TA Toulouse, 04/07/2024, n°2102442

 

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

 

Vu la procédure suivante : 

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 avril 2021 et 15 avril 2024, la commune d'Escatalens, prise en la personne de son maire  en exercice et représentée par Me Mascaras, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de condamner solidairement la SAS Flores TP et M. B A à lui verser la somme de 20 000 euros, correspondant au coût des travaux de reprise nécessaires pour remédier aux désordres en litige, assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente requête, ainsi que la somme de 10 000 euros, correspondant au préjudice  de jouissance qu'elle a subi ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement la SPIE Batignolles Malet et M. B A à lui verser la somme de 20 000 euros, correspondant au coût des travaux de reprise nécessaires pour remédier aux désordres en litige, assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente requête, ainsi que la somme de 10 000 euros, correspondant au préjudice  de jouissance qu'elle a subi ;

3°) en tout état de cause, de mettre à la charge solidaire de la SAS Flores TP, de la SPIE Batignolles Malet et M. B A le paiement de la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.

Elle soutient que :

- le tribunal est compétent pour connaître de sa requête ;

- sa requête est recevable ;

- à titre principal, la SAS Flores TP est contractuellement responsable des désordres causés par son sous-traitant ; elle était également tenue à un devoir d'information et de conseil ;

- à titre subsidiaire, la responsabilité de la SPIE Batignolles Malet doit être engagée à raison de la faute commise, ainsi que sur le fondement de la garantie décennale  des constructeurs ;

- la responsabilité du maître d'œuvre, M. B A, est engagée pour manquement à son devoir de conseil ;

- le préjudice  financier subi du fait du coût des travaux de reprise est évalué à 20 000 euros ;

- le préjudice  de jouissance subi du fait des désordres persistants pendant plusieurs mois est évalué à 10 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 octobre 2022, la SAS Flores TP, représentée par Me Lanéelle, demande au tribunal :

1°) à titre principal, de rejeter les demandes indemnitaires présentées à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner M. A à la relever et garantir de toutes condamnations susceptibles d'être prononcées à son encontre ;

3°) en tout état de cause, de mettre à la charge de la commune d'Escatalens la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- sa responsabilité décennale n'est pas engagée ; en outre, aucune faute  ne lui est imputable ;

- à titre subsidiaire, elle doit être relevée et garantie de toutes condamnations par le maître d'œuvre qui a engagé sa responsabilité ;

- le préjudice  financier n'est pas établi en l'absence de devis de travaux ;

- le préjudice  de jouissance n'est pas établi en l'absence de désordre constaté.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 mars et 25 avril 2024, la SA SPIE Batignolles Malet, anciennement SA Entreprise Malet, représentée par Me Zanier, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) à titre principal, de se déclarer incompétent pour statuer sur les conclusions formulées par la commune d'Escatalens à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions présentées à son encontre, et de mettre à la charge de la commune d'Escatalens la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) à titre très subsidiaire, de condamner M. A à la relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.

Elle fait valoir que :

- le juge administratif n'est pas compétent pour connaître des conclusions formulées par la commune à son encontre ; ces conclusions sont irrecevables ;

- la responsabilité décennale des constructeurs ne peut pas être engagée car les désordres ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ;

- le montant du préjudice  allégué n'est pas justifié.

Une mise en demeure a été adressée le 23 novembre 2021 à M. B A, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Vu :

- l'ordonnance n° 1901731 rendue par le juge des référés du tribunal le 16 juillet 2019 ;

- l'ordonnance n°1901731 du 31 mars 2021 par laquelle la vice-présidente du tribunal a taxé et liquidé les frais de l'expertise réalisée par M. C ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique  ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Hecht,

- les conclusions de M. Déderen, rapporteur public,

- et les observations de Me Rey, représentant la commune d'Escatalens.

