TA Strasbourg, 19/04/2024, n°2402132


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques ;

- le règlement intérieur national de la profession d'avocat ;

- le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Rees, vice-président, pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique tenue le 8 avril 2024 en présence de Mme Siamey, greffière d'audience, M. Rees a lu son rapport et suspendu l'audience afin de permettre à Me Andrieux, avocat de la société Atax Consultants, de prendre connaissance du mémoire déposé la veille par la SELAS Altraconsulting.

Après que Me Andrieux lui ait indiqué avoir pu utilement prendre connaissance de ce mémoire, lequel ne comporte pas de moyens nouveaux par rapport à ceux développés dans la requête introductive d'instance, M. Rees a ordonné la reprise de l'audience et entendu :

- les observations de Me Lentilhac, avocat de la SELAS Altraconsulting, qui a déclaré renoncer à ses conclusions tendant à ce qu'il soit ordonné à d'ordonner à Pôle Habitat Colmar - Centre Alsace de se conformer à ses obligations de mise en concurrence, de suspendre la signature du contrat jusqu'au terme de la procédure, de suspendre la procédure de passation du contrat et toutes décisions y afférant, et a, pour le reste, conclu aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans ses écritures ;

- les observations de Me Andrieux, avocat de la société Atax Consultants.

L'office public d'habitat Pôle Habitat Colmar - Centre Alsace n'était ni présent, ni représenté.

La clôture de l'instruction est intervenue à l'issue de l'audience en application du premier alinéa de l'article R. 522-8 du code de justice administrative.

La SELAS Altraconsulting et la société Atax Consultants ont, chacune, déposé une note en délibéré le 8 avril 2024. Le juge des référés a pris connaissance de ces notes en délibéré. Elles n'ont pas été communiquées.

Considérant ce qui suit :

1. Par avis de marché du 4 septembre 2023, l'office public d'habitat Pôle Habitat Colmar - Centre Alsace (OPH) a engagé une procédure d'appel d'offres ouvert engagée par Pôle Habitat Colmar - Centre Alsace en vue de la passation d'un marché public de services pour le suivi administratif des dossiers de dégrèvement de taxes foncières sur les propriétés bâties. Le 15 mars 2024, la SELAS Altraconsulting a été informée du rejet de son offre et de l'attribution du marché à un groupement conjoint constitué de la société Atax Consultants et de la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti. Dans l'état de ses conclusions à la clôture de l'instruction, la SELAS Altraconsulting demande au juge des référés, sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative, à titre principal, d'ordonner à Pôle Habitat Colmar - Centre Alsace de se conformer aux règles de la consultation et aux règles du droit de la commande publique en lui attribuant le marché, à titre subsidiaire, d'annuler la procédure de passation en litige.

Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet () la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix () ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 2152-1 du code de la commande publique : " L'acheteur écarte les offres irrégulières, inacceptables ou inappropriées ". L'article L. 2152-2 du même code précise qu'une offre irrégulière est " une offre qui () méconnaît la législation applicable () ". Par ailleurs, aux termes de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 susvisée : " Les honoraires de postulation, de consultation, d'assistance, de conseil, de rédaction d'actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client. () Toute fixation d'honoraires qui ne le serait qu'en fonction du résultat judiciaire est interdite. Est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu. () ".

4. Alors qu'il résulte de l'instruction que le marché comporte des prestations de consultations juridiques qui, au sein du groupement conjoint attributaire, seront dévolues à la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti, il ressort de l'acte d'engagement du groupement que son prix est constitué uniquement par un pourcentage appliqué sur le montant du dégrèvement de taxes foncières sur les propriétés bâties obtenu et payé par la trésorerie. Cette modalité de rémunération constitue, au sens des dispositions de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1971 précité, une fixation d'honoraires uniquement en fonction du résultat, sans qu'il y ait lieu de faire de distinction entre les activités judiciaires et juridiques.

5. La société Atax Consultants fait valoir que ces dispositions ne sont pas méconnues pour autant, dès lors que l'acte d'engagement fixe la rémunération du groupement conjoint attributaire, et non celle de la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti, et que la convention de cotraitance qu'elles ont conclue le 11 septembre 2023 prévoit que cette dernière sera rémunérée par une somme forfaitaire et un honoraire complémentaire consistant en un pourcentage du montant du dégrèvement obtenu. Mais, d'une part, le groupement attributaire étant dépourvu de personnalité juridique, c'est avec chacun des cotraitants que le marché serait directement conclu. Par conséquent, la rémunération des prestations dévolues à la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti ne peut qu'être fixée conformément dispositions de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1971 précité. D'autre part, il ne résulte pas de l'instruction, et n'est même pas soutenu, que la convention de cotraitance du 11 septembre 2023 aurait été rendue opposable à l'OPH. Les modalités qu'elle fixe pour la rémunération de la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti sont donc étrangères à l'offre que le groupement a présentée à l'OPH. Par suite, la société Atax Consultants ne peut pas utilement s'en prévaloir au soutien de la régularité de cette offre.

6. Il résulte de ce qui précède que l'offre présentée par le groupement conjoint constitué de la société Atax Consultants et de la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti méconnaît les dispositions de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1971 précité et est, dès lors, irrégulière au sens de l'article L. 2152-2 du code de la commande publique. Par suite, la SELAS Altraconsulting est fondée à soutenir qu'en retenant cette offre, alors qu'en application de de l'article L. 2152-1 de ce code, il était tenu de l'écarter, l'OPH a manqué à ses obligations de publicité et de mise en concurrence. Ce manquement n'a pu que léser la SELAS Altraconsulting, dont l'offre a été classée en deuxième position.

7. Les conclusions principales de la SELAS Altraconsulting, tendant à ce que soit ordonné à l'OPH de se conformer aux règles de la consultation et aux règles du droit de la commande publique en lui attribuant le marché, ne peuvent qu'être rejetées, dès lors qu'il n'appartient pas au juge des référés, statuant sur le fondement des articles L. 551-1 et suivants du code de justice administrative, d'obliger l'acheteur à attribuer le contrat.

8. En revanche, eu égard au manquement relevé au point 6, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens qu'elle soulève, la SELAS Altraconsulting est fondée à demander, à titre subsidiaire, l'annulation de la procédure de passation en litige au stade de l'examen des offres. Par voie de conséquence, il y a également lieu de prononcer l'annulation de la décision d'attribution du marché au groupement conjoint constitué de la société Atax Consultants et de la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti et de la décision de rejet de l'offre de la SELAS Altraconsulting.

Sur les frais de l'instance :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SELAS Altraconsulting, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application de ces dispositions pour mettre à la charge de l'OPH une somme à verser à la SELAS Altraconsulting.

O R D O N N E

Article 1 : La procédure engagée par l'office public d'habitat Pôle Habitat Colmar - Centre Alsace en vue de la passation d'un marché public pour le suivi administratif des dossiers de dégrèvement de taxes foncières sur les propriétés bâties est annulée au stade de l'examen des offres. Sont également annulées la décision d'attribution du marché au groupement conjoint constitué de la société Atax Consultants et de la SELARL d'avocats Schiano Gentiletti et la décision de rejet de l'offre de la SELAS Altraconsulting.

Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à la SELAS Altraconsulting, à l'office public d'habitat Pôle Habitat Colmar - Centre Alsace et à la société Atax Consultants.

Fait à Strasbourg, le 19 avril 2024.

Le juge des référés,

P. Rees

La République mande et ordonne au préfet du Haut-Rhin en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

Pour expédition conforme,

Le greffier,

ss