TA Orléans, 14/06/2024, n°2201734


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés le 20 mai 2022, le 22 avril 2024 et le 7 mai 2024, la SAS Restauration Orléanaise Construction, représentée par Me Fortat, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler, ou à défaut de résilier, le lot n°1 " installations - maçonnerie - taille de pierre " du marché de travaux de restauration du donjon et de la chemise du château de Montrichard de la commune de Montrichard Val de Cher ;

2°) de condamner la commune de Montrichard Val de Cher à lui verser une somme de 199 836 euros hors taxes en réparation des préjudices subis du fait de son éviction irrégulière ;

3°) de condamner solidairement la commune de Montrichard Val de Cher et la société Lefèvre Centre Ouest au versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

En ce qui concerne la contestation de la validité du contrat :

- l'offre de la société Lefèvre était irrégulière dès lors qu'elle propose un délai d'exécution de 18 mois qui est différent du délai de 20 mois prescrit sans aucune modification par le règlement de la consultation ;

- l'application irrégulière d'un critère d'appréciation de la valeur technique des offres, en l'espèce le délai d'exécution des travaux, non prévu par le règlement de la consultation a manifestement avantagé l'attributaire ;

- la méconnaissance de l'article 8 du règlement de la consultation en ayant autorisé la société Lefèvre Centre Ouest, candidat attributaire, à réaliser des prélèvements sur site et à les analyser avant la remise de son offre, sans en informer les autres candidats, constitue un avantage injustifié contraire au principe d'égalité de traitement des candidats ;

- la procédure de consultation n'a pas présenté les garanties d'impartialité suffisantes compte tenu de la communauté d'intérêts entre un membre du groupement de maîtrise d'œuvre et la société attributaire ;

- l'accumulation des vices commis au cours de la procédure de sélection des offres traduit la volonté de la commune de favoriser la société attributaire ;

En ce qui concerne l'indemnisation :

- les illégalités commises par la commune de Montrichard Val de Cher dans le cadre de la procédure de passation du marché constituent des fautes de nature à engager la responsabilité de l'administration et par suite à l'obliger à réparation du fait de son éviction irrégulière ;

- elle présentait des chances sérieuses d'être retenue dès lors qu'elle a été classée en deuxième position et que son offre d'excellente qualité technique était moins-disante par rapport à l'offre sélectionnée et par suite elle bénéficie d'un droit à indemnisation du manque à gagner constitué du bénéfice net que lui aurait procuré l'exécution du marché pour un montant de 199 836 euros en réparation du préjudice subi.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 13 octobre 2023 et le 7 mai 2024, la commune de Montrichard Val de Cher, représentée par Me Rainaud, conclut, à titre principal, au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Restauration Orléanaise Construction la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, à titre subsidiaire, à la condamnation de la société Trait Carré Architectes à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre et à ce qu'il soit mis à la charge de ladite société la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire est inopérant ;

- le moyen tiré de l'application d'un critère relatif au délai d'exécution des travaux non prévu par le règlement de la consultation est inopérant ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 du règlement de la consultation en autorisant la société attributaire à réaliser des prélèvements sur site est inopérant ;

- les autres moyens ne sont pas fondés.

Par des mémoires en intervention, enregistrés le 22 avril 2024 et le 7 mai 2024, la SAS Lefèvre Centre Ouest, représentée par Me Soy, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société Restauration Orléanaise Construction la somme de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le moyen tiré de l'irrégularité de son offre manque en fait ;

- le moyen tiré de l'application d'un critère relatif au délai d'exécution des travaux non prévu par le règlement de la consultation manque en fait dès lors que le courrier de rejet sur lequel s'appuie la société requérante n'est pas le rapport d'analyse des offres, et est inopérant dès lors que la société requérante a obtenu une meilleure note sur ce sous-critère de sorte que l'irrégularité soulevée n'a pas lésé ses intérêts ;

- les autres moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 24 avril 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 7 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 ;

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Keiflin,

- les conclusions de M. Joos, rapporteur public,

- et les observations de Me Liaud, substituant Me Fortat, représentant la SAS Restauration Orléanaise Construction, de Me Rainaud, représentant la commune de Montrichard Val de Cher, et de Me Gally, substituant Me Soy, représentant la société Lefèvre Centre Ouest.