Considérant ce qui suit :

1. Dans le cadre d'un marché public  pour la construction d'une station-service, la commune d'Escatalens (Tarn-et-Garonne) a confié la maîtrise d'œuvre à M. B A et la construction du lot n°  1 " VRD " à la société Flores TP, respectivement par deux actes d'engagement des 13 juin et 6 septembre 2017. Par un marché du 8 janvier 2018, agréé par la commune, maître d'ouvrage, la société Flores TP a sous-traité la pose du revêtement à la société Batignolles Malet, anciennement Malet. Par la présente requête, la commune demande la condamnation de la société Flores TP et de M. A, ou à titre subsidiaire de la société Batignolles Malet et de M. A, à lui verser les sommes de 20 000 euros au titre des travaux de reprise et de 10 000 euros pour le préjudice  de jouissance, en indemnisation des préjudices subis.

Sur l'exception d'incompétence opposée par la société Batignolles Malet : 

2. Le litige né de l'exécution d'un marché de travaux publics  et opposant des participants à l'exécution de ces travaux relève de la compétence de la juridiction administrative, quel que soit le fondement juridique de l'action engagée, sauf si les parties en cause sont unies par un contrat de droit privé.

3. Aux termes de l'article L. 2193-2 du code de la commande publique  : " Au sens du présent chapitre, la sous-traitance est l'opération par laquelle un opérateur économique confie par un sous-traité, et sous sa responsabilité, à une autre personne appelée sous-traitant, l'exécution d'une partie des prestations du marché conclu avec l'acheteur. " Aux termes de son article L. 2193-3 : " Le titulaire d'un marché peut, sous sa responsabilité, sous-traiter l'exécution d'une partie des prestations de son marché, dans les conditions fixées par le présent chapitre. / Toutefois, l'acheteur peut exiger que certaines tâches essentielles du marché soient effectuées directement par le titulaire. / Sont nuls et de nul effet, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui auraient pour effet de faire échec aux dispositions du présent chapitre. "

4. S'il appartient, en principe, au maître d'ouvrage  qui entend obtenir la réparation des conséquences dommageables d'un vice imputable à la conception ou à l'exécution d'un ouvrage de diriger son action contre le ou les constructeurs avec lesquels il a conclu un contrat de louage d'ouvrage, il lui est toutefois loisible, dans le cas où la responsabilité du ou des cocontractants ne pourrait pas être utilement recherchée, de mettre en cause, sur le terrain quasi-délictuel, la responsabilité des participants à une opération de construction avec lesquels il n'a pas conclu de contrat de louage d'ouvrage, mais qui sont intervenus sur le fondement d'un contrat conclu avec l'un des constructeurs. Il peut, à ce titre, invoquer, notamment, la violation des règles de l'art ou la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires mais ne saurait se prévaloir de fautes résultant de la seule inexécution, par les personnes intéressées, de leurs propres obligations contractuelles. En outre, alors même qu'il entend se placer sur le terrain quasi-délictuel, le maître d'ouvrage  ne saurait rechercher la responsabilité de participants à l'opération de construction pour des désordres apparus après la réception de l'ouvrage et qui ne sont pas de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination.

5. Il résulte de ce qui précède que le juge administratif est compétent pour connaître des conclusions dirigées par la commune d'Escatalens contre la société sous-traitante Batignolles Malet. 

Sur les conclusions indemnitaires :

En ce qui concerne la responsabilité de la société Flores TP :

6. La réception est l'acte par lequel le maître de l'ouvrage déclare accepter l'ouvrage avec ou sans réserve. Elle met fin aux rapports contractuels entre le maître de l'ouvrage et les constructeurs en ce qui concerne la réalisation de l'ouvrage. La réception interdit, par conséquent, au maître de l'ouvrage d'invoquer, après qu'elle a été prononcée, et sous réserve de la garantie de parfait achèvement, des désordres apparents causés à l'ouvrage ou des désordres causés aux tiers, dont il est alors réputé avoir renoncé à demander la réparation.

7. Il résulte de l'instruction que la réception sans réserve des travaux entrepris par la société Flores TP a été prononcée le 29 avril 2018. Par suite, dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction, et qu'il n'est pas même allégué, que la société Flores TP aurait commis une faute  assimilable à une fraude ou à un dol, caractérisée par la violation grave de ses obligations contractuelles, la commune n'est pas fondée, en droit, à rechercher la responsabilité contractuelle de cette société.

