TA Polynésie française, 06/06/2023, n°2200961

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 8 novembre 2022, 1er février et 22 mars 2023, M. G, représenté par la Selarl Tang et Dubau, demande au tribunal :

1°) d'annuler la décision n° 8253/PR du 27 octobre 2022 par laquelle le président de la Polynésie française lui a infligé une sanction de révocation ;

2°) de mettre à la charge de la Polynésie française la somme de 250 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la mission de contrôle hiérarchique, s'agissant des conclusions du rapport du 25 mai 2022, devait être effectuée par le directeur adjoint technique et non pas par le directeur administratif adjoint ; les deux rédacteurs dudit rapport n'avaient aucune qualité pour effectuer ces contrôles, ils n'ont bénéficié d'aucune ordre de mission du directeur de l'équipement ; les constatations relevées dans le rapport ne sauraient ainsi avoir valeur probante, ni servir de fondement à une procédure disciplinaire dirigée contre un responsable de la direction de l'équipement ;

- la commission administrative paritaire réunie en conseil de discipline le 13 octobre 2022 était irrégulièrement composée ; elle a été présidée par un agent désigné en tant que " suppléant ", or aucune disposition ne prévoit que le ministre chargé de la fonction publique puisse avoir un suppléant et que ce " suppléant " du ministre puisse lui-même avoir un suppléant ; la commission de discipline n'a été présidée ni par la ministre de la fonction publique, ni par la directrice des ressources humaines de la Polynésie française ; la composition de cette commission est également irrégulière dès lors que M. C et Mme A ne pouvaient pas valablement représenter l'administration au cours de la séance du 13 octobre 2022 ; en effet, il n'existe au dossier aucune décision du secrétaire général du gouvernement et du directeur du budget et des finances habilitant expressément ces agents à les représenter ; M. B, rédacteur du rapport et représentant l'autorité ayant déclenché la procédure disciplinaire, à savoir le directeur de l'équipement, a participé à la réunion du 13 octobre 2022 durant toute la durée de la séance en intervenant activement dans les débats afin de soutenir la proposition de sanction et repris la parole après que le conseil du requérant ait, en application de l'article 5 de la délibération n° 95-222 du 14 décembre 1995, présenté d'ultimes observations ; cette intervention entache également d'irrégularité l'avis du conseil de discipline en raison de la partialité de cet agent ;

- les droits de la défense n'ont pas été respectés ; le rapport " hiérarchique " du 25 mai 2022, fondement de toute l'action disciplinaire engagée à son encontre, a été établi sans qu'il n'ait été mis à même de présenter ses observations ; il lui a été refusé un report de la séance du 13 octobre 2022 malgré la gravité des accusations portées à son encontre, en lui refusant donc la possibilité de préparer au mieux sa défense, notamment en citant des témoins choisis par lui ; il souhaitait notamment que lui soit communiqué le compte-rendu des échanges qu'il est censé avoir tenus avec MM. B et Moutier lors de la mission d'inspection effectuée par ces derniers ;

- la matérialité des faits reprochés n'est pas établie (refus d'obéissance concernant le respect des règles de la commande publique, non-respect des règles légales en matière de durée du travail des agents, octroi d'avantages indus à des particuliers, conduite d'un engin de travaux publics et livraison de matériau sans autorisation légale, détournement des biens du service) ;

- ces faits ne peuvent être qualifiés de fautifs ou, à tout le moins, ne présentent pas un caractère de gravité suffisant pour être qualifiés, comme le fait le président de la Polynésie française dans sa décision du 27 octobre 2022, de " manquement au devoir d'obéissance, manquement à l'obligation de dignité, manquement à l'obligation de probité et de manquement à l'obligation de de moralité " ;

- il y a une erreur d'appréciation et une disproportion entre les faits reprochés et la sanction de révocation prononcée à son encontre.

Par des mémoires en défense enregistrés les 12 janvier et 3 mars 2023, la Polynésie française, conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir que les moyens présentés par M. Hauata ne sont pas fondés tant en ce qui concerne la légalité externe que la légalité interne de la décision en litige.

Par une ordonnance du 23 mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 avril 2023 à 11h (locale).

