TA Strasbourg, 22/08/2023, n°2303425
Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 17 mai 2023, la société Construction Lickel, représentée par Me Dezempte, demande au juge des référés :
1°)de condamner la communauté de communes de l'Outre-Forêt à lui verser une provision de 100 000 euros HT soit 120 000 euros TTC, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'introduction de la requête ;
2°)de mettre à la charge de la communauté de communes de l'Outre-Forêt une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- elle est confrontée à une augmentation conséquente des coûts de l'énergie et des matières premières nécessaires à la réalisation de ses ouvrages, liée à des circonstances imprévisibles et extérieures ;
- la comparaison des devis sollicités permet de constater la forte hausse des prix depuis la date de la remise de son offre ;
- il en a découlé un surcoût de 14% sur la période d'avril 2022 à décembre 2022 ;
- il sera fait une juste appréciation de l'indemnité d'imprévision en la fixant à hauteur de 100 000 euros HT soit 120 000 euros TTC ;
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2023, la communauté de communes de l'Outre-Forêt, représentée par Me Gillig, conclut au rejet de la requête et demande de mettre à la charge de la société Construction Lickel une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la requête est irrecevable en tant qu'elle excède le montant de 109 838,71 euros sollicité dans la demande préalable ;
- la condition d'extériorité n'est pas remplie dès lors notamment qu'il appartenait à la société requérante de tenir compte de la formule d'actualisation des prix pour définir son offre ;
- elle ne saurait se prévaloir de la crise du COVID-19 qui avait largement produit ses effets à la date de conclusion du contrat ;
- la clause d'actualisation des prix a permis de prévenir les difficultés inhérentes à la hausse des coûts ;
- le bouleversement de l'économie du contrat n'est pas démontrée ;
- les documents produits ne démontrent pas que les charges invoquées auraient été toutes supportées en vue du chantier de Surbourg ;
- certaines hausses alléguées ne ressortent pas de la comparaison des devis ;
- il appartenait à la société requérante de passer commande au plus tôt ;
- les modalités de calcul de l'indemnité demandée ne sont pas explicitées ;
- la société Construction Lickel ne démontre pas que l'exécution normale du marché, sans versement d'indemnité d'imprévision, l'aurait placée dans une situation financière insupportable ;
- il n'appartient pas à l'administration de supporter la totalité de l'aléa économique exceptionnel ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Boutot, premier conseiller, en application des dispositions de l'article L. 511-2 du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte d'engagement du 1er juin 2021, la communauté de communes de
l'Outre-Forêt (ci-après CCOF) a attribué à la société Construction Lickel le lot n°2 " Gros œuvre " d'un marché public de travaux de construction d'un périscolaire et d'une maternelle à Surbourg, d'un montant de 630 008,70 euros HT. Elle demande au juge des référés de condamner la CCOF à lui verser, à titre de provision, une indemnité d'imprévision d'un montant de 120 000 euros TTC pour la période d'avril à décembre 2022.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 541-1 du code de justice administrative :
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable () ". Il résulte de ces dispositions que pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.
En ce qui concerne l'existence d'une obligation non contestable :
3. Le titulaire d'un marché public de travaux à prix forfaitaire a droit au paiement d'une indemnité résultant de sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont eu pour effet de bouleverser l'économie du contrat.
4. En l'espèce, la société Construction Lickel soutient que la crise sanitaire liée au COVID-19, puis le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne, ont entraîné une très forte hausse des prix de certaines matières premières et de l'énergie. Elle expose ainsi être confrontée à un renchérissement important de ses coûts de production, d'un montant de 109 838,71 euros HT sur la période d'avril à décembre 2022.
5. Toutefois, et d'une part, la crise sanitaire ne saurait être regardée comme une sujétion imprévue, étant apparue au premier trimestre de l'année 2020, soit plus d'un an avant la date de l'acte d'engagement du marché au 1er juin 2021, et il y a d'ailleurs lieu de souligner que la société requérante limite sa demande d'indemnisation à compter du mois d'avril 2022.
6. D'autre part, et surtout, il résulte de l'instruction que l'article 3.3 du CCAP du marché comprend une clause d'actualisation des prix sur la base d'indices de référence applicables au lot n°2. Or, la société requérante n'apporte aucun élément établissant que l'application de la formule de révision n'aurait pas suffi à amortir suffisamment l'augmentation des prix pour empêcher le bouleversement allégué de l'économie du contrat. Par ailleurs, en se limitant à faire état de surcoûts, sans établir l'ampleur de la perte de marge nette qui en résulterait pour elle, la société requérante n'apporte pas les éléments financiers nécessaires pour démontrer un bouleversement économique du contrat.
7. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir soulevée par la CCOF, la créance de la société Construction Lickel présente un caractère sérieusement contestable. Par suite, sa demande tendant à obtenir une provision à titre d'indemnité d'imprévision doit être rejetée.
Sur les frais d'instance :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la CCOF une somme à ce titre. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de la société Construction Lickel de somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
O R D O N N E :
Article 1er : La requête de la société Construction Lickel est rejetée.
Article 2 : Le surplus des conclusions est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Construction Lickel et à la communauté de communes de l'Outre-Forêt.
Fait à Strasbourg, le 22 août 2023.
Le juge des référés
L. BOUTOT
La République mande et ordonne à la préfète du Bas-Rhin en ce qui la concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2303425