Une note en délibéré présentée par Me Fortat pour la SAS Restauration Orléanaise Construction a été enregistrée le 5 juin 2024.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel à la concurrence, la commune de Montrichard Val de Cher (Loir-et-Cher) a lancé une procédure adaptée en vue de la conclusion d'un marché de travaux pour la restauration du donjon et de la chemise du château de Montrichard. Ce marché était divisé en deux lots : le premier lot sur les " installations - maçonnerie - pierre de taille " et le second lot sur les " ferronneries ". Par une délibération du conseil municipal du 19 octobre 2021, la procédure de consultation engagée le 9 juillet 2021 a été déclarée sans suite pour le lot n°1. Une nouvelle consultation a été lancée en décembre 2021 pour le lot n° 1 au motif d'irrégularités lors de l'analyse et du classement des offres. La société Restauration Orléanaise Construction (ROC) a présenté une offre pour un montant de 1 844 852,63 euros hors taxes. Par un courrier du 23 mars 2022, le maire de la commune de Montrichard Val de Cher a informé la société requérante que son offre était classée en deuxième position sur les trois offres reçues et analysées et que le lot n°1 du marché était attribué à la société Lefèvre pour un montant de 1 934 965,02 euros hors taxes. Le marché a été signé le 25 mars 2022 entre la commune de Montrichard Val de Cher et la société attributaire. Par un courrier du 20 mai 2022, la société ROC a présenté une demande indemnitaire préalable en réparation du préjudice subi du fait de son éviction. La société requérante demande au tribunal, d'une part, de prononcer l'annulation ou, à défaut, la résiliation dudit marché, et, d'autre part, de condamner la commune de Montrichard Val de Cher à l'indemniser des préjudices subis du fait de son éviction.

Sur l'intervention volontaire de la société attributaire du marché :

2. La société Lefèvre Centre Ouest étant la société attributaire du marché justifie d'un intérêt suffisant à intervenir dans l'instance. Son intervention est donc admise.

Sur le recours en contestation de la validité du contrat :

3. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat, ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat, un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini.

4. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

En ce qui concerne le vice tiré de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire :

5. Le réglement de la consultation d'un marché est obligatoire dans toutes ses mentions. L'administration ne peut, dès lors, attribuer le marché à un candidat qui ne respecterait pas une des prescriptions imposées par ce règlement.

6. Aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. " Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. ".

7. Aux termes de l'article 6 du règlement de la consultation : " les délais d'exécution figurent à l'acte d'engagement (article 3). Ils sont proposés par le maître d'ouvrage et le maître d'œuvre. " Aux termes de l'article 3 " présentation des offres " du règlement de la consultation : " le projet de marché comprend : () - le planning signé dans les conditions prévues à l'acte d'engagement (à accepter sans aucune modification). " Aux termes de l'article 3 de l'acte d'engagement : " Le délai d'exécution est fixé à 20 mois pour une tranche unique ".

8. Si la société requérante soutient que l'offre retenue est irrégulière dès lors qu'elle prévoit un délai d'exécution de 18 mois au lieu de 20 mois, il résulte de l'instruction que le délai d'exécution fixé à 20 mois par les documents de la consultation ne présente pas de caractère impératif, et en tout état de cause, que ce délai constitue une prescription qui n'est assortie d'aucune interdiction quant à la faculté pour les candidats de proposer un délai moindre. La circonstance que le règlement de consultation prévoit que le projet de marché comprend " le planning signé dans les conditions prévues à l'acte d'engagement (à accepter sans aucune modification) " alors que ce même document indique que les délais d'exécution sont proposés conjointement par le maître de l'ouvrage et le maître d'œuvre n'est pas de nature à établir l'irrégularité de l'offre de la société attributaire. Dans ces conditions, quand bien même le délai d'exécution de l'attributaire est inférieur au délai d'exécution des travaux fixé lors de la consultation, et alors qu'au surplus ce délai constituait un élément d'appréciation susceptible de négociation avec le pouvoir adjudicateur, la société attributaire a respecté le délai maximal prévu par les documents de la consultation. Ainsi, le délai de 18 mois proposé par la société attributaire n'est pas de nature à vicier l'offre retenue et n'a pas non plus affecté les chances de la société requérante d'obtenir le marché, alors notamment qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette offre, classée deuxième, aurait été irrégulière, incomplète ou inacceptable. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de l'offre de la société attributaire Lefèvre Centre Ouest doit être écarté.