Par un courrier du 17 mai 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7-3 du code de justice administrative, de ce que le tribunal était susceptible, en cas d'annulation de la décision attaquée, d'enjoindre d'office au président de la Polynésie française, sur le fondement des dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 911-1 du même code, de procéder à la régularisation de la situation de M. Hauata, dans un délai de deux mois.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 ;

- la délibération n° 95-222 AT du 14 décembre 1995 relative à la procédure disciplinaire concernant les fonctionnaires de la Polynésie française ;

- la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 portant statut général de la fonction publique du territoire de la Polynésie française ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Graboy-Grobesco,

- les conclusions de Mme Theulier de Saint-Germain, rapporteure publique,

- les observations de Me Lenoir pour M. Hauata, et celles de Mme E représentant la Polynésie française.

Considérant ce qui suit :

1. M. Hauata, fonctionnaire titulaire de l'administration de la Polynésie française, a été classé depuis le 2 novembre 2020 au 8ème échelon du grade d'attaché d'administration. Depuis le 30 août 2021, il a été affecté à la direction de l'équipement, subdivision des Australes à Tubuai, en qualité de chef de la subdivision des Australes, en charge de la gestion administrative et technique de la subdivision. À la suite d'un contrôle hiérarchique au sein de cette subdivision, un rapport du 25 mai 2022 établi par un contrôleur interne et un directeur adjoint administratif a relevé plusieurs faits imputables à M. Hauata, susceptibles d'être fautifs et de faire l'objet de sanctions disciplinaires. Le 23 juin 2022, le requérant a fait l'objet d'une suspension de fonctions à titre conservatoire. Le 13 octobre 2022, la commission administrative paritaire des attachés d'administration réunie en formation disciplinaire s'est prononcée sur la situation de l'intéressé et le compte-rendu de cette séance a relaté le fait qu'aucune majorité n'avait " pu être dégagée pour une sanction " en précisant plus particulièrement que la sanction de révocation avait recueilli 4 voix " pour " et 4 voix " contre ". Par une décision du 27 octobre 2022, le président de la Polynésie française a prononcé la révocation de cet agent. Par la présente requête, M. Hauata demande l'annulation de cette sanction.

Sur la légalité de la sanction en litige :

2. Aux termes de l'article 15 de la délibération n° 95-215 AT du 14 décembre 1995 portant statut général de la fonction publique " de la Polynésie française " : " Toute faute commise par un fonctionnaire dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions l'expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale. ". L'article 85 de cette délibération dispose que : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en 4 groupes : 1er groupe : - l'avertissement ; / - le blâme. / 2e groupe : / - la radiation du tableau d'avancement ; / - l'abaissement d'échelon ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; / - le déplacement d'office. / 3e groupe : - la rétrogradation ; / - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de six mois à deux ans. / 4e groupe : - la révocation. / () ".

3. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, lorsqu'il est saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

4. Pour décider de révoquer M. Hauata, le président de la Polynésie française s'est fondé sur des éléments relevés dans un rapport d'enquête interne du 25 mai 2022 qui a révélé plusieurs manquements fautifs tenant à l'absence d'application d'une note de service relative aux commandes publiques visant à garantir une transparence dans la passation des commandes et une meilleure gestion des deniers publics, au non-respect des règles du temps de travail dans la fonction publique en faisant faire des heures supplémentaires à 15 agents sans urgence signalée et sans autorisation de la direction, au fait d'avoir fait travailler une personne en contrat d'insertion travailleur handicapé en dehors des heures prévues par convention et hors contrat pendant le mois de décembre 2021 et les 15 premiers jours de janvier 2022, sans salaire et sans en informer la direction, au fait d'avoir fait procéder au transport de matériaux (sable et soupe de corail) en 2021 et 2022 au profit de particuliers avec les moyens de la direction de l'équipement à l'attention notamment de certains agents de la subdivision ou des membres de leur famille, au fait d'avoir réalisé à titre gracieux des travaux pour des particuliers avec les moyens de la direction pour des travaux de régalage de 48 mètres cubes de soupe de corail ainsi que des travaux de nivellement, au fait d'avoir prêté des matériaux à trois personnes en leur fournissant 18 mètres cubes de concassé, au fait d'avoir conduit un tracteur et un gyrobroyeur sans autorisations administratives et sans en informer la direction, au fait d'avoir utilisé abusivement le véhicule de service à des fins personnelles y compris les week-ends et au fait d'avoir acheté des biens personnels de confort domestique sur le budget de fonctionnement de la subdivision pour une somme totale de 73 250 F CFP.

