Vu la procédure suivante :
Par une requête, enregistrée le 25 août 2022, complétée par un mémoire enregistré le 26 juin 2023, la société Coriance, représentée par Mes Ferré et Béjot, demande au tribunal :
1°) d'annuler la décision implicite par laquelle la Ville de Paris a refusé de lui communiquer les documents suivants relatifs à la procédure d'attribution de la concession de service public de production, stockage et distribution d'énergie frigorifique de la Ville de Paris :
1 - la version signée du contrat de concession ;
2 - l'annexe 2 - Liste et fiches détaillées des indicateurs et engagements ;
3 - l'annexe 3 - Cadre financier prévisionnel de la concession ;
4 - l'annexe 4 - Schéma directeur des investissements ;
5 - l'annexe 5 - Premier plan pluriannuel des investissements ;
6 - l'annexe 6 - Format de présentation et premier programme annuel des opérations de premier établissement, des opérations de GEGV et des opérations de renouvellement ;
7 - l'annexe 19 - Descriptif du système d'information ;
8 - l'annexe 20 - Description des méthodes comptables visée à l'article 72.3 ;
9 - l'annexe 22 - Liste des contrats cadre ou de partenariat apportés par le concessionnaire ;
10 - l'annexe 24 - Engagements en termes de garantie et en termes de stabilité de l'actionnariat ;
11 - l'annexe 24 bis - Garantie maison mère ;
12 - l'annexe 25 - Garantie à première demande ;
13 - l'annexe 28 - Achats ;
14 - Le dossier de candidature remis par le groupement constitué des entreprises CLIMESPACE, ENGIE ENERGIE SERVICES et RATP COOPERATION ;
15 - L'offre ou les offres remises par le groupement constitué de ses entreprises et ses (ou leurs) évolutions ;
16 - Les rapports d'analyse des offres et/ou toute pièce en tenant lieu, dans une version dont les occultations sont strictement limitées au respect de secret des affaires ;
17 - Les avis, opinions, conseils et, plus généralement, toute analyse relative aux candidatures et aux offres, établis par les services internes de la ville de Paris ou, le cas échéant, par son assistant à personne publique ;
18 - Les preuves d'envoi et de réception des convocations aux réunions de négociation adressées à l'ensemble des candidats, comprenant l'ensemble de leurs annexes ;
20 - Les procès-verbaux relatifs à l'ensemble des réunions de négociation portant sur les offres remises par le groupement constitué des entreprises susmentionnées ainsi que sur l'offre remise par le groupement dont la société CORIANCE était mandataire et, le cas échéant, la retranscription écrite de ces réunions ;
20 - Les lettres de clôture des négociations adressées à l'ensemble de ses entreprises ou toute pièce en tenant lieu, dans une version dont les occultations sont strictement limitées au respect de secret des affaires ;
21 - Toute pièce formalisant une éventuelle mise au point du contrat de concession qui serait intervenue entre la ville de Paris et ses entreprises ;
22 - Le procès-verbal ou toute pièce précédant, accompagnant puis formalisant la réunion par laquelle le Conseil de Paris du 15 octobre 2021 ;
2°) d'enjoindre à la Ville de Paris de lui communiquer ces documents, dans un délai de 8 jours compter du jugement à intervenir et sous astreintes de 1000 euros par jours de retard, ou, à défaut, et dans les mêmes conditions, de réexaminer sa demande de communication ;
3°) de mettre à la charge de la Ville de Paris une somme globale de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les documents administratifs sollicités sont communicables selon les modalités prévues notamment par les dispositions prévues par l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- par un avis n° 20221545 du 02 juin 2022, la commission d'accès aux documents administratifs a émis un avis globalement favorable à la communication des documents administratifs sollicités ;
- les transmissions effectuées par la Ville de Paris les 9 mars et 20 mai 2022 sont incomplètes.
Par un mémoire en défense enregistré 31 mai 2023 complété par un mémoire enregistré le 13 juillet 2023, la Ville de Paris conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de la société Coriance la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, il y a non-lieu à statuer, les documents demandés par le requérant lui ayant été communiqués ;
- à titre subsidiaire, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir transmis les informations couvertes par le secret en matière industrielle et commerciale contenues dans les documents communiqués ou les documents inexistants.
Par ordonnance du 28 juillet 2023, la clôture d'instruction a été fixée au
23 août 2023.
Vu :
- l'avis n° 20221545 du 2 juin 2022 de commission d'accès aux documents administratifs (CADA) ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Feghouli,
- les conclusions de Mme Nikolic, rapporteur public,
- les observations de Me Ferré pour la société Coriance ;
- et les observations de Me Londono Lopez pour la ville de Paris.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 26 janvier 2024, présentée pour la ville de Paris.