En ce qui concerne le vice tiré de l'application irrégulière d'un critère d'appréciation non prévu par le règlement de la consultation :

9. Pour assurer le respect des principes de liberté d'accès à la commande publique, d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, l'information appropriée des candidats sur les critères d'attribution d'un marché public est nécessaire, dès l'engagement de la procédure d'attribution du marché, dans l'avis d'appel public à concurrence ou le cahier des charges tenu à la disposition des candidats. Dans le cas où le pouvoir adjudicateur souhaite retenir d'autres critères que celui du prix, il doit porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation de ces critères. Il doit également porter à la connaissance des candidats la pondération ou la hiérarchisation des sous-critères dès lors que, eu égard à leur nature et à l'importance de cette pondération ou hiérarchisation, ils sont susceptibles d'exercer une influence sur la présentation des offres par les candidats ainsi que sur leur sélection et doivent en conséquence être eux-mêmes regardés comme des critères de sélection. Il n'est, en revanche, pas tenu d'informer les candidats de la méthode de notation des offres.

10. Le pouvoir adjudicateur définit librement la méthode de notation pour la mise en œuvre de chacun des critères de sélection des offres qu'il a définis et rendus publics. Il peut ainsi déterminer tant les éléments d'appréciation pris en compte pour l'élaboration de la note des critères que les modalités de détermination de cette note par combinaison de ces éléments d'appréciation. Une méthode de notation est toutefois entachée d'irrégularité si, en méconnaissance des principes fondamentaux d'égalité de traitement des candidats et de transparence des procédures, les éléments d'appréciation pris en compte pour noter les critères de sélection des offres sont dépourvus de tout lien avec les critères dont ils permettent l'évaluation ou si les modalités de détermination de la note des critères de sélection par combinaison de ces éléments sont, par elles-mêmes, de nature à priver de leur portée ces critères ou à neutraliser leur pondération et sont, de ce fait, susceptibles de conduire, pour la mise en œuvre de chaque critère, à ce que la meilleure note ne soit pas attribuée à la meilleure offre, ou, au regard de l'ensemble des critères pondérés, à ce que l'offre économiquement la plus avantageuse ne soit pas choisie. Il en va ainsi alors même que le pouvoir adjudicateur, qui n'y est pas tenu, aurait rendu publique, dans l'avis d'appel à concurrence ou les documents de la consultation, une telle méthode de notation.

11. Aux termes du point 2 de l'article 4 " élimination du candidat et jugement des offres " du règlement de la consultation : " () Le jugement des offres sera effectué à partir des critères pondérés suivants : 1. Valeur technique de l'offre : 60 points ; 2. Prix des travaux : 40 points. (). Valeur technique de l'offre (60 points) : () sous critères de la valeur technique de l'offre : 2. Description des effectifs consacrés au chantier, au regard des délais d'exécution fixés (plan de charge du personnel du chantier), organigramme du personnel affecté à l'opération, () : 10 points ".

12. La société requérante soutient que le pouvoir adjudicateur a fait application d'un critère relatif aux délais d'exécution non prévu par le règlement de la consultation, ce qui a été effectué à l'avantage de la société attributaire dès lors que le délai d'exécution proposé dans son offre a été déterminante dans l'appréciation qui en a été faite. En outre, si la société ROC soutient que les motifs du courrier de rejet de son offre seraient différents de ceux mentionnés dans le rapport d'analyse des offres, elle ne l'établit toutefois pas.