En ce qui concerne l'absence d'application d'une note de service relative aux commandes publiques visant à garantir une transparence dans la passation des commandes et une meilleure gestion des deniers publics :

5. L'administration reproche au requérant d'avoir sur ce point méconnu les dispositions d'une note de service interne du 17 juillet 2020 qui prévoit une mise en concurrence des " besoins annuels " compris entre 50 000 et 8 000 000 F CFP avec une procédure définie (courrier ou courriel de consultation auprès de trois entreprises au minimum, tenue d'une " mini-commission " composée d'au moins deux personnes, etc.). Il ressort toutefois des pièces du dossier que dix commandes sont antérieures à la prise de fonction de M. Hauata et que seules cinq commandes ont été initiées sous sa responsabilité dont quatre d'entre elles ont fait l'objet d'une consultation sans mise en concurrence, une seule entreprise ayant été consultée. Toutefois, ainsi que le fait valoir l'intéressé, compte tenu de la situation concurrentielle dans la subdivision des Australes, aucun élément du dossier ne permet d'établir que le requérant aurait été en mesure de consulter plusieurs entreprises pour les prestations concernées. Aucun élément du dossier ne vient davantage démontrer le fait qu'il aurait favorisé un fournisseur. Dans ces conditions, l'action du requérant en matière de commande publique ne saurait justifier, à elle seule, la qualification en l'espèce d'un refus d'obéissance à l'origine d'une sanction directe de révocation.

En ce qui concerne le non-respect des règles du temps de travail dans la fonction publique et la réalisation d'heures supplémentaires par 15 agents sans urgence signalée et sans autorisation de la direction :

6. La Polynésie française rappelle que la durée hebdomadaire de travail dans la fonction publique est fixée à 39 heures par semaine et reproche l'utilisation d'heures supplémentaires sans autorisation du directeur par plusieurs agents placés sous son autorité. Toutefois, la Polynésie française ne conteste pas sérieusement le fait que les dépassements horaires de certains agents de son service ont été justifiés par la nécessité de réaliser des travaux d'urgence tenant particulièrement à la remise en état du pont de Vairani à Tubuai et à un bétonnage d'un radier permettant l'écoulement des eaux de la rivière vers la mer. La réalisation de ces heures supplémentaires, au demeurant limitée à la période du mois de février 2022, ne peut dès lors être qualifiée de faute professionnelle et déontologique.

En ce qui concerne l'emploi d'une personne en contrat d'insertion travailleur handicapé en dehors des heures prévues par convention et hors contrat :

7. La Polynésie française a relevé que M. Hauata a fait travailler M. F, alors en stage d'insertion travailleur handicapé (SITH) en dehors des heures prévues par sa convention de stage et en dehors également de tout contrat durant la période du mois de décembre 2021 et des 15 premiers jours du mois de janvier 2022, sans salaire et sans en informer la direction. Le requérant qui ne conteste pas de tels faits expose, sans contredit sur ce point, que c'est à la demande expresse de M. F que M. Hauata l'a employé durant cette période contribuant d'ailleurs, comme relevé dans le rapport d'enquête interne, à l'amélioration très sensible de la tenue et de la gestion du magasin. Toutefois, en autorisant une telle situation non admissible et eu égard aux fonctions qu'il occupe, le requérant a fait preuve d'un comportement fautif susceptible de faire l'objet d'une sanction appropriée.

En ce qui concerne le transport de matériaux au profit de particuliers avec les moyens de la direction de l'équipement :

8. La Polynésie française fait grief au requérant d'avoir fait procéder à des transports de matériaux d'extraction en 2021 et 2022 au profit de particuliers dont certains ont concerné des agents de la subdivision ou des membres de leur famille et ce, malgré des directives adressées par sa direction peu de temps après sa prise de fonction. M. Hauata fait valoir, sans contredit de la Polynésie française, que certains transports ne le concernent pas personnellement en ce qu'ils sont antérieurs à sa prise de fonction. Pour ceux intervenus sous sa responsabilité, il ressort des pièces du dossier que le matériau fourni consiste seulement en de la soupe de corail provenant d'opérations de déroctage et non également en du sable, et que les frais de transports de ce matériau ont toujours été facturés aux acheteurs particuliers de Tubuai en plus du prix du matériau ainsi qu'en attestent plusieurs " états de cession " versés aux débats et récapitulatifs de virement des sommes correspondant à la fourniture de la soupe de corail et à la prestation de livraison de ce matériau jusqu'au domicile de certains particuliers de l'île. Dès lors, alors que la Polynésie française n'établit aucun préjudice résultant d'une prestation de transport gratuite, la faute de M. Hauata, eu égard aux directives susmentionnées, ne consiste qu'en la mise à disposition des moyens de son service pour livrer à quelques particuliers de la soupe de corail, entièrement facturée y compris le coût de sa livraison, comme indiqué. A la supposer avérée, une telle faute ne saurait être assimilable, dans les conditions relatées ci-dessus, à un octroi par M. Hauata d'avantages indus à des particuliers.