En ce qui concerne la responsabilité de la société Batignolles Malet :

8. Il ne résulte pas de l'instruction que la société Batignolles Malet aurait, en apposant comme revêtement un béton bitumineux semi grenu (BBSG) en lieu et place d'un béton bitumineux à module élevé (BBME), violé les règles de l'art ni méconnu de dispositions législatives ou réglementaires. En outre, il résulte de l'instruction, notamment du rapport de l'expert judiciaire qui constate qu'il n'y a " pas de désordre avéré " et que " c'est la moindre durabilité du revêtement qui constituerait un désordre ", qu'aucun désordre n'est de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination. Ainsi, la commune d'Escatalens n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la société Batignolles Malet, que ce soit sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle ou de la responsabilité décennale des constructeurs. Par suite, les conclusions dirigées contre cette société doivent être rejetées.

En ce qui concerne la responsabilité de M. A :

9. La responsabilité des maîtres d'œuvre pour manquement à leur devoir de conseil peut être engagée, dès lors qu'ils se sont abstenus d'appeler l'attention du maître d'ouvrage  sur des désordres affectant l'ouvrage et dont ils pouvaient avoir connaissance, en sorte que la personne publique soit mise à même de ne pas réceptionner l'ouvrage ou d'assortir la réception de réserves. Il importe peu, à cet égard, que les vices en cause aient ou non présenté un caractère apparent lors de la réception des travaux, dès lors que le maître d'œuvre en avait eu connaissance en cours de chantier.

10. La commune d'Escatalens soutient que la responsabilité de M. A, maître d'œuvre, est engagée pour manquement à son devoir de conseil. Cependant, si un constat d'huissier du 21 août 2018 note que : " à de multiples emplacements de la plateforme goudronnée de la station, je constate que sont visibles des arrachements de surface ", il ne résulte pas de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert judiciaire, ainsi qu'il a été exposé au point 8, que les désordres en litige seraient avérés. Au surplus, si le mémoire technique remis par la société Flores TP le 6 septembre 2017, dans le cadre de l'appel d'offres préalable au marché en litige, prévoyait dans son point 4.1.13 que la fourniture du revêtement serait du BBME, en revanche il ne résulte pas de l'instruction, en particulier ni de ce mémoire, ni du cahier des clauses administratives particulières  (CCAP), ni du cahier des clauses techniques particulières (CCTP) applicables à ce marché, que l'application d'un revêtement BBSG aurait été prohibée. Dans ces conditions, la commune n'est pas fondée à demander l'engagement de la responsabilité du maître d'œuvre pour manquement à son devoir de conseil à raison d'un désordre affectant l'ouvrage dont il aurait eu connaissance.

11. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions indemnitaires présentées par la commune d'Escatalens doivent être rejetées.

Sur les dépens :

12. Les dépens de l'instance, taxés et liquidés à 7 444,91 euros par l'ordonnance susvisée du 31 mars 2021, sont mis à la charge définitive de la commune d'Escatalens, partie perdante.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que les sociétés Flores TP et Batignolles Malet, et M. A, qui n'ont pas la qualité de partie perdante, versent à la commune d'Escatalens la somme réclamée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune, sur le même fondement, une somme de 1 500 euros à verser respectivement aux sociétés Flores TP et Batignolles Malet.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la commune d'Escatalens est rejetée.

Article 2 : Les dépens de l'instance, taxés et liquidés à 7 444,91 euros, sont mis à la charge définitive de la commune d'Escatalens.

Article 3 : La commune d'Escatalens versera une somme de 1 500 euros à la société Flores TP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : La commune d'Escatalens versera une somme de 1 500 euros à la société Batignolles Malet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à la commune d'Escatalens, à la SAS Flores TP, à la SPIE Batignolles Malet et à M. B A.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de Tarn-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 13 juin 2024, à laquelle siégeaient :

Mme Carotenuto, présidente,

M. Hecht, premier conseiller, 

Mme Pétri, conseillère. 

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juillet 2024.

Le rapporteur,

S. HECHT

La présidente,

S. CAROTENUTOLa greffière,

F. LE GUIELLAN

La République mande et ordonne au préfet de Tarn-et-Garonne, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme :

La greffière en chef,