Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 3 février 2024, et un mémoire du 22 février 2024, la société Project services, représentée par Me Auger, demande au juge des référés statuant en application de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :
1°) d'annuler la décision du 19 janvier 2024 par laquelle l'institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) a attribué à la société Bedel le marché relatif à la prestation de déménagement, de manutention et de garde meuble ;
2°) d'enjoindre à l'INSEP s'il entend de nouveau attribuer le marché, de reprendre la consultation au stade de l'examen des offres, après avoir écarté celle de la société Bedel ;
3°) A titre subsidiaire, en cas de caducité de l'offre de la société attributaire, annuler la procédure de passation ;
4°) de mettre à la charge de l'INSEP une somme de 4 800 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que l'INSEP a méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence dès lors que :
- l'INSEP a méconnu son obligation d'information des candidats évincés ;
- l'INSEP a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant une offre anormalement basse ;
- l'INSEP ne pouvait, sans entacher sa décision d'irrégularité et sans porter atteinte à l'égalité de traitement entre les candidats, attribuer le marché à un candidat donc l'offre était frappée de caducité.
Par un mémoire en défense enregistré 13 février 2024, l'INSEP conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par la société requérante ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la société Bedel qui n'a pas produit de mémoire avant l'audience.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Renvoise, en application de l'article
L. 551-1 du code de justice administrative.
Ont été entendus au cours de l'audience publique, tenue en présence de Mme Tardy-Panit, greffière d'audience :
- le rapport de Mme Renvoise, juge des référés,
- les observations de Me Auger, représentant la société Project services, qui renonce au moyen tiré du défaut d'information des candidats évincés.
La clôture de l'instruction a été reportée, en dernier lieu, au 28 février 2024 à 12 heures.
Un mémoire a été enregistré le 25 février 2024 pour la société Project services qui maintient ses conclusions et ses moyens, et fait valoir qu'une partie de l'offre de la société Bedel ne respectait en aucun cas la législation sociale, elle est donc irrégulière. Ces prix sont prédateurs car ils éliminent ipso facto les offres de tous les autres concurrents, lesquels ont quant à eux respecté ces minima sociaux.
Un mémoire a été enregistré le 25 février 2024, pour la société Project services non soumis au contradictoire en application des articles L. 611-1 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, apportant des précisions sur le caractère irrégulier de l'offre de l'attributaire et produisant son propre détail quantitatif estimatif (DQE).
Un mémoire a été enregistré le 26 février 2024 pour la société Bedel qui soutient que son offre n'est pas anormalement basse, qu'elle a respecté la législation sociale mais qu'elle n'a pas appliqué de supplément sur la prestation montage/démontage d'un meuble.
Un mémoire a été enregistré le 26 février 2024, par l'INSEP non soumis au contradictoire en application des articles L. 611-1 et R. 412-2-1 du code de justice administrative, apportant des précisions tant sur le DQE de l'attributaire que sur le moyen relatif au caractère anormalement bas de l'offre de ce dernier.
Un mémoire a été enregistré le 26 février 2024, par l'INSEP qui persiste dans ses conclusions et soutient que la société Bedel a proposé de ne pas facturer certaines prestations supplémentaires (3 lignes du DQE). Ce sont ces prestations non facturées qui expliquent que le prix global soit particulièrement avantageux. La jurisprudence admet que l'absence de facturation de certaines prestations du marché n'est pas à elle seule une circonstance suffisante pour caractériser une offre anormalement basse et que c'est à bon droit que l'INSEP n'a pas mis en œuvre le dispositif de vérification prévu par l'article L. 2152-5 du CCP.
