TA Nouvelle-C, 13/07/2023, n°2200436

Vu la procédure suivante :

Par une requête et quatre mémoires, enregistrés les 20 décembre 2022, 28 avril, 8 mai, 22 mai et 15 juin 2023, la société à responsabilité limitée Air Alizé, représentée par le cabinet Palmier-Brault-Associés, demande au tribunal :

1°) de condamner le centre hospitalier territorial Gaston Bourret (CHT) à lui verser la somme de 2 516 828 francs CFP à actualiser en réparation du préjudice subi par l'absence de revalorisation des prix des prestations du marché à hauteur de 3 % ;

2°) de condamner le centre hospitalier territorial Gaston Bourret à lui verser la somme de 26 763 648 francs CFP à actualiser en réparation du préjudice subi par l'absence de paiement des prestations hors marché d'urgences ambulancières selon les mêmes prix que ceux prévus au marché ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier territorial Gaston Bourret la somme de 600 000 francs CFP en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa demande n'est aucunement tardive dès lors que l'article R. 421-1 du code de justice administrative ne s'applique pas aux marchés ; la demande d'indemnisation des préjudices résultant du refus de payer les prestations d'urgence ambulatoire n'est pas non plus tardive ; aucune forclusion ne peut être retenue à son encontre ;

- l'article 6 du CCAP prévoit qu'elle a droit à une révision des prix annuels dans la limite de 3 % des prix du marché ; le CHT a donné son accord pour une révision des prix à hauteur de 3 % le 12 avril 2022 à la suite de sa demande du 17 mars 2022 ; elle a ainsi facturé les prestations effectuées à compter d'avril 2022 selon cette nouvelle tarification ;

- le CHT, ayant indiqué que seul un avenant pouvait permettre l'application de nouveaux tarifs, a transmis un projet d'avenant le 18 mai 2022 prévoyant une révision des prix de 2 % à compter de sa signature ; elle a répondu, le 19 mai 2022, par un projet d'avenant prévoyant une révision des prix de 3 % à compter du 1er avril 2022 ; à la suite d'une nouvelle demande, le CHT a confirmé son accord pour limiter à 2 % la révision des prix, ce qui constitue un différend au sens de l'article 34 du cahier des clauses administratives générales de la délibération du 10 mai 1989, qui a donné lieu à un mémoire en réclamation du 1er juillet 2022 qui a fait l'objet d'une décision de rejet par courrier du 16 août 2022 ;

- elle a ainsi droit à l'indemnisation des préjudices subis pour absence de révision à hauteur de 3 % pour un montant de 2 516 828 francs CFP ; elle aurait même droit à une indemnité d'imprévision en raison de la hausse des prix des matières premières, en dehors de tout mécanisme de révision des prix ; elle a ainsi droit a minima à une révision des prix de 3 % qui est justifiée par les pièces produites, soit 2 516 828 francs CFP pour les mois d'avril, mai et juin 2022 ; elle subit ainsi un préjudice d'exploitation ; d'ailleurs le CHT a accepté pour l'année 2023 une revalorisation des prix de 3 %, par avenant ;

- elle a par ailleurs subi un préjudice en raison du refus du CHT de rémunérer les prestations " hors marchés " d'urgences ambulancières ; elle a fait état de cette situation par courrier du 15 novembre 2021 qui a fait l'objet d'un refus par courrier du 13 décembre 2021 du CHT ; le CHT a adressé un projet d'avenant le 25 mai 2022 pour intégrer ces prestations ambulancières ce qui constitue un différend au sens de l'article 34 du CCAG-FCS ; les transports d'urgence sans équipe médicale sont interdits et elle ne peut assurer ces transports dans de telles conditions ; elle a donc droit à une indemnisation pour ces prestations " hors marché " que le CHT lui a demandées d'effectuer et qui représentent un montant de 26 763 648 francs CFP.

