TA Toulouse, 08/03/2023, n°2001402

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 mars 2020 et 10 mai 2021, l'Office public de l'habitat du Tarn, représenté par Me Laurent, demande au tribunal :

1°) de condamner la SAS Jacky Massoutier et fils à lui verser la somme de 82 223,68 euros au titre des travaux de réparation, cette somme devant être réactualisée sur l'indice BT01 du coût de la construction à la date de son paiement ;

2°) de mettre à la charge de la SAS Jacky Massoutier et fils le paiement de la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

3°) de condamner la SAS Jacky Massoutier et fils aux entiers dépens.

Il soutient que :

- l'expert judiciaire estime que les désordres sont dus à une préparation inadéquate de la surface du plâtre devant être encollé, et que les défauts d'exécution des joints réalisés par la SAS Jacky Massoutier et fils sont généralisés et évolutifs ;

- il n'est pas établi que la SAS Jacky Massoutier et fils l'aurait averti par une communication écrite des difficultés rencontrées par rapport aux délais des travaux ;

- les désordres ne peuvent pas être imputables à l'humidité du chantier dès lors qu'ils ne sont pas observables sur la totalité de la largeur des bandes collées ;

- l'interdiction de l'enrichissement sans cause est inopérante en l'espèce ;

- les désordres relèvent de la responsabilité de la SAS Jacky Massoutier et fils ;

- l'expert judiciaire chiffre les travaux de reprise à 82 223,68 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 août 2020, la SAS Jacky Massoutier et fils, représentée E, demande au tribunal :

- à titre principal, de rejeter la requête en ce que les désordres en litige ne relèvent pas de la garantie décennale et que sa responsabilité contractuelle n'est pas susceptible d'être engagée ;

- à titre subsidiaire, de rejeter la requête en ce que les désordres ne lui sont pas imputables ;

- à titre très subsidiaire, de ramener le coût des travaux de reprise à 62 232,48 euros ;

- en tout état de cause, de mettre à la charge de l'Office public de l'habitat du Tarn le paiement de la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de le condamner aux entiers dépens.

Elle fait valoir que :

- les désordres ne relèvent pas de la garantie décennale car ils n'affectent pas un ouvrage mais un élément d'équipement dissociable et sont exclusivement de nature esthétique, dès lors qu'ils ne rendent pas l'ouvrage impropre à sa destination ;

- sa responsabilité contractuelle ne peut pas être recherchée dès lors que la réception des travaux a mis fin à sa relation contractuelle avec l'Office public de l'habitat du Tarn ;

- les désordres ne lui sont pas imputables dès lors qu'elle a respecté les règles de l'art, tandis que l'Office public de l'habitat du Tarn, maître d'ouvrage, n'a pas pris les dispositions prévues et a imposé des délais inflexibles ;

- les désordres sont imputables aux conditions d'humidité sur le chantier ;

- les désordres ne seraient pas visibles si les logements avaient été tapissés, comme cela était prévu initialement ;

- la réfection des peintures constituerait un enrichissement sans cause dès lors que l'Office public de l'habitat du Tarn n'a subi aucune perte locative ;

- l'expert technique intervenant dans l'intérêt de la SMABTP a estimé que les désordres étaient inhérents au choix des matériaux utilisés ;

- les travaux de reprise ne peuvent excéder la somme de 62 232,48 euros.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance du 6 février 2020 par laquelle le président du tribunal a liquidé et taxé les frais de l'expertise réalisée par M. D à la somme de 5 474,66 euros HT.

Vu :

- le code civil ;

- le code des marchés publics ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A,

- les conclusions de M. Farges, rapporteur public,

- et les observations de Me Laurent, représentant l'Office public de l'habitat du Tarn, et de Me Binel, représentant la SAS Jacky Massoutier et fils.

Considérant ce qui suit :

1. Au terme d'un acte d'engagement signé le 6 juillet 2012, l'Office public de l'habitat du Tarn a confié à la SAS Jacky Massoutier et fils le lot numéro 8 " Plâtrerie - isolation " dans le cadre du projet de construction de 27 logements sociaux situés Camp Countal, dans la commune du Séquestre (Tarn). Par un acte d'engagement du 9 septembre 2010, la maîtrise d'œuvre a été confiée à Mme C B, architecte. Les travaux se sont déroulés du 16 novembre 2012 au 5 juin 2014, date à laquelle ils ont fait l'objet d'une réception sans aucune réserve s'agissant de ce lot. A la suite de l'apparition de désordres dans l'ensemble des logements, consistant en l'apparition de fissures intérieures au droit des jonctions entre les murs extérieurs et les panneaux en plaque de plâtre, plusieurs réunions d'expertise amiable ont eu lieu. A la suite de ces réunions, le directeur général de l'Office public de l'habitat du Tarn a mis en demeure Mme B de lui transmettre une note présentant la pathologie des désordres, les préconisations qu'elle avait demandées dans le marché et en phase chantier pour réaliser les joints entre ces matériaux afin de respecter les règles de l'art applicables, les prestations techniques à mettre en œuvre pour réparer les désordres et une estimation globale des travaux de réparation. En l'absence de réponse de Mme B, l'Office public de l'habitat du Tarn a saisi le juge des référés du tribunal qui, par une ordonnance du 17 décembre 2018, a nommé M. D en qualité d'expert. Ce dernier a rendu son rapport le 30 juillet 2019. Par la présente requête, l'Office public de l'habitat du Tarn demande que la SAS Jacky Massoutier et fils soit condamnée à lui verser la somme de 82 223,68 euros sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.