Considérant ce qui suit :
1. Par un avis d'appel public à la concurrence envoyé pour publication le
31 octobre 2019 au Journal Officiel de l'Union Européenne et au Bulletin officiel des annonces des marchés publics, la Ville de Paris a lancé une procédure en vue de l'attribution d'une concession de service public de production, stockage et distribution d'énergie frigorifique. Trois dossiers de candidature ont été déposés dans les délais dont la candidature du groupement d'entreprises NGE Concessions/Coriance. A l'issue de l'examen des candidatures, les trois groupements ont été invités à remettre une offre. Les offres finales ont été remises par chacun des trois groupements candidats avant la date limite fixée au 12 juillet 2021. La Ville de Paris a, par un courrier en date du 27 octobre 2021, rejeté l'offre du groupement NGE Concessions/Coriance. Par un courrier en date du 8 février 2022, la société Coriance a demandé à la ville de Paris la communication de plusieurs documents afférents à la procédure d'appel d'offre. La ville de Paris a communiqué une première série de documents le 9 mars 2022, complétée par un envoi du 20 mai 2022. Estimant sa demande de communication incomplètement satisfaite, la société requérante a saisi la CADA, laquelle a émis, pour l'essentiel des demandes, un avis favorable sous certaines réserves le 2 juin 2022. Par la présente requête, la société Coriance demande au tribunal d'annuler la décision par laquelle la Ville de Paris a refusé de lui communiquer la totalité des documents sollicités relatifs à la procédure d'attribution de la concession de service public de production, stockage et distribution d'énergie frigorifique de la Ville de Paris, sans occultations excessives.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l'article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu'elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre. ". Aux termes de l'article L. 311-6 de ce même code, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs : 1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence ; () ".
3. Il résulte des dispositions précitées que les marchés publics et les documents qui s'y rapportent, y compris les documents relatifs au contenu des offres, sont des documents administratifs au sens des dispositions de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration. Saisis d'un recours relatif à la communication de tels documents, il revient aux juges du fond d'examiner si, par eux-mêmes, les renseignements contenus dans les documents dont il est demandé la communication peuvent, en affectant la concurrence entre les opérateurs économiques, porter atteinte au secret industriel et commercial et faire ainsi obstacle à cette communication en application des dispositions du 1° de l'article L. 311-6 de ce même code. Au regard des règles de la commande publique, doivent ainsi être regardés comme communicables, sous réserve des secrets protégés par la loi, l'ensemble des pièces du marché. Dans cette mesure, si notamment l'acte d'engagement, le prix global de l'offre et les prestations proposées par l'entreprise attributaire sont en principe communicables, le bordereau unitaire de prix de l'entreprise attributaire, en ce qu'il reflète la stratégie commerciale de l'entreprise opérant dans un secteur d'activité et qu'il est susceptible, ainsi, de porter atteinte au secret commercial, n'est quant à lui, en principe, pas communicable.
4. Si les documents dont il est demandé communication comportent des informations portant atteinte au secret en matière industrielle et commerciale, ils sont communicables à toute personne qui en fait la demande, en application des dispositions de l'article L. 311-1 du code des relations entre le public et l'administration, après occultation des mentions couvertes par ce secret, conformément aux dispositions de l'article L. 311-6 du même code.
Sur le contrat de concession signé et ses annexes non communiquées les 9 mars et 20 mai 2025. S'il ressort des pièces du dossier qu'une version du contrat de concession a bien été transmise à la société requérante, il est constant que ce document n'est toutefois pas signé. En outre, s'agissant des annexes dont la communication est sollicitée dans la présente requête, la société fait valoir, sans être sérieusement contestée, qu'elles ne figurent pas dans les communications effectuées par la ville de Paris les 9 mars et 20 mai 2022. Dès lors, et dans les conditions rappelées aux points 3 et 4 du présent jugement, la société requérante est fondée à demander la communication de ces documents.
Sur le dossier de candidature remis l'attributaire et ses différentes offres en cours de procédures
6. La ville de Paris est fondée à refuser de communiquer l'offre initiale et intermédiaire de l'attributaire du marché public dès lors que la communication de ces offres non finalisées fait état de la stratégie de la société retenue et porterait atteinte au secret en matière commerciale et industrielle. En revanche, tant le dossier de candidature que l'offre finale de l'attributaire sont communicables après occultation des mentions dont la divulgation porterait atteinte au secret en matière industrielle et commerciale, dans les conditions rappelées aux points 3 et 4 du présent jugement.
Sur le rapport d'analyse des candidatures et du rapport d'analyse des offres
7. Il ressort des pièces du dossier que le rapport d'analyse des candidatures a été communiquée par la ville de Paris à la société Coriance, laquelle ne conteste pas sérieusement que ces documents répondent à sa demande de communication sur ce point, ni que les occultations qui y sont faites excéderaient les exigences en matière de protection du secret en matière industrielle et commerciale rappelées dans le présent jugement. Par suite, les conclusions de la société requérante sur ce point sont devenues sans objet et il n'y plus lieu d'y statuer.
