TA Nîmes, 19/08/2024, n°2403024
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la procédure suivante :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 1er, 8 et 14 août 2024, l'association Centre Social Soleil Levant, représentée par son président en exercice, ayant pour avocat Me Garreau, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la procédure de passation engagée par la commune de Jonquières-Saint-Vincent en vue de la conclusion d'un marché public de services portant sur la gestion et l'organisation pédagogique des accueils de loisirs sans hébergement extrascolaires et périscolaires pour les enfants âgés de 3 à 11 ans ;
2°) d'enjoindre à cette commune de relancer la procédure d'appel d'offre dudit marché dans un délai de deux mois à compter de la notification l'ordonnance à intervenir, en y intégrant l'obligation de reprise du personnel litigieuse, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de cette commune la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
-la gestion et l'organisation de l'accueil périscolaire et extrascolaire constituant une entité économique autonome soumise à l'obligation de reprise des personnels d'animation et de direction en application de l'article L. 1224-1 du code du travail, les documents de la consultation devaient mentionner le coût de reprise de la masse salariale ; cette omission d'un élément essentiel du marché méconnait les principes d'égalité des candidats et de publicité et de mise en concurrence ;
- ce manquement a été susceptible de la léser dès lors qu'elle a formulé son offre en tenant compte de l'ancienneté des personnels affectés à l'activité ce qui a renchéri son offre et avantagé l'attributaire.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 août 2024, la commune de Jonquières-Saint-Vincent, représentée par Me Barnier de la SCP CGCB et associés, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge du Centre Social Soleil Levant la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'accueil et l'animation péri et extrascolaire ne constituant pas une activité comportant une finalité économique propre et étant dépourvus de locaux exclusivement dédiés ainsi que d'une clientèle à exploiter et leurs financements provenant aux trois quarts du prix payé par la commune, ils ne constituent pas une entité économique autonome soumise à l'obligation de reprise des personnels ; ni la convention collective Education, culture, loisirs et animation au service des territoires ni les conventions collectives applicables à l'attributaire ou à la requérante ne prévoient de reprise du personnel, si l'information sur ce point n'avait pas à figurer dans les documents de la consultation ;
- en tout état de cause la requérante n'a pas été lésée par le manquement allégué, en l'absence d'obligation de couvrir intégralement le coût de reprise du personnel, de démonstration du montant de la masse salariale liée à l'ancienneté des neuf titulaires et compte tenu de ce que l'écart entre les deux offres est notamment imputable à l'intégration par erreur d'indemnités de licenciement ; elle ne justifie pas davantage d'un intérêt lésé du fait de sa note technique de 4/5.
La procédure a été communiquée à la société IFAC qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Le président du tribunal a désigné Mme Chamot, vice-présidente, pour statuer sur les demandes en référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique tenue le 14 août 2024 à 14 heures 30, Mme Chamot a lu son rapport et entendu :
- les observations de Me Garreau, représentant l'association Centre Social Soleil Levant, en présence de son président, qui conclut aux mêmes fins que ses écritures ; il souligne en outre le caractère d'ordre public de l'obligation de reprise des personnels, que la commune méconnait expressément ; il précise que le surcoût lié à l'augmentation des niveaux de salaires et charges s'élève à 72 000 euros ; que l'offre présentée inclut en outre par anticipation 35 000 euros d'indemnités de licenciement pour le cas où l'association ne serait plus attributaire à l'issue du prochain marché ; que les agents désignés comme stagiaires sont bien des salariés, en cours d'acquisition de leur diplôme ; que si l'association a une cinquantaine de salariés, 18 agents sont spécialement été exclusivement affectés à l'accueil en centres de loisirs de la commune de Jonquières-Saint-Vincent
- et les observations de Me Wattrisse, représentant la commune de Jonquières-Saint-Vincent, qui conclut aux mêmes fins que le mémoire en défense ; elle souligne en outre que le surcoût lié à l'augmentation des niveaux de salarias et charges se limite à 39 000 euros et n'explique donc pas l'écart de prix entre les deux offres concurrentes, alors par ailleurs qu'il n'est pas démontré que les contrats des salariés de l'association ne seraient pas déjà échus.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 10 juin 2024 au bulletin officiel des annonces des marchés publics, la commune de Jonquières-Saint-Vincent a engagé une procédure adaptée en vue de l'attribution d'un marché public de services portant sur la gestion et l'organisation pédagogique des accueils de loisirs sans hébergement extrascolaires et périscolaires pour les enfants âgés de 3 à 11 ans Par une lettre du 24 juillet 2024, l'association Centre Social Soleil Levant a été informée du rejet de son offre finale, classée en deuxième position avec une note de 7,45 sur 10 contre 10 sur 10 pour l'offre de la société IFAC. L'association Centre Social Soleil Levant conteste la régularité de la procédure menée par la commune de Jonquières-Saint-Vincent.