Sur la garantie décennale :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres, apparus dans le délai d'épreuve de dix ans et affectant l'ouvrage dans l'un de ses éléments constitutifs ou l'un de ses éléments d'équipement, même dissociable, engagent la responsabilité de ces constructeurs au titre de la garantie décennale s'ils sont de nature à compromettre sa solidité ou à le rendre impropre à sa destination. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

3. En l'espèce, la SAS Jacky Massoutier et fils conteste le caractère décennal des désordres. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport de l'expert judiciaire, que la totalité des logements de Camp Countal présentent des fissures intérieures, entre les murs extérieurs réalisés en béton cellulaire et les cloisons intérieures en plâtre, ainsi qu'entre ces mêmes murs et les plafonds en plâtre. Si la solidité de l'ouvrage n'est pas contestée, l'Office public de l'habitat du Tarn soutient que les désordres le rendent impropre à sa destination. A ce titre, l'expert judiciaire relève seulement que les défauts d'exécution des joints sont généralisés et évolutifs, sans toutefois se prononcer expressément sur une éventuelle compromission de l'ouvrage au regard de sa destination. En tout état de cause, il est constant que certains logements sont mis en location, tandis que l'Office public de l'habitat du Tarn n'allègue pas que certains logements seraient impropres à la location en raison des désordres constatés. Il ne résulte pas non plus de l'instruction que ces désordres seraient de nature, dans un délai prévisible, à rendre l'ouvrage impropre à sa destination. En outre, la circonstance que ces désordres affectent l'esthétique de l'ouvrage n'est pas, par elle-même, de nature à engager la responsabilité décennale de la SAS Jacky Massoutier et fils. Enfin, si l'Office public de l'habitat du Tarn rappelle que le cahier des clauses techniques particulières applicable prévoyait que " les distributions, cloisonnement, doublage, plafonnage et revêtement des locaux doivent répondre à des critères de résistance spécifique à humidité en fonction de leur classement " et que, s'agissant de l'isolation thermique et acoustique : " le recouvrement des joints sera soigné de même que les calfeutrements des huisseries, bâtis et dormants de fenêtres ou porte-fenêtres. Les jonctions avec les plafonds seront parfaitement étanchées par le traitement des cueillis avant, puis, après la pose du doublage ", toutefois la circonstance qu'un ouvrage n'ait pas été réalisé conformément aux prescriptions techniques applicables au marché ne suffit pas, à elle seule, à engager la garantie décennale si sa solidité ou sa destination ne sont pas compromises.

4. Il résulte de ce qui précède que les conclusions dirigées par l'Office public de l'habitat du Tarn à l'encontre de la SAS Jacky Massoutier et fils sur le fondement de la garantie décennale doivent être rejetées.

Sur les dépens :

5. Par une ordonnance du 6 février 2020, les frais de l'expertise confiée à M. D ont été taxés et liquidés à hauteur de de 5 474,66 euros HT. En l'espèce, il y a lieu de mettre cette somme à la charge définitive de l'Office public de l'habitat du Tarn.

Sur les frais liés au litige :

6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la SAS Jacky Massoutier et fils, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à l'Office public de l'habitat du Tarn la somme réclamée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche et dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Office public de l'habitat du Tarn la somme de 1 500 euros à verser à la SAS Jacky Massoutier et fils au titre des dispositions de ce même article L. 761-1.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de l'Office public de l'habitat du Tarn est rejetée.

Article 2 : Les frais de l'expertise confiée à M. D, taxés et liquidés à hauteur de 5 474,66 euros HT, sont mis à la charge définitive de l'Office public de l'habitat du Tarn.

Article 3 : L'Office public de l'habitat du Tarn versera à la SAS Jacky Massoutier et fils la somme de 1500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à l'Office public de l'habitat du Tarn et à la SAS Jacky Massoutier et fils.

Délibéré après l'audience du 16 février 2023, à laquelle siégeaient :

M. Sorin, président,

M. Hecht, premier conseiller,

Mme Pétri, conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 mars 2023.

Le rapporteur,

S. A

Le président,

T. SORIN La greffière,

S. SORABELLA

La République mande et ordonne au préfet du Tarn, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme :

La greffière en chef,