Sur les convocations, les procès-verbaux, et les lettres de clôture des réunions de négociation
8. Il ressort d'une part, de ce qui a été dit aux points 3 et 4 du présent jugement, que les convocations, les procès-verbaux, les avis, opinions, conseils et, plus généralement, toute analyse relative aux candidatures et aux offres, établis par les services internes de la ville de Paris sont des documents communicables, sous réserve toutefois, comme la Commission d'accès aux documents administratifs l'a rappelé dans son avis du 2 juin 2022, des mentions de nature à révéler la stratégie commerciale de l'entreprise concernée, lesquelles doivent dès lors être occultées. Il en va ainsi des documents et informations échangés entre l'administration et un candidat lors de la phase de négociation, dès lors qu'ils révèlent par nature la stratégie commerciale du candidat, et ne sont, par suite, pas communicables.
9. S'agissant, d'autre part, des lettres de clôture des négociations, il ressort des pièces du dossier qu'elles ont été transmises par la ville de Paris le 20 mai 2022, sans que la société requérante ne conteste sérieusement les occultations qui y figurent. Par suite, les conclusions de la société requérante sur ce point sont devenues sans objet et il n'y plus lieu d'y statuer.
Sur le procès-verbal ou toute pièce relative la réunion par laquelle le Conseil
de Paris du 15 octobre 2021 a approuvé le choix de l'attributaire
10. Aux termes de l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales : " Toute personne physique ou morale a le droit de demander communication des procès-verbaux du conseil municipal, des budgets et des comptes de la commune et des arrêtés municipaux. () Les dispositions du présent article s'appliquent aux établissements publics administratifs des communes. ".
11. Il ressort des pièces du dossier que si la Ville de Paris a transmis la délibération du 15 octobre 2021, s'agissant de toute autre pièce précédant, accompagnant puis formalisant la réunion du 15 octobre 2021, ces documents sont bien au nombre de ceux dont la communication constitue un droit en application des dispositions de l'article L. 2121-26 du code général des collectivités territoriales, et qu'ils sont donc communicables à la société requérante sous réserve de ce qui a été dit aux points 3 et 4 du présent jugement.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Coriance est fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle la Ville de Paris en ce qu'elle a refusé de lui communiquer les documents sollicités et énumérés dans le présent jugement relatifs à la procédure d'attribution de la concession de service public de production, stockage et distribution d'énergie frigorifique.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
13. Le présent jugement, eu égard à ses motifs, implique nécessairement qu'il soit enjoint à la ville de Paris de communiquer à la société Coriance, sous réserve des occultations rendues nécessaires et rappelées aux points 3 et 4 du présent jugement, les documents suivants :
- la version signée du contrat de concession et les annexes, 2, 3, 4, 5, 6, 19, 20, 22, 24, 24 bis, 25, 28 ;
- le dossier de candidature et l'offre finale remise par l'attributaire ;
- les documents énumérés au point 8 du présent jugement ;
- les documents préparatoires à la réunion Conseil de Paris du 15 octobre 2021.
14. Il y a lieu d'enjoindre à la ville de Paris de communiquer ces documents à la société Coriance dans un délai de 2 mois à compter de la notification du présent jugement. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par la société requérante.
Sur les frais du litige :
15. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre une somme de 1 500 euros à la charge de la ville de Paris en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
16. Les conclusions de la ville de Paris présentées sur ce même fondement sont rejetées dans les circonstances de l'espèce.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société Coriance tendant à l'annulation de la décision de laquelle la ville de Paris en tant qu'elle a refusé de lui transmettre le rapport d'analyse des offres et les lettres de clôture des négociations.
Article 2 : La décision de la ville de Paris est annulée en tant que les documents mentionnés au point 13 du présent jugement n'ont pas été communiqués.
Article 3 : Il est enjoint à la ville de Paris de communiquer à la société Coriance les documents listés au point 13 du présent jugement selon les modalités prévues à ce même point et ce dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.
Article 4 : La ville de Paris versera à la société Coriance une somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la société Coriance est rejeté.
Article 6 : Les conclusions de la ville de Paris présentées le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées
Article 7 : Le présent jugement sera notifié à la société Coriance et à la ville de Paris
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :
M. Gros, président,
M. Feghouli, premier conseiller,
M. Rebellato, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 février 2024.
Le rapporteur, Le président,
M. A
La greffière,
C. CHAKELIAN
La République mande et ordonne au préfet de la région d'Île-de-France, préfet de Paris, en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.