Sur les conclusions présentées sur le fondement des articles L. 551-1 du code de justice administrative :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I - Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations. ".
3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 1224-1 du code du travail : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise ". Ces dispositions trouvent à s'appliquer en cas de transfert par un employeur à un autre employeur d'une entité économique autonome, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie et reprise par le nouvel employeur. Constitue une entité économique un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique qui poursuit un objectif propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par un autre exploitant.
5. Enfin, constitue un manquement aux obligations de mise en concurrence, susceptible d'avoir lésé indirectement l'ancien titulaire du marché au sens et pour l'application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative précité, l'absence de communication à l'un de ses concurrents, attributaire du marché, de l'information sur la masse salariale du personnel à reprendre en vertu d'obligations légales ou conventionnelles, ce défaut d'information ayant pu exercer une influence sur la présentation de l'offre de la société attributaire.
6. En l'espèce, tout d'abord, le secteur de l'accueil de loisirs sans hébergement péri et extrascolaires de la commune de Jonquières-Saint-Vincent s'adresse au public des enfants de 3 à 11 ans et fournit à ses usagers des services particuliers tels que de la garderie, des loisirs collectifs et le cas échéant des acheminements et de la restauration. Les circonstances que le public concerné ne constitue pas une clientèle commerciale et que les prestations facturées aux familles donnent lieu au versement de prestations de la caisse d'allocations familiales ne sont pas de nature à retirer à l'activité d'accueil de loisirs sans hébergement péri et extrascolaires son caractère d'activité économique poursuivant un objectif propre.
7. Ensuite, il ressort des stipulations des articles 7 et 8 du cahier des clauses techniques particulières du précédent marché et du marché en cause que le titulaire détermine librement la nature et le siège des activités et qu'il est responsable de son personnel. Il résulte de l'instruction que, dans le cadre du précédent marché, la gestion et l'organisation pédagogique des accueils de loisirs sans hébergement extrascolaires et périscolaires étaient assurées par une équipe de dix-huit personnes, composée d'une directrice, de deux agents d'encadrement et de quinze agents d'animation diplômés ou en cours de formation diplômante, spécifiquement et entièrement affectées à l'exécution de ces prestations, permettant ainsi à l'association Centre Social Soleil Levant, ancien attributaire, de fonctionner de façon autonome.
8. De plus, il résulte des stipulations de l'article 6-1 du cahier des clauses techniques particulières du précédent marché et du marché en cause que le titulaire dispose de locaux spécifiques et d'équipements mobiliers dédiés, mis à disposition par la commune sur les temps péri et extrascolaire au cours desquels les prestations sont effectuées. Les circonstances que d'autres locaux mis à disposition (réfectoire et espace garderie) soient communs aux écoles et que des locaux complémentaires soient mis à disposition sur réservation ne sont pas de nature à faire regarder l'exploitant comme ne disposant pas de moyens corporels significatifs pour l'exercice de ses prestations. Il résulte également des stipulations de l'article 6-4 du même document contractuel que le titulaire est tenu de faire l'acquisition des fournitures pour les ateliers et activités et d'assurer les acheminements au cours de la journée et transports pour les activités.
9. Par suite, l'activité faisant l'objet de la procédure de passation litigieuse doit être regardée comme constituant un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels et incorporels permettant l'exercice d'une activité économique poursuivant un objectif propre et donc une entité économique autonome, au sens des dispositions citées au point 4.