13. Il résulte de l'instruction que le règlement de la consultation énonçait à son article 4 que les offres seraient évaluées à partir de deux critères constitués de la " valeur technique de l'offre " à hauteur de 60 points et du " prix des travaux " pour 40 points. La valeur technique de l'offre devait elle-même être évaluée au regard de quatre sous-critères à hauteur de 10 points chacun dont le sous-critère n° 2 sur " la description des effectifs consacrés au chantier, au regard des délais d'exécution fixés (plan de charge du personnel de chantier), organigramme du personnel affecté à l'opération, dont le personnel d'encadrement et CV du personnel d'encadrement ". Dans ces conditions, le délai d'exécution constitue un élément d'appréciation, combiné avec les effectifs, du sous-critère n° 2 de la valeur technique de l'offre et non pas un nouveau critère de sélection des offres. Au demeurant, le pouvoir adjudicateur fait valoir que le sous-critère n° 2 n'a pas de lien avec l'éviction de la société requérante puisque l'offre de la société attributaire a obtenu la note de 8 sur 10 points alors que la société ROC a obtenu la note de 10 sur 10 points sur la base de considérations relatives au planning, au délai d'exécution et aux effectifs affectés au chantier. Par suite, le moyen tiré de l'application irrégulière d'un critère d'appréciation sur les délais d'exécution qui n'aurait pas été prévu par le règlement de la consultation et qui aurait été susceptible d'avantager la société attributaire doit être écarté.

En ce qui concerne le vice tiré de la méconnaissance de l'article 8 du règlement de la consultation liée à l'avantage injustifié accordé à la société attributaire :

14. Aux termes de l'article 8 " visite du bâtiment " du règlement de la consultation : " La visite des locaux existants est très fortement conseillée pour tous les lots. Le maître de l'ouvrage délivrera une attestation de visite. L'entrepreneur pourra se rendre sur site et visiter les existants après avoir pris rendez-vous avec le maître de l'ouvrage ; consécutivement, il demandera au maître d'œuvre tous les renseignements qui lui sembleront nécessaires à l'établissement de son offre. L'entrepreneur ne pourra pas arguer d'éventuelles erreurs, manques de précisions ou omissions du dossier de la consultation et ne pourra pas demander un supplément de prix ou se dispenser d'exécuter certains travaux concernant son corps d'état ()".

15. La société ROC soutient que la permission accordée à la seule société attributaire d'effectuer des prélèvements de pierre sur site et de procéder à leur analyse avant la remise de son offre sans en informer les autres candidats traduit la volonté du pouvoir adjudicateur de favoriser le candidat attributaire. En outre, la société requérante soutient que l'accès du candidat attributaire à des informations déterminantes pour la préparation de son offre lui a permis d'obtenir une meilleure notation pour l'offre technique et de remporter le marché alors que, d'une part, l'article 8 du règlement de la consultation ne prévoit pas cette possibilité, et, d'autre part, les prélèvements de pierres et de mortiers sont à la charge du titulaire du marché et non pas du candidat.

16. Il résulte de l'instruction que si l'article 8 du règlement de la consultation prévoit la possibilité d'une visite sur site, aucune disposition de ce règlement n'interdit aux candidats de prélever de la pierre sur site et de l'analyser. Par ailleurs, il ne résulte pas de l'instruction que la société requérante n'aurait pas été mis à même de bénéficier des mêmes éléments d'information de la part de la commune de Montrichard Val de Cher de nature à lui permettre de formuler une offre adaptée. La circonstance que les articles 1.2, 2.4.2 et 2.4.3 du cahier des clauses techniques particulières prévoient que la réalisation des prélèvements et des analyses de pierres est à la charge du titulaire du marché pendant la période de préparation est sans incidence au stade de la procédure de passation du marché. Dans ces conditions, alors que la société requérante ne produit aucune précision complémentaire, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 du règlement de la consultation au motif que la société attributaire Lefèvre aurait bénéficié d'un avantage injustifié de nature à porter atteinte au principe d'égalité de traitement des candidats et à l'obligation de mise en concurrence entre les candidats doit être écarté.

En ce qui concerne le vice tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité :

17. Au nombre des principes généraux du droit qui s'imposent au pouvoir adjudicateur comme à toute autorité administrative figure le principe d'impartialité, dont la méconnaissance est constitutive d'un manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence.

18. Aux termes du I de l'article 2 de loi du 11 octobre 2013 susvisée, dans sa rédaction applicable au litige : " Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction () ".

19. Aux termes de l'article L. 2141-10 du code de la commande publique : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation du marché les personnes qui, par leur candidature, créent une situation de conflit d'intérêts, lorsqu'il ne peut y être remédié par d'autres moyens./ Constitue une telle situation toute situation dans laquelle une personne qui participe au déroulement de la procédure de passation du marché ou est susceptible d'en influencer l'issue a, directement ou indirectement, un intérêt financier, économique ou tout autre intérêt personnel qui pourrait compromettre son impartialité ou son indépendance dans le cadre de la procédure de passation du marché. ".