Par trois mémoires en défense, enregistrés les 27 février, 5 mai et 13 juin 2023, le centre hospitalier territorial Gaston Bourret, représenté par la SELARL DetS Legal, conclut au rejet de la requête et demande qu'une somme de 500 000 francs CFP soit mise à la charge de la société requérante en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- la requête est irrecevable pour tardiveté dès lors que la requête n'a été enregistrée que plus de deux mois après la décision de rejet de la réclamation ;

- la demande tendant à l'indemnisation des prestations ambulancières a été présentée tardivement au regard des délais fixés à l'article 34 du CCAG-FCS ;

- aucune faute ne peut être retenue à son encontre pour avoir accepté une révision de 2% dès lors que les justifications avancées pour l'obtention d'une révision de 3% ne sont pas suffisantes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 et la loi n° 99-210 du 19 mars 1999 ;

- la délibération n° 136/CP du 1er mars 1967 ;

- la délibération n° 64/CP du 10 mai 1989 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Pilven, premier conseiller ;

- les conclusions de Mme Peuvrel, rapporteure publique ;

- et les observations de Me Arcangeli, avocat du centre hospitalier territorial Gaston Bourret.

Considérant ce qui suit :

1. Le centre hospitalier territorial Gaston Bourret a conclu le 13 janvier 2020 un marché de prestations de service avec la SARL Air Alizé relatif aux missions de transport sanitaires par avion du SAMU. La SARL Air Alizé a demandé le 17 mars 2022 au CHT une révision des prix à hauteur de 3 % et fait application des prix révisés à compter du mois d'avril 2022. Par courrier du 11 mai 2022, le CHT l'a informée de la nécessité d'un avenant dont elle a transmis le projet le 18 mai 2022 en fixant la révision des prix à 2 %. La société requérante a entendu que cet avenant mentionne une révision des prix à hauteur de 3 % et a demandé, par courrier du 1er juin 2022 au CHT son accord sur ce point. Le CHT lui ayant répondu par courrier du 7 juin 2022 que la révision serait limitée à 2 %, la SARL Air Alizé a adressé le 1er juillet 2022, un mémoire en réclamation qui a fait l'objet d'une décision de rejet par le CHT le 16 août 2022. La société requérante demande l'indemnisation du préjudice subi pour refus de réviser les prix du marché à hauteur de 3 % d'un montant de 2 516 828 francs CFP ainsi que l'indemnisation du préjudice correspondant aux prestations " hors marché " d'urgences ambulancières pour un montant de 26 763 648 francs CFP.

Sur la demande de paiement de la somme de 2 516 828 francs CFP en réparation du refus de réviser le marché de 3 %

2. Aux termes de l'article 6 du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) applicable au marché : " 6.2.1 Révision annuelle : Les prix sont considérés comme fermes durant la première année de mise en service opérationnel des appareils à compter de leur mise à disposition (). Avant la fin de chaque période annuelle, () le titulaire du marché pourra proposer ses nouveaux prix, accompagnés de tous les justificatifs nécessaires, qui donneront lieu à négociation avec le CHT. Les prix ne pourront pas être augmentés annuellement de plus de 3 % à activité comparable en référence aux 700 heures de vol annuelles constituant le volume annuel estimé au total pour l'utilisation des moyens de transport médical d'urgence par avion du SAMU. (). Si aucun accord ne pouvait être trouvé sur les nouveaux prix, dans un délai d'un mois après le début de la négociation, le CHT se réserve le droit de ne pas reconduire le marché. 6.2.2 Révision exceptionnelle. En cas de variation exceptionnelle du coût des matières premières (exemple : kérosène) en raison de conditions économiques extérieures et indépendantes de la volonté du titulaire, celui-ci pourra solliciter une révision des prix du marché. A cette fin, le titulaire doit : en informer le CHT par écrit, lui fournir les éléments de preuve (locaux et internationaux) précis justifiant de l'impact de l'évolution de ces coûts sur les prix (). La demande du titulaire fera l'objet d'une négociation avec le CHT () ".

3. La société requérante demande le versement de la somme de 2 516 828 francs CFP en soutenant qu'elle a subi des préjudices d'exploitation liés au refus du CHT de réviser le marché à hauteur de 3 % pour les mois d'avril, mai et juin 2022. Elle précise aussi qu'en tout état de cause, elle aurait droit sur le fondement de la théorie de l'imprévision à une réévaluation de ces tarifs, en dehors de tout mécanisme de révision des prix et même au-delà de 3%, en raison notamment de la hausse des prix des matières premières.

