TA Nîmes, 22/06/2023, n°2302015

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire enregistrés les 2 et 15 juin 2023, la SAS LACOSTE, représentée par Me Lanzarone, demande au juge des référés, statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative.

1°) d'annuler la procédure de passation d'appel d'offre relative à l'acquisition de fournitures de matériels scolaires à destination de la ville d'Orange- lot n° 1 Matériels scolaires hors manuel ;

2°) de mettre à la charge de la commune d'Orange une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que :

- le principe de transparence a été méconnu ainsi que le principe de l'égalité de traitement ;

- la commune n'a pas procédé au contrôle de l'exactitude des propositions faites ; le DQE ne précise rien sur sa période ; les références des articles des besoins exprimés ne sont pas demandées de sorte que la ville d'Orange était dans l'incapacité de procéder à l'analyse des offres ;

- le DQE a fondé le choix de la commune alors que le catalogue avec rabais n'a pas été analysé selon le RAO ;

Par des mémoires en défense, enregistrés les 14 jet 15 juin 2023, la commune d'Orange, représentée par Me Sindres, demande au juge des référés de rejeter la requête présentée par la SAS Lacoste et, et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le fait que les quantités énoncées au DQE ne soient pas supérieures ou égales aux montants minima de l'accord cadre n'est pas de nature à porter atteinte au principe de transparence et d'égalité de traitement des candidats ; elle a choisi de paramétrer le DQE en fonction de la commande type habituellement constatée par la commune au titre de la satisfaction des besoins correspondants ;

- tous les produits dont la collectivité a besoin ont été listés dans le DQE ;

- il appartenait à la société requérante de choisir les fournitures qu'elle proposerait et répondant aux caractéristiques indiquées dans le DQE ;

- les rabais consentis par la SAS Lacoste ont été pris en compte ; les prix pratiqués par les entreprises Lacoste et Pichon conduisent nécessairement au classement final retenu.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 juin 2023, la société Papeteries Pichon, représentée par Me Bracq de la Selarl Asterio, demande au juge des référés de rejeter la requête présentée par la société Lacoste et, et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la société requérante au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la société Lacoste ne justifie pas avoir été irrégulièrement évincée ;

- le DQE n'est nullement contractuel ;

- le DQE mentionne bien les références des produits sollicités ;

- les prix ont été fixés par les candidats sur la base de leurs catalogues ;

- les rabais n'avaient pas à être pris en compte ;

- la société requérante ne démontre nullement qu'elle avait une chance sérieuse de remporter le marché.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative ;

Le président du tribunal a désigné Mme Corneloup, présidente de la 2ème chambre, pour statuer sur les requêtes présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du même code.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique du 16 juin 2023 à 11h00 ont été entendus :

- le rapport de Mme Corneloup, juge des référés ;

- les observations de Me Lanzarone, représentant la SAS Lacoste, qui reprend et développe les conclusions et moyens de sa requête et du mémoire et précise en outre que :

* le changement de notes entre le 1er et le 2ème courrier de la commune ne permet pas de savoir à quel moment la CAO est intervenu ;

* la commune a choisi les produits proposés du DQE de la Société Papeteries Pichon de manière discrétionnaire ;

* le DQE n'est pas représentatif et est très éloigné du montant minimum de l'accord cadre ;

* le DQE n'est pas assez représentatif pour avoir un critère prix pondéré à 70 % ; * la commune parle en défense d'une commande type alors que cela n'apparaissait pas dans le règlement de consultation ;

* la commune d'Orange ne s'est focalisée que sur la valeur du DQE ;

* la commune n'a pas pris en compte le catalogue ;

* la commune n'a pas procédé au contrôle du montant des offres des DQE et s'est fié aux prix indiqués par la société Pichon alors qu'il existe des erreurs dans les prix proposés et que certains articles ne correspondent pas à ce qui est demandé ;

* une commune peut rectifier des erreurs matérielles mais ne peut pas aller au-delà ;

* elle a été nécessairement lésée par la méthode retenue.