Un mémoire a été enregistré le 27 février 2024 pour la société Project services qui maintient ses conclusions et ses moyens, renonce à celui relatif à la caducité de l'offre et soutient qu'en retenant dès lors une offre à la fois radicalement et manifestement irrégulière à la seule lecture de la mention " 0 € " pour les trois dernières lignes de prix du DQE, l'INSEP a porté atteinte au principe d'égalité de traitement entre tous les candidats. L'INSEP a ainsi méconnu l'article L. 2152-2 du code de la commande publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 27 juillet 2023, l'INSEP a lancé une consultation pour la passation d'un marché sous la forme d'un accord cadre mono-attributaire à bons de commande ayant pour objet la prestation de déménagement, de manutention et de garde meuble. Par un courrier du 19 janvier 2024, la société Project services a été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à la société Bedel. Par la présente requête, la société Project services conteste la procédure d'attribution de ce marché.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-5 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique. () / Le juge est saisi avant la conclusion du contrat ".
3. En vertu des dispositions précitées de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, les personnes habilitées à agir pour mettre fin aux manquements du pouvoir adjudicateur à ses obligations de publicité et de mise en concurrence sont celles susceptibles d'être lésées par de tels manquements. Il appartient dès lors au juge des référés précontractuels de rechercher si l'entreprise qui le saisit se prévaut de manquements qui, eu égard à leur portée et au stade de la procédure auquel ils se rapportent, sont susceptibles de l'avoir lésée ou risquent de la léser, fût-ce de façon indirecte en avantageant une entreprise concurrente.
En ce qui concerne l'irrégularité de l'offre de l'attributaire :
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2152-5 du code de la commande publique : " Une offre anormalement basse est une offre dont le prix est manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché. " ; aux termes de l'article L. 2152-6 du même code : " L'acheteur met en œuvre tous moyens lui permettant de détecter les offres anormalement basses. / Lorsqu'une offre semble anormalement basse, l'acheteur exige que l'opérateur économique fournisse des précisions et justifications sur le montant de son offre. / Si, après vérification des justifications fournies par l'opérateur économique, l'acheteur établit que l'offre est anormalement basse, il la rejette dans des conditions prévues par décret en Conseil d'Etat. " Aux termes de l'article R. 2152-4 du même code : " L'acheteur rejette l'offre comme anormalement basse dans les cas suivants : / 1° Lorsque les éléments fournis par le soumissionnaire ne justifient pas de manière satisfaisante le bas niveau du prix ou des coûts proposés ; / 2° Lorsqu'il établit que celle-ci est anormalement basse parce qu'elle contrevient en matière de droit de l'environnement, de droit social et de droit du travail aux obligations imposées par le droit français, y compris la ou les conventions collectives applicables, par le droit de l'Union européenne ou par les stipulations des accords ou traités internationaux mentionnées dans un avis qui figure en annexe du présent code ".
5. Il résulte de ces dispositions que, quelle que soit la procédure de passation mise en œuvre, il incombe au pouvoir adjudicateur qui constate qu'une offre paraît anormalement basse de solliciter auprès de son auteur toutes précisions et justifications de nature à expliquer le prix proposé. Si les précisions et justifications apportées ne sont pas suffisantes pour que le prix proposé ne soit pas regardé comme manifestement sous-évalué et de nature à compromettre la bonne exécution du marché, il appartient au pouvoir adjudicateur de rejeter l'offre. Le juge du référé précontractuel commet une erreur de droit s'il se fonde, pour estimer que l'offre de l'attributaire était anormalement basse, sur le seul écart de prix avec celui des offres concurrentes, sans rechercher si le prix en cause était en lui-même manifestement sous-évalué et, ainsi, susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. L'existence d'un prix paraissant anormalement bas au sein de l'offre d'un candidat, pour l'une seulement des prestations faisant l'objet du marché, n'implique pas, à elle-seule, le rejet de son offre comme anormalement basse, y compris lorsque cette prestation fait l'objet d'un mode de rémunération différent ou d'une sous-pondération spécifique au sein du critère du prix. Le prix anormalement bas d'une offre s'apprécie en effet au regard de son prix global.