10. Dès lors qu'il n'est pas contesté que les prestations du marché en litige (accueil périscolaire du matin, midi et soir les lundi mardi jeudi vendredi - accueil périscolaire du mercredi - accueil extrascolaire durant les vacances scolaires hors Noël et trois dernières semaines d'août) sont, quant à leur objet, modalités et lieux d'exercice, identiques à celles prévues par le marché auparavant attribué à l'association requérante par un acte d'engagement conclu le 18 mai 2021 pour une durée de 12 mois reconduit tacitement deux fois, la désignation d'un nouvel attributaire lors de la procédure de passation litigieuse constitue un transfert d'entité économique autonome, conservant son identité, et dont l'activité est poursuivie et reprise par un nouvel employeur au sens des dispositions citées au point 4. Dès lors, contrairement à ce qu'a indiqué le pouvoir adjudicateur dans ses réponses aux questions posées par un candidat durant la consultation, il ne peut être dérogé aux dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail qui trouvent à s'appliquer au marché en litige.
11. Or, constitue un manquement aux obligations de mise en concurrence, susceptible d'avoir lésé indirectement l'ancien titulaire du marché, l'absence de communication de l'information sur la masse salariale du personnel à reprendre en vertu d'obligations légales ou conventionnelles, ce défaut d'information ayant pu exercer une influence sur la présentation de l'offre de la société attributaire alors même que son prix ne doit pas nécessairement assurer la couverture intégrale du coût correspondant à la reprise du personnel salarié.
12. En l'espèce, l'absence d'information des candidats quant au coût de la reprise du personnel a pu expliquer, par une sous-estimation des coûts de la masse salariale, la présentation par la société attributaire d'une meilleure offre, l'écart de notation avec l'association requérante, ancien titulaire, reposant certes non exclusivement mais essentiellement sur le critère du prix. En tout état de cause, l'exclusion expresse, dans les réponses aux questions des soumissionnaires, de l'obligation de reprise des personnels, règle d'ordre public prévue par les dispositions de l'article L. 1224-1 du code du travail, est susceptible d'avoir lésé l'association Centre Social Soleil Levant, quel qu'ait été son propre rang de classement à l'issue du jugement des offres.
13. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Centre Social Soleil Levant est fondée à demander l'annulation de l'ensemble de la procédure de passation engagée par la commune de Jonquières-Saint-Vincent en vue de la conclusion d'un marché public de services portant sur la gestion et l'organisation pédagogique des accueils de loisirs sans hébergement extrascolaires et périscolaires pour les enfants âgés de 3 à 11 ans.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le juge des référés précontractuels s'est vu conférer par les dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative le pouvoir d'adresser des injonctions à l'administration, de suspendre la passation du contrat ou l'exécution de toute décision qui s'y rapporte, d'annuler ces décisions et de supprimer des clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat. Dès lors qu'il est régulièrement saisi, il dispose - sans toutefois pouvoir faire obstacle à la faculté, pour l'auteur du manquement, de renoncer à passer le contrat - de l'intégralité des pouvoirs qui lui sont ainsi conférés pour mettre fin, s'il en constate l'existence, aux manquements de l'administration à ses obligations de publicité et de mise en concurrence.
15. Eu égard au manquement constaté, il y a lieu d'enjoindre à la commune de Jonquières-Saint-Vincent, si elle entend passer le marché en litige, de reprendre la procédure dans son intégralité en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence incluant l'information sur le personnel à reprendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente ordonnance, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
16. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune de Jonquières-Saint-Vincent le versement de la somme de 1 200 euros à l'association Centre Social Soleil Levant au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise, à ce titre, à la charge de l'association Centre Social Soleil Levant, qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante.
ORDONNE :
Article 1er : La procédure de passation engagée par la commune de Jonquières-Saint-Vincent en vue de la conclusion d'un marché public de services portant sur la gestion et l'organisation pédagogique des accueils de loisirs sans hébergement extrascolaires et périscolaires pour les enfants âgés de 3 à 11 ans est annulée.
Article 2 : Il est enjoint à la commune de Jonquières-Saint-Vincent, si elle entend passer un tel marché, de reprendre la procédure dans son intégralité en se conformant à ses obligations de publicité et de mise en concurrence incluant l'information sur le personnel à reprendre, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente ordonnance.
Article 3 : La commune de Jonquières-Saint-Vincent versera à l'association Centre Social Soleil Levant la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : La présente ordonnance sera notifiée à l'association Centre Social Soleil Levant, à la commune de Jonquières-Saint-Vincent et à la société IFAC.
Fait à Nîmes, le 19 août 2024.
La juge des référés,
C. CHAMOT
La République mande et ordonne au préfet du Gard en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2403024