- les observations de Me Chamalarias, représentant la commune d'Orange, qui reprend et développe ses écritures en défense et précise que :

* si deux courriers ont été adressés à la SAS Lacoste, il n'y a eu qu'une CAO ; la note de la SAS Lacoste a été rehaussée mais cela n'a pas d'incidence puisque l'offre économiquement la plus avantageuse reste celle de la société Pichon ;

* il y a certes des coquilles dans l'offre de la société Pichon mais cela ne change rien ; la SAS Lacoste reste plus chère ;

* le DQE correspond à un besoin ;

* les manquements n'ont pas lésé la SAS Lacoste ;

* la méthode de notation était claire ;

* l'intérêt public impose de ne pas annuler le marché compte tenu de la date de rentrée scolaire.

- les observations de Me Berlottier, représentant la Société Pichon, qui reprend et développe ses écritures en défense et précise que :

* aucun texte ne précise que le DQE corresponde aux besoins de la commune ; le DQE est complet : tous les items du DQE sont dans son catalogue ;

* la commune pouvait contrôler les prix donnés par les candidats ;

* le catalogue produit est contractuel ;

* la société Lacoste ne démontre pas en quoi elle a été lésée ;

* l'intérêt public impose de ne pas annuler le marché compte tenu de la date de rentrée scolaire.

La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.

1. Par un avis d'appel à la concurrence du 13 avril 2023, la commune d'Orange a lancé une consultation en vue de la conclusion d'un marché public de type accord-cadre à bons de commande, d'une durée de quatre années sans reconduction possible, composé de deux lots dont le lot n° 1 relatif aux matériels scolaires hors manuel, d'un montant minimum de 200 000 euros hors taxes et d'un montant maximum de 400 000 euros hors taxes. La SAS Lacoste a été informée par lettre électronique du 24 mai 2023 du rejet de son offre qu'elle avait présentée pour le lot n°1, classée en troisième position avec une note totale de 85,259 /100. Par un second courrier du 2 juin 2023. La SAS Lacoste a de nouveau été informée du rejet de son offre qu'elle avait présentée pour le lot n°1, classée en troisième position avec une note totale de 96,876/100. Par la présente requête, la SAS Lacoste demande sur le fondement des dispositions de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, l'annulation de la procédure de passation du marché en litige.

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat. ". L'article L. 551-2 du même code dispose que : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ".

3. Il appartient au juge administratif, saisi en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, de se prononcer sur le respect des obligations de publicité et de mise en concurrence incombant à l'administration. En vertu de cet article, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles qui sont susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient, dès lors, au juge des référés précontractuels de rechercher si l'opérateur économique qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésé ou risquent de le léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant un opérateur économique concurrent.

4. Si la SAS Lacoste a été destinataire de deux courriers de rejet de son offre, il résulte de l'instruction que la commission d'appel d'offres s'est réunie le 23 mai 2023 et que la SAS Lacoste a obtenu la note de 96,876/ 100 ainsi que cela lui a bien été indiqué dans le deuxième courrier de rejet de son offre du 2 juin 2023. Ainsi nonobstant le fait qu'elle ait reçu un 1er courrier comportant des informations erronées, la SAS Lacoste n'est pas fondée à soutenir que la CAO aurait été irrégulièrement saisie deux fois.

5. Aux termes de l'article R. 2152-7 du code de la commande publique : " Pour attribuer le marché au soumissionnaire ou, le cas échéant, aux soumissionnaires qui ont présenté l'offre économiquement la plus avantageuse, l'acheteur se fonde : / () 2° Soit sur une pluralité de critères non discriminatoires et liés à l'objet du marché ou à ses conditions d'exécution, parmi lesquels figure le critère du prix ou du coût et un ou plusieurs autres critères comprenant des aspects qualitatifs, environnementaux ou sociaux. / () ".

6. En premier lieu, le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Toutefois, ces méthodes de notation sont entachées d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, elles sont par elles-mêmes de nature à priver de leur portée les critères de sélection ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publiques, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, de telles méthodes de notation.