En ce qui concerne la réalisation, à titre gracieux, de travaux pour des particuliers avec les moyens de la direction de l'équipement et le prêt de concassé :

9. Il est reproché à M. Hauata d'avoir réalisé, gracieusement, des travaux de régalage pour un volume de 48 mètres cubes de soupe de corail à l'aide d'un engin de chantier et de deux agents de la subdivision au profit de particuliers. En réalité, il ressort des pièces du dossier, particulièrement d'attestations versées au dossier, qu'à l'occasion de la livraison d'un volume de soupe de corail comme indiqué au point précédent, le camion du service ayant servi à la livraison s'est embourbé sur un chemin de servitude, ce qui a nécessité l'intervention du " tractopelle " (" case ") de la subdivision présent sur l'île afin de dégager ledit véhicule et, concomitamment, de remettre en état le chemin, en se limitant au rebouchage des trous et ornières ainsi causés. Dans ces conditions, il ne peut être sérieusement reproché au requérant, à supposer de sa part un comportement fautif du fait de cette initiative personnelle tendant à répondre à une telle situation de certains administrés par l'utilisation du " tractopelle " alors même que le coût de la location de cet engin et le temps de travail de deux agents du service durant une demi-journée n'ont pas été réglés, un manquement à la probité du requérant. Il en est ainsi également s'agissant du prêt autorisé par M. Hauata d'un volume de 6 mètres cubes de concassé à trois particuliers destiné à les dépanner dans l'attente de la livraison de ce matériau par la société TMA, laquelle a compensé par la suite ce prêt par la livraison à la subdivision de 14 mètres cubes de graviers.

En ce qui concerne la conduite d'un tracteur et gyrobroyeur sans autorisations administratives et sans en informer la direction :

10. Il est également relevé par l'administration le fait que, durant la période du 3 au 16 février 2022, M. Hauata a personnellement conduit un tracteur et gyrobroyeur de la subdivision sans autorisation et sans informer sa propre hiérarchie. La Polynésie française fait valoir que la fiche de poste de l'intéressé ne prévoyait aucune tâche liée à la conduite de véhicule de chantier et à la réalisation d'opérations de travaux publics et se réfère au code du travail qui impose, pour ce type de tâche, une formation adéquate et une autorisation de conduite délivrée par l'employeur. Pour sa part, le requérant indique avoir effectivement pris ponctuellement les commandes de cet engin de chantier pour soulager ces agents, dans une période difficile de l'année, pour préparer une visite des autorités de la Polynésie française. La Polynésie française n'établit pas qu'en agissant ainsi le requérant s'est exposé personnellement et a exposé son équipe ou des tiers à une situation à risque. A supposer que l'intéressé ne dispose pas des autorisations requises, ces agissements ponctuels intervenus à l'appui du travail fourni par les agents de son service ne peuvent, à eux-seuls, fonder une sanction disciplinaire de révocation.

En ce qui concerne le détournement allégué de " biens du service " :