6. Pour établir que la personne publique a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence en retenant une offre anormalement basse ou en retenant une offre potentiellement anormalement basse sans avoir mis en œuvre la procédure contradictoire prévue à l'article L. 2152-6 du code de la commande publique, c'est-à-dire en ne demandant pas à la société Bedel de justifier le montant de son offre, la société requérante soutient que l'offre de l'attributaire apparaît anormalement basse, au regard du métier de déménageur où le coût incompressible de la main d'œuvre correspond à plus de 80% de la prestation.
7. L'INSEP fait valoir que le détail quantitatif estimatif (DQE) est constitué de trois tableaux listant des prestations du bordereau des prix unitaires, le premier relatif au déménagement, à savoir des prestations de transfert entre l'INSEP et les sites extérieurs ou différents bâtiments de l'INSEP, le deuxième portant sur des prestations de garde-meuble, le troisième sur des prestations en sus, notamment de montage et démontage de meuble. Elle soutient que les offres de l'attributaire sont supérieures à celle de la société requérante sur les deux premiers tableaux, et que concernant le troisième tableau, le prix de l'attributaire était très bas, 542 euros hors taxe pour l'attributaire alors que le prix de la requérante s'élevait à 1 760 euros hors taxe. L'INSEP fait valoir également qu'elle ne commandera pas ces dernières aussi souvent que les prestations principales, la bonne exécution du marché ne sera donc pas compromise. Il ne lui est donc pas paru opportun de demander à la société Bedel des justifications. Par ailleurs, la société attributaire soutient que son offre n'est pas anormalement basse, qu'elle respecte les minima sociaux, mais qu'elle n'a pas appliqué de supplément sur la prestation montage/démontage d'un meuble puisqu'elle l'a intégrée à celle de déménagement. Il résulte également de l'instruction que le prix de l'attributaire, concernant le premier tableau du DQE relatif à la prestation de déménagement, n'arrive qu'en cinquième position sur onze candidats avec un montant de 644 euros HT.
8. Dans les circonstances de l'espèce, et s'agissant d'un marché tel que celui en litige dont l'objet principal est le déménagement, le seul fait que la société Bedel ait proposé un prix de 0 euro au titre d'une prestation supplémentaire de montage/démontage d'un meuble sur les trois dernières lignes du DQE qui en comportait 20, ne permet pas de regarder le montant de l'offre de la société Bedel comme étant manifestement sous-évaluée et susceptible de compromettre la bonne exécution du marché. Dès lors, la société Project services n'est pas fondée à soutenir que l'INSEP aurait méconnu le principe d'égalité entre les candidats et méconnu ses obligations de publicité et de mise en concurrence en n'exigeant pas de la société Bedel qu'elle justifie ses prix et en ne rejetant pas son offre comme étant anormalement basse.
9. En second lieu, aux termes de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées. " Aux termes de l'article L. 2152-2 du même code : " Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation, en particulier parce qu'elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale. " Est irrégulière au sens des dispositions de l'article L. 2152-1 précité, et donc à éliminer, une offre qui, à défaut de contenir toutes les pièces et renseignements requis par les documents de la consultation, est incomplète.
10. En l'espèce, la seule circonstance que l'attributaire ait, à titre commercial, intégré la prestation montage/démontage d'un meuble dans le prix de la prestation déménagement et a indiqué un prix à zéro euro pour les trois dernières lignes du DQE concernant des prestations supplémentaires, ne suffit pas à caractériser une méconnaissance du salaire minimum ou de la législation sociale. Par ailleurs, elle ne méconnaît pas l'exigence de chiffrage posée par le pouvoir adjudicateur. Le moyen peut être écarté.
11. Il résulte des développements qui précèdent que la requête de la société Project services doit être rejetée, y compris ses demandes au titre des frais de l'instance.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société Project services est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Project services, à la société Bedel et à l'institut national du sport, de l'expertise et de la performance.
Fait à Paris, le 1er mars 2024.
La juge des référés,
T. RENVOISE
La République mande et ordonne à la ministre des sports et des jeux Olympiques et Paralympiques en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
N°2402585