20. La société requérante soutient que la procédure de consultation ne présentait pas les garanties d'impartialité suffisantes compte tenu des liens forts et personnels unissant, d'une part, un membre du groupement de maîtrise d'œuvre ayant accompagné la commune de Montrichard Val de Cher pour la conception et la sélection de l'offre de la société Lefèvre, et, d'autre part, l'attributaire du marché.

21. Il est constant que M. A, bénéficiaire majoritaire de la société Coefficient, économiste du groupement de maîtrise d'œuvre, est le père du bénéficiaire majoritaire de la société attributaire. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que M. A ait été impliqué dans la phase d'attribution du marché, alors que la société Coefficient en tant qu'économiste n'a pas vocation à intervenir au stade de l'analyse des offres, ni qu'il ait ainsi été susceptible d'influencer le choix de l'attributaire dans le cadre de la procédure litigieuse. La circonstance, d'une part, qu'il existe un lien de filiation directe entre le bénéficiaire effectif de la société Coefficient, économiste du groupement de maîtrise d'œuvre à hauteur de 73,68 %, et le bénéficiaire effectif de la société attributaire à hauteur de 53,3 %, et d'autre part, que le bénéficiaire majoritaire de la société Coefficient est également le président du conseil de surveillance de la société Aurige, société dirigeante de la société attributaire Lefèvre, et le bénéficiaire de la société Lefèvre à hauteur de 75,81 % en détention indirecte, ne permet pas, par elle-même, d'établir une méconnaissance du principe d'impartialité lors de la procédure de passation du marché litigieux. Au demeurant, la circonstance que cette information n'a à aucun moment été portée à la connaissance de la commune de Montrichard Val de Cher, de sorte qu'elle n'a pas été en mesure de s'assurer que les deux sociétés concernées présentaient des garanties appropriées pour pallier les risques de partialité, ne saurait être utilement invoquée par la société requérante dès lors qu'il ressort du compte rendu de la séance du conseil municipal du 19 octobre 2021 que la connivence entre le maître d'œuvre et la société attributaire Lefèvre a été abordée. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'impartialité au motif qu'il existerait une situation de conflit d'intérêts, ainsi que des obligations de publicité, de mise en concurrence et d'égalité de traitement entre les candidats doit être écarté.

22. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la SAS Restauration Orléanaise Construction tendant à l'annulation ou la résiliation de la procédure de passation du marché en litige doivent être rejetées.

Sur les conclusions indemnitaires :

23. Il résulte de ce qui précède qu'en l'absence d'irrégularité affectant la procédure de passation du marché, la société Restauration Orléanaise Construction n'est pas fondée à demander la réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de son éviction. Ainsi, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

24. D'une part, par voie de conséquence du rejet de ses conclusions principales, les demandes présentées par la société Restauration Orléanaise Construction sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. La demande présentée au même titre par la société Lefèvre Centre Ouest, laquelle est intervenante à l'instance et n'a donc pas la qualité de partie, ne peut qu'être rejetée.

25. D'autre part, il y a lieu de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la société Restauration Orléanaise Construction au titre des frais exposés et non compris dans les dépens une somme de 1 500 euros à verser à la commune de Montrichard Val de Cher. En revanche, les conclusions présentées par cette commune à l'encontre de la société Trait Carré Architectes sont vouées au rejet.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de la société Lefèvre Centre ouest est admise.

Article 2 : La requête de la société Restauration Orléanaise Construction est rejetée.

Article 3 : La société Restauration Orléanaise Construction versera à la commune de Montrichard Val de Cher une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la société Lefèvre et le surplus des conclusions de la commune de Montrichard Val de Cher présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la société Restauration Orléanaise Construction, à la commune de Montrichard Val de Cher, à la société Lefèvre Centre Ouest et à la société Trait Carré Architectes.

Délibéré après l'audience du 21 mai 2024, à laquelle siégeaient :

M. Guével, président,

Mme Best-De Gand, première conseillère,

Mme Keiflin, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 juin 2024.

La rapporteure,

Laura KEIFLIN

Le président,

Benoist GUEVEL

La greffière,

Nadine PENNETIER-MOINET

La République mande et ordonne au préfet de Loir-et-Cher en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.