4. Le CCAP applicable au marché, et mentionné au point 3, prévoit une procédure de révision après négociation en fonction des pièces justificatives produites par la SARL Air Alizé et non un mécanisme de calcul fondé soit sur une référence, soit sur l'application d'une formule représentative de l'évolution du coût de la prestation, soit sur une combinaison des deux. Si la société requérante produit des justificatifs de l'évolution de certains coûts, notamment l'augmentation des salaires du personnel à hauteur de 2 %, des coûts d'assurance, des tarifs douaniers, des coûts d'approvisionnement, des coûts du carburant, elle ne formule aucun calcul précis permettant de savoir la part de ces augmentations dans le coût global de la prestation, le détail de chaque évolution de coût en pourcentage du montant global de nature à déterminer si le renchérissement justifierait une révision des prix de 2 %, comme cela a été admis par le CHT, ou de 3 % comme elle le demande. Ainsi, si elle précise que la graisse a vu son prix multiplié par douze, il n'est pas indiqué le pourcentage de ce coût spécifique dans l'ensemble des coûts de la prestation. De même si l'augmentation du prix du carburant a représenté un coût supplémentaire total de 1 614 600 francs CFP en 2021 soit 134 500 francs CFP par mois, la société requérante ne précise pas quels postes permettraient de justifier en dehors d'une augmentation de 403 500 francs CFP du carburant sur trois mois la somme totale de 2 516 828 francs CFP pendant cette période d'avril à juin 2022. Par ailleurs, comme le souligne le CHT, certaines dépenses ne sauraient être prises en compte dans le calcul du prix de révision, comme l'augmentation des heures de vol dès lors qu'elles ont fait l'objet d'un forfait dans le marché avec la prise en compte d'une modulation selon le nombre d'heures de vol, ainsi que l'investissement réalisé par l'acquisition d'un appareil plus récent dès lors qu'il appartient à la société requérante de mettre un appareil en bon état à disposition du CHT et que ce coût ne rentre pas dans le calcul de la révision des prix, sauf accord du CHT. Si la société requérante se fonde aussi sur la théorie de l'imprévision, qui est déjà prévue par l'article 6.2.2 du CCAP, elle n'apporte pas plus d'éléments de nature à établir que la révision des prix acceptée par le CHT à hauteur de 2% ne permettrait pas de faire face à l'augmentation des coûts subis, notamment des matières premières et du carburant, ni même que l'économie du contrat serait bouleversée. Ainsi sa demande tendant au paiement d'une somme de 2 516 828 francs CFP ne peut être que rejetée, alors au demeurant que cette somme ne tient pas compte de la révision de 2% déjà acceptée par le CHT.

Sur la demande d'indemnisation des prestations " hors marché " d'urgences ambulancières.

5. Aux termes de l'article 34 du cahier des clauses administratives générales de fournitures courantes et de service applicable au marché : " 34.1. Tout différend entre le titulaire et la personne responsable du marché doit faire l'objet de la part du titulaire d'un mémoire de réclamation qui doit être communiqué à la personne responsable du marché dans le délai de trente jours compté à partir du jour où le différend est apparu. 34.2 La personne publique dispose d'un délai de deux mois compté à partir de la réception du mémoire de réclamation pour notifier sa décision. L'absence de décision dans ce délai vaut rejet de la réclamation. ".

6. La SARL Air Alizé soutient par ailleurs qu'elle a subi un préjudice en raison du refus du CHT de rémunérer les prestations dites " hors marchés " correspondant aux urgences ambulancières. Elle a fait état de cette situation par courrier du 15 novembre 2021 qui a fait l'objet d'un refus en date du 13 décembre 2021 du CHT. Ce refus du CHT doit être regardé comme constituant un différend au sens de l'article 34 du CCAG-FCS mentionné au point 6. Or elle a formé une réclamation le 7 juillet 2022, au-delà du délai d'un mois prévu par l'article 34 mentionné plus haut, après le refus opposé par le CHT à sa demande, de sorte que sa réclamation doit être rejetée comme tardive.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il ait besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le CHT, que les demandes formées par la société requérante ne peuvent qu'être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre la somme de 180 000 francs CFP à la charge de la SARL Air Alizé à verser au CHT Gaston Bourret en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la SARL Air Alizé est rejetée.

Article 2 : La SARL Air Alizé versera la somme de 180 000 francs CFP au centre hospitalier territorial Gaston Bourret en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à la société à responsabilité limitée Air Alizé et au centre hospitalier territorial Gaston Bourret.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Sabroux, président,

M. Pilven, premier conseiller,

M. Briquet, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.

Le rapporteur,

J-E PILVENLe président,

D. SABROUX Le greffier,

J. LAGOURDE

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