11. D'une part, il est reproché à M. Hauata un usage personnel excessif de son véhicule de service pour la période du 15 octobre au 26 novembre 2021. La fiche de poste de l'intéressé prévoit que celui-ci doit se rendre disponible à tout moment en cas d'urgence, dimanche et jours fériés compris, ce qui implique une utilisation possible de ce véhicule en dehors des heures normales de service. Si le requérant reconnaît avoir utilisé ce véhicule pour ses déplacements personnels y compris les week-ends, il ressort des pièces du dossier qu'il a toutefois été absent de l'île de Tubuai compte tenu de différents déplacements effectués pour une durée cumulée d'un peu plus de trois semaines et la Polynésie française ne conteste pas sérieusement le fait que durant ces périodes de déplacements dans d'autres îles de la Polynésie française, le véhicule de service en question a été utilisé par d'autres agents du service. Il n'est donc pas établi que le requérant a été le seul agent à utiliser ce véhicule pour la période relevée par l'administration. Si M. Hauata, qui était dépourvu de tout moyen de locomotion jusqu'à réception de son véhicule personnel en mars 2022, a également utilisé le véhicule de service sur l'île pour faire des achats personnels, son administration n'apporte aucun contredit sérieux au fait que le requérant avait informé son supérieur hiérarchique de cette situation. Dans ces conditions particulières, cet état de fait n'est pas de nature, à lui-seul, à justifier une sanction disciplinaire de révocation. D'autre part, s'agissant du grief tenant à l'achat par l'intéressé de biens personnels " sur le budget de fonctionnement de la subdivision ", il n'est pas sérieusement contesté par la Polynésie française que ces achats, consistant pour l'essentiel en du linge de maison et accessoires domestiques, ont été effectués afin d'équiper l'appartement de fonction de M. Hauata ainsi que les " appartements de passage " mis à la disposition de personnels en mission sur l'île. Ainsi, alors que ces achats ont été contrôlés pour le montant total relevé de 73 250 F CFP et que les produits correspondants ont été inventoriés par l'administration, la circonstance que le requérant ait utilisé le " budget de la subdivision " au lieu et place notamment d'une " indemnité forfaitaire " et sans en informer au préalable sa direction, à la supposer non conforme pour ce type d'acquisitions en vue d'équiper des appartements appartenant à la collectivité publique, n'a entraîné en tout état de cause aucune appropriation ou enrichissement personnels de l'intéressé et ne peut être constitutive de " détournement de biens du service " justifiant la sanction ultime prononcée.

12. En conséquence de l'examen qui précède des motifs de la décision en litige, alors que la Polynésie française fait valoir que le requérant a bénéficié de formations et qu'il a été mis en garde par sa direction, si certaines initiatives et certains agissements détaillés ci-dessus sont constitutifs d'un manquement grave et fautif de l'intéressé à ses obligations professionnelles justifiant une sanction disciplinaire, ces manquements pris isolément et même globalement ne peuvent toutefois, sans disproportion illégale et sans erreur d'appréciation, fonder la sanction litigieuse consistant en une révocation de M. Hauata, qui n'a jamais fait l'objet d'une précédente sanction disciplinaire.

13. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. Hauata est fondé à demander l'annulation de la décision qu'il conteste.

Sur l'injonction d'office :

14. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ". L'article R. 611-7-3 de ce code dispose que : " Lorsque la décision lui paraît susceptible d'impliquer le prononcé d'office d'une injonction, assortie le cas échéant d'une astreinte, le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction en informe les parties avant la séance de jugement et fixe le délai dans lequel elles peuvent, sans qu'y fasse obstacle la clôture éventuelle de l'instruction, présenter leurs observations. ".

15. Par une ordonnance n° 2200980 du 2 décembre 2022, le juge des référés du tribunal a ordonné la suspension de l'exécution de la décision en litige, emportant nécessairement la réintégration de M. Hauata dans ses fonctions. L'exécution du présent jugement n'implique dès lors que la régularisation de la situation du requérant en termes de reconstitution de carrière et de droits sociaux à la date de la prise d'effet de son éviction, soit le 1er novembre 2022. Il y a lieu d'enjoindre au président de la Polynésie française d'y procéder dans un délai de deux mois suivant la notification du présent jugement.

Sur les frais liés au litige :

16. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. Hauata tendant à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La décision susvisée du 27 octobre 2022 portant révocation de M. Hauata est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au président de la Polynésie française de procéder à la reconstitution de la carrière et des droits sociaux de M. Hauata à compter du 1er novembre 2022 dans un délai de deux mois suivant de la notification du présent jugement.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié M. G et à la Polynésie française.

Délibéré après l'audience du 23 mai 2023, à laquelle siégeaient :

M. Devillers, président,

M. Graboy-Grobesco, premier conseiller,

M. Boumedjel, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juin 2023.

Le rapporteur,

A Graboy-Grobesco

Le président,

P. Devillers

Le greffier,

M. D

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

Un greffier,

N°2200961