des états d'acompte mensuels dressés par celui-ci. De même, la société a joint à son projet de décompte général du 26 juillet 2022, son projet de décompte final du 20 juin 2022 ainsi que les états d'acomptes mensuels. Le département de la Sarthe n'a pas notifié à la société SMEC de décompte général dans les dix jours suivant la réception du projet de décompte général de cette société. Ainsi, un décompte général et définitif existait à compter du 7 août 2022, en application des stipulations de l'article 13.4.4 du CCAG. Si le département de la Sarthe a adressé, en réponse au projet de décompte général, un courrier en date du 5 août 2022, ce courrier, outre qu'il a été notifié à la société SMEC le 23 août 2022, soit postérieurement au délai de dix jours prévu par l'article 13.4.4 précité du CCAG, se borne à réitérer la proposition de règlement d'un montant de 9 942,50 euros et à annoncer l'envoi " dans les prochains jours ", d'un décompte général.

7. Dans ces conditions, le département de la Sarthe ne saurait se prévaloir, ni des précédentes réclamations adressées par la SMEC, d'un montant différent, entre mai et novembre 2020, ni de la méconnaissance du principe de loyauté dans les relations contractuelles, ni du principe selon lequel une personne publique ne peut pas être condamnée à payer une somme qu'elle ne doit pas pour soutenir que la créance de la société est sérieusement contestable.

8. Il résulte de ce qui précède que la société SMEC est fondée à demander la condamnation du département de la Sarthe à lui verser la somme de 234 407,91 euros HT telle que figurant dans son projet de décompte général, à titre de provision.

9. Par ailleurs, aux termes de l'article 1er du décret du 29 mars 2013 relatif à la lutte contre les retards de paiement dans les contrats de la commande publique : " Le délai de paiement prévu au premier alinéa de l'article 37 de la loi du 28 janvier 2013 susvisée est fixé à trente jours () ". Aux termes du 2° du I de l'article 2 du même décret : " Pour le paiement du solde des marchés de travaux soumis au code des marchés publics, le délai de paiement court à compter de la date de réception par le maître d'ouvrage du décompte général et définitif établi dans les conditions fixées par le cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés de travaux ". Aux termes de l'article 7 : " Lorsque les sommes dues au principal ne sont pas mises en paiement (), le créancier a droit () au versement de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement () ". L'article 9 dispose : " Le montant de l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement est fixé à 40 euros ".

10. En application de ces dispositions, le département de la Sarthe est condamné à verser à la société SMEC, à titre de provision, les intérêts moratoires sur la somme de 234 407,91 euros HT à compter du 9 septembre 2022, ainsi que la somme de 40 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement.

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Sarthe, le versement d'une somme de 1 500 euros à la société SMEC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces dispositions font en revanche obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de cette société qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

O R D O N N E :

Article 1er : Le Département de la Sarthe est condamné à verser à la société mayennaise d'électricité et de chauffage (SMEC) à titre de provision, d'une part, la somme de 234 407,91 euros HT assortie des intérêts moratoires à compter du 9 septembre 2022 et, d'autre part, la somme de 40 euros correspondant à l'indemnité forfaitaire de recouvrement.

Article 2 : Le département de la Sarthe versera la somme de 1 500 euros à la société SMEC au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par le département de la Sarthe sont rejetées.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société mayennaise d'électricité et de chauffage (SMEC) et au département de la Sarthe.

Fait à Nantes, le 12 septembre 2023.

Le juge des référés,

S. DEGOMMIER

La République mande et ordonne au préfet de la Sarthe en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier,