TA Pau, 01/12/2022, n°2001343

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 21 juillet 2020, le 26 octobre 2020 et le 22 juillet 2022, M. A C, représenté par Me Picard, demande au tribunal :

1°) à titre principal, de condamner la commune de Cauterets à lui verser la somme totale de 47 412 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises par la commune à son égard ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner la commune de Cauterets à lui verser la somme totale de 28 505 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises par la commune à son égard ;

3°) de mettre à la charge de la commune de Cauterets la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la commune de Cauterets a utilisé sans son accord des éléments dont il est intellectuellement propriétaire, ce qui constitue une faute et un abus de confiance ;

- il n'a pas essayé de tirer un avantage par les prestations réalisées et il ne s'est pas engagé dans des études pouvant dépasser le seuil puisque le montant déterminé et demandé au titre des prestations fournies est de 32 412 euros toutes taxes comprises ;

- il a subi un préjudice certain et direct, le travail fourni pour aider la commune à définir ses besoins en vue d'une mise en concurrence concernant la maîtrise d'œuvre du projet d'aménagement de la zone de Concé n'a pas été rémunéré ; l'utilisation de ses éléments pour constituer le dossier de consultation lui a causé une perte de chance certaine de pouvoir obtenir ledit marché ;

- la commune s'est enrichie à son détriment en reprenant à son compte le projet de construction du garage de la société Alti Meca ; l'absence de relation contractuelle entre lui et la commune ne l'empêche pas de fonder son préjudice sur l'enrichissement sans cause ;

- le montant des travaux est de 730 000 euros ; il a effectué les opérations suivantes : " ouverture administrative du dossier ", " études préliminaires ", " avant-projet sommaire ", " avant-projet définitif ", et " projet de conception générale " ; il estime le montant de ses honoraires à 10 % du montant hors taxes du coût des travaux, soit 73 000 euros ; au regard de l'avancée des travaux, ses honoraires doivent être fixés à 27 010 euros hors taxes, soit 32 412 euros toutes taxes comprises ;

- son préjudice résultant de la rupture d'égalité entre lui et les autres candidats au marché doit être évalué à 10 000 euros ;

- son préjudice moral lié à l'absence de rémunération de son travail et à l'utilisation sans son accord de son travail doit être évalué à 5 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2020, la commune de Cauterets, représentée par Me Chen, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. C la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- aucun abus de confiance ne peut lui être reproché dès lors que M. C soulève le moyen tiré de l'enrichissement sans cause, lequel ne peut être soulevé qu'à titre subsidiaire lorsque le requérant ne jouit, pour obtenir ce qui lui est dû, d'aucune action naissant d'un contrat, d'un quasi-contrat, d'un délit ou quasi-délit ;

- les honoraires de M. C auraient dû être pris en charge par la société Alti Meca ; au demeurant, il ne pouvait ignorer le caractère précaire de sa situation en ce qu'il n'avait pas signé de contrat avec la société Alti Meca, pas plus qu'avec la commune ; il a recherché un avantage en produisant les prestations qu'il estime avoir réalisées, par l'obtention, de gré à gré, d'un marché de maîtrise d'œuvre comprenant une mission complète ;

- aucun élément technique établi par M. C n'a été repris dans le dossier d'appel d'offres ; elle a elle-même établi le programme d'aménagement de la zone de Concé ;

- M. C se prévaut du cahier des clauses particulières " travaux neufs " établi par l'ordre des architectes, inapplicable pour les marchés publics ;

- en réalité, sur la totalité de la tranche ferme, le forfait provisoire des honoraires s'élève à la somme de 23 652 euros hors taxes dont 5 013,66 euros pour les cotraitants du requérant ; la somme sollicitée dans la requête est de 45 % supérieure à la somme qu'il avait proposée dans son offre ;

- le montant des honoraires de M. C, marge comprise, pour la zone d'activités s'élève à la somme de 2 022,24 euros, et de 11 483,19 euros pour le garage, soit au total 13 505,43 euros hors taxes ; il n'est pas contesté que M. C a droit, sur le terrain extracontractuel, au remboursement des dépenses utiles à la commune, en distinguant celles dont l'utilité relève de la société Alti Meca ;

- M. C a commis l'erreur d'accepter de réaliser des études dont le montant pouvait être supérieur au montant à partir duquel doit être engagée une procédure de publicité et de mise en concurrence ; cela justifie la réduction de la moitié de la perte de bénéfice sur le montant des sommes qu'elle pourrait être condamnée à verser ;

- son offre a été classée deuxième ; il n'a pas contesté ce résultat ; il ne dispose d'aucune créance envers la commune sur le fondement d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques ; il n'a pas été empêché de candidater ;

- aucun préjudice moral n'est démontré et un tel préjudice ne peut être indemnisé sur le fondement de l'enrichissement sans cause.

Par ordonnance du 20 juillet 2022, la clôture d'instruction a été fixée au 22 août 2022.

Vu :

- l'ordonnance n° 2001344 du juge des référés du tribunal administratif de Pau du 20 juin 2022 condamnant la commune de Cauterets à verser à M. C une provision de 13 505 euros ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D,

- et les conclusions de M. Clen, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. C a été sollicité par la société Alti Meca pour réaliser l'étude et la gestion de la maîtrise d'œuvre dans le cadre de la construction d'un bâtiment ayant pour but d'accueillir une activité de garage automobile, des équipements extérieurs et des places de stationnement, sur une parcelle d'assiette appartenant, pour une partie, à la commune de Cauterets et devant être cédée en totalité à cette société. Dans le cadre de cette étude, M. C a été sollicité par les représentants de la commune pour envisager un projet global d'aménagement de l'intégralité de la parcelle, comportant, outre le garage de la société Alti Meca, l'implantation d'équipements communaux complémentaires. La société Alti Meca ayant abandonné ce projet en raison du coût des travaux, les échanges se sont ainsi poursuivis avec la commune de Cauterets, laquelle a décidé de lancer, le 7 septembre 2019, une procédure d'appel d'offres pour un marché de maîtrise d'œuvre pour l'aménagement de la zone d'activité de Concé, à laquelle M. C a candidaté. Le marché a finalement été attribué à la société Peretto. Estimant, d'une part, que la commune s'était enrichie à son détriment en utilisant son travail sans l'avoir rémunéré, et d'autre part, que la commune a, ce faisant, rompu l'égalité entre les candidats au marché de maîtrise d'œuvre, M. C a sollicité l'indemnisation de ses préjudices par une réclamation préalable adressée à la commune de Cauterets le 6 décembre 2019, et reçue par cette dernière le 7 décembre 2019. Par la présente requête, M. C demande au tribunal, à titre principal, de condamner la commune de Cauterets à lui verser la somme totale de 47 412 euros, et à titre subsidiaire, la somme totale de 28 505 euros en réparation des préjudices résultant des fautes commises par la commune à son égard. Par une ordonnance du 20 juin 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a fait droit à sa demande de provision à hauteur de la somme de 13 505 euros hors taxes.

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne l'enrichissement sans cause :

2. L'architecte ou l'ingénieur qui a accompli une mission de maîtrise d'œuvre à la demande de l'administration peut prétendre, même sans contrat, sur un terrain quasi-contractuel, au remboursement de celles de ses dépenses qui ont été utiles à la collectivité bénéficiaire des prestations qu'il a réalisées. Si la consistance des prestations fournies s'évalue au moment où elles ont été exécutées, leur utilité pour l'administration doit être appréciée par le juge administratif à la date à laquelle il statue en tenant compte éventuellement de l'évolution des travaux ou du projet depuis leur exécution. Les fautes éventuellement commises par l'intéressé sont sans incidence sur son droit à indemnisation au titre de l'enrichissement sans cause de la collectivité, sauf si elles ont été de nature à vicier le consentement de l'administration, ce qui fait obstacle à l'exercice d'une telle action.

3. Il résulte de l'instruction, et il n'est, au demeurant, pas contesté par la commune de Cauterets que les plans et estimations des travaux réalisés à sa demande par M. C, dans le cadre du projet global d'aménagement de la zone de Concé, ont été utiles à la collectivité, qui a poursuivi ce projet. Ainsi qu'il a été dit au point 2, la faute qu'aurait commise M. C en acceptant de réaliser de telles prestations en dehors de tout contrat, n'est pas de nature, sur le terrain de l'enrichissement sans cause, à limiter son droit au remboursement des dépenses utilement exposées au profit de la commune de Cauterets. Les dépenses utiles comprennent, à l'exclusion de toute marge bénéficiaire, les dépenses qui ont été directement engagées par le cocontractant pour la réalisation des fournitures, travaux ou prestations destinés à l'administration. En l'espèce, il résulte de l'instruction, et n'est pas contesté par la commune, que le montant des honoraires de M. C s'élève à 2 022,44 euros hors taxes au titre de l'aménagement de la zone d'activité, et à 11 483,19 euros hors taxes au titre de la création du garage de réparation automobile, laquelle est bien prévue par le règlement de la consultation du marché qui a été ultérieurement conclu par la commune, soit un total de 13 505,43 euros hors taxes. Si la commune de Cauterets soutient que s'agissant de la création du garage, la société Alti Meca est à l'origine de ce projet, il résulte toutefois de ce qui vient d'être dit, que le coût des prestations réalisées pour la création de ce garage doit bien être regardé comme une dépense utile, dans sa totalité, à la commune. En outre, il résulte de l'instruction, notamment de la réclamation préalable adressée par M. C à la commune de Cauterets, qui n'en conteste pas le contenu sur ce point, que, dès le 18 avril 2019, la commune a sollicité de M. C la réalisation d'une étude globale quant à l'aménagement de la parcelle en vue de l'implantation d'équipements communaux. Dans ces conditions, la somme de 13 505,43 euros hors taxes doit être regardée comme correspondant aux dépenses utiles dont la commune de Cauterets a bénéficié, au détriment de M. C, et lui ouvrent donc droit à indemnisation sur le fondement de l'enrichissement sans cause de la collectivité publique.

En ce qui concerne le principe d'égalité :

4. M. C soutient que l'utilisation par la commune des prestations réalisées, et en particulier de son estimation des travaux, dans le cadre de la procédure d'appel d'offre pour l'attribution du marché portant sur l'aménagement de la zone de Concé et la création du garage automobile, a eu pour effet de fausser la concurrence et l'a privé d'une chance certaine de pouvoir obtenir le marché.

5. En vue d'obtenir réparation de ses droits lésés, le concurrent évincé a la possibilité de présenter devant le juge du contrat des conclusions indemnitaires, à titre accessoire ou complémentaire à ses conclusions à fin de résiliation ou de contestation de validité du contrat. Il peut également engager un recours de pleine juridiction distinct, tendant exclusivement à une indemnisation du préjudice subi à raison de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction. Il appartient au juge, si cette irrégularité est établie, de vérifier qu'elle est la cause directe de l'éviction du candidat et, par suite, qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute en résultant et le préjudice dont le candidat demande l'indemnisation.

6. Lorsqu'un candidat à l'attribution d'un contrat public demande la réparation du préjudice né de son éviction irrégulière de ce dernier et qu'il existe un lien direct de causalité entre la faute résultant de l'irrégularité et les préjudices invoqués par le requérant à cause de son éviction, il appartient au juge de vérifier d'abord si le candidat était ou non dépourvu de toute chance de remporter le contrat. Dans l'affirmative, il n'a droit à aucune indemnité. Dans la négative, il a droit en principe au remboursement des frais qu'il a engagés pour présenter son offre. Il convient ensuite de rechercher si le candidat irrégulièrement évincé avait des chances sérieuses d'emporter le contrat. Si tel est le cas, il a droit à être indemnisé de son manque à gagner, incluant nécessairement, puisqu'ils ont été intégrés dans ses charges, les frais de présentation de l'offre qui n'ont donc pas à faire l'objet, sauf stipulation contraire du contrat, d'une indemnisation spécifique.

7. En l'espèce, si la commune de Cauterets a inscrit un montant global des travaux afin que les architectes puissent réaliser leur offre, il ne résulte toutefois pas de l'instruction qu'elle aurait utilisé le montant estimatif des honoraires de M. C comme référentiel pour les candidatures des autres candidats. L'intéressé, qui n'a pas saisi le juge du contrat à fin de résiliation du contrat, ne démontre pas, par les seuls éléments ainsi avancés, que la procédure d'appel d'offre aurait été irrégulière, ni, par voie de conséquence, qu'il aurait été irrégulièrement évincé. Dans ces conditions, et à supposer même que M. C puisse être regardé comme ayant des chances sérieuses d'emporter le contrat, il n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice subi à raison de l'irrégularité ayant, selon lui, affecté la procédure ayant conduit à son éviction.

En ce qui concerne la réparation du préjudice moral :

8. M. C impute le préjudice moral qu'il estime avoir subi, d'une part, à l'absence de rémunération par la commune des prestations qu'il a réalisées, d'autre part, à la rupture de l'égalité devant les charges publiques résultant de la perte de chance de pouvoir obtenir le marché, pour la conclusion duquel la commune a utilisé, sans son consentement, le travail qu'il a réalisé.

9. Toutefois, et d'une part, il résulte de ce qui a été dit aux points 2 et 3, que le droit à réparation de M. C sur le fondement de l'enrichissement sans cause est limité au remboursement des dépenses utiles qu'il a exposées dans l'intérêt de la commune. Dans ces conditions, et alors qu'au surplus, il ne se prévaut pas, à ce titre, d'un préjudice distinct de celui déjà réparé par l'allocation de la somme de 13 505,43 euros hors taxes, il n'est pas fondé à solliciter la réparation sur ce fondement d'un préjudice moral. Par ailleurs, en l'absence d'irrégularités entachant la passation du marché, comme il a été dit au point 7, M. C ne saurait davantage demander l'indemnisation du préjudice moral qui aurait résulté pour lui de son éviction irrégulière.

10. D'autre part, à supposer que M. C puisse être regardé comme invoquant, à ce titre, la faute commise par la commune de Cauterets, qui ne conteste pas avoir repris dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, les estimations des coûts des travaux réalisés par M. C sans avoir sollicité son accord pour utiliser ses estimations, le requérant ne démontre pas la réalité d'un préjudice moral en lien avec une telle faute.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C est seulement fondé à solliciter la condamnation de la commune de Cauterets à lui verser la somme de 13 505,43 euros hors taxes, somme qui lui a déjà été allouée à titre de provision par le juge des référés du tribunal.

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'apparaît pas inéquitable de laisser à chacune des parties les frais engagés par elles et non compris dans les dépens

D E C I D E :

Article 1er : La commune de Cauterets est condamnée à verser à M. C la somme de 13 505,43 euros (treize mille cinq cent cinq euros quarante-trois) hors taxes, sous déduction de la somme de 13 505 (treize mille cinq cent cinq) euros effectivement versée à titre provisionnel en application de l'ordonnance du 20 juin 2022.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C est rejeté.

Article 3 : Les conclusions présentées par la commune de Cauterets au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. A C et à la commune de Cauterets.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

Mme Sellès, présidente,

Mme Beneteau, première conseillère,

Mme Corthier, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

La rapporteure,

Signé

A. D

La présidente,

Signé

M. B La greffière,

Signé

P. SANTERRE

La République mande et ordonne au préfet des Hautes-Pyrénées en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition :

La greffière,