7. En l'espèce, l'article 17 du règlement de consultation prévoit que le classement des offres et le choix du/des attributaires sont fondées sur l'offre économiquement la plus avantageuse appréciée en fonction des critères pondérés notés sur 100 et énoncées ci-dessous : / 1. Critère Prix des prestations pondéré à 70%. La notation du critère sera effectuée suivant la formule suivante : Formule inversement proportionnelle, soit : Note = (montant HT le moins élevé) / (montant HT proposé pour cette offre) * note maxi. / 2. Critère valeur technique pondéré à 30%. / 2.1 Sous- critère Délai de livraison 2.2 Sous-critère Organisation et qualité du suivi de la commande 2.3 Sous-Critère Qualité du SAV 2.4 Sous-critère Qualité et diversité des produits.

8. La société requérante soutient que la commune d'Orange ne s'est fondée que sur le DQE dont le montant n'était pas conforme au niveau minimum-maximum de commande exigé et que les références des articles des besoins exprimés dans le DQE n'étaient pas précisées de sorte que la commune a procédé à un choix discrétionnaire en méconnaissance du principe de transparence.

9. Il résulte de l'instruction, en l'espèce du procès-verbal de jugement des offres de la commission d'appel d'offres du 24 mai 2023, qu'en ce qui concerne le critère Prix des prestations pondéré à 70 %, la formule inversement proportionnelle a été appliquée sur le total d'un DQE représentatif des besoins. Il est constant que le règlement de consultation n'indiquait pas que la formule inversement proportionnelle serait appliquée sur le total du DQE produit dans le dossier de consultation. Il ressort en outre du rapport d'analyse des offres que l'offre de la société Papeteries Pichon a été recalculée avec les bonnes quantités. Au surplus, il n'est pas contesté que le DQE de société Papeteries Pichon comportait des erreurs notamment sur les ballons de baudruche, certes présent dans son catalogue mais pas à la page indiquée dans le DQE. Dès lors, il n'est pas en l'espèce établi que l'appréciation des mérites respectifs des offres de la société Papeteries Pichon et de la société Lacoste, classée en troisième position, a été opérée dans le respect des principes d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures. Ce vice a, en l'espèce, lésé la société requérante, qui a obtenu une note moins élevée que l'entreprise attributaire du contrat s'agissant du critère relatif au prix.

10. Il résulte de tout ce qui précède qu'eu égard à la nature du vice qui entache la procédure de passation de l'accord-cadre à bon de commande, la société Lacoste est fondée à demander l'annulation de cette procédure concernant le lot n° 1 relatif aux matériels scolaires usuels hors manuels.

11. L'article L. 551-2 du même code dispose : " Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations ". Il résulte des termes mêmes de l'article L. 551-2 du code de justice administrative précité, que si le juge des référés peut ne pas suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat lorsqu'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives résultant de telles mesures de suspension pourraient l'emporter sur leurs avantages, ces dispositions ne sont pas applicables s'il estime que les manquements relevés doivent avoir pour conséquence l'annulation de la procédure. Dès lors, la commune d'Orange et la Société Papeteries Pichon ne peuvent utilement invoquer l'existence d'un intérêt général qui ferait obstacle à la suspension d'une décision se rapportant à la passation du contrat dès lors que les manquements relevés sont de nature à justifier l'annulation de la procédure de passation du contrat.

Sur l'application de l'article L.761-1 du code de justice administrative :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge la SAS Lacoste qui n'est pas, dans la présente instance la partie perdante, la somme que la commune d'Orange et la société Papeteries Pichon demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la SAS Lacoste et de mettre à la charge de la commune d'Orange une somme de 1 500 euros.

ORDONNE :

Article 1er : La procédure de passation d'appel d'offre relative à l'acquisition de fournitures de matériels scolaires de la ville d'Orange- lot n° 1 Matériels scolaires hors manuel est annulée.

Article 2 : La commune d'Orange versera à la SAS Lacoste une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la SAS Lacoste, à la commune d'Orange et à la société Papeteries Pichon.

Fait à Nîmes, le 22 juin 2023.

Le juge des référés,

F. CORNELOUP

La République mande et ordonne à la préfète de Vaucluse en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°2302015